Michel Lévy frères, éditeurs (p. 223-225).


XLIV

LE NOUVEAU RÈGNE


Grâce à la munificence du roi, le mariage de mademoiselle de Monteravel fut très-brillant. On savait faire sa cour en y venant, car madame de la Tournelle en devait faire les honneurs, ce qui empêcha la comtesse de Mailly d’y assister. La présentation de la duchesse de Lauraguais eut lieu dans la même semaine. Cette démarche, si pénible en idée, fut moins désagréable que ne le craignait madame de la Tournelle. Le roi avait eu à ce sujet un entretien avec la reine, où l’on croit que, lui ayant rappelé le sacrifice qu’elle même avait exigé, il lui avait prouvé qu’elle ne pouvait pas, sans être injuste, se montrer malveillante pour la femme qu’il aimait ; surtout quand cette femme, pénétrée de respect pour le rang, les vertus de la reine, lui était attachée par la reconnaissance. D’ailleurs il avait ajouté :

— Pourquoi seriez-vous moins indulgente pour elle que pour madame de Mailly ?

— Ah ! Sire, vous n’aimiez pas celle-ci, avait répondu la reine.

Il résulta de cet entretien que, trop bien convaincue de la passion du roi pour madame de la Tournelle, et de la résolution où il était de proportionner ses bonnes grâces et ses marques d’affection aux procédés qu’on aurait envers elle, la reine se résigna à cacher son ressentiment et sa peine sous le voile d’une politesse froide, à laquelle madame de la Tournelle donna le nom de bienveillance, de peur d’exciter la colère du roi.

Ce même jour, le bruit se répandit que le cardinal était à toute extrémité, le roi se rendit aussitôt à Issy pour le voir encore une fois. Le cardinal le reconnut, lui sourit avec reconnaissance ; puis il tomba de nouveau en faiblesse. Le duc de Richelieu, à qui madame de la Tournelle avait recommandé d’arracher le plus tôt possible Louis XV à ce triste spectacle, l’entraîna hors de la chambre du cardinal, qui survécut peu de moments aux adieux de son royal élève.

Louis XV fut sincèrement affecté de la perte de son vieil ami ; il ordonna qu’il fût érigé à ce ministre un mausolée dans l’église de Saint-Louis du Louvre, et fit célébrer un service solennel à Notre-Dame de Paris ; mais les occupations auxquelles la mort du cardinal livraient le roi, et la passion qui remplissait son âme, parvinrent bientôt à le distraire.

« C’est à la mort du cardinal de Fleury, dit l’histoire, que commence le véritable règne de Louis XV. Enfin la France va voir son monarque la gouverner ; c’était l’objet des désirs de la nation. On murmure, on résiste ordinairement à une autorité précaire et empruntée, on obéit sans répugnance à la puissance naturelle et légitime. Dans cette circonstance, la résolution la plus agréable au peuple que le roi pût prendre était de gouverner par lui-même, de se réserver la haute administration de son royaume. Le roi la prit et l’annonça ; il déclara que ses ministres n’auraient plus que le soin de faire exécuter ses ordres[1]. »

Le roi avait à disposer des emplois du cardinal ; il donne la charge du grand-aumônier de la reine à M. de Tavannes, archevêque de Rouen ; celle du premier aumônier, qu’avait M. de Tavannes, à l’abbé de Fleury, neveu du cardinal ; la feuille des bénéfices à l’ancien évêque de Mirepoix, précepteur de M. le Dauphin, la surintendance des postes à M. Amelot.

Pour remplacer le cardinal de Fleury dans le conseil, il fallait un homme d’État, un bon citoyen : le roi fait choix du maréchal de Nouilles, et le nomme ministre d’État. On pensa avec raison que l’amitié de madame de la Tournelle pour le maréchal était pour beaucoup dans cette nomination ; mais comme le maréchal jouissait d’une grande considération, on l’approuva. On ne vanta pas moins le chou des nouveaux chevaliers de l’ordre, parmi lesquelles madame de la Tournelle eut le hou esprit de faire admettre son ennemi déclaré, le duc de Luxembourg. Les autres étaient les dites de Brissac, de Boufflers de Biron, le comte de la Motte-Houdencourt, le marquis de Gassion, les comtes de Lautrec et de Coigny[2].

Le roi fit aussi une promotion de quatorze lieutenants généraux, trente maréchaux de camp, et soixante-dix-neuf brigadiers.

M. de Chavigny, regardé comme le plus grand politique, de la France, jouissait dans l’étranger d’une considération justement méritée : prudent, flegmatique, d’une pénétration rare, il fut nommé ambassadeur en Portugal, puis chargé d’une mission secrète en Allemagne.

Ces grades, ces faveurs, accordés au mérite ou à de longs services, produisirent un bon effet sur l’esprit de la nation.

Le cardinal laissait beaucoup de choses a réparer : soit par économie, la marine, le commerce extérieur avaient été négligés ; le temps n’était pas favorable pour les rétablir ; il fallait auparavant terminer la guerre entreprise pour la succession aux états de la maison d’Autriche ; il fallait surtout changer le théâtre de la guerre, reprendre l’offensive que nous avions perdue, rendre aux armes du roi leur supériorité et leur splendeur : une femme le voulait… ce fut l’ouvrage de deux campagnes.

  1. Journal historique de règne de Louis XV, seconde partie page 334.
  2. Fastes de Louis XV. — Gazette de l’année 1743.