Texte établi par Jules JaninLévy (p. 366-369).

XXVII


— Vous avez lu ? me dit Armand quand j’eus terminé la lecture de ce manuscrit.

— Je comprends ce que vous avez dû souffrir, mon ami, si tout ce que j’ai lu est vrai ?

— Mon père me l’a confirmé dans une lettre.

Nous causâmes encore quelque temps de la triste destinée qui venait de s’accomplir, et je rentrai chez moi prendre un peu de repos.

Armand, toujours triste, mais soulagé un peu par le récit de cette histoire, se rétablit vite, et nous allâmes ensemble faire visite à Prudence et à Julie Duprat.

Prudence venait de faire faillite. Elle nous dit que Marguerite en était la cause ; que pendant sa maladie, elle lui avait prêté beaucoup d’argent pour lequel elle avait fait des billets qu’elle n’avait pu payer, Marguerite étant morte sans le lui rendre et ne lui ayant pas donné de reçus avec lesquels elle pût se présenter comme créancière.

A l’aide de cette fable que madame Duvernoy racontait partout pour excuser ses mauvaises affaires, elle tira un billet de mille francs à Armand, qui n’y croyait pas, mais qui voulut bien avoir l’air d’y croire, tant il avait de respect pour tout ce qui avait approché sa maîtresse.

Puis nous arrivâmes chez Julie Duprat qui nous raconta les tristes événements dont elle avait été témoin, versant des larmes sincères au souvenir de son amie.

Enfin, nous allâmes à la tombe de Marguerite sur laquelle les premiers rayons du soleil d’avril faisaient éclore les premières feuilles.

Il restait à Armand un dernier devoir à remplir, c’était d’aller rejoindre son père. Il voulut encore que je l’accompagnasse.

Nous arrivâmes à C... où je vis M. Duval tel que je me l’étais figuré d’après le portrait que m’en avait fait son fils : grand, digne, bienveillant.

Il accueillit Armand avec des larmes de bonheur, et me serra affectueusement la main. Je m’aperçus bientôt que le sentiment paternel était celui qui dominait tous les autres chez le receveur.

Sa fille, nommée Blanche, avait cette transparence des yeux et du regard, cette sérénité de la bouche qui prouvent que l’âme ne conçoit que de saintes pensées et que les lèvres ne disent que de pieuses paroles. Elle souriait au retour de son frère, ignorant, la chaste jeune fille, que loin d’elle une courtisane avait sacrifié son bonheur à la seule invocation de son nom.

Je restai quelque temps dans cette heureuse famille, tout occupée de celui qui leur apportait la convalescence de son cœur.

Je revins à Paris où j’écrivis cette histoire telle qu’elle m’avait été racontée. Elle n’a qu’un mérite qui lui sera peut-être contesté, celui d’être vraie.

Je ne tire pas de ce récit la conclusion que toutes les filles comme Marguerite sont capables de faire ce qu’elle a fait ; loin de là, mais j’ai connaissance qu’une d’elles avait éprouvé dans sa vie un amour sérieux, qu’elle en avait souffert et qu’elle en était morte. J’ai raconté au lecteur ce que j’avais appris. C’était un devoir.

Je ne suis pas l’apôtre du vice, mais je me ferai l’écho du malheur noble partout où je l’entendrai crier.

L’histoire de Marguerite est une exception, je le répète ; mais si c’eût été une généralité, ce n’eût pas été la peine de l’écrire.



FIN