Texte établi par Jules JaninLévy (p. 310-328).

XXIV


C’était déjà quelque chose, mais ce n’était pas assez. Je comprenais l’empire que j’avais sur cette femme et j’en abusais lâchement.

Quand je pense qu’elle est morte maintenant, je me demande si Dieu me pardonnera jamais le mal que j’ai fait.

Après le souper, qui fut des plus bruyants, on se mit à jouer.

Je m’assis à côté d’Olympe et j’engageai mon argent avec tant de hardiesse qu’elle ne pouvait s’empêcher d’y faire attention. En un instant, je gagnai cent cinquante ou deux cents louis, que j’étalais devant moi et sur lesquels elle fixait des yeux ardents.

J’étais le seul que le jeu ne préoccupât point complètement et qui s’occupât d’elle. Tout le reste de la nuit je gagnai, et ce fut moi qui lui donnai de l’argent pour jouer, car elle avait perdu tout ce qu’elle avait devant elle et probablement chez elle.

A cinq heures du matin on partit.

Je gagnais trois cents louis.

Tous les joueurs étaient déjà en bas, moi seul étais resté en arrière sans que l’on s’en aperçût, car je n’étais l’ami d’aucun de ces messieurs.

Olympe éclairait elle-même l’escalier et j’allais descendre comme les autres, quand, revenant vers elle, je lui dis :

— Il faut que je vous parle.

— Demain, me dit-elle.

— Non, maintenant.

— Qu’avez-vous à me dire ?

— Vous le verrez.

Et je rentrai dans l’appartement.

— Vous avez perdu ? lui dis-je.

— Oui.

— Tout ce que vous aviez chez vous

Elle hésita.

— Soyez franche.

— Eh bien, c’est vrai.

— J’ai gagné trois cents louis, les voilà, si vous voulez me garder ici ?

Et, en même temps, je jetai l’or sur la table.

— Et pourquoi cette proposition ?

— Parce que je vous aime, pardieu !

— Non, mais parce que vous êtes amoureux de Marguerite et que vous voulez vous venger d’elle en devenant mon amant. On ne trompe pas une femme comme moi, mon cher ami ; malheureusement je suis, encore trop jeune et trop belle pour accepter le rôle que vous me proposez.

— Ainsi, vous refusez ?

— Oui.

— Préférez-vous m’aimer pour rien ? C’est moi qui n’accepterais pas alors. Réfléchissez, ma chère Olympe ; je vous aurais envoyé une personne quelconque vous proposer ces trois cents louis de ma part aux conditions que j’y mets, vous eussiez accepté. J’ai mieux aimé traiter directement avec vous. Acceptez sans chercher les causes qui me font agir ; dites-vous que vous êtes belle, et qu’il n’y a rien d’étonnant que je sois amoureux de vous.

Marguerite était une fille entretenue comme Olympe, et cependant je n’eusse jamais osé lui dire, la première fois que je l’avais vue, ce que je venais de dire à cette femme. C’est que j’aimais Marguerite, c’est que j’avais deviné en elle des instincts qui manquaient à cette autre créature, et qu’au moment même où je proposais ce marché, malgré son extrême beauté, celle avec qui j’allais le conclure me dégoûtait.

Elle finit par accepter, bien entendu, et, à midi, je sortis de chez elle son amant ; mais je quittai son lit sans emporter le souvenir des caresses et des mots d’amour qu’elle s’était crue obligée de me prodiguer pour les six mille francs que je lui laissais.

Et cependant on s’était ruiné pour cette femme-là.

A compter de ce jour, je fis subir à Marguerite une persécution de tous les instants. Olympe et elle cessèrent de se voir, vous comprenez aisément pourquoi. Je donnai à ma nouvelle maîtresse une voiture, des bijoux, je jouai, je fis enfin toutes les folies propres à un homme amoureux d’une femme comme Olympe. Le bruit de ma nouvelle passion se répandit aussitôt.

Prudence elle-même s’y laissa prendre et finit par croire que j’avais complètement oublié Marguerite. Celle-ci, soit qu’elle eût deviné le motif qui me faisait agir, soit qu’elle se trompât comme les autres, répondait par une grande dignité aux blessures que je lui faisais tous les jours. Seulement elle paraissait souffrir, car partout où je la rencontrais, je la revoyais toujours de plus en plus pâle, de plus en plus triste. Mon amour pour elle, exalté à ce point qu’il se croyait devenu de la haine, se réjouissait à la vue de cette douleur quotidienne. Plusieurs fois, dans des circonstances où je fus d’une cruauté infâme, Marguerite leva sur moi des regards si suppliants que je rougissais du rôle que j’avais pris, et que j’étais près de lui en demander pardon.

Mais ces repentirs avaient la durée de l’éclair et Olympe, qui avait fini par mettre toute espèce d’amour propre de côté, et compris qu’en faisant du mal à Marguerite elle obtiendrait de moi tout ce qu’elle voudrait, m’excitait sans cesse contre elle, et l’insultait chaque fois qu’elle en trouvait l’occasion, avec cette persistante lâcheté de la femme autorisée par un homme.

Marguerite avait fini par ne plus aller ni au bal, ni au spectacle, dans la crainte de nous y rencontrer, Olympe et moi. Alors les lettres anonymes avaient succédé aux impertinences directes, et il n’y avait honteuses choses que je n’engageasse ma maîtresse à raconter et que je ne racontasse moi-même sur Marguerite.

Il fallait être fou pour en arriver là. J’étais comme un homme qui, s’étant grisé avec du mauvais vin, tombe dans une de ces exaltations nerveuses où la main est capable d’un crime sans que la pensée y soit pour quelque chose. Au milieu de tout cela, je souffrais le martyre. Le calme sans dédain, la dignité sans mépris, avec lesquels Marguerite répondait à toutes mes attaques, et qui à mes propres yeux la faisaient supérieure à moi, m’irritaient encore contre elle.

Un soir, Olympe était allée je ne sais où, et s’y était rencontrée avec Marguerite, qui cette fois n’avait pas fait grâce à la sotte fille qui l’insultait, au point que celle-ci avait été forcée de céder la place. Olympe était rentrée furieuse, et l’on avait emporté Marguerite évanouie.

En rentrant, Olympe m’avait raconté ce qui s’était passé, m’avait dit que Marguerite, la voyant seule, avait voulu se venger de ce qu’elle était ma maîtresse, et qu’il fallait que je lui écrivisse de respecter, moi absent ou non, la femme que j’aimais.

Je n’ai pas besoin de vous dire que j’y consentis, et que tout ce que je pus trouver d’amer, de honteux et de cruel, je le mis dans cette épître que j’envoyai le jour même à son adresse.

Cette fois le coup était trop fort pour que la malheureuse le supportât sans rien dire.

Je me doutais bien qu’une réponse allait m’arriver ; aussi étais-je résolu à ne pas sortir de chez moi de tout le jour.

Vers deux heures on sonna et je vis entrer Prudence.

J’essayai de prendre un air indifférent pour lui demander à quoi je devais sa visite ; mais ce jour-là madame Duvernoy n’était pas rieuse, et d’un ton sérieusement ému elle me dit que, depuis mon retour, c’est-à-dire depuis trois semaines environ, je n’avais pas laissé échapper une occasion de faire de la peine à Marguerite ; qu’elle en était malade, et que la scène de la veille et ma lettre du matin l’avaient mise dans son lit.

Bref, sans me faire de reproches, Marguerite m’envoyait demander grâce, en me faisant dire qu’elle n’avait plus la force morale ni la force physique de supporter ce que je lui faisais.

— Que mademoiselle Gautier, dis-je à Prudence, me congédie de chez elle, c’est son droit, mais qu’elle insulte une femme que j’aime, sous prétexte que cette femme est ma maîtresse, c’est ce que je ne permettrai pas.

— Mon ami, me fit Prudence, vous subissez l’influence d’une fille sans cœur et sans esprit ; vous en êtes amoureux, il est vrai, mais ce n’est pas une raison pour torturer une femme qui ne peut se défendre.

— Que mademoiselle Gautier m’envoie son comte de N…, et la partie sera égale.

— Vous savez bien qu’elle ne le fera pas. Ainsi, mon cher Armand, laissez-la tranquille ; si vous la voyiez, vous auriez honte de la façon dont vous vous conduisez avec elle. Elle est pâle, elle tousse, elle n’ira pas loin maintenant.

Et Prudence me tendit la main en ajoutant :

— Venez la voir, votre visite la rendra bien heureuse.

— Je n’ai pas envie de rencontrer M. de N…

— M. de N… n’est jamais chez elle. Elle ne peut le souffrir.

— Si Marguerite tient à me voir, elle sait où je demeure, qu’elle vienne, mais moi je ne mettrai pas les pieds rue d’Antin.

— Et vous la recevrez bien ?

— Parfaitement.

— Eh bien, je suis sûre qu’elle viendra.

— Qu’elle vienne.

— Sortirez-vous aujourd’hui ?

— Je serai chez moi toute la soirée.

— Je vais le lui dire.

Prudence partit.

Je n’écrivis même pas à Olympe que je n’irais pas la voir. Je ne me gênais pas avec cette fille. A peine si je passais une nuit avec elle par semaine. Elle s’en consolait, je crois, avec un acteur de je ne sais quel théâtre du boulevard.

Je sortis pour dîner et je rentrai presque immédiatement. Je fis faire du feu partout et je donnai congé à Joseph.

Je ne pourrais pas vous rendre compte des impressions diverses qui m’agitèrent pendant une heure d’attente ; mais, lorsque vers neuf heures j’entendis sonner, elles se résumèrent en une émotion telle, qu’en allant ouvrir la porte je fus forcé de m’appuyer contre le mur pour ne pas tomber.

Heureusement l’antichambre était dans la demi-teinte ; et l’altération de mes traits était moins visible.

Marguerite entra.

Elle était tout en noir et voilée. A peine si je reconnaissais son visage sous la dentelle.

Elle passa dans le salon et releva son voile.

Elle était pâle comme le marbre.

— Me voici, Armand, dit-elle ; vous avez désiré me voir, je suis venue.

Et, laissant tomber sa tête dans ses deux mains, elle fondit en larmes.

Je m’approchai d’elle.

— Qu’avez-vous ? lui dis-je d’une voix altérée.

Elle me serra la main sans me répondre, car les larmes voilaient encore sa voix. Mais quelques instants après, ayant repris un peu de calme, elle me dit :

— Vous m’avez bien fait du mal, Armand, et moi je ne vous ai rien fait.

— Rien ? répliquai-je avec un sourire amer.

— Rien que ce que les circonstances m’ont forcée à vous faire.

Je ne sais pas si de votre vie vous avez éprouvé ou si vous éprouverez jamais ce que je ressentais à la vue de Marguerite.

La dernière fois qu’elle était venue chez moi, elle s’était assise à la place où elle venait de s’asseoir ; seulement, depuis cette époque, elle avait été la maîtresse d’un autre ; d’autres baisers que les miens avaient touché ses lèvres, auxquelles, malgré moi, tendaient les miennes, et pourtant je sentais que j’aimais cette femme autant et peut-être plus que je ne l’avais jamais aimée.

Cependant il était difficile pour moi d’entamer la conversation sur le sujet qui l’amenait. Marguerite le comprit sans doute, car elle reprit :

— Je viens vous ennuyer, Armand, parce que j’ai deux choses à vous demander ; pardon de ce que j’ai dit hier à mademoiselle Olympe, et grâce de ce que vous êtes peut-être prêt à me faire encore. Volontairement ou non, depuis votre retour, vous m’avez fait tant de mal, que je serais incapable maintenant de supporter le quart des émotions que j’ai supportées jusqu’à ce matin. Vous aurez pitié de moi, n’est-ce pas ? et vous comprendrez qu’il y a pour un homme de cœur de plus nobles choses à faire que de se venger d’une femme malade et triste comme je le suis. Tenez, prenez ma main. J’ai la fièvre, j’ai quitté mon lit pour venir vous demander, non pas votre amitié, mais votre indifférence.

En effet, je pris la main de Marguerite. Elle était brûlante, et la pauvre femme frissonnait sous son manteau de velours.

Je roulai auprès du feu le fauteuil dans lequel elle était assise.

— Croyez-vous donc que je n’aie pas souffert, repris-je, la nuit où, après vous avoir attendue à la campagne, je suis venu vous chercher à Paris, où je n’ai trouvé que cette lettre qui a failli me rendre fou ?

Comment avez-vous pu me tromper, Marguerite, moi qui vous aimais tant !

— Ne parlons pas de cela, Armand, je ne suis pas venue pour en parler. J’ai voulu vous voir autrement qu’en ennemi, voilà tout, et j’ai voulu vous serrer encore une fois la main. Vous avez une maîtresse jeune, jolie, que vous aimez, dit-on : soyez heureux avec elle et oubliez-moi.

— Et vous, vous êtes heureuse, sans doute ?

— Ai-je le visage d’une femme heureuse, Armand ? Ne raillez pas ma douleur, vous qui savez mieux que personne quelles en sont la cause et l’étendue.

— Il ne dépendait que de vous de n’être jamais malheureuse, si toutefois vous l’êtes comme vous le dites.

— Non, mon ami, les circonstances ont été plus fortes que ma volonté. J’ai obéi, non pas à mes instincts de fille, comme vous paraissez le dire, mais à une nécessité sérieuse et à des raisons que vous saurez un jour, et qui vous feront me pardonner.

— Pourquoi ne me dites-vous pas ces raisons aujourd’hui ?

— Parce qu’elles ne rétabliraient pas un rapprochement impossible entre nous, et qu’elles vous éloigneraient peut-être des gens dont vous ne devez pas vous éloigner.

— Quelles sont ces gens ?

— Je ne puis vous le dire.

— Alors, vous mentez.

Marguerite se leva et se dirigea vers la porte.

Je ne pouvais assister à cette muette et expressive douleur sans en être ému, quand je comparais en moi même cette femme pâle et pleurante à cette fille folle qui s’était moquée de moi à l’Opéra-Comique.

— Vous ne vous en irez pas, dis-je en me mettant devant la porte.

— Pourquoi ?

— Parce que, malgré ce que tu m’as fait, je t’aime toujours et que je veux te garder ici.

— Pour me chasser demain, n’est-ce pas ? Non, c’est impossible ! Nos deux destinées sont séparées, n’essayons pas de les réunir ; vous me mépriseriez peut-être, tandis que maintenant vous ne pouvez que me haïr.

— Non, Marguerite, m’écriai-je en sentant tout mon amour et tous mes désirs se réveiller au contact de cette femme. Non, j’oublierai tout, et nous serons heureux comme nous nous étions promis de l’être.

Marguerite secoua la tête en signe de doute, et dit :

— Ne suis-je pas votre esclave, votre chien ? Faites de moi ce que vous voudrez, prenez-moi, je suis à vous.

Et ôtant son manteau et son chapeau, elle les jeta sur le canapé et se mit à dégrafer brusquement le corsage de sa robe, car, par une de ces réactions si fréquentes de sa maladie, le sang lui montait du cœur à la tête et l’étouffait.

Une toux sèche et rauque s’ensuivit.

— Faites dire à mon cocher, reprit-elle, de reconduire ma voiture.

Je descendis moi-même congédier cet homme.

Quand je rentrai, Marguerite était étendue devant le feu et ses dents claquaient de froid.

Je la pris dans mes bras, je la déshabillai sans qu’elle fît un mouvement, et je la portai toute glacée dans mon lit.

Alors je m’assis auprès d’elle et j’essayai de la réchauffer sous mes caresses. Elle ne me disait pas une parole, mais elle me souriait.

Oh ! ce fut une nuit étrange. Toute la vie de Marguerite semblait être passée dans les baisers dont elle me couvrait, et je l’aimais tant, qu’au milieu des transports de mon amour fiévreux, je me demandais si je n’allais pas la tuer pour qu’elle n’appartînt jamais à un autre.

Un mois d’un amour comme celui-là, et de corps comme de cœur, on ne serait plus qu’un cadavre.

Le jour nous trouva éveillés tous deux.

Marguerite était livide. Elle ne disait pas une parole. De grosses larmes coulaient de temps en temps de ses yeux et s’arrêtaient sur sa joue, brillantes comme des diamants. Ses bras épuisés s’ouvraient de temps en temps pour me saisir, et retombaient sans force sur le lit.

Un moment je crus que je pourrais oublier ce qui s’était passé depuis mon départ de Bougival, et je dis à Marguerite :

— Veux-tu que nous partions, que nous quittions Paris ?

— Non, non, me dit-elle presque avec effroi, nous serions trop malheureux,,je ne puis plus servir à ton bonheur, mais tant qu’il me restera un souffle, je serai l’esclave de tes caprices. A quelque heure du jour ou de la nuit que tu me veuilles, viens, je serai a toi ; mais n’associe plus ton avenir au mien, tu serais trop malheureux et tu me rendrais trop malheureuse.

Je suis encore pour quelque temps une jolie fille, profites-en, mais ne me demande pas autre chose.

Quand elle fut partie, je fus épouvanté de la solitude dans laquelle elle me laissait. Deux heures après son départ, j’étais encore assis sur le lit qu’elle venait de quitter, regardant l’oreiller qui gardait les plis de sa forme, et me demandant ce que j’allais devenir entre mon amour et ma jalousie.

A cinq heures, sans savoir ce que j’y allais faire, je me rendis rue d’Antin.

Ce fut Nanine qui m’ouvrit.

— Madame ne peut pas vous recevoir, me dit-elle avec embarras.

— Pourquoi ?

— Parce que M. le comte de N… est là, et qu’il est entendu que je ne laisse entrer personne.

— C’est juste, balbutiai-je, j’avais oublié.

Je rentrai chez moi comme un homme ivre, et savez-vous ce que je fis pendant la minute de délire jaloux qui suffisait à l’action honteuse que j’allais commettre, savez-vous ce que je fis ? Je me dis que cette femme se moquait de moi, je me la représentais dans son tête-à-tête inviolable, avec le comte, répétant les mêmes mots qu’elle m’avait dits la nuit, et, prenant un billet de cinq cents francs, je lui envoyai avec ces mots :

« Vous êtes partie si vite ce matin, que j’ai oublié de vous payer.

» Voici le prix de votre nuit. »

Puis, quand cette lettre fut portée, je sortis comme pour me soustraire au remords instantané de cette infamie.

J’allai chez Olympe, que je trouvai essayant des robes, et qui, lorsque nous fûmes seuls, me chanta des obscénités pour me distraire.

Celle-là était bien le type de la courtisane sans honte, sans cœur et sans esprit, pour moi du moins, car peut-être un homme avait-il fait avec elle le rêve que j’avais fait avec Marguerite.

Elle me demanda de l’argent, je lui en donnai, et libre alors de m’en aller, je rentrai chez moi.

Marguerite ne m’avait pas répondu.

Il est inutile que je vous dise dans quelle agitation je passai la journée du lendemain.

A six heures et demi, un commissionnaire apporta une enveloppe contenant ma lettre et le billet de cinq cents francs, pas un mot de plus.

— Qui vous a remis cela ? dis-je à cet homme.

— Une dame qui partait avec sa femme de chambre dans la malle de Boulogne, et qui m’a recommandé de ne l’apporter que lorsque la voiture serait hors de la cour.

Je courus chez Marguerite.

— Madame est partie pour l’Angleterre aujourd’hui à six heures, me répondit le portier.

Rien ne me retenait plus à Paris, ni haine ni amour. J’étais épuisé par toutes ces secousses. Un de mes amis allait faire un voyage en Orient ; j’allai dire à mon père le désir que j’avais de l’accompagner ; mon père me donna des traites, des recommandations, et huit ou dix jours après je m’embarquai à Marseille.

Ce fut à Alexandrie que j’appris par un attaché de l'ambassade, que j’avais vu quelquefois chez Marguerite, la maladie de la pauvre fille.

Je lui écrivis alors la lettre à laquelle elle a fait la réponse que vous connaissez et que je reçus à Toulon.

Je partis aussitôt et vous savez le reste.

Maintenant, il ne vous reste plus qu’à lire les quelques feuilles que Julie Duprat m’a remises et qui sont le complément indispensable de ce que je viens de vous conter.