La Démocratie devant la science/Livre III, chapitre III

CHAPITRE III

LIBRE CONCURRENCE ET SOLIDARISME

Il est peut-être plus facile, après les réflexions qui précèdent, de comprendre les questions qui divisent actuellement les esprits. Au moment de l’évolution où nous en sommes, ce sont les efforts de la démocratie pour intervenir, au nom de l’égalité, dans l’organisation économique, qui paraissent le plus inquiétants à ceux qui parlent au nom de la science.

C’est dans ces efforts que la démocratie laisse voir à plein, pensent-ils, sa tendance antiphysique : ne cherche-t-elle pas à enrayer systématiquement cette libre concurrence préconisée par l’économie classique, et dont l’étude de la nature vient démontrer invinciblement la nécessité ?

Tels sont les deux points où il nous faut maintenant concentrer notre recherche : dans quelle mesure et en quel sens est-il vrai que l’effort de la démocratie contrarie la concurrence ? dans quelle mesure et en quel sens la concurrence vantée par les économistes correspond-elle à la loi naturelle de la lutte pour la vie ?

I

Ce que nous venons de dire des conditions humaines de la lutte et des règles plus ou moins complexes qui, dans toute société, en canalisent en quelque sorte l’énergie, nous permet déjà de dissiper une première équivoque. Quand on rapproche, pour justifier celle-ci par celle-là, libre concurrence et lutte pour la vie, on paraît souvent raisonner comme si, sous le régime de la libre concurrence, l’activité des hommes ne devait obéir qu’à des lois naturelles. En réalité il est trop clair qu’elle est soumise à un certain nombre de lois sociales qui lui offrent ou lui imposent une direction, des appuis, des barrières. Soit un homme qui veut prendre part aujourd’hui aux luttes industrielles : pour réaliser les capitaux nécessaires, il fait vendre telle propriété qu’il possédait jusqu’alors indivise avec des cohéritiers, il emprunte et donne hypothèque sur telle autre propriété ; il fonde une société et émet des actions. Toutes opérations qui supposent un nombre considérable de règles et de sanctions juridiquement définies, — un code, une justice, une force publique. Les luttes en question ne se poursuivent donc que par l’intermédiaire d’un certain appareil législatif, qui contient en même temps qu’il soutient les activités individuelles, qui assure le respect de la propriété privée, des droits acquis, des contrats passés. En un mot, le régime de la libre concurrence ne représente à aucun degré un état de nature ; il est un produit de l’histoire, et de la plus récente, une œuvre des lois, et des plus complexes[1].

Le caractère juridique et en un sens « artificiel » de ce régime, les économistes les plus libéraux ne sauraient le méconnaître. Nous venons de mesurer l’immense travail civilisateur impliqué dans la substitution de la concurrence proprement dite aux formes premières du combat. Si les hommes échangent aujourd’hui les choses au lieu de se les arracher, s’ils passent des contrats au lieu de se donner des coups, s’ils débattent au lieu de se battre, c’est que nombre d’impulsions naturelles ont été mises à la raison. La loi a exercé sa critique et son contrôle sur les conditions de la lutte : elle en a réglementé les procédés. C’est grâce à cette réglementation que les activités proprement économiques ont pu prendre le pas, dans nos sociétés, sur les activités guerrières. Que la collectivité organisée intervienne ainsi, par tout un système de prohibitions et de protections, dans les rapports entre individus, personne ne le nie, dira-t-on, et personne ne conteste la nécessité de cette intervention. Mais ce que nous prétendons, c’est que cette intervention a trouvé aujourd’hui sa limite. Elle ne peut aller plus loin sans se heurter en effet au roc des nécessités naturelles. Pour maintenir les libertés égales, que l’État fasse la police, à la bonne heure : mais qu’il ne s’avise pas de faire peser sa force sur la vie économique. Qu’il se borne à assurer la jouissance des propriétés, la liberté des échanges, le respect des contrats. Mais si par malheur, sous prétexte de réaliser une justice plus humaine, il se mêlait de juger les conventions mêmes, de tarifier les salaires, de changer jusqu’aux modes de la propriété, alors tout serait perdu. Pour vouloir trop adoucir les frottements, on risquerait de briser le grand ressort de tout progrès.

Et en effet, à quelque merveilleuses transformations que la civilisation soumette les choses et les âmes, il y a des règles de fer auxquelles son mouvement est obligé de se conformer. La même disproportion entre la quantité illimitée des besoins à satisfaire et la quantité limitée des moyens de satisfaction qui pousse les animaux les uns contre les autres continue de faire sentir sa pression aux hommes. Leurs moyens se raffinent, il est vrai, et se compliquent à l’infini. Mais du même élan leurs besoins se compliquent et se raffinent. Et comme, en même temps qu’ils deviennent plus exigeants, les membres des sociétés civilisées ne cessent de devenir plus nombreux, il s’ensuit que c’est pour elles une nécessité vitale, de produire le plus et le mieux possible. Or, pour obtenir ce maximum et cet optimum, la concurrence ne demeure-t-elle pas l’aiguillon indispensable[2] ?

N’est-ce pas elle en effet qui force les hommes à produire le plus possible aux moindres frais ? N’est-ce pas elle qui les excite à faire rendre à leurs facultés naturelles tout ce dont elles sont capables ? N’est-ce pas elle enfin qui les classe et les hiérarchise d’après les résultats de ces efforts mêmes ? Une société bien organisée pour l’exploitation humaine de l’univers est une société où chacun peut donner sa mesure et se trouve porté à sa place, où les avantages et l’influence dont chacun dispose sont proportionnels à sa valeur sociale. Or quel meilleur moyen d’assurer cette proportion que de laisser les individus librement concourir, se tailler leurs profits, se forger leur situation ? C’est pourquoi le régime de l’universelle concurrence, qui sauvegarde et respecte les égales libertés, est le mieux fait pour répondre à ces réquisitions auxquelles la civilisation ne peut se soustraire. On peut dire de cet état légal qu’il est vraiment le plus naturel : c’est-à-dire qu’il est le plus propice à la mise en valeur des choses naturelles, aussi bien des ressources de la matière que des facultés des hommes. Parce qu’il garde la lutte pour instrument, il ajuste aussi harmonieusement qu’il est possible les conditions aux qualités, les avantages aux efforts, les produits aux besoins.

Que penser de cette espèce d’optimisme pessimiste ? L’expérience montre-t-elle que le système du laissez-faire est en effet le meilleur régulateur de la production, le meilleur excitateur de l’action, le meilleur classificateur des facultés ? — Sur ces trois points les critiques sont venues s’accumuler, depuis le milieu du xixe siècle, à mesure que les répercussions réelles du système se sont mieux fait sentir.

C’est ainsi qu’on a fait observer que les luttes entre producteurs, entre vendeurs, ou entre vendeurs et consommateurs étaient bien loin d’entraîner toujours et partout, comme la théorie le faisait prévoir, l’heureuse adaptation, aux moindres frais, des produits aux besoins. Une des conséquences naturelles de la concurrence aveugle que se font les grands possesseurs de machines n’est-elle pas la surproduction, avec les brusques avilissements qu’elle provoque et les crises périodiques qu’elle déchaîne ? Dans le même temps et sur d’autres points ne remarque-t-on pas des sous-productions aussi fâcheuses ? La quantité des objets de première nécessité ne reste-t-elle pas dans bien des cas inférieure aux besoins les plus urgents de la masse ? C’est qu’il faut distinguer, tant que la propriété reste privée, entre la « productivité » et la « rentabilité ». Les possesseurs de capitaux cherchent moins à réaliser le maximum d’utilité pour tous que le maximum de profits pour eux. Or il n’est pas vrai que ces deux maxima coïncident exactement. Étant donnée l’extrême inégalité de la répartition, le pouvoir d’achat du grand nombre reste faible ; il n’est donc pas étonnant que les entreprises capitalistes ne mettent pas en œuvre tout ce qu’il faudrait pour donner entière satisfaction aux besoins du grand nombre. Et ainsi, de par les vices de la répartition à laquelle le régime de la libre concurrence donne sa consécration, notre production pèche, ici, par défaut aussi bien que, là, par excès. Au lieu du progrès continu dans l’harmonie, ce sont des déperditions incessantes par « l’anarchie économique[3] ».

Dira-t-on que cette anarchie cesse lorsqu’un des concurrents triomphe de ses rivaux ou fait la paix avec eux, lorsque d’une façon ou d’une autre, la lutte des tarifs enrayée, un monopole s’établit ? Et il est vrai, suivant la remarque de M. Tarde[4], que le monopole paraît « naître de la concurrence aussi inévitablement que la conquête résulte de la guerre ». Mais qui pourrait soutenir que la constitution de monopoles tend normalement à hausser le taux de la production et à abaisser le prix des objets ? Bien plutôt les nouveaux rois de l’industrie profiteront de leur situation pour retirer, en faisant la loi au marché, les plus forts revenus possibles de leurs capitaux. Ce sera du « collectivisme au profit d’un seul[5] ». Et l’on ne se sera sauvé de l’anarchie que pour tomber sous le despotisme.

D’ailleurs, indépendamment de la situation que notre organisation économique fait aux producteurs, celle qu’elle fait aux vendeurs n’entraîne-t-elle pas des déperditions indéniables ? Qu’on se représente le nombre excessif de ces « intermédiaires » et les procédés auxquels leur concurrence même les accule : la majoration des prix, et la falsification, quantitative et qualitative, des marchandises ne sont-elles pas les conséquences habituelles et comme normales de ce régime[6] ? On soutient qu’en matière d’achat la masse est bon juge, qu’elle choisira au mieux de ses intérêts entre les concurrents et leur imposera ce « règne du consommateur » qui est le plus rationnel des régimes économiques[7]. On ne voit pas qu’étant eux-mêmes isolés, divisés, insuffisamment organisés, les consommateurs restent le plus souvent à la merci de l’exploitation commerciale. Comment soutenir encore qu’un système qui laisse place à tant de gaspillages divers est le mieux fait pour satisfaire, par la multiplication et le raffinement le plus économiques des produits, à la multiplication et au raffinement inévitables des besoins humains ?

On dira peut-être que la libre concurrence, à quelques gaspillages qu’elle aboutisse ainsi, a du moins le mérite de surexciter toutes les énergies de l’humanité. Sans ses coups de fouet combien d’activités resteraient dormantes ! Combien d’aptitudes en friche ! Combien d’inventions dans les limbes !

Reste à savoir si l’excitant de la lutte possède en effet toutes les vertus qu’on lui prête, s’il est toujours aussi indispensable, et toujours aussi bienfaisant que paraît le croire le darwinisme social. Il faut se souvenir ici que, déjà sur le terrain biologique, la croyance aux vertus créatrices de la lutte paraît avoir beaucoup baissé. La sélection conserve, nous dit-on aujourd’hui, mais ne crée rien[8]. La loi du combat trie entre les variétés préexistantes, mais d’autres forces, dont le jeu est moins visible, ont constitué ces bornes diverses, et mystérieusement prépare les combinaisons de caractères destinées à survivre. C’est la variation, non la lutte, qui est le « facteur primaire » de l’évolution des espèces. Or dans le monde humain c’est à l’intelligence qu’appartient ce pouvoir de varier, d’innover, d’enfanter des combinaisons nouvelles. Ce sont les forces de l’intelligence, activités de synthèse, de coordination, d’alliance qui sont, pour l’évolution humaine, les mères dont parle Gœthe, génératrices inépuisables des formes. Et sans aucun doute, la puissance inventive et adaptive de l’intelligence des hommes est surexcitée par la perspective des résultats de leur action. Le désir, soufflant sur l’imagination, en fait jaillir plus loin les étincelles. Mais il n’est pas vrai que seul le désir du triomphe, du profit, du gain ait ce privilège. En fait, on l’a remarqué, pour nombre des inventions qui déterminent l’évolution de l’industrie et l’évolution même de la guerre, — l’invention de la charrue, de la boussole, de la poudre, — il serait difficile de démontrer en quoi la pression de la concurrence était nécessaire à leur élaboration. Les idées fécondes se livrent souvent à des esprits qu’aucun instinct de rivalité n’anime. Aussi bien que par la lutte, l’activité de l’homme se surexcite par l’amour et se déploie dans la paix[9].

Au reste, s’il est vrai que la concurrence sollicite en effet et développe bien des énergies qui sans elle seraient restées au repos, y a-t-il toujours lieu de s’en réjouir pour le progrès véritable de l’humanité ? On va répétant que la libre concurrence fait passer au premier plan les membres de la société « les plus aptes » et qu’ainsi, imitant à sa façon les effets de la lutte pour la vie dans le monde animal, elle perfectionne à n’en pas douter le monde humain. Mais on sait quel nid d’équivoques se cache dans cette formule : le succès des plus aptes. Les plus aptes sont-ils toujours les meilleurs ? Déjà, lorsqu’il s’agit du concours des variétés dans l’évolution biologique, les naturalistes reconnaissent aujourd’hui combien il est difficile de faire passer la survivance pour un signe de supériorité absolue ; ils avouent que le succès de telles ou telles formes organiques, — adaptées sans doute à certaines circonstances particulières, mais déviées, simplifiées, atrophiées, — correspond à une rétrogradation générale de l’espèce. Tout de même, dans l’évolution des sociétés, certaines circonstances particulières peuvent favoriser le succès de tel type d’homme, qui ne dominerait qu’aux dépens du progrès général. Le régime dont nous venons de rappeler les principaux traits ne se prête-t-il pas, précisément, à des adaptations régressives de ce genre ? S’il est vrai que le trop grand nombre des intermédiaires concurrents les incite à diverses formes de supercherie, ne sont-ce pas les moins scrupuleux qui apparaîtront ici comme les mieux doués ? De même, ne sont-ils pas les plus aptes à tirer parti de notre système économique, ceux qui en exploitent habilement le caractère anarchique, les spéculateurs, les brasseurs d’affaires, les « corbeaux » ? En vain s’acharne-t-on à nous démontrer que partout où il y a commerce, se développe aussi forcément un « altruisme professionnel » : le commerçant ne veut-il pas avant tout, nous dit-on, servir son prochain, et n’est-il pas amené à refréner beaucoup de ses impulsions en conséquence ? Mais raisonner ainsi, c’est confondre, remarque M. Gide, « la notion de service avec la notion de profit ». Sous notre régime actuel, l’échangiste idéal est celui qui cherche à réaliser le plus grand profit possible, à exploiter les situations. N’est-ce pas surtout des qualités de ruse que doit développer cette « chasse aux dollars » ? Et ne sait-on pas quel cortège de démoralisation la royauté de la finance traîne après elle[10] ?

D’une manière plus générale, l’extrême inégalité au milieu de laquelle se déploie la libre concurrence n’est-elle pas capable de provoquer, au haut et au bas de l’échelle, de fâcheuses détériorations des caractères ? Un critique de l’évolutionnisme a représenté avec force ces dangers réunis : « Scindant la société en deux moitiés dont l’une vit de revenus sans grand travail pendant que l’autre est vouée à des alternatives de surmenage et de chômage, elle (la concurrence actuelle) condamne les travailleurs à l’envie haineuse et dispose les jouisseurs à considérer la misère comme une loi inéluctable avec une froide insensibilité. Obligeant l’industrie à chercher des débouchés à tout prix, elle fait de la tromperie sur la qualité la règle de la production, de la fraude la règle du commerce, de l’escroquerie la règle du crédit. Elle fait pis : habituant les hommes à l’idée que tout est à vendre, elle encourage la prostitution plutôt que le mariage, l’exploitation de l’enfant plutôt que l’éducation. Enfin, rendant odieuse à tous les faibles d’esprit une vie si mal défendue contre les risques, elle propage l’alcoolisme chez les hommes incultes et le suicide chez les hommes cultivés. Bref, ce que la guerre est à la morale publique, la concurrence économique l’est à la morale personnelle et à la morale sociale privée[11]. »

Il est donc difficile de soutenir que le régime en question trie infailliblement, pour les faire primer, les individus les meilleurs, ou fatalement améliore la société en général. Il opère souvent par des sélections à rebours, capables de faire dégénérer tout l’ensemble. Quand bien même il serait démontré qu’il stimule la production des objets utiles, on pourrait l’accuser encore d’entraver, par bien des côtés, la production des âmes morales, de tous les instruments les plus indispensables sans doute au progrès véritable de la société. Et de la sorte, ce que celle-ci gagnerait à l’amélioration des choses, elle le perdrait, et au centuple, par la dégradation des personnes.

Mais d’ailleurs, — et en faisant abstraction des primes qu’il accorde ainsi à des procédés nuisibles en dernière analyse, immoraux et antisociaux — il n’est pas prouvé que le laisser-faire soit la politique la plus propice à la mise en œuvre des facultés individuelles. Pour que les hommes soient incités à les tendre de toutes leurs forces, il faudrait qu’ils fussent en effet, en règle générale, classés d’après leur valeur, rétribués d’après les résultats de leur effort. À l’intérieur des organismes, nous dit Spencer[12], il y a concurrence pour la nourriture entre les divers éléments : chacun d’eux en reçoit plus ou moins selon qu’il remplit plus ou moins de devoirs, selon qu’il est plus ou moins utile à l’ensemble. Et ainsi la justice naturelle opère la distribution la plus conforme à l’intérêt général. Il importe qu’une règle pareille soit respectée dans les organismes sociaux, pour que tous les éléments y rendent leur maximum d’effet utile. Mais est-il vrai que notre système de répartition respecte cette règle ? Par diverses voies, la richesse détenue n’assure-t-elle pas à ses détenteurs mille pouvoirs sociaux hors de proportion avec leur activité propre ? Les modes de l’appropriation ne permettent-ils pas des accumulations de profits sans rapport avec la peine déployée ? Les plus grands bénéfices reviennent-ils aux efforts les plus utiles ? Le spéculateur ne gagne-t-il pas d’ordinaire plus que l’industriel, le concessionnaire plus que l’inventeur, l’actionnaire plus que l’ouvrier[13] ? Stuart Mill a pu aller jusqu’à dire que la rémunération dans nos sociétés semblait être le plus souvent en raison inverse du travail. Comment croire, avec une pareille organisation de la répartition, que les concurrents se trouvent justement rétribués et exactement classés d’après le rendement qu’ils auront obtenu de leurs dons naturels.

Au surplus — Laveleye le faisait dès longtemps observer à Spencer[14] — quelque chose fausse complètement l’application de la loi darwinienne aux sociétés civilisées : « C’est le régime de l’accumulation et de la succession des biens.  » Là où une institution quelconque assure aux uns et interdit aux autres, a priori et sans concours, certaines situations, comment peut-on parler encore d’universelle concurrence et de sélection naturelle ? On répondra que, dans nos sociétés modernes, il n’y a plus d’ambition interdite a priori ; tous les individus peuvent tenter toutes les chances, sans rencontrer d’autres limites que celles de leurs propres forces. La loi ne connaît plus de privilégiés. Mais on sait assez que « le dernier privilège héréditaire », la richesse, produit sur plus d’un point des effets analogues à ceux des privilèges patentés. N’arrive-t-il pas souvent, aujourd’hui, remarque M. de Seilhac, qu’un fils, reçoive, en héritage de son père, l’autorité absolue sur plusieurs milliers d’ouvriers d’usine, la possession, pourrait-on dire, de ces milliers d’ouvriers ? Nous rions de ces enfants de seize ans qui recevaient en héritage, sous l’ancien régime, le commandement d’un régiment[15]. La transmission des situations par le canal des richesses aboutit pourtant encore à des intronisations aussi peu « naturelles ». S’il n’est pas sûr que l’hérédité physique transmette aux fils la supériorité réelle du père, il est sûr que l’hérédité sociale permet à des fils inférieurs de vivre comme s’ils étaient supérieurs[16].

En ce sens, une société qui fait respecter un pareil régime ne se prive-t-elle pas volontairement du bienfait de la sélection progressive ? Ses lois montent la garde autour de la fortune acquise, du haut de laquelle des générations, même si elles ne sont remarquables que par les qualités perdues, même faibles de corps, même faibles d’esprit, continueront peut-être à narguer « les plus forts, les plus aptes, les mieux doués », pourtant vaincus d’avance. En un mot, l’inégalité des moyens sociaux empêche les facultés personnelles de se mesurer en toute liberté, sans appoints antérieurs. Elle entretient malgré tout des différenciations de classes, qui pèsent sur la répartition des avantages et des fonctions. Dans une société ainsi différenciée, il est paradoxal de soutenir que règne la « libre concurrence » : l’inégalité rend cette liberté même illusoire.

Si tel est bien l’esprit des critiques adressées au laisser-faire actuel, on commence à mieux comprendre à quoi tend, lorsqu’elle réclame le droit d’intervenir dans l’ordre économique, la volonté de la démocratie. On lui reprochait de méconnaître les nécessités de la production et les données de la nature, d’oublier et les besoins toujours croissants des hommes, et leur paresse toujours menaçante, et surtout leur éternelle inégalité. Elle peut répondre qu’en rectifiant l’organisation actuelle de la concurrence, elle se propose précisément de régler la production pour la mettre à la hauteur des besoins de tous, de proportionner les rétributions aux activités de manière à stimuler tous les efforts, d’accorder enfin aussi exactement qu’il est possible les fonctions et les situations aux talents naturels. En quoi faisant, elle ne nie nullement ce qui subsiste de l’état de nature dans toute civilisation, à savoir que les hommes naissent et demeurent inégaux et rivaux. Il y a du vrai dans le paradoxe de Grant Allen[17] : « Tous les hommes naissent libres et inégaux. Le but du socialisme est de maintenir cette inégalité naturelle et d’en tirer le meilleur parti possible. » Et en effet nous ne proclamons pas, dira-t-on, l’égalité des facultés, ce qui serait contraire aux faits naturels ; nous ne demandons même pas l’égalité des résultats, puisqu’elle risquerait d’engourdir l’activité de beaucoup ; l’égalité que nous réclamons est celle des moyens d’action, destinée à permettre l’entier déploiement des facultés diverses. C’est sur ce point que tombent d’accord tous ceux qui opposent, aux conséquences du libéralisme économique absolu, l’idéal de la démocratie[18] : nous voulons plus d’égalité « au point de départ » dans les « possibilités », dans les « conditions extérieures de la lutte ». Annulons tous ces handicaps qui faussent les résultats de la course. Ce qui ne veut pas dire, certes, que pour égaliser les conditions du concours, il faut que les hommes concourent désormais nus et livrés à leurs seules ressources naturelles. Ce serait laisser perdre, de gaieté de cœur, les capitaux de toutes sortes accumulés par des siècles de civilisation. Mais il importe que chacun soit assuré d’une participation minima à ces trésors collectifs, qui lui permette la mise en valeur de ses puissances individuelles. Ainsi seulement, sans rien abandonner des conquêtes de l’humanité, utilisera-ton pleinement tous les dons de la nature.

Par où l’on comprend les protestations de la démocratie, lorsqu’on l’accuse de contrarier l’évolution : elle prétend travailler au contraire à garantir le libre jeu des mêmes tendances qui ont entraîné le progrès des espèces. Elle est bien loin de supprimer la concurrence, s’il est vrai que ses efforts « tendent à assurer à tous les membres de la société, sans exception, le droit de prendre part à la lutte pour la vie avec des moyens égaux[19] ». De même, s’il est vrai qu’en égalisant les conditions du concours, elle ne nie pas les supériorités, mais s’efforce seulement de substituer les supériorités réelles aux supériorités fictives, elle est bien loin d’entraver la sélection. En réorganisant la répartition pour que chacun soit rémunéré et classé suivant ses œuvres, pour que le produit intégral de son travail revienne au travailleur, pour que le maximum d’avantages soit réservé aux unités sociales les plus utiles, en essayant en un mot de contre-balancer le poids des injustices de l’histoire, c’est elle qui cherche à réaliser dans les sociétés cette justice naturelle dont parlait Spencer, seule respectueuse, en même temps que des droits individuels, de l’intérêt collectif.

II

Lors donc qu’elle proclame « à chacun suivant ses œuvres », la démocratie ne demande rien qui ne soit conforme aux enseignements de « la justice selon le darwinisme[20] ». Travailler à ce que tous les individus soient mis à même de se mesurer, et à ce que les avantages dont ils jouissent soient proportionnés aux services qu’ils rendent, c’est sans doute le moyen d’assurer, pour le plus grand bien de l’ensemble, le triomphe des meilleurs.

Mais est-il vrai que cette formule de la justice, qui semble satisfaire à la fois à l’individualisme et à l’utilitarisme social, exprime exactement la pensée dernière, le vœu intime de la démocratie ? N’apparaît-elle pas plutôt, dans la dialectique des aspirations égalitaires, comme une concession provisoire, un compromis, une sorte de pis-aller ? Peut-être, lorsque les défenseurs de ces aspirations s’attachent à montrer qu’elles ne contrarient en rien les tendances de la nature, cèdent-ils au plaisir de suivre leurs adversaires sur le terrain que ceux-ci ont choisi et de les battre avec leurs propres armes : « Vous prétendez, semblent-ils dire, que le nouveau naturalisme justifie votre libéralisme traditionnel. Mais en réalité, dans les sociétés humaines, pour que les individus concourent à armes égales, il faut des interventions incessantes de la collectivité. C’est donc nous qui marchons dans le sens du progrès naturel ».

Mais nous savons qu’il faut se défier de ces arguments retournés. Il est vraisemblable que les sociétés démocratiques, en prenant une conscience chaque jour plus nette des conditions humaines de la lutte pour la vie, conçoivent le progrès à leur manière et cherchent à imposer un certain sens à l’évolution. Ne semblent-elles pas spécialement préoccupées aujourd’hui de faire une plus large place à la « solidarité » ? C’est le mot qui passe et repasse dans toutes les discussions morales et sociales du temps présent. Essayons de dégager les constatations et les revendications qui se cachent derrière ce mot ; à quel progrès de la science et de la conscience sociale elles correspondent ; quels aspects de la réalité et de l’idéal elles mettent en lumière. Nous comprendrons peut-être en quel sens et pour quelles raisons les formules de justice sur lesquelles s’accordaient le libéralisme économique et le naturalisme devaient paraître insuffisantes à la démocratie.

Et d’abord, on aperçoit aisément, d’un simple coup d’œil jeté sur le mécanisme de la production dans nos sociétés, combien le programme qui prétend attribuer au travailleur le produit intégral de son travail serait difficile à réaliser. Le sens négatif de ce programme est clair. On comprend ce qu’il tend à détruire. Il vaut contre « les frelons », contre ceux à qui la richesse vient en dormant ou qui n’ont eu, pour la posséder, que « la peine de naître ». C’est contre ceux-là qu’on répète le cri de saint Paul : Qui non laborat nec manducet. Mais, s’il menace ainsi tous les « revenus sans-travail », est-ce à dire que ce principe ait une valeur positive, une vertu édificatrice, et qu’on en puisse déduire une organisation clé la société telle, que ce qui reviendrait en effet à chaque individu serait déterminé et mesuré par son travail propre ? Dans ce qu’on appelle le produit de son travail, ne faut-il pas reconnaître l’action de forces, matérielles ou immatérielles, qui dépassent singulièrement son effort personnel ? Ne faut-il pas distinguer la part de la nature, des instruments, de l’ordre social lui-même ?

Et en effet, ce n’est pas son produit tel quel que le travailleur réclame. Dès le moment où le travail s’est divisé pour le plus grand perfectionnement de la production, la vie ne se soutient que par l’échange. Ce que l’individu entend obtenir pour la satisfaction de ses divers besoins, c’est la valeur, elle-même monnayable en produits divers, du produit qu’il a lancé dans la circulation. Mais, en fait, cette valeur dépend-elle de ses seuls efforts ? Ne varie-t-elle pas suivant que l’objet est plus ou moins demandé ? Et les variations de la demande à leur tour ne sont-elles pas fonctions d’un nombre considérable d’occurrences où l’individu n’a pas la moindre part ? On cite d’ordinaire, comme l’exemple classique des créations de valeurs dues « au hasard », la hausse imprévue du prix de certaines propriétés, sans la moindre participation du propriétaire, sur certains points où la population afflue, où de nouvelles voies de communication s’établissent, où la densité et la mobilité sociales augmentent[21]. Mais il faut savoir que, toutes proportions gardées, ces plus-values d’origine sociale sont la règle et non l’exception[22]. Alors même que tout ce qu’il y a d’utilisable dans l’objet, sa valeur d’usage, serait l’œuvre propre de l’individu qui l’offre, la valeur que cet objet prend sur le marché, sa valeur d’échange, ne saurait être œuvre personnelle.

D’ailleurs, comment soutenir que même la valeur d’usage d’un objet puisse être œuvre purement personnelle ? Encore faut-il faire entrer en ligne de compte, d’abord, les matériaux que l’homme a pu ouvrager. Toute production humaine n’est qu’une transformation de ressources naturelles. Plus ou moins indirectement, tous les objets que nous utilisons sortent des entrailles de la terre. Tous contiennent une « parcelle du sol[23] ». Cette parcelle, quelque métamorphose que mon travail lui ait fait subir, continue d’être une partie constitutive de la valeur des objets qui sortent de mes mains.

Mais, de plus, est-ce jamais de mes seules mains que ces objets reçoivent l’empreinte ? Pour que les facultés de l’individu transforment la nature, ne faut-il pas qu’elles soient secondées par des instruments de toutes sortes, et dont la part d’influence s’élargit à mesure que la civilisation se raffine ? En ce sens, on a pu dire[24] que l’inventeur de la charrue ou du métier à tisser continue de labourer ou de tisser aux côtés des paysans et des artisans d’aujourd’hui. Mais, autour de notre ouvrage quotidien, ce ne sont pas seulement quelques grandes figures d’inventeurs qu’il nous faut nous représenter ; c’est la foule anonyme de ceux qui ont préparé, parachevé ou propagé leur invention même ; ce sont les courants d’idées, ce sont les vagues de civilisation qui les ont portés. Il faut nous souvenir en un mot que les appareils que nous manions, legs des efforts accumulés et entremêlés d’inconnus innombrables, sont bien des œuvres collectives ; à chaque fois que nous les utilisons pour façonner quelque œuvre nouvelle, c’est toute une société qui collabore avec nous.

Au surplus, et indépendamment de cet outillage social, chaque jour plus compliqué, par l’intermédiaire duquel nous agissons sur le milieu naturel, faut-il rappeler que partout où il y a efforts associés, tâches spécialisées, coopération complexe, l’objet produit en commun dépasse ce qu’aurait donné une addition pure et simple d’objets produits à part ? Tous ceux qui ont analysé les effets de l’organisation du travail l’ont remarqué : la mise en commun des forces individuelles engendre une force totale plus grande que leur somme. Quelles qu’en soient les raisons diverses, — économies de temps et d’espace, entraînement et adaptation réciproque des efforts, — la combinaison des travaux augmente leur efficacité. « En agissant conjointement avec d’autres dans un but commun et d’après un plan concerté, le travailleur, dit Marx, efface les bornes de son individualité. » Des forces se dégagent, qui naissent de la coopération même ; des valeurs sont créées, dont l’origine est proprement sociale.

Si ces diverses considérations sont exactes, on comprend combien doit sembler paradoxale toute explication purement individualiste de la création des valeurs. Spencer, s’élevant avec force contre toute tentative de « nationalisation », prétend que c’est tout au plus si la collectivité pourrait légitimement revendiquer un droit éminent sur le sol vierge et brut, tel qu’il était avant l’intervention du travail humain, toutes les transformations qu’il a subies, toutes les richesses qu’on en a extraites étant l’œuvre des individus[25]. Mais au contraire on voit combien il est difficile à l’individu de dire : « Cette richesse est mon œuvre. Ceci est à moi ; car ceci vient de moi. » En réalité nos activités sont inextricablement mêlées ; et ce mélange même fait leur fécondité. Nul ne peut se vanter d’avoir forgé seul une valeur quelconque. La société lui fournit le fer et les marteaux, aussi bien qu’elle lui procure les commandes. En face de cet apport social, l’apport individuel est peu de chose, et il est en tous cas bien difficile à discerner. « Si on évalue à 1 000, dit M. Bellamy[26], le produit du travail de chaque homme, il y a 999 parties de ce travail qui sont le résultat de l’héritage social et des circonstances environnantes. » « Rechercher la part du travail individuel dans un produit social, dit M. Vandervelde[27], c’est, « dans la majorité des cas, vouloir retrouver une aiguille dans une meule de foin ».

Quels sentiments éveillent ces constatations ?

C’est d’abord le sentiment de la dette sociale, qui pèse sur tous les individus. Nous ne pouvons façonner un objet quelconque, nous ne pouvons développer, en quelque sens que ce soit, les facultés nécessaires à la transformation des choses, nous ne pouvons entretenir enfin notre vie même, matérielle et spirituelle, nécessaire au développement de ces facultés, sans puiser dans l’immense réservoir que des siècles de civilisation ont rempli. Rien qu’en vivant, en absorbant la première nourriture du corps et de l’esprit, nous avons contracté des dettes. Et ce sont des dettes encore que le livre et l’outil mis à notre service par l’école et par l’atelier.

Et ainsi plus nous avancerons dans la vie, remarque M. Bourgeois[28], plus nous sentirons croître notre dette, car chaque jour un nouveau profit sortira pour nous de l’usage de l’outillage matériel et intellectuel créé par l’humanité. Dans ces conditions, n’est-il pas légitime que la société nous impose de nous libérer par notre activité même, et prélève sur les résultats de cette activité un tribut proportionnel à notre profit ?

Et sans doute le genre de constatations qui a fait surgir devant nous l’idée de cette dette nous interdit la recherche d’une proportion exacte pour chaque individu. Nous savons que tous se tiennent et que tout se mêle, et que, dans ce perpétuel échange d’influences qui constitue la vie, rien n’est plus malaisé que de démêler ce qu’apporte et ce que reçoit chacun, de fixer sa créance et sa dette. Le bilan individuel est à vrai dire impossible à dresser. « Il est impossible à qui que ce soit sur la terre de faire le compte de qui que ce soit[29]. » Toutefois, du milieu même de cette impuissance, une réflexion se dégage, qui s’impose à l’attention et commande à l’action ; et c’est qu’en matière de dette sociale il existe des classes. C’est que s’il est impossible d’évaluer dans le détail ce que doit tel ou tel individu, il est impossible aussi de méconnaître que, dans l’ensemble, telle catégorie d’individus doit singulièrement plus à la société que telle autre. Si l’outillage social est indispensable à tous les hommes, ils en jouissent très inégalement. Ils peuvent en tirer d’autant plus de profit, en somme, qu’ils possèdent des moyens d’action plus puissants et plus variés, qu’ils disposent d’un capital plus considérable. Mais quant à ceux qui ne possèdent « que leurs bras », qui n’ont de moyens d’existence qu’autant qu’ils trouvent du travail, et qui ne trouvent du travail qu’autant que leur travail accroît le capital, peut-on soutenir que leur dette est de même importance ? N’est-il pas des circonstances où elle devient une quantité négative ? Dette le livre, nous disiez-vous, et dette l’outil. Mais le livre, on nous l’a arraché des mains avant que nous ayons eu le temps de l’achever ; l’usine nous a enlevés à l’école et nous enlève au foyer. Quant à l’outil, il a grandi, il s’est perfectionné, mais il ne nous appartient plus. C’est par nous, non pour nous que la machine travaille. Collective de sa nature, elle reste propriété individuelle. Et des appropriations de ce genre condamnent toute une classe à une vie précaire, perpétuellement menacée, oscillant de l’épuisement du surtravail à l’angoisse du chômage[30]. S’il en est ainsi, il faut bien reconnaître que l’outillage commun ne rapporte pas les mêmes profils à tous. Si nous naissons tous, créanciers et débiteurs de la société, il faut reconnaître que le rapport de la créance à la dette varie singulièrement suivant la classe où nous naissons. « Il y a des débiteurs éternellement insolvables, des créanciers éternellement impayés[31]. » Les comptes sociaux ne seront vraiment réglés que le jour où entre ceux qui ont trop et ceux qui n’ont pas assez, entre privilégiés et déshérités, la société sera intervenue pour établir l’équilibre[32].

La solidarité même qui se manifeste dans la production, la nature spécialement sociale de certains avantages et de certains risques fournit à ces interventions une base d’opérations toute trouvée. N’avons-nous pas vu qu’il existe dans toute société des capitaux collectifs, et qu’il se produit des générations de valeurs qui ne sont l’œuvre propre d’aucun individu ? Il y a de même un certain nombre de fléaux, comme la maladie et la vieillesse, comme les accidents du travail et le manque de travail, dont l’action dépend moins des volontés individuelles que des fatalités, naturelles ou des défectuosités de l’organisation sociale. N’est-il pas légitime que ces avantages et ces risques soient « mutualisés » ? Les accroissements de richesse, qui sont le fait de la collectivité entière, ne devraient-ils pas revenir à la collectivité entière ? Et n’en devrait-elle pas profiter pour assurer les individus contre ces risques qui sont indépendants des efforts individuels ?

Et qu’on ne dise pas que de pareilles « socialisations du droit[33] », mettant à la charge de la société, comme autant d’obligations strictes, tant de mesures d’assurance et d’assistance mutuelles, seraient directement contraires à l’intérêt bien entendu de l’ensemble. D’abord, dans un grand nombre de cas, il est trop clair que l’assistance est un placement : elle entretient des êtres provisoirement ou momentanément inutiles, mais capables de devenir ou de redevenir utiles à leur tour. Lorsque la société soutient la femme qui va enfanter, recueille l’enfant, relève le malade, ce sont des forces sociales qu’elle sauvegarde[34].

Toutes les réglementations du travail, destinées à maintenir des conditions hygiéniques ou à prévenir les accidents dans les ateliers, répondent à la même préoccupation. « Une législation protectrice de l’individu et soucieuse de son développement » n’est-elle pas « orientée vers la défense et la mise en œuvre de toutes les richesses contenues en germe dans l’être humain ? » En ce sens, ne poursuit-elle pas précisément la fin dont se réclamaient les apologistes de la concurrence ? Elle veille à ne laisser perdre aucune énergie, à les faire valoir toutes autant qu’il est possible. Ses mesures « philanthropiques » peuvent être ainsi présentées, pour l’ensemble social, comme autant de mesures utilitaires[35].

Mais il faut penser à une utilité plus haute. Quand bien même, dans la masse des êtres secourus ou protégés, il se trouverait en effet des faibles, dont la vie prolongée ne rapportera sans doute jamais à la société ce qu’elle aura dépensé pour eux, il serait encore de son intérêt bien entendu d’engager ces dépenses. Et en effet il importe que les sociétés n’oublient pas quels sentiments sont nécessaires à leur cohésion. La productivité économique elle-même serait menacée si les individus ne gardaient la volonté profonde de « tenir ensemble », de faire œuvre commune, de continuer l’association.

Or à quelles conditions s’entretiendra cette volonté de vie sociale ? Il semble qu’il y faille désormais, dans une civilisation « réfléchie » comme la nôtre, un minimum de droits garantis à tous les membres quels qu’ils soient de l’association, ou, comme on dit encore, le respect des clauses implicites du quasi-contrat social[36]. Quelles conclusions pratiques vont se dégager, sous le rayon de cet idéal, des faits que nous avons reconnus ?

Le contrat social n’est qu’un mythe : les individus que relie, de génération en génération, la solidarité des services échangés n’ont sans doute point débattu, à l’origine, les conditions de cet échange ; mais tout le monde conviendra aujourd’hui que tout devrait se passer, dans la société que nous formons, comme si chacun de nous avait consenti à ces conditions. Or, s’il est vrai que nous avons à compter avec un nombre croissant d’avantages et de risques d’origine collective, il est vraisemblable que des êtres raisonnables, au moment de fonder aujourd’hui une société, commenceraient par poser en principe la mutualisation de ces risques comme de ces avantages. D’un commun accord ils jugeraient absurde d’attribuer la plus grande partie des bénéfices à quelques-uns, de laisser retomber toutes les charges sur les autres. Ils jugeraient légitime, devant l’accumulation des biens obtenus par la collaboration de tous, qu’une part en fût réservée pour assurer, même aux faibles, « victimes du sort », le minimum indispensable à la vie. Ils estimeraient qu’à laisser tels de ses membres mourir de faim, à côté de ses richesses collectives croissantes, leur association se blesserait elle-même, dans ses titres au concours de tous. Ne répète-t-on pas que c’est le spectacle le plus démoralisant et le plus décourageant qu’un vieillard qui meurt de misère, après une vie de labeur[37] ? Secouru, il ne rendra plus rien sans doute. Mais la société lui doit, et si elle n’acquitte pas cette dette, elle se fait tort ; le préjudice le plus grave retombe sur elle : elle laisse se perdre et comme s’évaporer, des consciences qu’elle assemble, cette close de confiance mutuelle, et par suite d’entrain au travail, sans laquelle toute volonté de vie commune se dessèche et se détend.

On comprend donc en quel sens refuser l’assistance sociale aux individus, ce serait aujourd’hui porter atteinte à la communion sociale elle-même. Il arrive un moment où, sous la poussée des transformations constitutionnelles que nous avons rappelées, par le double mouvement de la spécialisation croissante et de la croissante complication, les croyances communes, assises sur l’homogénéité et l’unanimité des groupes, perdent de leur consistance séculaire et de leur empire indiscuté[38]. Ce sont les droits de l’individualité qui gagnent à cet ébranlement. Au milieu des ruines des anciennes traditions impératives, la statue de la personne humaine se dresse, et devient à son tour le centre d’un culte, du seul qui désormais puisse s’imposer à tous. Le respect des personnalités est aujourd’hui le pilier de la morale sociale.

C’est ce qu’un historien des idées reconnaissait récemment à sa façon, en proclamant que le véritable patriotisme des temps modernes, c’est le libéralisme[39]. Formule très exacte, à la condition d’entendre par libéralisme non le classique laisser-faire qui permet aux fils d’une même nation de s’écraser les uns les autres, mais un effort pour y organiser enfin la vie économique elle-même, de telle façon qu’aucune personne n’y puisse être traitée en chose.

On le voit : au fur et à mesure que se déroule, au contact des faits, l’argumentation de la démocratie, de nouveaux aspects de son idéal apparaissent en pleine lumière. Pour justifier les mesures de solidarité sociale, ce n’est plus seulement le droit au produit du travail qu’elle invoque, c’est le droit à la vie. Ce n’est plus sur la puissance causale de l’individu qu’elle insiste, et sur la nécessité de lui rendre le fruit légitime de ses œuvres ; c’est sur sa valeur finale, et sur la nécessité de lui prêter les moyens indispensables à son développement. Il importe, si l’on veut dégager le sens de l’effort démocratique, de ne pas laisser ce dernier thème dans l’ombre : il révèle peut-être l’espérance la plus intime de la masse. Qu’on prête l’oreille aux doléances des prolétaires, et on le distinguera presque toujours, à côté de celui que nous avons mis d’abord en vedette. Ils ne s’indignent pas seulement en effet d’être réduits à la misère quand ils sont, pensent-ils, les vrais créateurs de la richesse générale, et de rester les plus dénués, eux qui sont les plus utiles. Ils se plaignent encore que, fussent-ils les moins utiles en effet, tant d’êtres humains ne puissent avoir leur juste part de cette œuvre collective qu’on nomme la civilisation, et dont le bienfait devrait se répandre sur tous. Que donc le maximum d’avantages reste réservé aux plus forts, si cela est nécessaire pour stimuler leur activité dans l’intérêt de la production générale. Mais qu’un minimum du moins reste assuré même aux faibles. C’est le seul moyen, dans une civilisation où toutes les activités individuelles sont si intimement emmêlées, de garantir les consensus indispensables, et d’entretenir au cœur du peuple ce sentiment, que la vie sociale vaut la peine d’être vécue.

De ce point de vue, on comprend que la démocratie ne demande plus seulement une extension ou une réglementation, mais vraiment une « atténuation » de la lutte[40]. Son idéal ne se réduit plus à ce que toutes les facultés naturelles soient également admises à la concurrence et justement classées suivant leur valeur sociale. Elle souhaite encore que, si les conséquences de ce régime sont funestes à la majorité et vraiment inhumaines, on fasse tout le possible pour les enrayer. Elle ne réclame plus seulement qu’on supprime les anciennes barrières prohibitives, mais s’il le faut, qu’on dresse de nouvelles barrières protectrices. S’en tenir strictement au droit au produit intégral du travail, c’est encore laisser passer, tout codifié qu’il soit, le droit du plus fort ; jusque sous les règles du concours, la guerre reste la loi de la vie[41]. Et l’intérêt social le plus manifeste commande sans doute — en attendant de nouveaux progrès de l’organisation économique et des dispositions morales, — la conservation d’un système de primes aux supériorités, destiné à obtenir le rendement maximum des facultés naturelles. Mais l’intérêt social bien entendu exige aussi et exigera de plus en plus, — à mesure que la conscience sociale sera plus réfléchie — que la force se déploie pour les faibles et non contre eux, que la supériorité, quelle qu’elle soit, loin d’asseoir des privilèges, pour ceux qui la possèdent, sur la misère du grand nombre, « devienne un avantage pour ceux mêmes qui ne la partagent pas ».

Par où l’on voit en quel sens la démocratie spécifie les formules que le naturalisme, nous l’avons observé, laissait indéterminées.

De quels êtres peut-on dire, demandions-nous, qu’ils sont les plus forts, les plus aptes, les meilleurs ? Cela dépend des milieux, de leur pression, et comme de leurs demandes. Or la demande des sociétés démocratiques est claire. Il leur faut sans aucun doute, pour les faire vivre et progresser, des peuples d’hommes forts, forts par le corps et l’esprit ; mais il leur faut encore et surtout des forts qui n’abusent pas de leur force, qui sachent la consacrer au service de tous, et en limiter quand il le faut les exigences par le souci des droits des faibles, — des hommes forts par la conscience. Et c’est pourquoi « les plus aptes » sous un pareil régime, ceux dont il faudrait souhaiter par-dessus tout que le type allât en se multipliant, seraient en effet « les meilleurs » au sens humain du mot, les individus capables d’accepter allègrement tous les devoirs de la solidarité. En ce sens, et si l’on veut continuer à professer que les impulsions vraiment naturelles sont celles qui nous poussent à lutter les uns contre les autres, sans souci des contre-coups de la lutte, il faut convenir que la démocratie ne se borne pas à assurer le libre jeu des lois de la nature : elle nous incite à les dépasser.

Et sans doute le « solidarisme » contemporain ne présente pas toujours les choses ainsi. Il prétend se poser à son tour en morale « scientifique », appuyée à des inductions naturalistes. Il insiste sur les exemples d’assistance mutuelle et de consensus intime que la nature multiplie, tant dans les sociétés animales proprement dites, que dans les sociétés cellulaires qui sont les organismes. Il conclut qu’en établissant de la sorte, que « le progrès n’a jamais été réalisé que par l’association des forces individuelles et leur harmonieuse coordination, les sciences naturelles constituent non seulement la plus haute philosophie, mais la seule capable de fournir aux gouvernements les lumières nécessaires pour sonder et guérir les plaies profondes du temps présent[42] ».

Et nous avons reconnu[43] qu’il n’est pas indifférent, en effet, d’attirer l’attention sur la face altruiste de la nature. Le darwinisme commun n’en mettait en relief que les duretés. Il semblait légitimer l’égoïsme, en nous le démontrant quasi nécessaire au progrès de l’être.

Il est de bonne guerre d’utiliser, contre cette nouvelle « dogmatique », les faits de toutes sortes que nous avons recueillis lorsque nous avons circonscrit le champ de l’hypothèse darwinienne. En nous rappelant que son effort n’est pas tout à fait sans précédent et que la nature même, par certains côtés, la met sur la voie d’un progrès moins cruel, ils sont propres à encourager l’humanité : elle se sent ainsi soutenue et comme autorisée dans ses essais. Elle peut dès lors cesser de concevoir un antagonisme irréductible entre le « processus cosmique » et le « processus éthique » ; celui-ci lui apparaît plutôt comme une tentative pour dégager, et pour hausser à la direction du monde certaines tendances de celui-là, aussi naturelles que leurs concurrentes, mais souvent opprimées par elles.

Mais combien aussi la constatation de pareils faits serait insuffisante pour la constitution d’une morale, nous ne l’avons pas dissimulé. Il est trop clair et que la nature donne d’autres leçons que des leçons d’assistance mutuelle ou d’harmonie spontanée, et que l’interdépendance naturelle des êtres, que nous traduisons par l’expression morale de solidarité, est loin de leur répartir toujours les biens et les maux conformément à la justice. Il a fallu l’avouer : la solidarité de fait est le plus souvent « ajuste ». Et que nous soyons aussi intimement unis que les cellules d’un même corps, cela ne suffit pas encore à nous apprendre comment nous devons nous traiter les uns les autres[44].

En réalité, s’il émeut aujourd’hui les âmes, la force persuasive du solidarisme lui vient d’ailleurs. Et loin qu’il l’emprunte à des analogies naturalistes, c’est bien plutôt en attirant l’attention sur les conditions humaines du progrès qu’il force la conscience publique à réfléchir. De plus en plus, à mesure que la division du travail se raffine et se complique, nos activités s’entremêlent intimement : de plus en plus, à mesure que la civilisation multiplie les moyens d’actions extérieurs à l’individu, la part qui revient à celui-ci est malaisée à délimiter strictement. D’autre part, plus nos sociétés deviennent « conscientes », plus nous attachons de prix à la vie spirituelle, à la dignité morale, à l’égalité essentielle des individus, et plus nous reconnaissons qu’une société s’aliénerait fatalement aujourd’hui le respect de ses membres si elle ne faisait effort pour garantir à chacun d’eux les droits primordiaux de la personne humaine.

En un mot on peut affirmer que de plus en plus notre production prend un caractère collectif et notre morale un caractère individualiste.

C’est entre ces deux affirmations que le solidarisme jette une arche ; c’est sur ces deux piliers qu’il édifie, pour les sociétés modernes, la déclaration des devoirs.

Il est donc vrai que c’est l’individualisme qui fournit son nerf moral au solidarisme, mais un individualisme décidément rectifié par ce que M. Renouvier appelait « l’idée sociale, » elle-même fortifiée chaque jour par le progrès de la sociologie. On sait que les adversaires de l’individualisme affectent volontiers de le confondre avec l’égoïsme et d’y voir on ne sait quelle hypertrophie du moi. Il est aisé sans doute de leur répondre que ce péché n’est à aucun degré celui de la grande doctrine qui s’élaborait à la fin du xviiie siècle[45]. Ses fondateurs distinguaient formellement entre l’individualité et la personnalité ; entre ce qui isole et divise, et ce qui rapproche et identifie les hommes entre les appétits de conservation propre et les facultés de communion universelle. Et c’est de celles-ci seulement qu’ils prêchaient le culte.

Mais il faut reconnaître que de faux dieux ont souvent usurpé, dans l’esprit des hommes, la place de ces dieux véritables. Sous le couvert des principes individualistes, on a vu se déployer des sentiments essentiellement antisociaux : l’ambition de l’homme d’affaires, le dédain du dilettante. Et celui-là semblait dire : « Chacun pour soi. Au nom de l’égale liberté, laissez-nous lutter sans intervenir. Et tant pis pour ceux que ma puissance écrase ! » — « Chacun chez soi, semblait dire l’autre. Au nom de mes devoirs envers moi-même, il importe que je me détourne des foules. Le culte du moi veut être célébré dans l’isolement.  » Au confluent de ces deux tendances apparaissait la figure du surhomme, où l’on retrouve à la fois de l’ambitieux et de l’artiste, du dominateur et de l’esthète — poète en même temps qu’homme de proie, et désireux de s’élever au-dessus de la masse pour s’élever au-dessus de lui-même. Contre ces déviations, le solidarisme nous met en garde. Il nous ramène sur la terre et nous rattache étroitement à nos semblables. Il nous rappelle que nous ne sommes nés ni pour nous fuir, ni pour nous écraser les uns les autres ; et que nous ne pouvons développer nos personnalités que par une incessante coopération.

En un mot le solidarisme nous aide à opposer, aux formes aristocratiques, desséchantes et dissolvantes, de l’individualisme, un individualisme démocratique, principe fécond d’union et d’action sociales, dont la devise ne serait plus « chacun chez soi », ou « chacun pour soi » mais « chacun pour tous, tous pour chacun » — et dont l’avènement marquerait aussi la victoire définitive de la nature proprement humaine sur la nature animale.


  1. V. Herkner, Arbeiterfr., p. 152. Wagner, Grundl., II, p. 801. Laveleye, Social., p. 383.
  2. V. Beauregard, résumant les arguments classiques, art. cité du Dict. d’Éc. pol.
  3. V. Andler, Origines du soc., p. 471 (Paris, F. Alcan). Cf. Landry, Propr. indiv., 1re partie, chap. I. Belot, art. cité, p. 208.
  4. Psych. éc., II, p. 77 (Paris, F. Alcan).
  5. C’est l’expression de M. Bourgeois au Congrès d’Éduc. soc.
  6. V. Gide, Coopér., p. 265 sqq. Tarde, Psych. éc., II, p. 76. Wagner, Grundl., II, p. 811.
  7. V. Beauregard, art. cité, p. 529 sqq.
  8. V. plus haut, p. 212.
  9. V. Tarde, Opposition (Paris, F. Alcan), p. 370. Psych. éc., II, p. 76-87. Cf. Woltmann, op. cit., p. 158.
  10. V. Gide, discutant Y. Guyot. Coopérat., p. 235 sqq. Cf. Wagner, op. cit., II, p. 812. Herkner, op. cit., p. 154, 65. Belot, art. cité. B. Malon. Le socialisme intégral, 2e partie, chap. V.
  11. Richard, Évol., p. 274.
  12. Problèmes, p. 168.
  13. Cf. Belot, art. cité, p. 206.
  14. Loc. cit., p. 385.
  15. Syndicats, Fédér., p. X, XI.
  16. V. plus haut, p. 102-110.
  17. Cité par Vandervelde, Collectivisme, p. 235. Cf. Ferri, Socialisme, p. 25 sqq.
  18. V. H. Michel, Doctr. pol., p. 48. Durkheim, Div. du trav., Liv. III, chap. II. Wallace, Studies, II, p. 515, 524. Cf. Volksdienst, passim.
  19. V. Kidd, L’Évol. soc., p. 140.
  20. C’est l’expression de M. Novicow, Annales de l’Institut de soc., Tome I.
  21. V. Belot, art. cité, p. 218.
  22. V. Hobson, Soc. Probl., livre II, chap. VI : Society as Maker of « Values ».
  23. Andler, introd. au livre de Menger, Prod. intégr., p. XXXVII.
  24. M. Fouillée.
  25. Cit. et discut. par Hobson, loc. cit., p. 141 sqq.
  26. Cité par Kidd, Évol. soc., p. 256.
  27. Op. cit., p. 194.
  28. Solid., 3e édit., p. 119.
  29. Ibid., Appendice.
  30. V. plus haut, livre II, chap. III.
  31. Bourgeois, op. cit., appendice II.
  32. V. dans le Congrès d’éduc. soc., les discussions qui ont déterminé en ce sens l’évolution du solidarisme.
  33. V. les explications de M. Charmont sur cette expression. Revue de Métaph., 1903, p. 380 sqq.
  34. Belot, Confér. cit. (Morale sociale, 120 sqq.).
  35. Millerand, Social. réform., p. 10.
  36. Voir les ouvrages cités sur la solidarité et l’article de M. Andler, Revue de métaph., 1897, p. 520-530.
  37. V. Belot, Confér. cit., p. 128.
  38. Durkheim, Div. du trav., Liv. I, chap. III-VII (Paris, F. Alcan).
  39. Faguet, Le Libéralisme, p. 281.
  40. V. Richard, Social. et sc. soc., Introd. et Conclusion.
  41. Cf. Élie Halévy, Hodgskin, p. 203.
  42. Perrier, cité par Bourgeois, Solid., p. 60.
  43. V. p. 225-229.
  44. V. Philos. de la solid., p. 10 sqq. (Paris, F. Alcan).
  45. V. H. Michel, L’Idée de l’État. Cf. dans les Bulletins de la société de philosophie, août 1901, la discussion sur la doctrine pol. de la démocratie.