La Défense du Libéralisme/Le Libéralisme

L'édition artistique (p. 81-88).

LE LIBÉRALISME




Il n’est pas dans mes intentions de faire l’historique du libéralisme. D’autres. auteurs s’en sont chargés mieux que je ne saurais le faire, mais je dois signaler que je situe son avènement en France avec la loi Le Chapelier, de 1791, qui donnait à tout individu le droit de fabriquer et vendre librement.

Après avoir subi l’épreuve de deux Empereurs, trois Rois et trois Républiques, il n’a pas résisté à la tyrannie du Front Populaire, sous lequel les Français ont commencé à faire du dirigisme sans s’en douter, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir.

Pendant toute cette longue période, le libéralisme n’a jamais été « anarchique », comme se plaisent à le prétendre les orateurs de réunions publiques.

Outre le Code Napoléon, modèle de pondération et de sagesse, plus de vingt mille lois, jusqu’en 1914, ont été promulguées, qui organisaient le libéralisme. Elles avaient pour elles le mérite de la simplicité et de la stabilité, puisque la plupart d’entre elles, encore en vigueur actuellement, ont plus de cent ans !

C’est même le reproche facile qu’on leur fait, de ne pas avoir assez évolué depuis l’apparition du machinisme. Comme si les lois ne s’appliquaient pas, avant tout, aux hommes qui, eux, n’ont pas changé et ont toujours les mêmes réflexes.

Nous avons connu, pendant près de cent cinquante ans, un libéralisme policé, admirablement organisé, quoi qu’en pensent ses détracteurs.

Enfin, il a l’avantage d’avoir existé, ce qui me permettra de faire, à coup sûr, son bilan et d’examiner ses qualités et ses défauts.

Le bilan du libéralisme possède, à son actif, les plus étonnantes réalisations du génie humain, mais l’homme est ainsi fait qu’il est toujours blasé et ingrat. Il n’est donc pas inutile de passer rapidement en revue les bienfaits dont nous lui sommes redevables.

D’abord, la liberté tout court, et c’est quelque chose !

Je ne sais si vous avez apprécié, comme moi, l’heureuse époque — avant 1914 — où tout était permis à la condition que cela ne nuisît pas au voisin ; où la paperasserie était réduite au minimum, où les déclarations étaient surtout d’amour. Quelle que soit la beauté d’un système, j’en préfèrerai toujours un autre, même moins bon, où l’on n’a pas continuellement à remplir un état, où la lecture des lois ne vous prend pas la moitié du temps, et où l’esprit n’est pas toujours tendu vers la manière d’appliquer ou de tourner un règlement.

À ce moment-là, on vivait pour vivre, penser, aimer, travailler, risquer et réussir et, pour cela, la plupart de mes contemporains ne connaissaient, en fait de lois, que la loi de Dieu, et ignoraient totalement l’existence du Journal Officiel.

Heureuse époque où l’on goûtait la douceur de la vie, la joie de la liberté, la jouissance du libre arbitre.

Mais il ne faudrait pas croire que nous avions payé cette liberté de sacrifices trop lourds. Bien au contraire, cent cinquante ans de libéralisme nous ont apporté des progrès matériels inouïs que l’homme, auparavant, ne se risquait pas à espérer. Faire le recensement des réalisations qui ont accompagné le libéralisme serait mentionner tout ce qui touche aux chemins de fer, à l’électricité, à la vapeur, à l’automobile, à l’aviation, au téléphone, à la T. S. F. au cinéma, à la navigation, etc. Encouragés par la liberté, les chercheurs, les ingénieurs, les savants, ont exalté le génie humain au delà de toute prévision. Dans tous les domaines, la moisson des succès fut inouïe. L’agriculture fut développée, les transports multipliés, l’habitation améliorée. Notre Empire colonial, reconstitué après 1789, créa de prodigieuses richesses. La distribution des moindres produits, même dans les bourgades les plus reculées, fut assurée magnifiquement. Tous ces résultats furent-ils obtenus au détriment de l’homme ? Loin de là, l’instruction fut apportée au plus humble des Français. La durée moyenne de la vie humaine passa de trente-cinq à quarante-cinq ans.

L’art ne fut pas négligé et, aussi bien en musique qu’en peinture et en sculpture, une floraison d’artistes de génie surgit, les plus grands écrivains, les plus subtils philosophes, ont rivalisé avec ceux de l’antiquité.

L’architecture laissa des réalisations grandioses jusqu’au jour où, sous l’empreinte du dirigisme montant, elle offrira le Palais de Tokio comme symbole de la chienlit de l’Exposition de 1937.

Je développerai plus longuement, au chapitre des Questions Sociales, les répercussions sur le sort du travailleur, mais je dois tout de suite indiquer qu’en cent cinquante ans de libéralisme, l’ouvrier a vu son temps de travail, dès avant 1936, réduit de 3.000 à 2.400 heures par an, tandis que son pouvoir d’achat faisait plus que doubler.

Ces vérités évidentes, que d’aucuns qualifieront de truismes, avaient besoin d’être rappelées, tant elles paraissent avoir été ignorées des bâtisseurs d’un ordre nouveau.

Comment expliquer toutes ces réussites ? Je sais que je vais faire bondir les dirigistes en évoquant la concurrence, qui est l’âme de l’Économie libérale.

La concurrence n’a pas bonne presse ; nul n’en a souffert plus que moi, Pendant quarante ans j’ai été aux prises avec elle, et j’ai l’avantage d’en parler en connaisseur. Je comprends la haine qu’elle suscite chez ceux qui ont été vaincus par elle, mais j’affirme qu’elle est le moteur indispensable à tout progrès. Bien sûr, il est tentant de la supprimer ; quelle euphorie nous baignerait, si nous n’étions pas toujours hantés par le spectre de la concurrence.

Mais nous ne devons pas oublier que, si nous sommes vendeurs et, comme tels, victimes de ce fléau, nous sommes, et parfois le plus souvent, acheteurs, et à ce titre, bénéficiaires de la bienfaisante concurrence. C’est à elle, et à elle seule, que nous devons le choix immense qui s’offre à nos désirs. C’est à elle que nous devons l’empressement du vendeur et le sourire de la vendeuse. Sans la concurrence, la qualité baisserait en même temps que les prix monteraient.

Je sais que la concurrence donne lieu à des excès, mais ils sont si faciles à éviter que, bien au contraire, le Code pénal français a dû prévoir des sanctions contre les coalitions, de même que la loi américaine interdit formellement les trusts.

En économie concurrentielle, le client est roi. C’est lui le juge suprême qui départage les prétendants, impitoyablement peut-être, mais qui est omniscient, équitable, incorruptible.

Vouloir remplacer ce juge idéal par un fonctionnaire est une utopie, qui ne peut être soutenue que par ceux qui y ont un intérêt personnel.

Comme toute œuvre humaine, l’Économie libérale a des défauts, et il me faut en parler, car je prévois déjà l’impatience de mes contradicteurs.

En premier lieu, le libéralisme est accusé de conduire à la surproduction. On lui a même, à cette occasion, décoché l’épithète d’anarchique, ce qui sonne bien dans une réunion publique.

Il est assez risible de voir nos glossateurs faire ce reproche à une époque où nous manquons quasiment de tout. Qu’il était béni le temps où l’on brûlait le café dans les locomotives, où l’on dénaturait le blé et où l’on arrachait les plants de vigne. Je donne là des exemples classiques cités par les Économistes. Ils me laissent complètement indifférent, et je ne leur attribue que la valeur d’effets faciles.

Il est à remarquer que ces faits concernent toujours des produits agricoles où la nature a son mot à dire. Car l’homme n’est pas encore maître de la pluie et du beau temps, et je défie qui que ce soit d’équilibrer la production et les besoins, à moins que l’on ne consente à souffrir de la disette au moins une année sur deux.

Ces exemples tapageurs sont insignifiants, si l’on considère que l’excédent était de l’ordre du millionième de la production mondiale totale, et qu’il aurait pu être facilement résorbé, pour le café, par exemple, en offrant gratuitement une tasse de moka à tous les Chinois qui n’en buvaient pas, afin de leur en donner le goût.

Mais le dirigisme brésilien voulait, à toute force, maintenir les prix, ce qui est l’antithèse du libéralisme.

Car le mécanisme des prix est le plus sûr et le seul régulateur de la production, et je ne conçois pas le juge arbitre infaillible qui me dira combien je dois produire de carburateurs l’an prochain.

Un autre défaut capital reproché au libéralisme, par ses détracteurs, est d’être générateur de chômage, car, disent-ils, la surproduction amène des débauchages massifs. Je m’expliquerai plus longuement sur ce point au chapitre des Questions Sociales. Mais je puis déjà faire observer que je ne comprends pas très bien comment, en réduisant la production, on diminuera le nombre de chômeurs. Peut-être y aura-t-il des pointes moins accusées, mais la moyenne du chômage augmentera.

Par voie de conséquence de la surproduction et de la concurrence forcenée qui en résulte, le libéralisme est accusé de conduire à l’abaissement des salaires. Ceci est complètement faux, et j’aurai l’occasion de m’en expliquer longuement lorsque, plus loin, je traiterai de l’importante question de la rémunération du travail.

Mais je préviens tout de suite mes honorables contradicteurs que ce n’est pas sur ce chapitre qu’ils pourront s’imaginer remporter un succès éclatant en me proposant la panacée dirigiste, car je leur répondrai que Henry Ford, champion du libéralisme, a toujours payé les salaires les plus élevés.

On a également reproché au système libéral les graves lacunes qui existaient dans la répartition des richesses.

Il est vrai que les biens de ce monde sont distribués fort inégalement entre les nations et les hommes. Le libéralisme admet que certains pays sont favorisés par le climat, le sol, la position géographique ; d’autres le sont par le travail et l’intelligence de leurs habitants. Il a dû récompenser les efforts de chacun suivant une loi qui n’est peut-être pas parfaite, mais qu’on amende constamment. Le dirigisme, jusqu’à ce jour, s’est borné à répartir la misère, ce que l’homme de la rue traduit par cette définition simpliste : « Le dirigisme, c’est les tickets ». Nos modernes théoriciens ont assez bien réussi à prouver que toute répartition autoritaire fait surgir immédiatement un honteux « marché noir » au seul bénéfice des intermédiaires et au détriment de la morale.

Le libéralisme est le système idéal pour assurer une production toujours croissante en quantité et améliorée en qualité, tout en la répartissant au mieux des mérites de chacun. Il laisse s’épanouir aussi bien l’artisan, la petite et moyenne industrie, que les entreprises géantes. Il les fond harmonieusement dans l’intérêt supérieur du consommateur.

Il peut présenter des excès et des défauts, qui proviennent surtout de l’intrusion du dirigisme, mais qu’on peut corriger en se bornant à appliquer des lois centenaires, au lieu d’en fabriquer toujours de nouvelles.

Le libéralisme a pour lui un passé glorieux dans lequel on peut puiser pour améliorer sagement. Il s’adapte merveilleusement au caractère et au génie français, il encourage les qualités d’intelligence, d’initiative et de travail de notre race.

Voilà pourquoi je suis libéral.