La Défense de mon oncle/Édition Garnier/Chapitre 5

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CHAPITRE V.
de la sodomie.

Mon oncle, toujours discret, toujours sage, toujours persuadé que jamais les lois n’ont pu violer les mœurs, s’exprime ainsi dans la Philosophie de l’Histoire, page 55 (vol. XV) : « Je ne croirai pas davantage Sextus Empiricus, qui prétend que, chez les Perses, la pédérastie était ordonnée. Quelle pitié ! Comment imaginer que les hommes eussent fait une loi qui, si elle avait été exécutée, aurait détruit la race des hommes ? La pédérastie, au contraire, était expressément défendue dans le livre du Zend ; et c’est ce qu’on voit dans l’abrégé du Zend, le Sadder, où il est dit (porte 9) qu’il n’y a point de plus grand péché. »

Qui croirait, mon cher lecteur, que l’ennemi de ma famille ne se contente pas de vouloir que toutes les femmes couchent avec le premier venu, mais qu’il veuille encore insinuer adroitement l’amour des garçons ? « Les jésuites, dit-il, n’ont rien à démêler ici. » Hé ! mon cher enfant, mon oncle n’a point parlé des jésuites. Je sais bien qu’il était à Paris lorsque le R. P. Marsy[1] et le R. P. Fréron furent chassés du collége de Louis le Grand pour leurs fredaines ; mais cela n’a rien de commun avec Sextus Empiricus : cet écrivain doutait de tout ; mais personne ne doute de l’aventure de ces deux révérends pères.

« Pourquoi troubler mal à propos leurs mânes ? » dis-tu dans l’apologie que tu fais du péché de Sodome. Il est vrai que frère Marsy est mort, mais frère Fréron vit encore. Il n’y a que ses ouvrages qui soient morts ; et quand on a dit de lui qu’il est ivre-mort presque tous les jours, c’est par catachrèse, ou, si l’on veut, par une espèce de métonymie.

Tu te complais à citer la dissertation de feu M. Jean-Matthieu Gessner, qui a pour titre : Socrates sanctus pæderasta, Socrate le saint b.....[2]. En vérité, cela est intolérable ; il pourra bien t’arriver pareille aventure qu’à feu M. Deschaufour ; l’abbé Desfontaines l’esquiva.

C’est une chose bien remarquable dans l’histoire de l’esprit humain que tant d’écrivains folliculaires soient sujets à caution. J’en ai cherché souvent la raison : il m’a paru que les folliculaires sont pour la plupart des crasseux chassés des colléges, qui n’ont jamais pu parvenir à être reçus dans la compagnie des dames ; ces pauvres gens, pressés de leurs vilains besoins, se satisfont avec les petits garçons qui leur apportent de l’imprimerie la feuille à corriger, ou avec les petits décrotteurs du quartier ; c’est ce qui était arrivé à l’ex-jésuite Desfontaines, prédécesseur de l’ex-jésuite Fréron[3].

N’es-tu pas honteux, notre ami, de rappeler toutes ces ordures dans un Supplément à la Philosophie de l’Histoire ? Quoi ! tu veux faire l’histoire de la sodomie ? « Il aura, dit-il, occasion encore d’en parler dans un autre ouvrage. » Il va chercher jusqu’à un Syrien, nommé Bardezane, qui a dit que chez les Welches tous les petits garçons faisaient cette infamie : Para de Gallois oi neoi gamountai ; παρα δὴ Γάλλοις οἱ νέοι γαμοῦνται. Fi, vilain ! oses-tu bien mêler ces turpitudes à la sage bienséance dont mon oncle s’est tant piqué ? Oses-tu outrager ainsi les dames, et manquer de respect à ce point à l’auguste impératrice de Russie, à qui j’ai dédié le livre instructif et sage de feu M. l’abbé Bazin ?


  1. Voyez tome XIX, page 500.
  2. Qui le croirait, mon cher lecteur ? cela est imprimé à la page 209 du livre de M. Toxotès, intitulé Supplément à la Philosophie de l’Histoire. (Note de Voltaire.) — Voltaire, dans une note du chapitre xvi, ci-après, page 400, donne l’explication du mot Toxotès.
  3. Un ramoneur à face basanée,
    Le fer en main, les yeux ceints d’un bandeau,
    S’allait glissant dans une cheminée,
    Quand de Sodome un antique bedeau
    Vint endosser sa figure inclinée, etc.

    (Note de Voltaire.)

    — Voyez, tome X, dans les Poésies mêlées, la suite de ces vers.