La Défense de mon oncle/Édition Garnier/Chapitre 17

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CHAPITRE XVII.
sur la modestie de warburton, et sur son système antimosaïque.

La nature de l’homme est si faible, et on a tant d’affaires dans cette vie, que j’ai oublié, en parlant de ce cher Warburton, de remarquer combien cet évêque serait pernicieux à la religion chrétienne, et à toute religion, si mon oncle ne s’était pas opposé vigoureusement à sa hardiesse.

« Les anciens sages, dit Warburton[1], crurent légitime et utile au public de dire le contraire de ce qu’ils pensaient. »

«[2]L’utilité, et non la vérité, était le but de la religion. »

Il emploie un chapitre entier à fortifier ce système par tous les exemples qu’il peut accumuler.

Remarquez que, pour prouver que les Juifs étaient une nation instruite par Dieu même, il dit que la doctrine de l’immortalité de l’âme et d’un jugement après la mort est d’une nécessité absolue, et que les Juifs ne la connaissaient pas. « Tout le monde, dit-il (all mankind), et spécialement les nations les plus savantes et les plus sages de l’antiquité, sont convenues de ce principe[3]. »

Voyez, mon cher lecteur, quelle horreur et quelle erreur dans ce peu de paroles qui font le sujet de son livre. Si tout l’univers, et particulièrement les nations les plus sages et les plus savantes, croyaient l’immortalité de l’âme, les Juifs, qui ne la croyaient pas, n’étaient donc qu’un peuple de brutes et d’insensés que Dieu ne conduisait pas. Voilà l’horreur dans un prêtre qui insulte les pauvres laïques. Hélas ! que n’eût-il point dit contre un laïque qui eût avancé les mêmes propositions ! Voici maintenant l’erreur.

C’est que, du temps que les Juifs étaient une petite horde de Bédouins, errante dans les déserts de l’Arabie Pétrée, on ne peut prouver que toutes les nations du monde crussent l’âme immortelle. L’abbé Bazin était persuadé, à la vérité, que cette opinion était reçue chez les Chaldéens, chez les Persans, chez les Égyptiens, c’est-à-dire chez les philosophes de ces nations ; mais il est certain que les Chinois n’en avaient aucune connaissance, et qu’il n’en est point parlé dans les Cinq Kings, qui sont antérieurs de plusieurs siècles au temps de l’habitation des Juifs dans les déserts d’Oreb et de Cadès-Barné.

Comment donc ce Warburton, en avançant des choses si dangereuses, et en se trompant si grossièrement, a-t-il pu attaquer les philosophes, et particulièrement l’abbé Bazin, dont il aurait dû rechercher le suffrage ?

N’attribuez cette inconséquence, mes frères, qu’à la vanité. C’est elle qui nous fait agir contre nos intérêts. La raison dit : Nous hasardons une entreprise difficile, ayons des partisans. L’amour-propre crie : Écrasons tout pour régner. On croit l’amour-propre ; alors on finit par être écrasé soi-même.

J’ajouterai encore à ce petit appendix que l’abbé Bazin est le premier qui ait prouvé que les Égyptiens sont un peuple très-nouveau[4], quoiqu’ils soient beaucoup plus anciens que les Juifs. Nul savant n’a contredit la raison qu’il en apporte ; c’est qu’un pays inondé quatre mois de l’année depuis qu’il est coupé par des canaux devait être inondé au moins huit mois de l’année avant que ces canaux eussent été faits. Or un pays toujours inondé était inhabitable. Il a fallu des travaux immenses, et par conséquent une multitude de siècles pour former l’Égypte.

Par conséquent les Syriens, les Babyloniens, les Persans, les Indiens, les Chinois, les Japonais, etc., durent être formés en corps de peuples très-longtemps avant gue l’Égypte pût devenir une habitation tolérable. On tirera de cette vérité les conclusions qu’on voudra, cela ne me regarde pas. Mais y a-t-il bien des gens qui se soucient de l’antiquité égyptienne ?


  1. Tome II, page 89. (Note de Voltaire.)
  2. Tome II, page 91. (Id.)
  3. Tome I, page 87. (Id.)
  4. Voyez tome XI, page 31.