La Comédie de la Mort (1838)/Chant du Grillon/II

La Comédie de la MortDesessart éditeur (p. 277-281).


CHANT DU GRILLON.


Regardez les branches,
Comme elles sont blanches ;
Il neige des fleurs !
Riant dans la pluie,
Le soleil essuie

Les saules en pleurs,
Et le ciel reflète
Dans la violette,
Ses pures couleurs.

La nature en joie
Se pare et déploie
Son manteau vermeil.
Le paon qui se joue,
Fait tourner en roue,
Sa queue au soleil.
Tout court, tout s’agite,
Pas un lièvre au gîte ;
L’ours sort du sommeil.

La mouche ouvre l’aile,
Et la demoiselle
Aux prunelles d’or,
Au corset de guêpe,
Dépliant son crêpe,

A repris l’essor.
L’eau gaîment babille,
Le goujon frétille,
Un printemps encor !

Tout se cherche et s’aime ;
Le crapaud lui-même,
Les aspics méchants ;
Toute créature,
Selon sa nature :
La feuille a des chants ;
Les herbes résonnent,
Les buissons bourdonnent ;
C’est concert aux champs.

Moi seul je suis triste ;
Qui sait si j’existe,
Dans mon palais noir ?
Sous la cheminée,
Ma vie enchaînée,

Coule sans espoir.
Je ne puis, malade,
Chanter ma ballade
Aux hôtes du soir.

Si la brise tiède
Au vent froid succède ;
Si le ciel est clair,
Moi, ma cheminée
N’est illuminée
Que d’un pâle éclair ;
Le cercle folâtre
Abandonne l’âtre :
Pour moi c’est l’hiver.

Sur la cendre grise,
La pincette brise
Un charbon sans feu.
Adieu les paillettes,
Les blondes aigrettes ;

Pour six mois adieu
La maîtresse bûche,
Où sous la peluche,
Sifflait le gaz bleu.

Dans ma niche creuse,
Ma patte boiteuse
Me tient en prison.
Quand l’insecte rôde,
Comme une émeraude,
Sous le vert gazon,
Moi seul je m’ennuie ;
Un mur, noir de suie,
Est mon horizon.