La Comédie de la Mort (1838)/Chant du Grillon/I
CHANT DU GRILLON.
Souffle, bise ! tombe à flots, pluie !
Dans mon palais, tout noir de suie,
Je ris de la pluie et du vent ;
En attendant que l’hiver fuie,
Je reste au coin du feu, rêvant.
C’est moi qui suis l’esprit de l’âtre !
Le gaz, de sa langue bleuâtre,
Lèche plus doucement le bois ;
La fumée, en filet d’albâtre,
Monte et se contourne à ma voix.
La bouilloire rit et babille ;
La flamme aux pieds d’argent sautille
En accompagnant ma chanson ;
La bûche de duvet s’habille ;
La sève bout dans le tison.
Le soufflet au râle asthmatique,
Me fait entendre sa musique ;
Le tourne-broche aux dents d’acier
Mêle au concerto domestique
Le tic-tac de son balancier.
Les étincelles réjouies,
En étoiles épanouies,
Vont et viennent, croisant dans l’air,
Les salamandres éblouies,
Au ricanement grêle et clair.
Du fond de ma cellule noire,
Quand Berthe vous conte une histoire,
Le Chaperon ou l’Oiseau bleu,
C’est moi qui soutiens sa mémoire,
C’est moi qui fais taire le feu.
J’étouffe le bruit monotone
Du rouet qui grince et bourdonne ;
J’impose silence au matou ;
Les heures s’en vont, et personne
N’entend le timbre du coucou.
Pendant la nuit et la journée,
Je chante sous la cheminée ;
Dans mon langage de grillon,
J’ai, des rebuts de son aînée,
Souvent consolé Cendrillon.
Le renard glapit dans le piége ;
Le loup, hurlant de faim, assiége
La ferme au milieu des grands bois ;
Décembre met, avec sa neige,
Des chemises blanches aux toits.
Allons, fagot, pétille et flambe ;
Courage, farfadet ingambe,
Saute, bondis plus haut encor ;
Salamandre, montre ta jambe,
Lève, en dansant, ton jupon d’or.
Quel plaisir ! prolonger sa veille,
Regarder la flamme vermeille
Prenant à deux bras le tison ;
À tous les bruits prêter l’oreille ;
Entendre vivre la maison !
Tapi dans sa niche bien chaude,
Sentir l’hiver qui pleure et rôde,
Tout blême et le nez violet,
Tâchant de s’introduire en fraude
Par quelque fente du volet.
Souffle, bise ! tombe à flots, pluie !
Dans mon palais, tout noir de suie,
Je ris de la pluie et du vent ;
En attendant que l’hiver fuie
Je reste au coin du feu, rêvant.