La Colonisation officielle en Algérie/02

La Colonisation officielle en Algérie
Revue des Deux Mondes3e période, tome 58 (p. 75-111).
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LA
COLONISATION OFFICIELLE
EN ALGERIE

II.[1]
SON ROLE ACTUEL.

Tandis que l’attention du public français se dirige avec un vif intérêt, non dépourvu de quelques inquiétudes, vers tant d’expéditions lointaines tentées tout à la fois à la Nouvelle-Guinée et au Congo, à Madagascar et au Tonkin, nous ne saurions être mal venus à demander à notre parlement et à nos ministres de vouloir bien prendre la peine de jeter aussi leurs regards sur d’autres contrées placées un peu plus à leur portée, car c’est, à coup sûr, le droit de la France d’être enfin précisément informée de ce qu’ils se proposent de faire en Algérie. Dieu me garde de les blâmer s’ils suivent l’avis des hommes politiques considérables, qui, naguère, n’ont point hésité à leur conseiller de mettre la main, soit par voie de conquête, soit sous forme de protectorat, sur les points du globe, fût-ce les plus éloignés, où la civilisation moderne n’a point encore pénétré ! Nous ne méconnaissons pas les avantages qui en résulteraient pour l’accroissement de notre commerce extérieur et l’augmentation de nos débouchés au dehors. Acquérir de nouveaux territoires, quoique semblables acquisitions ne soient pas sans entraîner quelques risques et sans occasionner beaucoup de dépenses, c’est une intention louable sans doute, mais elle n’exclut point apparemment celle de tirer, en même temps, tout le parti possible d’autres territoires possédés de vieille date. La voix du bon sens nous crie qu’il est plus sage, plus prudent et certainement beaucoup plus économique de consacrer nos premiers et persistans efforts à donner dès à présent toute leur valeur à ces belles terres de notre colonie algérienne située, avec ses 275 lieues de côtes, à l’autre bord de la Méditerranée, juste en face de nos ports du Midi ! Là, notre domination acceptée sans conteste par tous les cabinets étrangers s’est, peu à peu, grâce à de longs et glorieux efforts, imposée aux indigènes. Là s’étend, à trente heures de Marseille et de Toulon, un immense territoire sans limites bien précises qui pénètre jusque vers les régions inexplorées du centre de l’Afrique et dont les ressources infinies, loin d’être épuisées, sont, à l’heure qu’il est, presque inconnues encore et très insuffisamment explorées.

Déterminer de ce côté, même au prix d’importans sacrifices pécuniaires, un courant considérable d’émigrans français, telle paraît avoir été, depuis trois ans, la préoccupation de la chambre des députés et des ministres qui se sont, pendant cet espace de temps, succédé aux départemens de l’intérieur et des finances. Nous trouvons, de 1880 à 1883, les témoignages répétés de cette invariable pensée dans les rapports sur les affaires de l’Algérie des commissions budgétaires, comme dans les exposés des motifs des projets de loi, peu différens les uns des autres, qu’ont présentés tour à tour les divers cabinets ; et tous ces documens aboutissent à l’ouverture d’un crédit considérable qui ne monte pas à moins de 50 millions. Cette conclusion uniforme est peut-être excellente. Voyez toutefois la singularité ! A peine ce grand programme qui devait aboutir à la création immédiate de trois cents centres nouveaux a-t-il été pompeusement annoncé qu’il a produit le résultat inattendu d’arrêter presque absolument l’impulsion donnée antérieurement aux travaux de colonisation. Des devis avaient été dressés à l’avance, annuellement destinés, soit à fonder encore quelques autres villages, soit à compléter ceux déjà existant. Mais ces plans, devenus trop mesquins, étaient condamnés à être peu à peu et complètement mis de côté. On n’y renonça pas toutefois de prime abord. A la veille de l’un de ses départs pour Paris, dans la séance du 6 décembre 1880, à l’heure même où il prenait congé des membres du conseil supérieur, M. Albert Grévy se croyait en état de pouvoir mener les deux besognes de front. Tout en faisant pressentir l’adoption prochaine du nouveau système dont il revendiquait la paternité et qui, « sans charges nouvelles pour l’état, mettrait à la disposition de l’Algérie les capitaux nécessaires pour imprimer une nouvelle et toute-puissante impulsion à la colonisation, » il n’hésitait pas à annoncer « que le programme de colonisation précédemment arrêté pour 1880 serait exécuté dans les premiers mois de 1881[2] ! » Ces deux prévisions du gouverneur-général devaient être également démenties par l’événement.

En 1881, la convenance d’attribuer 50 millions à la colonisation de l’Algérie est bien, en effet, hautement proclamée par la commission du budget de la chambre des députés, et le gouvernement dépose un projet de loi conforme à ce vœu. Mais, à Paris, les choses en restent là. Du vote des 50 millions, il n’en est nullement question. Il faut que notre colonie se contente de la perspective de ce gros subside miroitant à ses yeux dans un avenir encore incertain et qui risque de reculer toujours ; cette perspective suffit à l’administration pour déclarer sans nul embarras, dans la session du conseil supérieur du gouvernement, au mois de novembre 1881 : « qu’il ne lui a pas été possible d’exécuter les travaux de tous les nouveaux villages dont les projets avaient été approuvés, » ajoutant avec la même désinvolture : « que la pénurie des ressources mises à sa disposition ne lui avait pas davantage permis d’imprimer toute l’activité désirable aux travaux d’achèvement des centres anciens[3]. » A la session suivante de 1882, même déception ; la situation s’est encore aggravée, et M. Tirman, le nouveau gouverneur-général, l’a fait ainsi connaître aux membres du conseil : « Depuis un an, les ressources affectées à la colonisation ayant fait entièrement défaut, on a été dans la douloureuse nécessité d’arrêter l’élan des colons et d’ajourner la création des centres du programme de 1882[4]. » Cependant M. Tirman s’empresse d’affirmer, comme l’a déjà fait son prédécesseur, « que le jour est prochain où les crédits nécessaires étant accordés, l’administration pourra se mettre résolument et rapidement à l’œuvre ; il espère qu’avant la fin de l’année, le parlement se sera prononcé sur le projet de loi déjà adopté par deux commissions du budget[5]. » Dans l’exposé de la situation de l’Algérie faisant suite à son discours, M. Tirman entre dans quelques détails sur la combinaison qui va enfin permettre de réaliser à bref délai ce fameux programme général de colonisation. Cependant, avec une sincérité qui lui fait honneur et grâce à son expérience d’administrateur habitué à tenir compte des obstacles, il ai en même temps, soin d’avertir les membres du conseil supérieur qu’il ne saurait prendre l’engagement « d’avoir exécuté ce programme en cinq années[6]. »

Ces espérances, reportées par M. Tirman sur le cours de l’exercice 1882, ne devaient pas être réalisées plus que ne l’avaient été celles précédemment conçues par M. Albert Grévy pour 1881. Qu’adviendra-t-il en 1883 ? On ne saurait le dire encore. Les hommes de bonne volonté qui ont mis en avant avec tant de confiance, il y a trois ans, et soutenu depuis avec une persévérance qui ne se lasse point la combinaison adoptée par les commissions du budget de la chambre des députés et par nos divers ministères auront-ils le chagrin d’être amenés à reconnaître que tous leurs efforts n’auront, en définitive, abouti qu’à faire retarder et même suspendre les travaux de colonisation auxquels ils avaient, au contraire, rêvé d’imprimer un redoublement d’activité ? Nous croyons que ce déboire leur sera épargné. Il semble, en effet, qu’ils n’ont pas cessé d’avoir le gouvernement avec eux, ce qui, dans notre pays, est une grande cause de succès. Je ne parle pas seulement du projet déposé le 18 juillet 1882 par MM. René Goblet et Léon Say ; ces messieurs n’étant plus aujourd’hui ministres, cela n’importerait guère ; mais, dans le budget général pour l’exercice 1884, présenté par M. Tirard, le ministre actuel des finances, je trouve une note préliminaire relative au service du gouvernement-général de l’Algérie, où il est dit « que le parlement est présentement saisi d’un projet de loi ayant pour objet de mettre, à partir de 1883, à la disposition du ministre de l’intérieur une somme de 37,500,000 francs, destinée en grande partie à des acquisitions de terres[7]… »

En réalité, la réduction de la subvention de 50 millions à 37,500,000 francs est purement fictive. Déjà M. Léon Say avait formellement établi : « que l’avance à faire par la caisse des dépôts et consignations retombant, après tout, sur la dette flottante, qui aurait à fournir les espèces, il valait mieux, conformément aux règles d’une bonne comptabilité, inscrire directement au budget les dépenses de la colonisation de l’Algérie. Cependant, ajoutait ce ministre, comme le budget ordinaire contient déjà pour cet objet un crédit de 2,500,000 francs (chiffre exact : 2,470,000 francs), il suffirait d’ajouter au budget extraordinaire un complément de 7,500,000 francs, soit 37,500,000 francs à répartir en cinq années[8]. » Les vues de M. Léon Say ayant été adoptées par son successeur aux finances, M. Tîrard, la dotation de ce service demeure bien définitivement fixée à la somme totale de 50 millions répartis entre cinq exercices, soit 10 millions par an.

A prendre les choses simplement et de bonne foi, c’est donc, en réalité, à moins que les ministres ne se dédisent, le projet primitif des 50 millions qui va, suivant toute probabilité, venir prochainement devant les chambres. Nous voudrions l’examiner non pas seulement dans son ensemble, mais dans quelques-uns de ses plus importans détails et au point de vue des moyens pratiques d’exécution.


I

Pour réussir dans une entreprise, la première condition est de se rendre nettement compte du but qu’on se propose d’atteindre. La conquête de l’Algérie n’a pas été de notre part un acte prémédité. La nécessité de venger l’injure personnelle faite à son représentant décida le gouvernement de la restauration à s’emparer, en 1830, de la capitale du dey. A coup sûr, il n’avait pas été insensible à l’honneur d’accomplir la noble tâche, devant laquelle Charles-Quint avait échoué en 1541 et l’amiral Exmouth en 1816, d’affranchir ainsi par un coup d’audace l’Europe entière du honteux tribut que, depuis des siècles, elle payait à ce nid de pirates. Mais, sur l’emploi à faire ultérieurement de leur conquête, les ministres du roi Charles X ne se sont jamais vantés d’avoir eu aucune vue bien précise. Ils n’ont même pas eu le temps de se poser la question de savoir s’ils pourraient faire de l’Algérie une colonie florissante, et cette idée ne semble pas avoir davantage traversé l’esprit de leurs successeurs. Il y a plus : absorbés dans leur rôle exclusivement militaire, les commandans de nos troupes s’appliquèrent, au contraire, jusque vers 1840, à entraver l’immigration soit française, soit étrangère. À cette période d’abstention systématique et d’inertie presque complète succéda peu à peu, quand notre domination devint plus étendue et mieux assise, un mouvement en sens contraire. Au récit de quelques voyageurs, qui avaient devancé, accompagné ou suivi nos colonnes expéditionnaires dans le Sahara, les imaginations s’étaient démesurément exaltées. Elles entrevoyaient déjà écloses et magnifiquement prospères, et espacées de distance en distance, en raison de la chaleur croissante du climat, toutes les variétés de productions exotiques qui enrichissent nos plus lointaines et nos plus riches colonies. L’Algérie semblait appelée à devenir pour nous ce que les Indes sont pour les Anglais ou Java pour les Hollandais. C’était la période où l’on ne désespérait pas d’acclimater en Algérie le café et le coton, où l’on croyait possible d’y introduire sur une grande échelle la culture de la canne à sucre, voire même des épices.

Le mirage était trop brillant, il a fallu en rabattre. Aujourd’hui, plus d’inconnu et plus d’illusions possibles. Nous savons qu’excepté dans quelques oasis productives de dattes, qui ne seront jamais l’objet d’un commerce bien actif, nous ne rencontrerons que des produits similaires à ceux du Midi de la France. Nous n’en sommes plus à nous figurer qu’on y peut découvrir de vastes espaces vacans ne connaissant pas de propriétaires, ou faciles à acquérir. Toutes les terres y sont, sinon occupées, du moins possédées à titre particulier ou collectif, mal cultivées, il est vrai, mais cependant cultivées ou livrées à la pâture d’innombrables troupeaux errant d’une région à une autre. Au lieu d’une population insouciante et molle, comme celle qui accueillit les Espagnols dans l’Amérique du Sud, ou disséminée et inculte comme les tribus sauvages qui parcouraient les solitudes de l’Amérique du Nord avant l’arrivée des Anglais, nous avons affaire en Algérie à une race nombreuse, fière, aguerrie, récalcitrante aux usages modernes, civilisée toutefois de très vieille date, éminemment spiritualiste, et puisant dans son indomptable foi aux préceptes du Koran assez d’orgueil pour mépriser toutes les autres religions, assez de force pour accepter tous les sacrifices, et prête, si elle croit entendre la voix de son prophète, à braver intrépidement la mort, qui n’est pour elle que le passage aux joies du paradis promis par Mahomet. Dans le chiure de 423,881 Européens fixés en Algérie, nos compatriotes ne figurent que pour 233,937, c’est-à-dire un peu plus de la moitié. La question était donc parfaitement posée par M. Thomson, lorsqu’au nom de la commission des vingt-deux membres de la chambre des députés, il déclarait dans son rapport, déposé le 12 juillet 1881, que « la question principale était d’activer le plus que possible en Algérie le développement de la population française[9]. »

Reste à savoir si les moyens conseillés par cette commission et adoptés par le gouvernement sont les mieux choisis pour déterminer ce sérieux courant d’immigration française auquel on a raison d’attacher la plus grande importance. Qu’on me permette d’abord de m’étonner un peu de la symétrie toute mathématique de l’ingénieuse combinaison qu’on propose à notre admiration. La voici dans sa merveilleuse simplicité : 300 centres à fonder en cinq années, dont 150 sur des territoires déjà possédés par l’état, et 150 dont il faudrait se procurer l’emplacement à prix d’argent par la voie de l’expropriation ; chaque centre devant avoir 50 feux avec un périmètre de 2,000 hectares, c’est-à-dire 150 villages x 2,000 hectares = 300,000 hectares ; dépenses présumées, en fixant le prix moyen de l’hectare à 85 francs : 25,500,000 francs ; pour l’installation des 300 centres, en prenant pour base la somme de 80,000 francs qu’a coûté l’établissement de chacun des anciens villages créés depuis 1871, les frais se monteraient à 24 millions environ : et c’est ainsi qu’on arrive au chiffre rond et fatidique des 50 millions. J’avoue que ces fractions multiples qui s’emboîtent si parfaitement les unes dans les autres, comme si elles étaient tirées du carnet d’un élève de l’École polytechnique, m’inspirent quelques appréhensions. Je doute beaucoup qu’à la pratique, les choses se puissent arranger avec cette régularité, et je ne puis me défendre de penser que, si au lieu d’avoir été dressés tout d’une pièce autour du tapis vert de quelque bureau de la chambre, ces plans avaient été élaborés sur place par des hommes compétens et connaissant bien les localités, on serait arrivé à d’autres résultats ayant moins bonne figure sur le papier, mais plus appropriés à la nature des besoins qu’il s’agit de satisfaire.

A un tout autre point de vue, je me demande aussi si les partisans de la colonisation officiellement entreprise et directement patronnée par l’état se sont bien rendu compte des dispositions, des habitudes et du caractère que l’on rencontre d’ordinaire parmi cette catégorie de Français auxquels ils ont songé à faire appel, les seuls qu’ils aient chance de gagner à l’idée de quitter leur pays natal et le foyer domestique pour aller au loin tenter la fortune. Pareille perspective est difficilement acceptée par notre population naturellement sédentaire, attachée au sol, peu portée à l’émigration. Elle ne sourit qu’aux personnes douées de l’esprit d’initiative et d’un tempérament particulièrement hardi, ayant le goût des aventures, à tout le moins celui d’une libre et complète indépendance. À ces natures généralement un peu rebelles, plutôt disposées à secouer le joug de toute espèce de réglementation et qui ne songent le plus souvent à s’expatrier qu’afin de se dérober aux conventions trop gênantes pour elles de la civilisation moderne, c’est offrir un maigre appât que de les convier à venir s’établir, après maintes démarches et sollicitations, dans des localités qu’elles n’auront pas choisies, où il leur faudra vivre comme parquées sous la tutelle d’une administration qui leur imposera toute sorte de conditions d’existence les plus directement contraires à leurs penchans. Les auteurs du projet de loi font donc, à notre sens, complètement fausse route quand ils oublient cette vérité proclamée par tous les publicistes ayant autorité en ces matières, « que la prospérité d’une colonie se mesure toujours exactement au degré de liberté accordée à ceux qui l’habitent. »

Mais il est temps de laisser de côté les considérations générales, et nous avons hâte d’étudier de plus près les dispositions principales du projet des 50 millions. Ce qui nous aidera singulièrement dans cette tâche, c’est qu’elles ont été, à plusieurs reprises, l’objet d’un examen attentif de la part des conseils-généraux de l’Algérie et du conseil supérieur du gouvernement. Quoique renfermés dans des limites à notre avis trop restreintes et ne s’occupant, comme en France, que des intérêts des localités qu’ils représentent, les conseils-généraux des départemens d’Alger, d’Oran et de Constantine, n’ont pas laissé que de traiter, à l’occasion et par échappées, les questions qui nous occupent en ce moment et leurs impressions sont précieuses à connaître. Quant au rôle des membres du conseil supérieur, son importance résulte, à la fois de sa composition et des droits que lui confère l’organisation actuelle de notre colonie algérienne. M. le général Chanzy le définissait excellemment lorsqu’à l’ouverture de la session de novembre 1876, il disait à ses collaborateurs : « Vous êtes bien ici, messieurs, les membres autorisés et indépendans de la grande assemblée où s’élaborent les affaires importantes dont la solution ne peut appartenir qu’au gouvernement et aux chambres. Chacun de vous y a sa place marquée, soit par sa position, soit par ses services, soit par la confiance des conseils-généraux, tous, par la connaissance des besoins du pays et de sa véritable situation. » Le gouverneur-général exprimait en même temps cette pensée : « que, pour mettre les représentans de l’Algérie au sénat et à la chambre en état de servir les grands intérêts qui leur étaient confiés avec l’autorité que donne un examen approfondi des affaires, il était indispensable qu’ils vinssent prendre part aux discussions du conseil supérieur apportant eux-mêmes à cette assemblée une force nouvelle puisée dans leur haute situation[10]. » Mais ces messieurs avaient cru devoir soulever des objections. En vain, le général Chanzy insista de nouveau, en 1877, pour que « les portes du conseil supérieur leur fussent ouvertes par la mesure légale la plus propre à sauvegarder la considération attachée au mandat dont ils étaient investis. » En vain, d’après le vœu émis par les conseils-généraux, il exprima le désir « que les sénateurs et les députés de l’Algérie, sans devenir membres du conseil supérieur, voulussent bien y entrer avec la faculté de prendre part à ses travaux et d’y avoir voix délibérative[11], » en vain encore, il renouvela, en 1878, les instances qu’approuvait l’opinion publique en Algérie afin d’obtenir des représentans des trois départemens « qu’ils consentissent à user du droit qui leur était offert d’assister aux séances avec voix délibérative lorsqu’ils le jugeraient nécessaire ou possible[12], » jamais il ne lui fut donné de triompher de scrupules respectables sans doute, mais dont j’ai peine, je l’avoue, à deviner les motifs.

Malgré cette abstention volontaire et si regrettable des mandataires de l’Algérie, il n’en est pas moins de toute justice de tenir en grande considération les opinions consciencieusement émises sur place au sein d’une assemblée délibérante par des hommes particulièrement versés dans les affaires locales et dont on ne saurait nier les lumières spéciales et la parfaite compétence. Le conseil supérieur du gouvernement est composé de trente-huit membres, dont dix-huit sont délégués par les conseils-généraux et les vingt autres membres de droit. C’est dire qu’aux jours où les membres de droit sont absens, ce qui est le cas ordinaire, la majorité appartient à l’élément élu. Quelle garantie d’indépendance ! Les membres de droit sont : l’archevêque d’Alger, les trois généraux de division commandant les trois provinces, les trois préfets et les chefs des services administratifs, judiciaires et militaires. Quel amas de connaissances techniques acquises par la pratique des affaires et par le maniement des hommes ! Les fonctions du conseil supérieur sont strictement définies par le décret du 7 août 1875. Il a mission « d’examiner le projet du budget, l’assiette et la répartition des impôts préparés par les soins du gouverneur-général. » Les procès-verbaux de ses délibérations sont publiés ; ils sont annuellement communiqués aux chambres ; tout le monde en peut prendre connaissance. C’est pourquoi, justement étonné d’avoir si rarement entendu évoquer, au sujet des affaires de l’Algérie, des témoignages, à mon sens, si probans et n’ayant d’ailleurs qu’à demi confiance dans mes propres appréciations et dans mon expérience personnelle, à coup sûr, insuffisante, j’entends m’appuyer de préférence sur les avis de tant de personnages parfaitement éclairés afin de mieux discerner ce qu’il peut y avoir d’acceptable ou d’erroné dans les combinaisons préconisées par la commission budgétaire de la chambre des députés.


II

L’assertion souvent répétée, de 1879 à 1881, qui a servi de point de départ au projet de loi des 50 millions, c’est que l’état ne possédait plus en Algérie une quantité suffisante de territoires propres à être utilisés pour la colonisation et qu’il devenait, par conséquent, nécessaire de se les procurer par achat et, presque tous, au moyen de l’expropriation. Tel n’était pas l’avis publiquement exprimé, au mois de novembre 1877, par le général Chanzy devant les membres du conseil supérieur du gouvernement et qui ne rencontra, de leur part, aucune espèce de contradiction. « Les terres pour la création de nouveaux centres ne manquent point, affirmait-il, quoique l’on persiste à dire le contraire…[13]. D’après les nouveaux documens établis par le service compétent, l’état posséderait environ 554,000 hectares, dont 283,000 susceptibles d’être utilisés directement par la colonisation pour l’établissement de centres ou la création de fermes isolées, et 270,000 hectares situés trop loin des zones de peuplement européen, mais pouvant être utilisés pour des échanges avec les indigènes à déplacer ou à exproprier… Il y a donc assez de terres, avec ce que l’on possède et ce que l’on peut acheter, pour établir environ 10,000 familles et pour créer, au moins, 300 nouveaux centres[14]. » Sur ces données, qui, je le répète, ne furent l’objet d’aucune contestation, le rapporteur de la 3e commission du conseil supérieur (celle de la colonisation), membre élu et délégué de la province de Constantine, concluait à l’adoption d’un crédit de 300,000 francs pour achat de terres. D’après les renseignemens fournis par l’administration à cette commission, le programme général de colonisation a nécessiterait, pour son entière exécution, des achats de terres s’élevant au chiffre total de 8,000,000 de francs ; mais les soultes de rachat du séquestre devant fournir encore une ressource de 5,000,000, la somme de 3,000,000, répartie en dix annuités de 300,000 francs chacune, comblerait la différence et permettrait la réalisation complète du programme. » Voilà des chiffres bien modestes, en comparaison de ceux qui ne vont pas tarder à apparaître. Cependant l’année d’après, en 1878, les propositions du conseil supérieur restent encore les mêmes, et le rapporteur de la commission de colonisation se contente de reproduire encore le chiffre de 300,000 francs pour achat de terres en émettant seulement le vœu qu’il De fût pas, comme il était arrivé l’année précédente, réduit à 100,000 francs sur la demande du ministre des finances[15].

En novembre 1879, c’est-à-dire, juste un an après l’évaluation officiellement donnée par le général Chanzy de la quotité de terres appartenant encore à l’état, cette évaluation se trouvait avoir perdu toute valeur, et les premières paroles prononcées par son successeur, le nouveau gouverneur-général, M. Albert Grévy, accusaient, à tort ou à raison, un état de choses entièrement différent. « La préparation du programme de colonisation pour 1880 révèle, disait M. Albert Grévy, une situation qu’il importe sans plus tarder d’envisager en face. Plus des trois cinquièmes des terres qui doivent constituer les centres projetés n’appartiennent point à l’état. Il faudra les acheter. Les terres domaniales vont manquer à la colonisation. Celles qui restent, par leur dissémination et leur infériorité, ne peuvent former que de faibles appoints…[16]. » Le rapporteur de la commission de colonisation, délégué du conseil-général du département d’Oran, ne corrobore ni ne contredit les affirmations du gouverneur-général. Il reconnaît que, dans les pays où le domaine ne possède plus de terres, les besoins de la colonisation obligeront l’administration à exproprier les indigènes. « Dans ce cas, il y aura lieu, ajoute-t-il avec infiniment de raison, de se préoccuper sérieusement de ce que deviendraient les possesseurs du sol qui ne recevraient pas de compensations territoriales. La majorité des membres de la commission pensait donc qu’il serait bon d’inviter le gouverneur-général à n’autoriser ces expropriations que dans le cas où chacun des indigènes des groupes dépossédés resterait propriétaire d’une étendue de terre qui lui permettrait de vivre « n continuant à se livrer à la culture, ou pourrait s’en procurer ailleurs à l’aide de son indemnité[17]. » C’était là un avis non-seulement inspiré par un honorable sentiment de justice et d’humanité, mais qu’imposait le bon sens et que conseillait une politique tant soit peu judicieuse. Cette même commission faisait également preuve de sagacité quand elle réclamait de l’administration une mesure sollicitée déjà depuis longtemps et qui aurait eu pour effet de mettre à sa disposition les vastes étendues de territoires dont elle se disait dépourvue. Elle conseillait de procéder à la délimitation du domaine forestier, dont une partie pourrait être utilisée pour la colonisation. « Les clairières des forêts formeraient ainsi des emplacemens de villages excellens à tous les points de vue. C’est pourquoi elle ne pouvait trop engager l’administration à presser l’exécution d’un travail pour lequel on inscrit tous les ans au budget des sommes importantes, travail qui ne paraissait pas avoir produit jusqu’à ce jour des résultats de nature à donner une légitime satisfaction aux intérêts de la colonie[18]. » L’administration a-t-elle tenu compte de ce dernier vœu si raisonnable qui, sans bourse délier, aurait mis immédiatement à sa disposition des terrains au moins égaux comme valeur à ceux qu’elle se proposait d’acquérir au prix des formalités de l’expropriation, toujours longues et coûteuses, et, sous le rapport politique, d’une exécution embarrassante quand elle n’est pas dangereuse ? Nous l’ignorons absolument.

Toujours est-il que, sur cette question de l’emploi à faire des terres du domaine, et, en général, sur toutes les questions se rattachant de près ou de loin à la colonisation, les membres du conseil supérieur du gouvernement n’ont jamais manqué d’émettre, à chacune de leur session, en gens pratiques qui se sentaient sur leur terrain, des opinions très judicieuses et très bien motivées. Hâtons-nous d’ajouter, qu’à l’exemple du général Chanzy, M. Albert Grévy a toujours laissé le champ libre à leurs discussions, et qu’après lui M. Tirman a fait preuve, à son tour, de la même largeur d’esprit. C’est pourquoi nous nous trouvons assister, à vrai dire, en les écoutant, à la plus utile des enquêtes. Il s’en faut de quelque chose qu’ils soient habituellement d’accord. Des divergences assez frappantes se font jour, non-seulement entre les membres élus, mais quelquefois aussi parmi les fonctionnaires du conseil. Il n’est pas rare de voir les trois préfets émettre des appréciations fort différentes, ce qui tient évidemment aux circonstances particulières à chacun de leurs départemens. Je n’oserais même pas dire qu’ils montrent toujours une déférence parfaite pour l’autorité centrale sous la direction de laquelle ils sont placés. Mais qu’importe ! si le prestige de la hiérarchie y perd un peu, l’indépendance des opinions y gagne beaucoup ; c’est tout profit. Chacun paraît d’ailleurs de très bonne foi et ne se fait point scrupule, pour appuyer son dire, de produire une foule de faits qui sont autant de révélations très instructives, les plus curieuses et souvent les plus piquantes du monde. Comment n’éprouverais-je pas quelque plaisir à puiser dans cet arsenal des armes simples, bien trempées, faciles à manier, et qu’on dirait forgées exprès pour défendre la cause du bon sens ? D’année en année, le conseil supérieur semble, en effet, se mieux dégager des systèmes préconçus, rompre avec les combinaisons trop compliquées et se rallier enfin à des idées pratiques vraiment libérales et de tous points conformes aux données de nos temps modernes.


La conviction qu’on s’y était toujours mal pris pour attirer et retenir dans notre colonie les immigrans français est si forte chez les vieux Algériens du conseil supérieur, qu’en apprenant l’extension qu’on se préparait à donner à la colonisation officielle, ils redoutent, avant tout, de voir l’administration continuer ses anciens erremens. « Qu’il me soit permis de dire, s’écrie l’un d’eux, délégué du conseil général de son département, que la cause principale de l’échec jusqu’à ce jour de la colonisation doit être attribuée aux créations de villages et surtout au choix des colons. Quand un village est créé, qui prend-on pour le peupler ? Le premier venu, n’ayant le plus souvent d’autre titre à l’obtention de cette faveur que le crédit d’un protecteur ; comme il ne dispose même pas des ressources nécessaires à la création d’un gourbi, il est obligé d’emprunter, généralement à un taux très élevé, pour pourvoir à ses besoins les plus urgens et, dès la première année, le village présente les caractères de la décrépitude, pour disparaître à bref délai[19]… » Que l’on examine l’état des choses dans chaque centre, et l’on verra, continue un autre délégué de département, combien il en reste, comme propriétaires définitifs, de ceux à qui l’on a imposé la résidence. La plupart d’entre eux, sitôt après l’expiration de leurs cinq ans, se sont empressés de vendre leur concession et de quitter le village. Si l’on fait à cet égard une statistique, elle sera curieuse et fertile en enseignemens. On semble craindre que la spéculation ne s’en mêle. Quel inconvénient y aurait-il à cela ? C’est avec la spéculation que l’on fait les grandes choses ; c’est par elle que les Américains sont parvenus à peupler leur immense territoire[20]. »

Dès le début et sitôt qu’elle est mise en mesure de se prononcer sur la préférence à donner soit au système, des concessions gratuites, soit à la vente des terrains, la très grande majorité du conseil supérieur, et particulièrement ses membres élus, inclinent visiblement à trouver la vente préférable : « Il leur semblerait désirable que le colon payât la terre moins cher qu’elle n’aura coûté à l’état, mais qu’il la payât. » Ils entendent laisser au gouverneur-général a la faculté de faire procéder à cette vente, suivant les circonstances. soit par la voie de l’adjudication publique, qui, ayant le mérite de ne laisser aucune place ni à la faveur, ni à l’intrigue, devra être la règle générale, soit à bureau ouvert et de gré à gré. » Ils déclarent enfin : « qu’il convient de décider que l’attribution, même par voie de concession gratuite, conférera immédiatement à l’attributaire la propriété de l’immeuble, sans condition suspensive, et que le titre définitif de propriété lui sera délivré au moment de la mise en possession[21]. C’étaient là autant de mesures excellentes.

Au cours de la session de 1880, c’est encore un délégué des conseils-généraux qui est chargé par ses collègues de présenter au conseil supérieur le rapport de la commission de colonisation, et ses conclusions ne sont pas différentes de celles adoptées l’année précédente. Avec la clairvoyance d’hommes placés sur les lieux, les membres de la commission doutent beaucoup que le programme trop vaste qu’on leur a soumis puisse être appliqué dans le courant de l’année. C’est pourquoi « ils expriment le désir de voir l’administration concentrer ses forces sur des points déterminés, afin de ne pas disséminer les ressources sur un trop grand nombre de créations qui resteraient forcément inachevées. Il s’agit d’installer les colons dès qu’ils arrivent, et de ne pas leur laisser perdre leur temps et leur argent dans l’oisiveté d’un séjour prolongé dans les villes en attendant une installation qu’une entreprise trop précipitée n’aurait pas permis de faire à temps[22]. » A propos de la résidence obligatoire, le rapporteur de la commission admet parfaitement « que le concessionnaire ait la latitude d’installer en son lieu et place une famille autre que la sienne, pourvu que cette famille soit française. Ce que la commission ne veut pas, c’est que la terre reste inhabitée et que le colon ait la faculté de se retirer après avoir loué la concession aux indigènes, » ce qui amène un autre membre du conseil, délégué, lui aussi, par son conseil-général, à faire cette très raisonnable observation « qu’en matière de colonisation, il n’est pas possible d’adopter une règle uniforme, et qu’il faudrait presque autant de systèmes qu’il y a de zones différentes en Algérie[23]. »

En 1881, ces mêmes questions sont encore reprises, mais serrées de plus près. Cette fois, c’est le préfet de Constantine qui sert d’organe à la commission de colonisation. Il rappelle dans son rapport que « des étendues considérables de terres ont été, depuis 1871, livrées gratuitement à la colonisation, mais les résultats de la gratuité n’ont pas été heureux, » et la majorité de la commission estime « qu’il y a lieu de supprimer ce dernier système et de n’admettre désormais que celui de la vente[24]. » Enfin : « Considérant les divergences d’appréciations qui se sont produites au sujet des résultats obtenus parle système de la concession gratuite, » le préfet de Constantine estime « que, pour sortir de cette incertitude, il fallait prier l’administration de faire établir, à bref délai, des documens précis propres à fixer l’opinion. » Jusqu’à présent, continue-t-il, « on s’est contenté de nous dire ce qu’on ferait chaque année, sans parler de ce qu’était devenue l’œuvre des années précédentes. » Il serait donc « nécessaire de dresser une statistique complète de la colonisation en Algérie. Cette statistique devrait porter le nom de chaque village créé depuis dix ans, le nombre de feux qu’il comprenait, le nombre des colons évincés avant l’obtention de leur titre définitif, le nombre de ceux qui ont vendu leur propriété après l’obtention de ce titre, le nombre des colons primitifs résidant actuellement, et, enfin, parmi ces derniers, le chiffre de ceux qui cultivent eux-mêmes leurs terres. En ajoutant à ces renseignemens le prix moyen de l’installation d’une famille durant cette période, il deviendra possible de juger des résultats en parfaite connaissance de cause[25]. »

Le secrétaire-général du gouvernement, remplaçant M. Albert Grévy pendant son absence, était loin de convenir de la nécessité d’une pareille enquête ; il paraissait croire que les documens et les chiffres fournis par l’administration suffiraient à mettre le conseil supérieur en mesure de se rendre compte du véritable état de choses. Mais tel n’est point l’avis de l’un des membres élus de ce conseil. « Il était frappé de la complète divergence de vues existant entre le secrétaire-général et les délégués des départemens, divergence qui s’expliquait, en y réfléchissant, par la différence des situations. Nous, les délégués, disait-il, nous vivons dans les provinces, c’est-à-dire dans les parties du pays où la colonisation se commence ; nous y sommes sans cesse en contact avec les populations que nous représentans. Nous assistons à la pénible lutte pour l’existence que soutiennent les colons. Nous entendons leurs plaintes et nous pouvons constater que, si elles sont parfois exagérées, le plus souvent, prises dans leur moyenne, elles sont exactes et fondées. Après avoir vu créer un village, nous assistons quelquefois à son développement, mais souvent aussi à sa non-réussite… Pour un fonctionnaire qui passe sa vie dans un milieu de bureau, c’est dans son cabinet, sur le vu de jolis états bien alignés, qu’il se fait une opinion. Quoi d’étonnant s’il en arrive vite à penser qu’il y a des gens bien difficiles à satisfaire, puisqu’ils ne se déclarent pas tout à fait contens, alors cependant qu’on ferait cette année tant de villages et, l’année d’après, encore beaucoup plus de villages ? Eh bien ! oui, il y a des gens que cela ne contente pas absolument, et nous sommes de ces gens-là, parce qu’il ne suffit pas de faire de la colonisation officielle sur le papier, en énumérant avec complaisance et parti-pris d’optimisme des projets qu’ensuite on ne réalise guère, il faut aussi et surtout s’occuper de faire réussir ce qu’on a entrepris. Or c’est à quoi le système de la colonisation officielle, basé sur les concessions gratuites, n’arrive pas. Il y a plus, c’est que, si on doit juger de l’avenir de ce système par les résultats qu’il a donnés depuis qu’on l’applique, cet avenir serait extrêmement sombre. » Puis vient aussitôt sur les lèvres du délégué l’énumération détaillée d’une foule de faits propres à confirmer son dire :


Au village d’Ain-Yagout, sur 28 lots donnés, il reste 3 familles comprenant en tout la habitans. A Fontaine-Claude, sur 29 lots, il reste 3 familles, comprenant en tout 8 habitans ; une seule maison a été construite à Ain-Mazuela ; il reste 4 familles comprenant 6 habitans, et il n’y a pas une seule maison construite. A Ain-Zsar, livré à la colonisation en 1830 et qui comporte 10 lots, il n’y a pas encore un seul habitant ; personne ne s’est rendu sur les lots attribués. A Beni-Addi, le même fait se représente ; on est obligé de mettre les colons en demeure de se rendre sur les lots qui leur sont attribués. Si l’on remonte plus haut comme date de création, on trouve qu’à Oued-Sedjar, contrée traversée par le chemin de fer, où les terres sont excellentes, où il y a des sources et des puits, sur 50 lots de fermes qui ont déjà été attribués, il y a déjà plus de la moitié des attributaires qui, faute de ressources, ont loué leurs terres aux Arabes. A Seljar-Foulcani, pays de bonnes terres et de sources, sur 6 attributaires de fermes, 4 ont déjà loué aux indigènes. A Sedjar-Lautoni, terres à céréales, les attributaires ont abandonné leurs lots de ferme. A Sbir-Debatcha, dix fermes dont la situation est à peu près perdue. A Baklach, 6 fermes de 70 à 100 hectares, que les attributaires ont louées aux indigènes. A Bled-Youssef, pays sain, terre d’une fertilité exceptionnelle, — lots de 25 à 40 hectares, — sur 34 attributaires, il en reste 12 ; les autres ont vendu leurs lots à vil prix et ont abandonné le pays ; les maisons commencées tombent en ruines. A Bou-Malek, dans de bonnes terres où l’on avait attribué 25 lots de ferme, les concessionnaires ont, pour la plus grande partie, vendu leurs fermes et quitté le pays ; il ne reste actuellement que 8 familles. A Coulmiers, 14 lots de 50 à 60 hectares ont été attribués. Les attributaires ont abandonné les lieux pour louer aux Arabes… En présence d’une situation aussi déplorable, osera-t-on dire que le système de la colonisation officielle, suivi jusqu’à ce jour, doit être continué sans aucun changement… et que les 50 millions qui vont être généreusement consacrés par la mère patrie à la création de nouveaux centres pourront être employés à donner des résultats aussi négatifs ?… Ce système doit être condamné, d’abord parce qu’il oblige le colon à s’aller installer sur une terre qu’il n’a pas choisie, dans un pays dont les conditions de culture ne correspondent pas à ses habitudes, mais surtout, à cause de la marche suivie pour le choix des attributaires… Tout le monde sait que, dans la concession des lots, la faveur a bien plus d’influence que le mérite. Tout le monde sait que l’on est bien plus sûr de réussir avec la recommandation d’un ministre, d’un député, d’un conseiller-général ou même d’un simple ami de nos autorités, qu’avec la qualité de chef de famille ayant des ressources et possédant l’expérience des procédés agricoles. La vérité en tout ceci est que pour conserver entre leurs mains un moyen d’influence, nos gouvernans, par leurs erreurs, portent à la colonisation des coups mortels. Il en serait tout autrement si l’on vendait les terres[26].


A la suite d’une discussion un peu confuse, le conseil supérieur maintient le vote antérieur par lequel il avait donné plein pouvoir à l’administration pour disposer à son gré des lots de villages, soit en les vendant, soit en les concédant gratuitement ; mais, pour ce qui regarde les lots de fermes, il adopte en même temps une proposition qui stipule formellement « qu’ils seront mis en vente par la voie des enchères publiques[27]. »

A sa dernière séance, le conseil supérieur n’apprend pas sans un très vif étonnement, par un rapport de sa commission des travaux publics, que « l’administration n’est pas en état de présenter un projet nettement déterminé pour l’emploi de la première annuité de ce grand programme de colonisation dont on a si souvent annoncé l’étude et qu’elle s’est bornée à mettre en ligne les chiffres des exercices antérieurs sans même donner une raison sérieuse pour justifier ces chiffres-là plutôt que d’autres[28]. » Dans cette situation, la commission, qui n’a reçu aucun devis émané des architectes des trois départemens, parce que ces architectes eux-mêmes n’ont pas connaissance du crédit de 1881 pour les travaux qu’ils pourront être chargés d’exécuter en 1882 et en 1883, propose au conseil supérieur « de signaler d’une façon toute particulière au gouverneur-général la marche défectueuse actuellement suivie dans l’établissement des prévisions de travaux de colonisation ; elle lui recommande expressément de faire, dès à présent, préparer les programmes et les projets avec tout ce qu’il faudra employer de personnel et de crédits pour les mener rapidement à bonne fin[29].

III

Avant qu’avis eût été donné officiellement à Paris du vote qui venait de clore la session du conseil supérieur, une nouvelle évolution ministérielle avait lieu au siège du gouvernement de la mère patrie. Le président du conseil, M. Gambetta, trouvant tout à coup que la réunion dans les mêmes mains des pouvoirs civils et militaires n’avait plus sa raison d’être, rendait son indépendance au commandant du 19e corps d’armée et plaçait même directement sous ses ordres les indigènes établis en territoires militaires. C’était un recul sur d’autres mesures qui avaient rencontré grande faveur de l’autre côté de la Méditerranée. Un autre décret de la même date (26 novembre 1881) nommait le conseiller d’état, M. Tirman, gouverneur-général de l’Algérie. Mais, deux mois plus tard, M. Gambetta n’était plus président du conseil, et lorsqu’il ouvrit la session de novembre 1882, M. Tirman était en mesure d’annoncer aux membres du conseil que, grâce au dévoûment connu du général Saussier pour le principe du gouvernement civil, l’administration avait définitivement recouvré sa pleine et entière autorité sur les populations indigènes des territoires de commandement. Il se félicitait aussi d’avoir obtenu quelques modifications au système des rattachemens, attendu que de nouvelles délégations lui avaient été données par les titulaires des divers départemens ministériels et que la disposition du budget de l’Algérie lui avait été rendue. Etait-il toutefois bien fondé à vanter « l’organisation nouvelle comme ayant le grand avantage de rétablir la vérité du régime parlementaire, parce qu’elle attribuait, suivant lui, à chaque ministre la responsabilité de ses actes personnels ou des actes de son délégué[30] ? » Le contraire était bien plus près de la vérité. A la responsabilité, déjà bien fictive, mais du moins concentrée sur une seule tête, du ministre de l’intérieur, chargé, pour la forme, de présenter et de défendre le budget de l’Algérie, cette innovation a substitué la responsabilité non moins fictive et indéfiniment disséminée de chacun des ministres venant inscrire à la suite des dépenses affectées aux services de son département celles qu’il lui faut consacrer à l’Algérie et qui ne figurent dans un dernier chapitre spécial que par acquit de conscience, comme une sorte de post-scriptum sans importance. En fait, cet éparpillement des responsabilités équivaut, au point de vue parlementaire, à une complète suppression. Dans de pareilles conditions, toute discussion sérieuse à propos de l’Algérie devient absolument illusoire. Les sénateurs et les députés restent encore libres, il est vrai, de prendre à partie tel ou tel ministre, son sous-secrétaire d’état ou quelque chef de service sur un détail administratif insignifiant, mais si, au lieu de vouloir traiter quelques points particuliers, ils entendent critiquer d’une façon générale l’excellence des mesures qui, prises isolément par chaque ministre, n’en constituent pas moins l’ensemble du système appliqué à notre colonie, ils ne trouvent plus personne devant eux. De bonne foi, à qui pourraient-ils bien s’en prendre ? Ils sont d’avance assurés d’être infailliblement renvoyés de l’un à l’autre.

Les modifications dont M. Tirman a parlé, lors de son début, avec une certaine complaisance, sur laquelle il est peut-être déjà revenu, n’ont jamais rencontré dans notre colonie qu’une réprobation à peu près universelle. « En vérité, dit un auteur algérien que nous avons déjà eu plaisir à citer parce qu’étranger à la politique, il a gardé envers tous les partis sa libre façon de penser, en vérité, nous ne pouvons approuver ces modifications, car nous ne voyons pas quel profit en retirera l’Algérie. Nos affaires étant divisées entre huit ou dix ministères en seront-elles mieux faites ? Il est impossible de l’affirmer. Elles échapperont au contrôle des Algériens et à l’action du gouvernement général pour tomber souvent entre les mains de fonctionnaires subalternes incapables de résister à des influences parlementaires ou autres… On pourrait trouver un ministre de l’Algérie compétent, mais on ne saurait admettre a priori que le corps des ministres le soit. A tous les points de vue, les décrets de rattachemens sont condamnables. C’est une œuvre mort-née, faite en dehors du parlement, en dehors des Algériens, et nous sommes bien tranquilles sur les suites de l’essai loyal qu’on en veut faire. C’est du temps perdu, voilà tout[31]. » Dans un autre passage de son livre, le même auteur ajoutait que « l’inconvénient de ces mesures était double parce que la solution des affaires en était retardée et parce que cette solution était loin d’être toujours conforme à la logique. Les représentans algériens ne sont que trois au sénat et six à la chambre des députés, et jusqu’à présent ils ont rarement réussi à être écoutés et à faire accepter leurs opinions. Eux-mêmes ne sont pas toujours au courant de questions qui ont parfois changé d’aspect et qu’ils ne peuvent suivre de loin. Enfin ils sont portés, cela est assez naturel, à centraliser le plus possible les affaires à Paris, de façon que tout ce qui intéresse l’Algérie leur passe par les mains et qu’ils jouent le rôle de grands dispensateurs. »

Ce qui importe encore plus pour l’avenir de notre colonie que l’opinion théorique de M. Tirman à propos des rattachemens, c’est le développement qu’en 1882 il se proposait de donner à la colonisation, dont l’essor (ainsi qu’il a bien voulu le reconnaître lui-même) avait été momentanément arrêté. Ses vues à ce sujet ne diffèrent pas essentiellement de celles de ses prédécesseurs. Comme eux, il signale l’insuffisance des terres appartenant à l’état et susceptibles d’être utilement attribuées à de nouveaux concessionnaires ; cependant, au lieu d’assertions assez vagues dont on n’était pas sorti, il apporte cette fois, conformément au vœu exprimé dans la dernière séance du conseil supérieur de 1881, des chiffres précis constatant, suivant lui, le véritable état des choses. Ces chiffres sont relatés dans deux documens officiels, d’origine, je crois, différente, mais qui ont paru presque en même temps. L’un est la Statistique générale de l’Algérie, années 1879 à 1881 ; l’autre l’Exposé de la situation générale de l’Algérie, présenté par M. Tirman lui-même à l’ouverture de la session 1882. La véracité de ces tableaux, qui indiquent le nombre, la contenance et la valeur des propriétés immobilières appartenant à l’état en Algérie, ne peut donner lieu à aucune contestation. Voici ce qu’on y trouve : « En 1881, les immeubles consignés sur les sommiers de consistance des biens du domaine se répartissaient ainsi qu’il suit : immeubles non affectés à des services publics, 10,431 parcelles d’une superficie totale de 865,635 hectares, d’une valeur présumée de 41,815,774 francs[32]. Ce qui peut donner lieu à quelques doutes, ce sont les inductions qu’en veut tirer M. Tirman. Assurément, une notable partie des 865,635 hectares appartenant à l’état n’est point utilisable pour la colonisation, le bon sens le dit, et les personnes qui connaissent l’Algérie sont prêtes à en convenir avec lui. Mais comment est-il arrivé à établir que les portions susceptibles d’un emploi réellement efficace soit par voie d’affectation directe, soit pour des échanges avec les indigènes, ne dépassent point le chiffre rond de 300,000 hectares (je me défie toujours des chiffres ronds), alors qu’en 1878 le général Chanzy estimait que, dans la seule province de Constantine, on pouvait disposer de 448,558 hectares ? Il valait la peine d’entrer dans quelques détails et de produire, à ce sujet, des chiffres positifs. Ce qui cesse absolument d’être compréhensible, c’est que, la valeur totale des immeubles non affectés du domaine ayant été présumée se monter à 41,815,744 francs, et celle des 300,000 hectares propres à être aliénés n’arrivant plus, d’après l’estimation de M. Tirman, qu’à 18 millions, il n’a pas seulement songé à porter à l’avoir de l’administration algérienne la différence entre ces chiffres, c’est-à-dire 23,815,774 francs : la somme n’est pas minime. Ce n’est pas tout. Outre ses immeubles, l’état possède en Algérie des bois et forêts d’une contenance de 785,525 hectares évalués à 68,039,572 francs, et nous avons appris, d’après un rapport présenté, en 1879, par la commission du comité de colonisation, « que les clairières des forêts formeraient des emplacemens excellens à tous les points de vue, et que si la délimitation du domaine forestier réclamée depuis longtemps était menée à bonne fin, elle mettrait de vastes territoires à la disposition du gouvernement[33]. »

Voilà donc, en terres et en argent, des ressources importantes qui sont complètement négligées, sans compter celles non moins considérables que, dans leurs délibérations antérieures, les membres du conseil supérieur avaient eu soin d’indiquer à la sollicitude de l’administration. Nous ne faisons pas seulement allusion au produit que donnera certainement la vente des lots de villages et de fermes, substituée à la concession gratuite ; nous entendons parler de la constitution de la propriété individuelle chez les indigènes, mesure doublement profitable, car elle doit avoir, à la fois, pour effet de faire rentrer l’état dans la possession de beaucoup de terrains indûment attribués à des tribus arabes, et d’ouvrir une large voie à l’acquisition du sol algérien par les Européens. L’attention du gouverneur-général s’est, il est vrai, portée d’elle-même à l’avance sur cette tâche délicate. Il n’a pas hésité à reconnaître qu’entreprise depuis 1873, elle n’avait pas encore donné des résultats proportionnés aux sacrifices qu’elle avait nécessités. En effet, neuf années s’étaient écoulées et, au 30 juin 1881, les titres de propriété n’avaient encore été délivrés que dans 44 douars, comprenant une superficie de 220,070 hectares[34]. C’est pourquoi, en ouvrant la session du conseil supérieur de 1882, M. Tirman avait pris soin d’annoncer à ses collaborateurs qu’une commission spéciale venait d’être chargée d’examiner les modifications que la loi de 1873 était susceptible de recevoir. Ce travail allait être immédiatement soumis au conseil supérieur, et ses membres pouvaient être assurés de l’empressement que mettrait l’administration à chercher, d’accord avec eux, le système le plus simple, qui, « tout en apportant le moins de trouble dans la propriété existante, permettrait d’arriver le plus rapidement possible au but » que tous les amis de l’Algérie « désiraient ardemment atteindre[35].

Réviser les parties défectueuses de la législation de 1873 et remplacer quelques-unes de ses clauses un peu compliquées et confuses par des dispositions plus claires et d’une mise à exécution plus facile, tel fut, en effet, le problème ardu dont la solution a occupé les dernières et les plus importantes séances de la session de novembre 1882. La commission spéciale, composée de personnages les plus compétens, le premier président de la cour, le procureur-général, un conseiller du gouvernement, le directeur des domaines, et le bâtonnier de l’ordre des avocats d’Alger, n’ayant pu se mettre d’accord, elle apportait trois rapports distincts aboutissant à des conclusions différentes entre lesquelles il fallait se prononcer. L’embarras était grand, et les avis furent très partagés parmi les membres du conseil supérieur. Comment n’auraient-ils pas hésité quelque peu en présence des assertions contradictoires produites devant eux par les premières autorités du pays ? Sur la convenance de rendre les terres indigènes disponibles pour la colonisation, l’entente était complète ; les divergences ne s’accusèrent très profondes qu’au sujet des moyens à employer pour arriver à ce résultat. Somme toute, comme chacun reconnaissait qu’il y avait avantage à introduire quelques modifications de détail dans l’économie générale de la loi, le conseil supérieur décida d’en renvoyer l’examen à une nouvelle commission choisie, cette fois, tout entière dans son propre sein. A l’exception du général commandant la division d’Oran, elle ne comprenait que des membres délégués des trois conseils-généraux de département, et aucun des légistes ayant fait partie de la première commission n’y avait trouvé place. Ses conclusions, déposées le 9 décembre 1882, ne proposaient de changemens de rédaction d’une réelle importance que sur les points au sujet desquels toutes les opinions s’étaient trouvées réunies. Ces modifications partielles tendaient « à réaliser une meilleure répartition des terres entre les ayants droit indigènes, afin de hâter le moment où d’honnêtes et fructueuses transactions pourraient s’engager entre eux et les Européens. Elles avaient aussi pour but de faire cesser certaines opérations regrettables que le texte de la loi de 1873, incomplet suivant les uns, ou mal interprété selon d’autres, avait permis d’entreprendre depuis sa promulgation[36]. »

Pendant la discussion engagée à la suite du rapport, et qui ne prit qu’une seule séance, les membres du conseil eurent grand soin de ne pas traiter trop longuement les questions purement théoriques précédemment élevées au sujet de la distinction à établir entre les propriétés possédées au titre arch, et celles possédées au titre melk. Ces appellations arabes ayant jeté la confusion dans les arrêts des tribunaux, on convint que la langue juridique n’admettrait plus désormais d’autre dénomination que celles de terres possédées, les unes à titre individuel, les autres à titre collectif, et chacun y ayant ainsi mis du sien, le projet de loi élaboré par la commission fut définitivement adopté par les membres du conseil supérieur. Les sages transactions étaient, de vieille date, entrées dans leurs habitudes. Ils étaient gens de trop d’expérience pour vouloir tirer des principes qu’ils adoptaient leurs conséquences extrêmes. Telle était également la disposition d’esprit du nouveau gouverneur-général. Déjà, l’occasion lui avait été donnée de faire preuve de la judicieuse réserve qu’il entendait garder dans l’application des mesures dont l’exécution lui serait confiée. Au cours des récens débats sur la constitution de la propriété indigène, les deux généraux commandant les divisions militaires d’Alger et d’Oran avaient dû faire remarquer que, si l’indivision des terres devait cesser partout à la fois, il en résulterait pour certaines tribus algériennes une irréparable injustice. Ces tribus, improprement appelées nomades, étaient obligées de parcourir de vastes espaces et de se déplacer fréquemment afin de pourvoir à la nourriture de leurs troupeaux, leur unique richesse, le retour des saisons les ramenant d’ailleurs toujours aux mêmes lieux. Pour elles, la division de la propriété, c’était la ruine. A ces sages observations M. Tirman n’avait point manqué de répondre, avec l’assentiment des membres du conseil supérieur, qu’il n’y avait nulle inquiétude à concevoir sur le sort de ces tribus. « C’était à lui, d’après les termes mêmes de la loi, qu’il appartenait de désigner les circonscriptions territoriales dans lesquelles il devra être procédé aux opérations prescrites pour la constitution de la propriété. L’administration avait donc le droit et, par conséquent, le devoir de ne pas appliquer la loi là où cette application serait rendue impossible par les conditions mêmes de l’existence des indigènes[37]. »

Prendre d’infinies précautions afin de ne pas froisser les sentimens, les habitudes, les préjugés, si l’on veut, des 2,500,000 musulmans que nous comptons comme sujets en Algérie, et de leurs 1,500,000 coreligionnaires dont le protectorat de la Tunisie va nous confier la direction et la responsabilité, voilà quelle devrait être, pour de longues années, l’une des principales préoccupations de la politique de la France surtout au moment où, elle semble aspirée à prendre un peu partout le rôle de grande puissance coloniale. De notre attitude vis-à-vis de la population arabe de l’Algérie on peut dire avec raison qu’elle a passé par des phases bien diverses. Un temps est venu après la guerre, où nos généraux qui avaient légitimement pris la haute main dans la direction des affaires de notre colonie africaine, se sont, avec la générosité naturelle à notre race française, laissés aller à témoigner une prédilection presque avouée pour des adversaires qu’ils avaient glorieusement vaincus. L’empereur partagea leur engouement, et de là cette vision éphémère du royaume arabe. Depuis 1871, depuis surtout qu’à Alger l’autorité supérieure a été remise à un gouverneur d’origine purement civile, une réaction évidente s’est produite. Elle s’est encore accentuée dans ces derniers temps à la suite de la mesure dont se félicitait naguère M. Tirman et qui a placé tous les indigènes indifféremment sous la dépendance d’agens également civils. Nos préfets et nos sous-préfets envoyés de France et continuellement renouvelés tous ces nombreux commissaires civils qu’il a fallu recruter à la hâte parmi un personnel assez défectueux, afin d’administrer les immenses territoires soustraits du jour au lendemain dans le Tell à la domination militaire, connaissent peu les mœurs, les habitudes et les dispositions d’esprit des tribus arabes qu’ils sont appelés à gouverner. Ils sont loin d’être animés à leur égard des sentimens de complaisance (les malveillans ont dit de fâcheuse partialité) qu’on a reproché à nos généraux et aux officiers des bureaux arabes d’entretenir pour leurs administrés indigènes. A coup sûr, il n’est pas à craindre que les ordres des nouveau-venus qui les remplacent ne soient pas obéis. Partout où elle a été jusqu’à présent appliquée, la transition d’un régime à l’autre s’est, en effet, opérée sans difficultés apparentes et sans troubles appréciables. Mais si l’obéissance n’a point fait défaut, le prestige, il faut en convenir, manque absolument à ces administrés en frac qui ont la malchance ; aux yeux d’une population guerrière fort sensible aux manifestations extérieures de la puissance matérielle, de n’être pas revêtus de cet uniforme militaire qui a toujours été pour elle le signe du commandement. Il est donc impossible, étant données les circonstances que je viens d’indiquer de n’être pas quelque peu effrayé de la mise à exécution sur une très grande échelle, si la loi des 50 millions est adoptée, de mesures qui, bien plus que celles présentées pour la constitution de la propriété indigène, sont de nature, dans le cas où elles ne seraient pas appliquées avec d’extrêmes précautions, à causer une grande perturbation dans nos possessions ? algériennes et à susciter parmi les indigènes les germes d’un profond mécontentement. Je veux parler des expropriations qu’il faudrait bientôt prononcer en masse pour l’établissement des trois cents nouveaux centres projetés.

Sur cette question qui est devenue le véritable champ de bataille, où se heurtent les opinions les plus opposées, je voudrais, comme pour celles que j’ai touchées jusqu’à présent, me garder de toute exagération. Fidèle à la règle que je me suis tracée par une juste défiance de mes impressions personnelles, je citerai cette fois encore et de préférence les témoignages d’hommes plus compétens que moi qui ont l’avantage de voir les choses de près. « Avec le système qu’on nous propose, disait dernièrement un membre da conseil supérieur faisant fonction de conseiller du gouvernement, vous n’aurez plus bientôt de terres disponibles ; tout disparaîtra ; cependant elles vous sont nécessaires ; pour continuer l’œuvre de la colonisation, il vous faudra les acheter en ayant recours à l’expropriation… Or nous savons tous que cette mesure de l’expropriation froisse profondément tous les sentimens des indigènes, et que cette épée de Damoclès, constamment suspendue sur leurs têtes, est pour eux une cause d’irritation qui peut, dans certains cas, amener des troubles graves[38]. »

Il y aurait injustice à ne pas se rappeler certaines explications rassurantes données dans cette même session par le gouverneur général actuel. Nous ne doutons pas que, s’étant publiquement engagé à ne pas étendre « les opérations prescrites pour la constitution de la propriété aux territoires où l’application de la loi serait rendue impossible par les conditions mêmes de l’existence des indigènes, » il évite à plus forte raison d’user dans ce même territoire du droit d’expropriation. Il ne peut certainement lui venir à l’idée de recourir à l’expropriation que pour les contrées situées dans le Tell, les seules où l’administration se propose de créer actuellement les nouveaux centres. Mais, là même, il y a des différences essentielles à établir. Agir en Kabylie et dans les pays habités par les populations d’origine berbère comme avec les tribus de sang purement arabe serait fort imprudent. Dans les montagnes de la Kabylie et partout où domine la race berbère, la propriété collective est à peine connue, tandis que la propriété individuelle y est morcelée à ce point que la récolte des fruits d’un même arbre doit parfois se partager entre plusieurs individus. Les conséquences d’un pareil état de choses n’étaient point pour échapper à la clairvoyance de M. Tirman, qui en a tenu compte dans les instructions qu’il a, par l’intermédiaire de ses préfets, fait parvenir aux membres des commissions locales dites « commissions des centres » chargées dans chaque arrondissement de contrôler, sur les lieux mêmes, les créations de villages proposés par l’administration. « Il ne faut pas perdre de vue, écrit le gouverneur-général, que, si l’administration a le devoir de faciliter l’installation en Algérie d’une nombreuse population française, elle n’en a pas moins à respecter les intérêts de la population indigène. Nous ne devons songer à livrer au peuplement français d’autres terres que celles constituant en quelque sorte le superflu des détenteurs actuels, et amener ainsi sinon une fusion complète, tout au moins une juxtaposition profitable à tous[39]. Voyons maintenant quel pouvait être, non pas d’une extrémité de l’Algérie à l’autre, mais dans les localités d’un même département (celui d’Alger par exemple), l’effet très différent produit sur les indigènes par la perspective de l’expropriation. « Si l’on veut coloniser largement la Kabylie, affirmait le rapporteur de la commission des centres pour l’arrondissement de Tizi-Ouzou, sans reculer devant les mesures indispensables au succès de la colonisation et à la sécurité du pays, il faut transporter en masse les indigènes dépossédés loin de leur pays d’origine et leur ôter tous moyens d’y revenir. Cette mesure devrait s’appliquer, sans distinction, tant aux Kabyles qui ont fait preuve d’hostilité contre nous qu’à ceux qui n’ont témoigné aucune haine, mais chez qui cette haine se développera par le seul fait de la dépossession dont ils seront victimes… Dans le cas où l’on adopterait un programme de colonisation plus restreint, les premiers territoires à coloniser seraient ceux qui ont été précédemment étudiés par les commissions des centres ; cette population, dont le chiffre ne s’élève pas à moins de 10,000 âmes, est précisément celle qui nous est le plus hostile ; il y aura donc nécessité de la transporter loin de la Kabylie pour qu’elle n’y répande pas la haine contre la France[40]. »

Mais voici que, dans d’autres arrondissemens relevant aussi de la préfecture d’Alger, les dispositions des indigènes semblent être entièrement différentes. Aux environs d’Affreville, région où le gouvernement se propose de fonder plusieurs villages, il est avéré, si l’on s’en fie aux témoignages des personnages les plus considérables et les plus dignes de foi, que les Arabes détenteurs du sol et dont la propriété a été définitivement constituée à la suite de l’enquête, n’aspirent qu’à voir ces villages fondés le plus prochainement possible. Les plus aisés se sont rendu compte que, s’ils sont expropriés d’une partie de leurs terres, la valeur de celles qui leur resteront en sera considérablement augmentée ; quant à ceux dont les modestes parcelles pourraient être intégralement absorbées par la création des centres nouveaux, ils comprennent aussi parfaitement qu’avec le prix qu’ils en tireront, ils seront mis à même de s’en procurer d’autres aux environs, dont la croissante plus-value ne tardera pas à les indemniser largement. Nous croyons volontiers que cette façon d’envisager la situation qui leur est faite se généralisera chez les indigènes en proportion de la fréquence de leurs contacts avec la population européenne. Il y a déjà progrès marqué sous ce rapport. Ce ne sera pas en vain, il faut l’espérer, que, dans son dernier discours au conseil supérieur, M. Tirman aura promis « de n’avoir recours à l’expropriation qu’après avoir assuré aux anciens propriétaires des ressources équivalentes aux sacrifices qui leur seront demandés. » Certaines lenteurs dans le paiement des indemnités dues pour expropriation et quelques abus qu’il a regrettés et dénoncés lui-même ne seront plus pour se reproduire, si nous en croyons la réponse, qu’au mois de février dernier, le ministre de l’intérieur de cette époque s’est fait un devoir d’adresser, par l’intermédiaire de son secrétaire d’état, à la commission du sénat, qui lui avait renvoyé la pétition d’un ancien caïd arabe. Des développemens dans lesquels M. Develle est entré à ce sujet il résulte « que les indigènes expropriés ne sont pas, comme plusieurs personnes étaient portées à le supposer, à la merci d’un jury exclusivement compose d’Européens et, par conséquent, supposé partial. Même en cas d’urgence, ils ont toujours le droit de porter leurs réclamations, d’abord devant le président du tribunal, ensuite devant le tribunal lui-même, qui ont seuls qualité pour régler les divers intérêts en cause et désigner les experts chargés d’estimer les immeubles et de déterminer les sommes à consigner[41]. » Quant à la valeur attribuée jusqu’à présent aux terres que l’administration a dû se procurer pour la colonisation, le tableau dressé par ses soins établit que l’hectare acheté à l’amiable, de gré à gré, pour la colonisation, lui aurait coûté en moyenne un peu moins de 49 francs, tandis qu’elle aurait payé plus de 56 francs les terres acquises par l’expropriation. Depuis cette époque, les terres ont dû augmenter de valeur, mais je n’ai pas ouï dire qu’il y ait eu rien de changé et que les proportions indiquées aient été modifiées. Voilà, autant qu’on peut s’en rapporter aux moyennes, de quoi faire tomber beaucoup de préventions. A propos de l’expropriation des indigènes pour cause de colonisation, il y a donc lieu de se tenir à égale distance des opinions extrêmes et préconçues. Sur cette question, comme sur toutes celles que nous avons traitées jusqu’ici, comme pour tout ce qui regarde l’Algérie, il n’y a pas de règles absolues ; c’est, avant tout affaire de mesure et de bonne conduite.

IV

Si le lecteur a pris la peine de suivre avec patience les développemens de cette trop longue étude, il peut, ce me semble, pressentir quelles en vont être les conclusions. En thèse générale, je ne suis point partisan de l’intervention de l’état dans les matières qui ne le concernent pas directement. Je crois avoir suffisamment démontré à quels résultats dispendieux et toutefois assez chétifs le gouvernement a toujours abouti chaque fois qu’abandonnant son rôle naturel de protecteur des intérêts généraux de l’Algérie, il a pris sur lui la tâche de s’y faire entrepreneur de colonisation. Les auteurs du projet de loi, qui consiste à emprunter 50 millions pour créer trois cents centres, en conviennent volontiers ; mais, pour justifier le nouvel effort qu’ils veulent imposer à l’administration, ils affirment que les terres manquent, ou vont manquer absolument. De là l’obligation de les acheter au plus vite de peur d’avoir plus tard à les payer trop cher. Cette assertion est-elle bien fondée ? Il n’y paraît point. Jusqu’à présent, les renseignemens précis faisaient défaut.. On ignorait, ou à peu près, le nombre et la valeur des terres appartenant au domaine. Il avait fallu se contenter des affirmations vagues et quelquefois contradictoires des gouverneurs qui se sont succédé en Algérie. M. Tirman, d’après ce que j’ai lu dans un journal algérien d’ordinaire bien informé, aurait fait dernièrement dresser un tableau arrêté au 31 décembre 1883 qui donnerait les chiffres suivans, divises en quatre catégories : 1° celle des terrains susceptibles d’être affectés directement à la colonisation ; 2° celle des terrains à. utiliser pour échanges ; 3° celle des terrains qui peuvent être vendus à bref délai ; 4° celle des terrains improductifs et sans valeur, soit pour vente, soit pour échanges.

Ces chiffres varient singulièrement d’un département à l’autre. Pour Alger, les terrains des trois premières catégories se montent à 21,862 hectares ; pour Oran, à 15,171 hectares ; pour Constantine, ils s’élèvent à 274,946 hectares. Laissant de côté les départemens d’Alger et d’Oran, où les ressources territoriales, évidemment trop restreintes, ne permettent l’établissement que d’une dizaine de villages, six à Alger et quatre à Oran, les 274,946 du département de Constantine, qui se décomposent en 95,179 hectares susceptibles d’être immédiatement affectés à la colonisation, 91,542 propres à être échangés et 88,225 destinés à être vendus, ouvrent à eux seuls un large champ à l’exploitation agricole dans des contrées où l’on n’aura pas à acheter la moindre parcelle de terre. A moins donc qu’on ne veuille considérer les 50 millions à dépenser et les trois cents nouveaux centres à établir comme une sorte de prébende électorale que les représentans de l’Algérie auraient le droit de se partager entre eux par portions égales, l’administration a pour de voir de commencer par tirer le meilleur parti possible des terres du domaine qui sont dès à présent à sa disposition dans le département de Constantine. Voilà une première et notable économie, mais elle n’est pas la seule qu’on puisse réaliser. La vente à l’enchère ou du moins à prix fixe, non-seulement des lots de fermes, mais, aussi des Iots de villages, en amènerait une beaucoup plus considérable. C’est la solution vers laquelle ont visiblement incliné les membres élus du conseil supérieur, ainsi que les chefs de tous les services administratifs et les esprits les plus éclairés de l’Algérie. La vente, en effet, a sur la concession gratuite cette supériorité qu’elle imprime une vive impulsion à l’initiative individuelle des petits capitalistes algériens ou immigrans arrivés de France qui désirent placer en immeubles le fruit de leurs économies. La vente présente, en outre, un caractère égalitaire qui plaira en Algérie. Elle n’y attirera que des colons sérieux pourvus des ressources indispensables à leur réussite ; elle fournira en même temps à l’état comme une sorte de fonds de roulement qui lui permettra de doter les nouveaux centres d’améliorations successives. A mon sens, les Français ou les naturalisés Français devraient seuls être admis aux adjudications. Il conviendrait peut-être de limiter à un maximum de 40 à 50 hectares les lots de villages et à 150 hectares environ les lots de fermes. Ce sont des chiffres généralement admis comme un bon terme moyen. Pour écarter les spéculateurs, il y aurait prudence, à stipuler dans les contrats de vente que, sauf le cas de décès de l’adjudicataire, la propriété ne pourrait être revendue avant un délai de cinq années. En revanche, il y aurait lieu d’accorder aux colons de grandes facilités de paiement, afin de ne pas leur enlever dès le début la plus grande partie de leurs ressources disponibles. On pourrait n’exiger que le paiement comptant d’un huitième M. prix, dont le solde serait acquitté en dix années sans intérêt. Supposant, par : exemple, l’acquisition de 40 hectares au prix de 100 francs, l’acquéreur aurait à payer comptant 500 francs et dix annuités de 350 francs chacune. Ce sont là des clauses d’acquisition fort douces.

Serait-il possible d’aller plus loin encore dans cette voie ? Il a été question de créer des banques spéciales de crédit pour les colons ou de modifier à leur profit les règlemens des institutions de crédit déjà existantes. Je n’aime pas les régimes d’exception, et je n’en aperçois pas ici la nécessité. Ainsi que nous l’avons précédemment établi[42], la Société protectrice des Alsaciens-Lorrains est en train de rentrer journellement dans les avances faites à ses colons au moyen des emprunts que ceux-ci contractent auprès du Crédit foncier de France. Cette administration avait, au début, témoigné quelque hésitation, ayant des craintes pour la sécurité de son gage. Aujourd’hui elle n’en éprouve plus aucune. Tout se passe vite et très régulièrement. Entré dans le cabinet du directeur de la succursale d’Alger n’ayant que la qualité de propriétaire éventuel de sa concession, le colon en sort muni de son titre de propriétaire définitif, quand il a, séance tenante, remis au représentant de la société, sur l’argent qu’il vient de recevoir, le montant de sa dette. Le plus souvent, il lui reste encore une petite somme qu’il peut appliquer à son exploitation agricole. On me dit que M. Tirman est en train d’étudier un ensemble de mesures qui auraient pour effet d’arriver aux mêmes résultats ; dans l’intérêt de la colonisation, je m’en réjouirais beaucoup.

On voudra bien reconnaître que je n’ai pas pris sur moi de proposer de mon chef les modifications qu’il conviendrait d’introduire dans le projet de loi des 50 millions. Elles ressortent avec une évidence qui me parait manifeste soit du récit que j’ai fait des expériences autrefois tentées sans succès, soit de l’exposé des discussions ouvertes au sein du conseil supérieur, et qu’en raison de leur importance, j’ai également tenu à reproduire avec quelque étendue. Mais si l’on était décidé à ne pas retomber dans les erreurs du passé, si l’on consentait à tenir compte des sages avis de tant d’hommes considérables dont on ne saurait nier la compétence et les lumières, je ne me sentirais pas autrement effrayé de cet octroi d’une grosse somme d’argent destinée à continuer l’œuvre officielle de la colonisation. Les représenteras de l’Algérie remplissent un rôle naturel et qui leur fait honneur quand ils cherchent à provoquer la générosité du parlement en faveur de notre colonie, mais je crois qu’ils en sont malencontreusement sortis le jour où ils ont produit un programme d’exécution élaboré de toutes pièces au sein d’une commission du budget et qu’ils empiétaient ainsi sur les prérogatives les plus essentielles de tout gouvernement tenant tant soit peu à se faire respecter.

Quant à la combinaison en elle-même qui répartirait uniformément, et par quotité égale, les 50 millions et les trois cents fermes entre les trois départemens d’Alger, d’Oran et de Constantine, elle est vraiment inacceptable ; elle irait même contre les intérêts bien compris de ces trois régions, dont la situation économique est assez différente. Le département de Constantine où se rencontre, par bonne fortune, le plus grand nombre des terres utilisables du domaine est éminemment propre à la culture. Le mouvement de la ville et de la province d’Oran est, quant à présent, plutôt commercial et industriel. Alger, avec sa capitale où résident les hauts fonctionnaires de l’administration et qui attire tant d’étrangers par la douceur de son climat et par la gracieuse beauté de ses environs, participe de la nature des deux départemens entre lesquels il est placé. S’il convenait d’accorder quelques compensations aux deux provinces les plus pauvrement dotées sous le rapport des centres à constituer, c’est au gouverneur qu’il faudrait s’en remettre de cette tâche. A lui d’aviser sous sa responsabilité ; et, de bonne foi, il n’aura que l’embarras du choix. Est-ce que, pour venir efficacement en aide à la colonisation, il n’y a pas d’autres moyens à employer que la création de nouveaux villages ? Les voies de communication se rattachant aux stations de chemins de fer ne manquent-elles pas un peu partout en Algérie ? La sécurité y est-elle aussi complète qu’on pourrait le souhaiter et le dicton mis de vieille date en circulation, d’après lequel une jeune fille pourrait parcourir toutes nos possessions africaines de Tunis au Maroc avec une couronne d’or sur la tête, n’est-il pas singulièrement exagéré ? Les Arabes ne sont pas détrousseurs de grands chemins, il est vrai, mais ce sont d’habiles voleurs de bœufs, et ils savent très bien comment s’y prendre pour récolter, pendant la nuit, des moissons qu’ils n’ont pas semées. Il y aurait tout avantage à ce que sur l’ensemble des fonds considérables qu’on va probablement mettre à sa disposition, M. Tirman fût autorisé à en dépenser une portion dans les départemens d’Alger, d’Oran, et même un peu partout, afin d’ouvrir des chemins donnant accès aux terrains où l’on voudrait introduire la culture européenne. Les localités auraient tort de se plaindre qui, au lieu de quelques villages nouveaux, verraient s’établir à leur portée quelques brigades de gendarmerie. Je ne veux pas dire de bons et honnêtes gendarmes accoutrés du lourd uniforme français, se promenant deux à deux sur les routes, afin de porter les dépêches des autorités et verbaliser, le cas échéant, sur les délits dont ils sont par hasard témoins. J’entends parler des gendarmes auxiliaires, vêtus comme les indigènes, parlant leur langue, et capables de surveiller et d’atteindre partout les délinquans. Pour les détails des mesures à prendre, les meilleurs juges ne sont-ils pas le gouverneur-général qui est sur les lieux et les fonctionnaires placés sous ses ordres ? C’est ici qu’il importe de faire la part large, sauf contrôle, aux agens d’exécution. Le pire serait d’arriver, avec ou sans parti-pris, à la confusion des pouvoirs et de vouloir administrer, de Paris, notre colonie africaine à la façon dont trop de députés tendent à gérer les affaires de leur arrondissement. Alger, Oran, Constantine, c’est un peu plus que Carpentras, Brives-la-Gaillarde, ou Quimper-Corentin, et beaucoup de bons esprits, je crois pouvoir ajouter, beaucoup d’excellens républicains, répugneraient extrêmement à voir le gouvernement de l’Algérie indirectement remis aux mains de ses représentans.

Parlons en toute vérité : l’opinion publique a été surprise et désappointée, je ne voudrais pas dire scandalisée, quand elle a appris à quelles conclusions était arrivée la commission spéciale formée, le 24 novembre 1880, par M. Coastans, ministre de l’intérieur à l’effet D’étudier les modifications à apporter au fonctionnement du gouvernement de l’Algérie, commission dans laquelle figuraient les sénateurs et les députés de l’Algérie. Cette commission s’est divisée en deux sous-commissions chargées : « la première de s’occuper du régime des lois et décrets ainsi que du rôle et des attributions du gouverneur-général » (les sénateurs et députés en faisaient partie) ; la seconde avait pour mission « d’étudier le rattachement des services administratifs de l’Algérie aux ministères correspondans. » A la nouvelle de la nomination de cette commission extra-parlementaire, l’émoi fut grand en Algérie, particulièrement au sein du conseil supérieur, qui était en pleine session, et plus particulièrement encore parmi les délégués élus des conseils-généraux. Le mouvement d’opinion contre ce qui se préparait à Paris fut trop vif pour que les membres de droit et les chefs des services publics songeassent à s’y opposer. Tout le monde se trouva d’accord pour envoyer immédiatement à M. le ministre de l’intérieur et au gouverneur-général une dépêche télégraphique émettant le vœu : « qu’aucune décision de principe sur les questions d’organisation de l’administration algérienne ne fût prise avant que le conseil supérieur ait pu formuler en temps utile son avis sur les solutions à intervenir[43]. » Les délégations des trois départemens furent invitées, séance tenante, à se réunir pour exprimer, avec l’autorité qui leur appartenait, « leur conviction profonde et raisonnée sur les dangers de l’amoindrissement des pouvoirs du gouverneur général et du rattachement des grands services publics à la métropole[44]. » La démarche n’était pas inopportune, mais elle devait avoir le désagrément de n’amener, en réalité, aucun résultat. Ce qui, de l’avis des délégués du département de Constantine, rendait la protestation indispensable, c’est que « les sénateurs et les députés, isolés comme ils sont par les exigences de leur mandat, et obligés à résider à Paris, tendaient naturellement à y ramener la solution de toutes les affaires[45]. »

Par malheur, les votes des représentans de l’Algérie au sein de la commission spéciale ont prouvé que l’on ne s’était pas trop mépris à Alger sur leurs véritables intentions. En effet, tandis qu’ils n’ont montré que froideur pour s’occuper des questions relatives à l’organisation du gouvernement de l’Algérie, au rôle et aux attributions du gouverneur général, ils ont, au contraire, témoigné de la plus extrême ardeur au sujet des rattachemens. On eût dit qu’ils n’avaient rien tant à cœur que de diminuer la position de M. Albert Grévy en se donnant toutes facilités pour pouvoir, en dehors de lui et par-dessus sa tête, traiter directement, à Paris, toutes les affaires de l’Algérie avec les chefs de service de nos divers ministères. Un seul commissaire, M. Jacques, alors député, nommé depuis sénateur, prit sur lui de rappeler qu’en plein empire, à une époque où l’on ne songeait nullement à rétablir le ministère de l’Algérie, la commission de 1869 avait décidé, sur le rapport de M. Béhic : « que le gouverneur-général aurait rang de ministre et qu’il serait responsable de ses actes devant les Chambres, tout en continuant à résider à Alger. Aujourd’hui, ajoutait M. Jacques, nous ne savons pas quel est le ministre que nous pouvons interpeller devant les Chambres[46]. » Il paraît que la mesure proposée en 1869 était trop imprudente. Des scrupules surgirent, et le ministre la dénonça comme inconstitutionnelle. Devant cette déclaration, la commission s’arrêta court ; cependant plusieurs de ses membres exprimèrent le désir « qu’il fût pris acte du regret qu’ils éprouvaient de ne pouvoir établir la responsabilité ministérielle[47]. »

A Alger, les délégués des conseils-généraux furent infiniment plus hardis. Je ne saurais taire la joie que j’ai éprouvée à les entendre proclamer hautement une vérité qu’à plusieurs reprises j’ai cru de mon devoir de porter, bien inutilement, à la tribune : « Préoccupés, disait le rapporteur, d’énumérer les améliorations indispensables au bon fonctionnement des pouvoirs du gouverneur général, nous les résumons ainsi : « Le gouvernement de l’Algérie doit former un département à part avec un budget particulier et un gouverneur responsable devant les deux chambres… » Il leur semblait également nécessaire que le gouverneur général fût l’intermédiaire des relations politiques de la France avec Tripoli, Tunis et le Maroc. » Ces conclusions étaient adoptées à l’unanimité. Une fois de plus, les membres du conseil supérieur ont fait preuve de cette clairvoyance qui s’acquiert par la pratique des affaires. Leur vote témoigne de la façon juste autant qu’élevée dont ces hommes de sens et d’expérience comprennent le rôle d’un gouverneur-général de l’Algérie. Pour le bien remplir, combien d’aptitudes diverses sont nécessaires ! Il y faut un homme capable, sinon de diriger lui-même les expéditions militaires, tout au moins de les concevoir à propos et de les bien préparer, se connaissant en administration et qui soit, en même temps, un très habile politique. Son habileté ne lui sera pas seulement de secours quand il lui faudra ouvrir, de temps à autre, des négociations avec l’empereur du Maroc ou le bey de Tunis, il en aura journellement besoin dans ses rapports avec les Arabes.

Ceux-là connaissent mal l’Algérie, qui se figurent que nous sommes libres d’y appliquer partout avec une régularité uniforme nos procédés ordinaires de gouvernement. Il n’en est rien. La diversité des sentimens et des habitudes de sa population n’est pas moins frappante que celle de la configuration de son sol. Il n’y a pas plus de ressemblance entre les habitans de la grande Kabylie, fixés dans leurs petits villages bâtis en pierres, et les peuplades errantes du Sahara, qu’entre les montagnes abruptes du Jurdjura, couvertes de neige pendant trois mois de l’année, cultivées jusqu’à leur sommet, et les plaines de sable brûlant du Sahara où les chameaux des caravanes trouvent à peine à brouter quelques maigres broussailles. Les mesures acceptées sans trop de répugnance par les indigènes de race berbère, qui sont monogames et dont les tendances démocratiques se rapprochent des nôtres, courraient risque d’être fort mal reçues hors du Tell par les chefs des grandes tentes, fort respectés des multitudes qu’ils commandent et qui vivent un peu à la manière des patriarches de l’ancien Testament. Ce sont puissances avec lesquelles il faut continuellement traiter sans se départir d’une bienveillance attentive, prête cependant à se faire, au besoin, respecter par des actes d’énergie.

Quand je songe à tant de qualités requises pour se bien acquitter de semblables fonctions, si graves et si délicates, je comprends difficilement la situation d’esprit de ceux pour qui tout se résume dans la question de savoir si le gouverneur général sera un personnage civil ou militaire. J’avoue que cette alternative me laisse passablement indifférent. D’autres vont plus loin. À leurs yeux, la valeur du gouverneur général peut exactement se mesurer au degré de son amour pour la république et de son aversion pour le cléricalisme. Voilà deux façons de voir qui simplifient beaucoup les choses, mais elles ne sont ni l’une ni l’autre à mon usage. J’ai mes opinions politiques, qui n’ont, d’ailleurs, rien d’absolu, et je les garde ; j’ai des préférences, dont je ne me cache pas, pour une forme de gouvernement qui n’est pas actuellement celle qui nous régit, mais j’aurais honte, si, au cours de cette étude, j’avais laissé entamer la liberté de mes jugemens sur les choses et sur les hommes de l’Algérie par des considérations de cette nature. Que le gouverneur général soit civil ou militaire, il m’importe peu, mais je tiens l’unité dans la direction pour indispensable, quel que soit l’uniforme, et je veux que là où sera le pouvoir effectif, là aussi on rencontre une responsabilité efficace. Que le gouverneur général passe, à tort ou à raison, pour avoir les sympathies de telle ou telle fraction des partis qui nous divisent, je ne m’en soucie pas davantage. A mon sens, le gouvernement qui servira le mieux les intérêts de l’Algérie sera celui qui s’affranchira le plus complètement dans ses choix de la tendance, trop fréquente chez nous parmi les souverains du jour, de vouloir avant tout obliger leurs amis du premier degré.

Je crois, par exemple, que le général Cavaignac, un militaire et un républicain, aurait été un fort convenable gouverneur général de l’Algérie pour le gouvernement de 1830, et que la république de 1870 ne se serait point mal trouvée d’avoir choisi pour occuper cette situation M. de Chasseloup-Laubat, un civil, qui a fait un excellent ministre de la marine sous l’empire. Aux yeux de nos sujets musulmans, un militaire aura toujours plus de prestige à cause de l’épée qu’il porte à son côté, mais il y a plus d’une manière de conquérir le prestige. M. de Lesseps, si je puis parler des vivans après les morts, M. de Lesseps, si connu et si populaire dans tout l’Orient, si plein d’initiative hardie, qui monte à cheval comme un Arabe, qui parle leur langue et qui les a tant maniés, était un gouverneur tout désigné pour notre colonie algérienne. J’ai appris de sa propre bouche qu’il aurait accepté la position si elle lui avait été proposée, mais qu’on ne lui avait pas fait l’honneur de la lui offrir. Je m’arrête. Si Algérien que je sois, je n’en suis pas encore venu à vouloir imposer, que dis-je ? à indiquer aucun nom propre au gouvernement. Mon avis est, d’ailleurs, qu’il est désirable que les gouverneurs généraux de l’Algérie restent longtemps à leur poste. Je pense même qu’ils ne devraient pas être changés, non plus que les ministres de la guerre et de la marine, à chaque nouvelle évolution ministérielle, parce que la durée dans la fonction est pour eux une condition de succès. J’ai regretté l’amiral de Gueydon quand il est parti ; j’ai regretté après lui le général Chanzy ; je suis persuadé, n’en déplaise à ses détracteurs, que M. Albert Grévy valait mieux comme administrateur, au moment de son départ que le jour de son arrivée. Il est probable, si l’on venait à le remplacer, que je regretterais également, M. Tirman. Il n’a eu, lui„ rien, à apprendre en tant qu’administrateur, mais il lui fallait faire connaissance avec le paya et avec les habitans, besogne, essentielle Qu’il est en train d’accomplir actuellement.

Je ne suis pas seul d’ailleurs, en ce qui concerne, l’Algérie, à avoir cette involontaire liberté d’esprit, et, je puis m’autoriser d’un assez fameux exemple. J’étonnerais, probablement la plupart des organes de la presse algérienne qui ont fait, dans le passé, une guerre si acharnée à M. l’amiral de Gueydon, parce qu’ils le considéraient comme un affreux réactionnaire clérical, si je leur disais qu’il est à ma connaissance que M. Gambetta les a devancés dans la justice qu’avec bon goût ils ont fini plus tard par rendre à celui des gouverneurs de l’Algérie qui a peut-être le mieux servi la cause de la colonisation. En sont-ils à ignorer que c’est lui qui a fait adjuger au cardinal de Lavigerie, pour l’aider dans sa propagande catholique et française, la somme de 50,000 francs, qui, par je ne sais quelle timidité de ses collègues, n’a pas été inscrite au budget, mais honteusement dissimulée au chapitre des fonds secrets ? Leur surprise aurait redoublé sans doute s’ils lui avaient entendu raconter comment, il n’avait jamais été mieux renseigné sur les affaires de l’Algérie et de la Tunisie que par ses conversations avec le père Charmetan, le second de l’archevêque d’Alger dans la direction de nos missionnaires d’Afrique, et je sais, de façon à n’en pouvoir douter, que ce même père Charmetan avait été chargé par lui de s’informer si l’amiral de Gueydon consentirait à reprendre le gouvernement de l’Algérie, auquel on : pourrait joindre les affaires de la Tunisie, car, disait-il, il n’y a que les choses faites par l’amiral qui aient duré.

Pas plus que M. Gambetta, je ne voudrais moi-même être exclusif. Les promoteurs de la loi des 50 millions, et les ministres qui l’ont endossée avec une rare docilité, ne l’ont point, pour adversaire intraitable. Je suis, plutôt une sorte d’auxiliaire, car j’accepte, en raison de l’état présent des choses, qu’on, ait encore recours, pour un temps, à la colonisation par les mains de l’état, à la condition toutefois qu’il cède bientôt la place, de bonne grâce, à l’initiative privée, qui est la seule continuellement effective et réellement puissante. C’est l’importance du chiffre qu’on veut immédiatement y consacrer, et le mérite de la combinaison financière au moyen de laquelle on arrive à l’obtenir, qui font doute à mes yeux. J’ai particulièrement objection à l’ingérence irrégulière, presque inconstitutionnelle, d’une commission du budget de la chambre des députés, prenant sur elle de tracer tout un programme à exécuter, par des moyens trop parfaitement systématiques pour correspondre au véritable état des choses, en tous cas, extrêmement coûteux, et j’ai fait effort pour indiquer, en m’appuyant de l’avis d’hommes plus expérimentés que moi et placés sur les lieux, comment il ne serait peut-être pas impossible d’arriver plus vite, plus simplement et plus économiquement aux mêmes résultats.

Quoi qu’il en advienne, tous ceux qui, dans notre parlement, par leurs rapports et leurs discours, ou bien, en Algérie, par la voie de la presse, se sont efforcés de mettre cette question de la colonisation à l’ordre du jour de l’opinion publique ne sauraient être désapprouvés. Leur intervention aura de toute façon été utile, alors même qu’elle n’aurait obtenu d’autre résultat que d’appeler l’attention du pays sur la belle colonie placée vis-à-vis de nos ports de la Méditerranée et qui, à coup sûr, vaut la peine qu’on s’occupe d’elle pour elle-même. Cependant, le service rendu serait plus grand encore si, comme plusieurs l’espèrent, nous étions au début d’une ère nouvelle pendant laquelle la république se donnerait pour mission d’aller fonder au loin des établissemens commerciaux semblables à ceux que nous possédions autrefois et que nous avons perdus. Alors, il est évident que c’est en Algérie que nous aurons à faire notre apprentissage de grande puissance colonisatrice. C’est parmi les troupes déjà habituées à bivouaquer dans les vastes espaces du désert africain que nous aurons chance de recruter des corps spéciaux, faciles à mobiliser, se composant de soldats lestes à la marche, durs à la fatigue, tels que ministres et commissions parlementaires cherchent aujourd’hui à les organiser afin qu’ils aillent porter fièrement notre drapeau au Soudan, au Sénégal, à la Nouvelle-Guinée, au Congo, à Madagascar, en Cochinchine et au Tonkin. C’est à notre personnel de fonctionnaires algériens qu’il faudra nous adresser pour qu’il nous forme le plus tôt possible une pépinière de jeunes administrateurs, assez rompus au métier pour faire accepter leur autorité personnelle par les habitans des pays que je viens de nommer, et capables d’asseoir solidement notre domination parmi des populations à demi sauvages que nous trouverons peut-être aussi récalcitrantes que les Arabes à se ployer aux exigences de la civilisation moderne.

En tout cas, soit que l’on continue à considérer notre conquête de 1830 comme ayant pour longtemps encore des droits presque exclusifs à notre sollicitude, soit qu’on préfère en faire un champ d’expérience et la prendre comme point de départ pour de plus lointaines entreprises, il est temps, et grand temps, que la France sache décidément ce que nos ministres et notre parlement entendent faire de l’Algérie.


Cte D’HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue du 1er juin.
  2. Discours de M. le gouverneur-général civil à l’ouverture de la session du conseil supérieur du gouvernement (6 décembre 1880, p. 11 et 12).
  3. Procès-verbaux de la session du conseil supérieur de l’Algérie (novembre 188), page 59).
  4. Discours du gouverneur-général civil à l’ouverture de la session du conseil supérieur du gouvernement (novembre 1882, page 7).
  5. Ibid.
  6. Exposé de la situation générale de l’Algérie en novembre 1882, présenté par M. Tirman. Page 56.
  7. Budget général de l’exercice 1884, ministère de l’intérieur. Note préliminaire, page 169.
  8. Projet de loi ayant pour objet de mettre à la disposition du ministre de l’intérieur une somme de 37,500,000 francs pour être employée en acquisitions de terres et en travaux de colonisation en Algérie, présenté par MM. René Goblet et Léon Say (session de 1882, séance du 18 juillet).
  9. Rapport, fait au nom de la commission chargée d’examiner le projet de loi ayant pour objet de mettre à la disposition de M. le ministre de l’intérieur et des cultes une somme de 50 millions de francs, pour être employée en acquisitions de terres et en travaux de colonisation en Algérie, par M. Thomson, député. (Page 10.)
  10. Discours du général de Chanzy, gouverneur-général civil de l’Algérie, à l’ouverture de la session du conseil supérieur du gouvernement (novembre 1876).
  11. Discours du général Chauzy, gouverneur-général civil de l’Algérie, prononcé à l’ouverture de la session du conseil supérieur du gouvernement (novembre 1877).
  12. Discours prononcé à l’ouverture de la session du conseil supérieur, par le gouverneur-général civil (novembre 1818).
  13. Procès-verbaux du conseil supérieur (novembre 1877, p. 38).
  14. Ibid. (novembre 1878, p. 338).
  15. Procès-verbaux du conseil supérieur (novembre 1878, p. 30).
  16. Procès-verbaux du conseil supérieur (décembre 1879, p. 12).
  17. Procès-verbaux du conseil supérieur (novembre 1879, p. 321).
  18. Procès-verbaux du conseil supérieur (novembre 1879, p. 321).
  19. Procès-verbaux du conseil supérieur (décembre 1879, p. 441).
  20. Ibid, p. 450.
  21. Procès-verbaux du conseil supérieur (décembre 1879, p. 417, 451, 456 et 457).
  22. Procès-verbaux du conseil supérieur (décembre 1880, p. 381).
  23. Ibid., p. 383.
  24. Ibid., p. 310 et 311.
  25. Procès-verbaux du conseil supérieur (décembre 1881, p. 312).
  26. Procès-verbaux du conseil supérieur (novembre 1881, p. 321, 322 et 323).
  27. Ibid., p. 333.
  28. Ibid., p. 326.
  29. Ibid., p. 337.
  30. Discours prononcé par M. Tirman à l’ouverture de la session de 1882.
  31. L’Algérie et les Questions algériennes, par M. E. Mercier, p. 301, édit. De 1883.
  32. Statistique générale de l’Algérie de 1879 à 1881, Imprimerie nationale, p. 162 ; et Exposé de la situation générale de l’Algérie en novembre 1881, p. 114.
  33. Procès-verbaux des séances du conseil supérieur (novembre 1870, p. 321-322).
  34. État de l’Algérie, par M. Tirman, p. 241.
  35. Discours de M. Tirman à l’ouverture de la session du conseil supérieur (novembre 1882, p. 9).
  36. Procès-verbaux de la session du conseil supérieur (décembre 1882, p. 654).
  37. Procès-verbaux du conseil supérieur (session de novembre 1882, p. 497).
  38. Procès-verbaux de la session du conseil supérieur de novembre 1882, p. 465.
  39. Instructions du gouverneur-général transmises par M. le préfet d’Alger au sous-préfet de Tizi-Ouzou, janvier 1882.
  40. Extrait du rapport de la commission des centres pour l’arrondissement de Tizi-Ouzou.
  41. Annexe au feuilleton du sénat n° 34 (séance du jeudi 19 avril 1883, pétition n° 87).
  42. Voyez la Revue du 1er juin.
  43. Procès-verbaux des délibérations du conseil supérieur (session de décembre 1880, page 23).
  44. Ibid., page 294.
  45. Procès-verbaux du conseil supérieur (décembre 1880, p. 30).
  46. Procès- verbaux de la séance de la commission administrative de l’Algérie (séance du 6 janvier 1881).
  47. Ibid.