La Colonisation officielle en Algérie/01

La Colonisation officielle en Algérie
Revue des Deux Mondes3e période, tome 57 (p. 481-523).
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LA
COLONISATION OFFICIELLE
EN ALGERIE

I.
ESSAIS TENTÉS DEPUIS LA CONQUÊTE.

Ceux de nos compatriotes qui se sont fixés dans nos possessions du nord de l’Afrique se plaignent fréquemment d’être oubliés de la mère patrie. Les représentans attitrés de notre colonie algérienne, c’est-à-dire les sénateurs, les députés, les membres des conseils-généraux des trois départemens d’Alger, d’Oran et de Constantine, les délégués de ces conseils au conseil supérieur du gouvernement expriment, à ce sujet, des doléances contenues, et les journaux du pays, avec cette vivacité de ton qui est particulière à la presse, mais qu’il ne faut pas trop lui reprocher parce qu’elle sert tout à la fois, en matière politique, d’excitant et de frein, se répandent, depuis quelques années surtout, en lamentations qui ressemblent un peu à des reproches. Volontiers on donne à comprendre, de l’autre côté de la Méditerranée, quand on ne le dit pas expressément, que nos ministres et nos chambres paraissent s’inquiéter assez médiocrement des affaires de l’Algérie, et l’on ne se fait pas faute d’ajouter que, si par hasard ils s’en occupent, c’est habituellement pour démontrer qu’ils ne les connaissent guère, ou même point du tout. Ainsi articulées, ces plaintes sont-elles fondées ? Il serait embarrassant d’en convenir, et, de prime abord, elles semblent entachées de quelque exagération : il faut distinguer toutefois. Si les habitans de l’Algérie se bornaient à regretter de ne plus entendre, comme jadis aux beaux jours du régime parlementaire, des voix autorisées et puissantes plaider avec éclat leur cause à la tribune française, ce n’est pas moi qui les contredirais. Oui, il est vrai, les temps sont passés où, devant une chambre dont j’avais l’honneur de faire partie, le maréchal Bugeaud, au lendemain de la bataille d’Isly, et le général de La Moricière, après la prise d’Abd-el-Kader, le front encore éclairé des rayons de leurs récentes victoires, venaient agiter devant des collègues presque aussi émus qu’attentifs ces éternels problèmes algériens que, sous une forme différente, mais les mêmes au fond, nous nous efforçons de résoudre aujourd’hui. Sur cette question demeurée ouverte entre les membres d’un même cabinet, le très sagace ministre de l’intérieur du 11 octobre, M. Thiers, n’hésitait pas, en repoussant les prévisions défavorables du président du conseil et de quelques-uns de ses collègues moins confians que lui, à se porter, avec sa clairvoyance habituelle, le garant intrépide des futures destinées de notre colonie africaine, tandis que d’excellens esprits, M. Dufaure et M. Lanjuinais, M. de Tocqueville et M. de Beaumont, M. de Chasseloup-Laubat, le général Allard, M. de Corcelles, se demandaient entre eux, non sans quelque appréhension, quel système il valait mieux suivre pour tirer tout le parti possible des ressources de nos nouvelles possessions. Certes ils étaient loin de s’accorder entre eux sur le point de savoir s’il fallait faire appel à la puissante initiative du gouvernement en s’abritant sous sa tutelle, ou laisser toutes choses suivre leur cours naturel, en se confiant au temps et à l’activité individuelle des intéressés pour arriver à des résultats plus lents peut-être à obtenir, mais autrement étendus, d’une nature moins factice et, par conséquent, plus sûrs et plus, durables. On comprend que, traitées par des personnes aussi compétentes, les graves questions qui touchaient de si près à L’avenir de l’Algérie aient eu le don de captiver l’attention publique. Il en a toujours été ainsi sous tous nos régimes de libre discussion. Les assemblées républicaines, de 1848 à 1852, quoique absorbées par de terribles préoccupations, n’ont eu garde de se désintéresser de cette colonie africaine, où le général Cavaignac avait brillamment conquis, sous le gouvernement de juillet, tous ses grades militaires. Il y a plus : pendant les deux dernières années de l’empire, quand un peu d’air avait fini par pénétrer dans les rouages de la machine gouvernementale, jusqu’alors si hermétiquement fermée, ce fut du côté de l’Algérie que se portèrent les premières investigations du corps législatif, prompt à saisir l’occasion soudainement offerte d’exercer, en matière si grave et si délicate, une initiative politique qui lui avait été, pendant longues années, jalousement refusée.

Au printemps de 1868, une commission d’enquête agricole avait été instituée, sous la présidence de M. Léopold Lehon, pour aller se rendre compte sur place, d’après un questionnaire extrêmement détaillé, de tous les besoins de nos trois provinces d’Alger, d’Oran et de Constantine, — qu’elle avait mission de parcourir. L’année suivante, une décision impériale, datée du 5 mai 1869, nommait une autre commission extra-parlementaire chargée d’élaborer les questions qui se rattachent à la constitution et à l’organisation administrative et politique de l’Algérie. Cette commission, présidée par le maréchal Randon, ancien gouverneur-général de l’Algérie, comptait parmi ses membres M. Ferdinand Barrot, alors grand référendaire du sénat, M. Chamblain, conseiller d’état, M. Castambide, conseiller à la cour de cassation, M. Paulin Talabot, les généraux Allard, Desvaux et Gresley. M. Tassin, directeur du service de l’Algérie au ministère de la guerre, en était secrétaire, et M. le sénateur Béhic remettait au ministre, au mois de janvier 1870, le rapport dont il avait été chargé. L’enquête agricole ordonnée par le corps législatif, ainsi que le rapport de la commission gouvernementale, étaient attendus sur les bancs de la majorité et sur ceux de l’opposition avec une égale impatience. Le 11 avril, M. Jules Favre réclamait avec insistance le dépôt de cette enquête et affirmait n’être que l’écho de tout ce qu’il avait entendu dire en Algérie en déclarant « qu’elle passait pour avoir été faite avec le plus grand soin et une entière indépendance. » Au mois de décembre de cette même année, M. Léopold Lehon déposait en même temps une demande d’interpellation sur les affaires de l’Algérie et annonçait que les procès-verbaux de l’enquête pouvaient être dès lors distribués aux membres du corps législatif.

Quant au rapport de M. Béhic, nombre d’exemplaires en avaient été tirés à l’imprimerie impériale, et, quoique le texte lui-même n’ait jamais été officiellement publié, ses dispositions principales étaient parfaitement connues de tous les membres du parlement s’intéressant aux affaires de l’Algérie. Chose vraiment singulière, les conclusions en étaient plus libérales, plus larges, dictées par une disposition d’esprit infiniment plus moderne que celles adoptées par une autre commission nommée en novembre 1880, c’est-à-dire en plein régime républicain : à l’effet d’étudier les modifications à apporter au gouvernement-général de l’Algérie. Aux termes du projet impérial de 1870, « le gouvernement et la haute administration étaient centralisés, à Alger même, aux mains d’un gouverneur-général qui avait rang de ministre et devenait, en cette qualité, directement responsable. Il était assisté d’un conseil supérieur, exclusivement composé de membres élus par les conseils-généraux des départemens civils et composés d’indigènes. Ce conseil supérieur, — où ne siégeait pas, comme aujourd’hui, une majorité de fonctionnaires, — votait, en recettes et en dépenses, le budget du service local et en recevait les comptes. Il donnait son avis sur toutes les questions qui lui étaient soumises et pouvait émettre des vœux sur les objets intéressant l’Algérie. Le gouverneur-général exerçait la plénitude des pouvoirs administratifs et politiques attribués aux ministres. Il participait, lors de sa présence à Paris, aux délibérations du conseil des ministres et représentait le gouvernement devant le sénat et le corps législatif… Un sous-gouverneur assistait le gouverneur-général et le suppléait, en cas d’absence, soit à Paris, soit à Alger. Le gouverneur-général et le sous-gouverneur pouvaient être choisis soit dans l’ordre militaire, soit dans l’ordre civil. »

Quoi de plus sage et, pour l’époque, de plus hardi que ces propositions émanées d’une commission composée de hauts dignitaires de l’état, délibérant sous le contrôle immédiat d’un gouvernement qui n’a jamais passé pour follement épris de la stricte application des formes parlementaires ; et n’est-il pas vraiment surprenant, et j’ajouterai un peu triste, d’avoir à constater que, dans ses lignes principales, particulièrement en ce qui regarde la responsabilité réelle du gouverneur-général de l’Algérie, le projet d’organisation arrêté par les conseillers de l’empire devançait de beaucoup, comme résolution virile, l’ensemble confus des mesures timidement indiquées par les sénateurs et les députés de l’Algérie, et par les quelques fonctionnaires auxquels le ministre de l’intérieur, M. Constans, a jugé bon de s’adresser en 1880, sans que les résultats de cette consultation officieuse, vue d’assez mauvais œil en Algérie, aient eu d’ailleurs la moindre influence vivifiante sur la direction à donner à notre politique algérienne ?

Il n’en avait pas été ainsi en 1870. Dès le mois de janvier, l’attention publique avait été fortement appelée sur les affaires de notre colonie africaine par une discussion du sénat, à laquelle avaient pris part le maréchal de Mac-Mahon, M. Michel Chevalier, les généraux Daumas et de La Rue. Au corps législatif, l’intérêt avait été bien autrement excité, au mois de mars suivant, lorsque M. Léopold Lehon développa à la tribune l’interpellation déposée l’année précédente. La majorité qui avait applaudi sans réserve le jeune orateur, qui avait entendu MM. Lefébure et de Kératry abonder dans son sens, devant laquelle le baron Jérôme David, ancien officier des bureaux arabes, était venu déclarer qu’il était converti à l’idée de substituer désormais la prépondérance de l’élément civil à la suprématie des commandans militaires, ne fut qu’à moitié surprise et ne parut nullement scandalisée quand M. Jules Favre, déposant une pétition des habitans de Constantine, se mit à réclamer hautement pour les colons le droit de nommer eux-mêmes leurs députés. La discussion avait été brillante. Les objections du ministre de la guerre avaient eu le caractère de simples réserves, tandis que les critiques mises en avant par les membres de l’opposition s’étaient presque exclusivement adressées à la forme que le gouvernement entendait donner aux mesures projetées. Il entendait, en effet, les décréter par la voie du sénatus-consulte, alors que les opposans du corps législatif, devenus exigeans, émettaient la prétention de prendre directement part à leur confection ; mais ces divergences ne portaient point sur le fond des questions engagées. Finalement, le corps législatif se trouva à peu près unanime pour déclarer qu’après avoir entendu les explications du gouvernement sur les modifications qu’il se proposait d’apporter au régime législatif auquel l’Algérie était soumise, et considérant que, dans l’état actuel des choses, l’avènement du régime civil paraissait de voir concilier les intérêts des Européens et ceux des indigènes, il passait à l’ordre du jour. Au cours du débat, M. Jules Favre, récemment revenu d’Afrique, et qui s’était porté l’éloquent interprète des vœux des habitans de l’Algérie, avait pu, sans provoquer la moindre réclamation, s’écrier du haut de la tribune, le 9 mars 1870 : « Vous le voyez, messieurs, la barrière est tombée, car nous nous tendons une main fraternelle pour introniser la liberté. » Ce n’est pas tout. Le 28 mars, M. Léopold Lehon, en son nom propre et au nom de M. Jules Favre, afin de manifester, sans doute, par l’alliance des noms, l’accord survenu entre la majorité et l’opposition à propos de l’Algérie, déposait une proposition de loi dont les nombreux articles réglaient l’organisation future de notre colonie conformément aux vues exprimés par le leader de la minorité. Le gouvernement, par la bouche de M. Ollivier, en acceptait les dispositions principales, se bornant à demander que la discussion des mesures projetées et le vote du corps législatif, renvoyés dans la séance même à sa commission d’initiative, fussent remis à une autre session. Ainsi, plus d’hésitations, plus de retards, plus de fins de non-recevoir opposées aux vœux des habitans de notre colonie ; la sympathie pour leurs légitimes revendications était devenue générale et le moment semblait arrivé, presque à la veille de la chute de l’empire, où l’Algérie allait enfin recevoir, par l’entremise régulière du parlement, après de solennels débats, cette organisation définitive toujours si ardemment souhaitée et qu’aujourd’hui elle attend encore vainement.

Comment se fait-il que tant d’espérances aient été si cruellement déçues ? Comment tant de bons vouloirs n’ont-ils abouti à produire, après treize ans, que des résultats aussi incomplets ? Et pourquoi nous faut-il derechef en tendre nos compatriotes fixés en Algérie se plaindre encore aujourd’hui, non sans quelque apparence de raison, de l’insouciance que, sous la république, le gouvernement et les chambres semblent témoigner pour leurs intérêts les plus essentiels ? La plainte n’est que trop naturelle, mais les reproches sont-ils bien justes ? Hélas ! ce sont les malheurs de la patrie qui ont été l’unique cause de cette soi-disant indifférence. Au lendemain de ses revers, la France a dû, pour assurer son salut au sortir de l’épreuve qu’elle venait de traverser, se replier pour ainsi dire sur elle-même et courir au plus pressé. Les membres de l’assemblée nationale, aux prises avec les difficultés du jour, n’avaient pas l’esprit assez libre ni même assez de loisirs pour se livrer aux discussions de principes qu’aurait amenées l’étude d’une nouvelle organisation de notre colonie algérienne. La forme des délibérations de nos assemblées parlementaires n’est pas d’ailleurs restée ce qu’elle était naguère sous les monarchies constitutionnelles de 1815 et de 1830. La discussion de l’adresse au début de chaque session et celle du budget avant sa clôture fournissaient alors l’occasion de passer en revue et de traiter amplement à la tribune tous les sujets qui touchaient aux intérêts vitaux de notre pays. L’examen annuel du budget a bien été maintenu, parce qu’il est la condition essentielle de tous les gouvernemens libres, mais, à la chambre des députés, la discussion n’en est jamais venue qu’aux derniers momens de la session, alors que ses membres étaient pressés d’entrer en vacances. Quelle possibilité pour un député d’appeler utilement, en de pareilles circonstances, l’attention de ses collègues sur un sujet aussi vaste et aussi compliqué ? Et la présentation si tardive du budget au sénat, qu’a-t-elle été jusqu’à présent, sinon une vaine formalité et, pour ceux qui prennent au sérieux les affaires du pays, une véritable déception ? Sera-t-il permis à celui qui écrit ces lignes de constater qu’à trois reprises différentes, quand il a voulu, à propos des dépenses de notre colonie, soulever la question si importante à ses yeux d’une responsabilité ministérielle effective pour les affaires de l’Algérie et signaler les inconvéniens très fâcheux qui résulteraient, suivant lui, pour l’expédition des affaires, du système des rattachemens inauguré un beau matin, puis abandonné, puis repris, dont on ne sait pas encore au juste ce qu’il en est advenu, jamais il ne lui a été donné d’obtenir des ministres en exercice autre chose que des réponses, assurément fort courtoises, mais encore plus écourtées, et des promesses évasives qui n’ont été suivies d’aucune exécution ? Alors qu’un silence si complet s’est prolongé durant tant d’années, est-il donc surprenant que l’attention du public en soit venue à se désintéresser insensiblement d’un sujet dont les dépositaires du pouvoir et les représentans de la nation l’ont si peu entretenu ?

Mais parlons franchement et disons les choses comme elles sont. Nos compatriotes établis de l’autre côté de la Méditerranée n’ont-ils pas, eux aussi, quelques reproches à se faire, et dans le moment où je voudrais attirer sur leurs doléances légitimes l’attention qu’elles méritent, peut-être ne trouveront-ils pas mauvais que je leur demande s’ils sont bien assurés de n’être pas eux-mêmes, jusqu’à un certain point, responsables de cette défaveur dont ils gémissent ? Qu’ils me permettent de procéder à leur examen de conscience, ce qui est toujours facile quand il s’agit des autres. Les Algériens ont reçu de la république, comme don de joyeux avènement, presque tout ce qu’ils avaient demandé à l’empire, un peu plus même, car personne, que je sache, excepté M. Crémieux, ne les avait entendus formuler un vœu impérieux pour la naturalisation immédiate et en bloc de tous les israélites de l’Algérie. Deux décrets datés de Tours et de Bordeaux, en octobre 1870 et en février 1871, ont constitué notre colonie en trois départemens ayant chacun le droit de nommer deux représentans. Les gouvernemens et la haute administration de l’Algérie ont été centralisés à Alger sous l’autorité d’un haut fonctionnaire qui recevait le titre de gouverneur-général civil de ces trois départemens. Par suite des événemens de la métropole, et sans qu’il fût besoin pour cela d’aucun décret, la presse algérienne, jusqu’alors si sévèrement bâillonnée, est devenue soudainement libre comme celle du reste de la France, et nos compatriotes des trois départemens d’Alger, d’Oran et de Constantine ont été mis, du jour au lendemain, en possession, pour la défense de leur cause, de cet instrument merveilleux à la fois et redoutable, car il est également puissant pour le bien et pour le mal. Voyons l’usage qu’ils en ont fait.

Depuis le jour où la France a pu, après la paix, rentrer en possession d’elle-même et de la plus grande partie, sinon, hélas ! de la totalité de son sol national, le gouvernement de M. Thiers s’est uniquement appliqué à guérir les douloureuses blessures qu’elle venait de recevoir. A Alger la politique réparatrice de cet homme d’état avait droit de compter sur une cordiale adhésion, car personne, dans le passé, n’avait pris plus chaudement à cœur les intérêts de notre colonie africaine. Le choix de l’amiral de Gueydon et le soin de lui assigner le titre de gouverneur-général civil attestait une fois de plus non-seulement la sympathie persévérante du chef du pouvoir exécutif pour ses anciens cliens, mais sa prompte clairvoyance à deviner la nature des difficultés auxquelles il fallait pourvoir. M. Thiers se rendait parfaitement compte de l’intensité du mouvement d’opinion, plus vif peut-être que réfléchi, qui se prononçait alors contre le maintien dans notre colonie de toute suprématie même apparente qui serait accordée à l’élément militaire sur l’élément civil. Il faisait, en même temps, trop de cas des braves commandans de notre armée pour les vouloir sacrifier à de puériles déclamations ; il se tenait, avec raison, pour assuré que l’autorité supérieure de l’un de nos officiers de marine les plus distingués, administrateur heureux de la principale de nos colonies des Antilles, serait acceptée avec plaisir par ses subordonnés militaires, porteurs comme lui de la glorieuse épée qui en a toujours tant imposé aux Arabes. Il ne doutait pas non plus que les partisans les plus décidés d’une administration toute civile accueilleraient sans murmure son choix, parce qu’ils se sentiraient ainsi garantis contre les complaisances qu’entraînent parfois, entre officiers d’une même arme, les camaraderies d’une commune carrière. Sur ce dernier point, les prévisions de M. Thiers ne furent point tout à fait réalisées. Tandis que les personnes établies de vieille date dans le pays s’applaudissaient de rencontrer chez le nouveau gouverneur un protecteur intelligent de leurs sérieux intérêts, doué à la fois de l’esprit d’initiative et pratiquement versé, par les précédens de sa vie de marin, dans la connaissance des questions coloniales, les journaux de l’Algérie qui se piquaient d’indépendance n’attendirent pas longtemps pour entamer contre lui une guerre violente qui ne prit fin qu’à l’époque de son remplacement par le général Chanzy. L’ancien président du centre gauche républicain, le vainqueur de Patay, a-t-il eu la chance de trouver un peu grâce devant ces terribles contradicteurs ? Pas davantage. Après une espèce de lune de miel, dont la durée fut assez courte, les diatribes reprirent de plus belle contre les abus d’une administration entachée d’arbitraire et déclarée insupportable, parce qu’elle était remise aux mains d’un général commandant de corps d’armée. Aucune des invectives prodiguées à l’amiral de Gueydon ne fut épargnée à son successeur. Au bout de trois années, le général Chanzy était devenu pour la presse algérienne une sorte de bouc émissaire dont le sacrifice était absolument nécessaire au salut du peuple.

Alors s’organisa de toutes pièces une campagne vraiment curieuse, étant donnés le temps où nous vivons et les opinions de ceux qui l’ont entreprise et menée à bien. On se serait cru transporté à quelques siècles en arrière, en plein régime féodal. Pour les sénateurs et les députés républicains de l’Algérie, pour les membres des conseils-généraux, pour les organes les plus avancés de l’opinion radicale, il s’agissait de désigner eux-mêmes le gouverneur qu’ils entendaient faire mettre à la tête de la colonie. Peu importait qu’il y fût inconnu ou qu’il en ignorât les besoins. Serait-il plus ou moins apte à remplir les fonctions dont on voulait l’investir. C’était le moindre souci de ceux qui jetaient son nom en avant. L’essentiel était qu’il fût en possession d’un crédit indiscutable auprès du chef de l’état. Ainsi qu’on avait vu, avant la révolution de 1789, les puissans seigneurs du temps supplier le monarque régnant de leur accorder comme gouverneur, pour le plus grand bien de leur province, quelque membre de sa royale famille, un frère, un cousin, un neveu, au besoin quelqu’un de ses bâtards, de même peu s’en est fallu que l’on ait eu le spectacle des délégués de l’Algérie se traînant avec les mêmes instances aux pieds du président Grévy. Cependant, comme en république il n’y a point de bâtards, ils lui ont simplement demandé son frère, et ils l’ont obtenu. M. Jules Grévy aurait-il, à lui seul et de son propre mouvement, imaginé ce choix ? Je ne l’ai pas entendu dire, et je crois qu’il s’en défend. M. Albert Grévy avait-il songé lui-même à cette candidature avant qu’on lui en parlât ? Je l’ignore également. Mais j’ai assisté à son débarquement à Alger. Ce fut une ovation sans pareille. Deux années plus tard j’étais de nouveau à Alger. Ah ! combien la note était changée ! Je retrouvais M. le gouverneur-général tel que je l’avais laissé, plein de zèle pour la colonie, avec quelques expériences en plus, faites sur le terrain, notamment la plus cruelle et la plus inattendue pour lui, celle de la prodigieuse mobilité d’impression de ses administrés. Jamais, au plus fort de la polémique dirigée contre eux, ni l’amiral de Gueydon, ni le général Chanzy n’avaient été l’objet d’un concert de critiques aussi acerbes, de récriminations aussi violentes, probablement assez mal fondées, en tout cas, extrêmement injurieuses.

Comment, de bonne foi, les sénateurs, les députés, les feuilles publiques de l’Algérie qui ont si vite passé du plus étrange engouement à des rages de dénigremens impitoyables n’ont-ils pas songé que, par ces brusques transitions d’un excès à un autre, ils affaiblissaient singulièrement eux-mêmes leur autorité et portaient ainsi atteinte, dans leurs propres personnes, à la confiance qu’en raison de leur situation au parlement et de leur rôle dans la presse, la mère patrie était disposée à leur accorder comme aux représentai naturels et les mieux accrédités auprès d’elle des intérêts de notre grande colonie africaine ?

Mais pénétrons un peu plus avant dans un sujet qui devient de plus en plus délicat. Puisque nous sommes en train de chercher l’explication de l’espèce d’indifférence qui a, peu à peu, remplacé l’intérêt si vif et si continu qu’excitaient jadis les débats relatifs aux affaires de l’Algérie, risquerons-nous beaucoup d’offenser les amours-propres en supposant que leur ancien retentissement tenait en partie à l’éclat des noms de ceux qui jadis y prenaient part ? Notre colonie n’avait alors de représentans officiels ni dans l’une ni dans l’autre chambre ; cependant les combats livrés par quelques-uns des généraux qui escaladaient bravement la tribune comme ils auraient monté à l’assaut d’une ville arabe, et la renommée européenne de la plupart des orateurs mêlés à ce brillant tournoi, n’ont-ils pas été pour quelque chose dans le succès d’une cause qui avait la bonne fortune d’enrôler sous ses drapeaux de pareils champions ? Depuis 1871, l’Algérie, comme cela est de toute justice, choisit elle-même les sénateurs et les députés auxquels elle donne mission de la représenter dans les conseils de la nation. Il n’aurait dépendu que de sa volonté, sans sortir bien entendu des cadres obligatoires du parti républicain, de mettre la main et de porter ses suffrages sur quelque illustration civile ou militaire, fameuse ailleurs que dans les circonscriptions des trois départemens. Elle a procédé autrement. Elle a préféré, cela était certainement son droit, prendre ses mandataires sur place, pour ainsi dire, en raison de leur notoriété toute locale, persuadée apparemment qu’elle serait ainsi en mesure d’exiger de ses élus un souci plus profond et une connaissance plus intime des sentimens et des intérêts des contrées qu’ils allaient avoir l’honneur de représenter. C’était une préoccupation des plus légitimes. Au sénat et à la chambre, on a tout d’abord tenu les représentans de nos départemens algériens pour gens ayant droit d’être consultés, et dont il était convenable de suivre les avis pour ce qui regardait les affaires de leurs mandataires. En fait, le sénat et la chambre ont pris soin, comme en témoigne le Journal officiel, de les faire entrer, autant que possible, dans toutes les commissions ayant à s’occuper de notre colonie ; le plus souvent, leurs collègues les ont choisis pour organes de ces commissions, parce qu’ils s’imaginaient n’être ainsi que justes envers des personnes naturellement désignées à leur préférence par les suffrages des électeurs algériens non moins que par leurs lumières propres et leurs connaissances spéciales. Plusieurs rapports récemment distribués, tant au sénat qu’à la chambre, et les travaux plus anciens de M. Warnier, autrefois député d’Oran, ne sont pas pour détruire cette avantageuse impression. Mais voyez la surprise ! Voici que les journaux de notre colonie se mettent à déclarer hautement, un beau matin, que c’est là, de la part des chambres françaises, une déplorable erreur. à les en croire, sénateurs et députés n’ont jamais été choisis de l’autre côté de la Méditerranée en raison de leurs opinions personnelles sur les affaires propres à l’Algérie, opinions dont on n’avait pas même pris la peine de s’informer. Ils avaient uniquement du leur élection à leur ferveur républicaine ; d’où résultait la conséquence que, dans tout ce qui touchait à l’organisation de la colonie et à la gestion de ses affaires courantes, il n’y avait pas lieu de tenir le moindre compte de ce que ces messieurs pouvaient dire ou penser[1]. On en est à se demander quel profit, après avoir poursuivi de leurs attaques tous les gouverneurs que la république leur a envoyés, les feuilles publiques de l’Algérie pensent trouver à ruiner elles-mêmes auprès du parlement et de la métropole le crédit des représentai officiels que naguère elles appuyaient de leur chaude adhésion.

Il y a plus. Ce sont quelquefois de graves personnages qui semblent là-bas prendre un incompréhensible plaisir à dénoncer eux-mêmes leurs propres inconséquences. Pas plus tard qu’au mois de décembre 1880, n’a-t-on pas entendu un membre du conseil-général de Constantine, délégué de ce département au conseil supérieur de l’Algérie, et depuis devenu député, constater de la façon la plus solennelle devant ses collègues légèrement étonnés, qu’un avis important émis, au cours de l’année 1878, par le conseil général de Constantine n’avait jamais été, de sa part, qu’un simple artifice, ayant eu surtout pour but de faire échec au gouvernement militaire d’alors, et que c’était là, il n’hésitait pas à le répéter, beaucoup moins une opinion raisonnée qu’une manœuvre pour arriver à la suppression du gouvernement militaire ? Sur l’observation de l’un de ses collègues que c’était un agissement étrange, de se servir d’armes inavouables pour tomber une personnalité désagréable, et qu’on aurait dû enfouir avec soin pour ne pas s’exposer à sentir le rouge vous monter au visage, le même conseiller-général ne trouvait rien de plus à propos que de maintenir l’exactitude de son assertion et la légitimité du procédé[2]. Après avoir ainsi exposé non sans tristesse, mais avec impartialité, nous l’espérons du moins, le tort apporté par certaines erreurs de conduite et par des emportemens de parole à tout le moins irréfléchis à une cause qui nous est chère, il nous est agréable de pouvoir signaler une sorte de revirement qui commence à s’opérer dans l’opinion. Cette indifférence pour les affaires de notre colonie, que les Algériens ont tant déplorée sans se douter qu’ils y étaient peut-être bien pour quelque chose, semble en train de faire place à un autre sentiment. La question de la colonisation, c’est-à-dire de la mise en valeur agricole et de l’exploitation industrielle de nos possessions du nord de l’Afrique, vient d’apparaître tout à coup à notre sollicitude patriotique sous un nouvel aspect. Des hommes d’état soucieux des grands intérêts de notre pays, — et par mieux un ancien président du conseil, M. Waddington, et M. de Saint-Vallier, notre ancien ambassadeur à Berlin, — ont du haut de la tribune engagé la France à se préoccuper un peu plus qu’elle ne l’avait fait jusqu’à présent du soin de tirer tout le parti possible des établissemens qu’elle possède encore hors de son territoire. Ils ont pris la peine de lui indiquer qu’elle pourrait trouver ainsi non-seulement l’emploi de son activité naturelle et de son esprit d’entreprise, sans risque d’exciter la dangereuse inquiétude de ses voisins immédiats, mais qu’elle aurait, par surcroît, la chance de recouvrer peut-être au loin et par voie détournée, une influence qui s’en allait décroissant sur le continent européen. L’attention publique vient ainsi d’être successivement appelée sur le Congo et sur Madagascar, sur la Cochinchine et sur le Tonkin. Pour revenir de là en Algérie, le détour est un peu long, cependant nous y avons été ramenés. Les mêmes ministres qui préparent une expédition pour construire un chemin de fer au Congo, pour civiliser les Malgaches, pour mettre les Annamites à la raison et nous assurer la conquête du Tonkin, élaborent, dit-on, en même temps un projet de loi, qui ouvrirait prochainement un crédit considérable pour la colonisation de l’Algérie. Je souhaite un succès complet à tous ces patriotiques desseins, qu’approuvent plusieurs judicieux esprits. Mais le Congo, Madagascar et le Tonkin sont bien loin. Je ne connais pas ces pays, où je n’ai jamais été, où je ne mettrai probablement jamais le pied. L’Algérie, je la connais un peu et je l’aime beaucoup. J’ai suivi de près, pendant ces dernières années, les épreuves par lesquelles elle a passé et ses heureux développemens. C’est pourquoi, sans prétendre traiter les questions multiples qui se rattachent à un pareil sujet, je voudrais tâcher de rendre compte d’une façon précise des divers essais de colonisation successivement tentés pour mettre à profit les incomparables ressources de cette magnifique portion de l’Afrique, afin qu’instruits par l’expérience acquise, nous soyons plus à même de savoir au juste ce qu’il convient aujourd’hui d’y faire et surtout ce dont il importe de s’abstenir.


I

L’idée d’imprimer une forte impulsion à la colonisation algérienne en mettant cette entreprise à la charge de l’état, quoique favorisée par les circonstances récentes que je viens d’indiquer, remonte plus haut dans le passé. A vrai dire, ce système date presque des premières années qui ont suivi notre conquête. Il a été le rêve de tous les généraux qui se sont succédé comme gouverneurs de l’Algérie, et les honorables représentans de notre colonie se trouvent avoir hérité, beaucoup plus qu’ils ne s’en doutent, des doctrines et des procédés du régime militaire, dont ils se proclament, d’ailleurs, les plus acharnés adversaires. Cette tendance n’a rien de singulier chez des sénateurs et des députés qui ont, de tout temps, adhéré à la politique autoritaire de M. Gambetta, ou qui sont naguère entrés dans la vie politique sous son patronage. Ce qui est nouveau et caractérise l’époque où ce plan vient d’être conçu, c’est la combinaison financière qui lui sert de point de départ et qui en constitue la base indispensable. La pensée en a surgi à l’époque où nos recettes de chaque exercice dépassant régulièrement les prévisions budgétaires, on trouvait simple de grever l’avenir au profit du présent, et de recourir au commode expédient des dépenses sur ressources extraordinaires pour exécuter l’ensemble des grands travaux publics préconisés par M. de Freycinet. Le germe est éclos au sein des commissions budgétaires de la chambre des députés. Il a pris graduellement corps dans les rapports sur l’Algérie des années 1879, 1880 et 1881. L’honorable M. Gastu, alors député du département d’Alger, depuis remplacé, si je ne me trompe, par M. Letellier, a, dans son rapport déposé le 29 avril sur les services du gouvernement-général civil de l’Algérie, ébauché le premier, sous forme de vœu, les mesures à prendre pour donner satisfaction au plan choyé par un grand nombre de ses électeurs algériens.


Comme les terres, disait-il, augmentent sans cesse de valeur, les indemnités à payer pour les acquérir s’accroissent d’autant. Un acte de prévoyance serait évidemment de mettre à profit l’instant où leur valeur n’a pas acquis un taux trop élevé pour s’assurer, d’un seul coup, d’une grande quantité de terres dans la zone qui avoisine les territoires colonisés ; mais nous ne pouvons nous dissimuler les difficultés financières d’une opération de cette nature faite sur une grande échelle. Et pourtant, si l’on veut que la colonisation se fasse dans des proportions plus vastes, il faut avoir des terres à l’avance et beaucoup[3].


En 1880, sous la plume de M. Thomson, député de Constantine et rapporteur du budget de 1881, les souhaits un peu vagues exprimés par M. Gastu revêtent leur forme à peu près définitive. Après avoir constaté que les sommes annuellement affectées par les chambres aux travaux de colonisation et aux achats de terres s’élèvent au total de 2,570,600 francs environ, l’honorable rapporteur de 1880 se demandait quel inconvénient il y aurait à faire masse de ces différentes allocations que le parlement n’a jamais hésité à Voter et à les inscrire au budget algérien sous la rubrique : « Garantie d’intérêt et d’annuité d’amortissemens du capital avancé à la caisse de colonisation. » En résumé, la commission de la chambre des députés acceptait la création d’une caisse de colonisation dans les conditions indiquées et faisait remarquer que l’état trouverait une large compensation aux sacrifices qu’il s’imposerait ; l’augmentation de la population devant avoir pour effet de donner une vive impulsion au commerce, à l’agriculture, et amener ainsi un accroissement de la richesse publique[4].

Au cours de l’année 1881, les choses se précisent encore davantage. L’administration avait annoncé l’intention de soumettre au parlement un programme général de colonisation. Elle avait évalué à trois cents le nombre des villages à faire figurer à ce programme, et, recherchant les moyens de constituer à bref délai ce vaste domaine colonisable, elle ne s’était pas bornée à esquisser le plan d’une caisse de colonisation ; elle avait apporté, le 3 avril 1881, à la chambre des députés, un projet présenté au nom du président de la république, par M. Constans, ministre de l’intérieur, et par M. Magnin, ministre des finances, « ayant pour objet de mettre à la disposition du ministre de l’intérieur et des cultes une somme de 50 millions pour être employée en acquisitions de terres et en travaux de colonisation en Algérie[5]. » Une commission spéciale de vingt-deux membres était nommée pour examiner l’économie de ce projet, qui devait être également étudié par la commission du budget. La commission spéciale choisissait encore pour rapporteur M. Thomson, mais tandis que l’honorable député avait terminé, dès le 12 mai 1881, son rapport sur le budget de l’Algérie, il n’avait pas été maître de déposer à la même date son travail sur le projet de loi du 5 avril 1881. Ce rapport ne fut distribué que dans la séance du 12 juillet, presque à la veille des vacances du parlement, et ne put devenir, par conséquent, l’objet d’aucune discussion.

A la rentrée des chambres, vers la fin de l’année 1881, un changement ministériel était survenu, qui avait appelé M. Gambetta à la présidence du conseil ; M. Waldeck-Rousseau était ministre de l’intérieur, et M. Allain-Targé gérait nos finances. Ces messieurs apportèrent, le 9 décembre, un projet de loi reproduisant sous réserve de quelques modifications, celui qui avait été déposé, le 5 avril précédent, par MM. Constans et Magnin. En 1882, nouveau changement ministériel l C’est M. René Goblet qui, cette fois, est ministre de l’intérieur, mais c’est toujours l’honorable M. Thomson, chargé, l’année précédente, de faire le rapport sur le projet de loi des 50 millions, qui dépose encore cette fois, le 29 juin, au nom de la commission du budget, le rapport sur les dépenses générales de l’Algérie. À cette date, « la commission du budget n’avait pas encore pu se livrer à l’examen du projet de loi spécial pour la colonisation. » Au reste, ajoutait M. Thomson, « quel que soit le procédé financier auquel on se fixe définitivement, il n’est pas douteux que les moyens d’achever, la réalisation du programme général de colonisation soient fournis à bref délai à l’administration algérienne[6].

Une autre année s’est écoulée ; un autre ministère s’est formé ; les brefs délais se sont tant soit peu allongés. Cependant, comme M. Waldeck-Russeau était le ministre de l’intérieur du cabinet qui a présenté aux chambres le projet de décembre 1881, et comme il se trouve avoir pour collègue aux finances l’un des membres du gouvernement qui a pris, au 5 avril de la même année, l’initiative de la combinaison budgétaire en question, nous pouvons supposer, sans risque de beaucoup nous tromper, que c’est bien le même projet qui va être soumis au parlement. Pour l’étudier dans ses lignes principales, nous ne saurions donc avoir de meilleurs guides que les deux anciens exposés des motifs du gouvernement et les deux rapports de l’honorable M. Thomson. Le côté financier du projet en question est d’une netteté parfaite :


Art. 1er. — Une somme de cinquante millions (50,000,000) payables en cinq annuités, à partir de ***, est mise à la disposition du ministre de l’intérieur pour être employée en acquisitions de terre et en travaux de colonisation en Algérie.

Art. 2. — Le ministre des finances est autorisé à servir ces annuités au moyen d’avances qui pourront être faites au trésor par la caisse des dépôts et consignations.

Pour le remboursement de ces avances en capital et intérêts calculés au taux de quatre pour cent (4 pour 100), la caisse des dépôts et consignations recevra, jusqu’au complet remboursement, une somme de trois millions soixante-dix mille francs (3,070,000 fr.) qui sera inscrite chaque année, à partir de ***, à un chapitre distinct du budget du ministère de l’intérieur[7].


Si nous sommes bien informés, il se pourrait bien que des modifications de détail fussent, au dernier moment, apportées aux mesures financières à prendre pour le paiement et la répartition des avances qu’il s’agit de se procurer ; mais l’économie générale du projet n’en serait pas altérée et le fond de la combinaison resterait intact. Voyons, grâce aux documens que nous avons cités, quels motifs en ont décidé l’adoption et quels en sont les traits essentiels.

L’exposé des motifs du projet de loi du 9 décembre 1881 établit :


Que la création de trois cents nouveaux villages est indispensable pour asseoir solidement notre domination dans le Tell algérien. Les ressources dont on avait jusqu’alors disposé (terres séquestrées et soultes de rachat de séquestre) étaient épuisées. Pour entreprendre l’œuvre nouvelle, il fallait donc rechercher les moyens d’y suppléer. D’après les renseignemens qu’elle s’est procurés, l’administration estime que, sur les trois cents villages projetés, cent cinquante environ pourront être installés au moyen des terres appartenant à l’état. Quant aux cent cinquante autres villages, chaque centre étant présumé avoir cinquante feux agricoles avec un périmètre de 2,000 hectares, et le prix de l’hectare étant porté en moyenne à quatre-vingt-cinq francs (85 fr.), ce serait 300,000 hectares à se procurer au taux présumé de vingt-cinq millions cinq cent mille francs (25,500,000 fr.). Le calcul des dépenses occasionnées par l’établissement des centres créés depuis 1871 ayant démontré qu’il serait imprudent d’évaluer la dépense d’installation des trois cents villages à moins de quatre-vingt mille francs (80,000 fr.) pour chacun d’eux, il en résultait une nouvelle somme de 24 millions environ, somme à se procurer pour l’achat des terres, la plupart par la voie de l’expropriation, et pour les travaux d’installation, c’est-à-dire une dépense totale, en chiffres ronds, de cinquante millions, (50,000,000 fr.). Le peuplement des trois cents villages, à cinquante feux agricoles chacun, permettrait d’établir dans de bonnes conditions quinze mille familles d’agriculteurs, ou soixante mille personnes environ. En ajoutant à ce chiffre celui des industriels qui viendraient se fixer dans chaque centre, où des emplacemens à bâtir et des lots de jardins (10 par contrée) leur seraient réservés, c’était un nouvel appoint qui donnait, en somme, un total de dix-huit mille familles ou soixante-douze mille personnes pouvant être établies en Algérie[8].


Le gouvernement ayant reconnu dans ses communications officielles la nécessité d’implanter dans la colonie une population française assez dense pour faire contrepoids non-seulement à l’élément indigène, mais encore à l’élément européen étranger, l’honorable M. Thomson s’est appliqué à démontrer dans ses différens rapports, par des raisons tirées de ses connaissances personnelles du pays, les avantages qu’il y aurait, suivant lui, à grouper ensemble les nouveaux arrivans qu’on se proposait d’attirer dans notre colonie. « Il y avait à craindre, pensait-il, que livrés à eux-mêmes, ils ne s’éparpillassent au hasard dans des établissemens éloignés les uns des autres, formant des espèces d’îlots toujours menacés par les indigènes des tribus environnantes, de telle sorte qu’aux époques troublées où le fanatisme musulman porterait la population arabe, sinon à un mouvement insurrectionnel, du moins à quelques actes d’insubordination, leur sécurité deviendrait un sujet de préoccupation pour l’administration. Au point de vue de la prise de possession du sol, et dans un intérêt tout à fait politique, il importait donc de créer des centres fortement constitués, représentant un certain nombre de familles françaises, par conséquent aussi un certain nombre de fusils, capables, non-seulement, de se garder elles-mêmes, mais de protéger, par l’ascendant moral qui résulte de la force matérielle, toute la région dont chacun des trois cents villages se trouverait être le centre naturel d’attraction[9]. »

D’autres considérations non moins importantes pouvaient être invoquées, au dire de l’honorable M. Thomson, pour témoigner combien était indispensable, à l’heure actuelle, la colonisation de l’Algérie par l’état. « La création de trois cents nouveaux villages, affirmait-il dans son rapport sur le budget de l’exercice 1883 relatif à l’Algérie, constituera le dernier effort de l’état. Ces villages établis, l’initiative individuelle viendrait terminer l’œuvre de la civilisation commencée…[10]. » L’entreprise était grave tout à la fois par le chiure élevé du crédit et par l’étendue des terres à acquérir, parce que, vu la résistance présumée des indigènes, l’administration devrait, dans la plupart des cas, se les procurer par la voie de l’expropriation pour cause d’utilité publique. A l’administration revenait l’obligation de désigner l’emplacement des villages en raison de leur position stratégique plus ou moins susceptible de défense, de la fertilité des terrains à mettre en culture et de l’abondance des eaux nécessaires à l’alimentation des émigrans et de leurs troupeaux ; à elle encore de décider si les terres achetées devraient être mises en adjudication par enchères, vendues sous certaines conditions ou concédées gratuitement, et, dans ce dernier cas, à quelles conditions ; opérations toutes plus délicates les unes que les autres et qui, par suite de leur importance au point de vue du résultat final, ne pouvaient être utilement confiées qu’à la direction unique de l’état. L’honorable rapporteur de la commission n’hésitait pas d’ailleurs à convenir dans ce même document « que l’administration algérienne n’avait pas jusqu’à ce jour fait preuve d’une application suffisante pour surmonter les difficultés qu’il avait mis tant de soin à signaler. Les renseignemens parvenus à la commission établissaient que certains choix inconsidérés, quant à l’emplacement des villages, avaient abouti à de vrais mécomptes ; que le triage à faire dans le nombre des demandeurs ne laissait pas que d’être très embarrassant, et que, dans des circonstances trop fréquentes, nombre de colons sérieux avaient eu à subir les suites fâcheuses des fausses manœuvres, des négligences, des erreurs de l’administration[11]. » Cependant l’honorable rapporteur terminait en concluant que le mieux était encore de continuer de mettre à sa charge une tâche infiniment plus lourde que celle sous le poids de laquelle elle avait jusqu’à présent succombé[12].

On nous permettra de nous dispenser d’examiner la partie financière du projet ; nous reconnaissons volontiers, à ce sujet, notre complète incompétence. Peut-être, au point de vue budgétaire, est-il permis de se demander s’il est sage, et même, licite d’aliéner ainsi la liberté du parlement, de lui lier les mains par avance pour un laps de vingt-deux années en faisant masse (c’est l’expression dont on s’est servi) des différentes allocations qu’il a précédemment votées et qu’on lui suppose l’intention de voter encore pendant cet espace de temps au profit de la colonisation algérienne, afin de les inscrire en bloc au budget sous la rubrique de « garantie et amortissement d’un capital avancé par la caisse des dépôts et consignations. » N’est-ce point là une forme déguisée d’emprunt, et si pareils expédiens étaient couramment employés à faire face à toutes les dépenses ayant le double caractère d’être utiles et momentanées, où irions-nous et que deviendraient les finances de notre pays ? Je laisse ce sujet à éclaircir aux sages esprits qui ont, à l’heure qu’il est, justement souci de la bonne gestion de la fortune publique de la France. Ce n’est pas que je sois autrement effrayé de l’octroi d’une somme de 50 millions consacrée à développer les magnifiques ressources de nos possessions du nord de l’Afrique. C’est de l’emploi à faire de ce capital que je me préoccupe, et des moyens pratiques à mettre en usage afin d’en tirer le meilleur parti possible.

La question, du reste, n’est pas nouvelle. Elle a été traitée supérieurement par M. de Tocqueville dans le rapport qu’il a fait, en 1847, au nom d’une commission parlementaire qui, je le crois, a été la première saisie de l’une de ces demandes de crédits à l’usage des colons algériens, crédits dont le retour est depuis devenu si fréquent, et qui ont tant de fois fourni aux membres de nos diverses assemblées politiques l’occasion d’exprimer leurs vues sur la direction à donner aux affaires de notre colonie africaine. Voici quelles étaient à cette date les conclusions de l’éminent rapporteur : « En matière de colonisation, disait-il, il faut toujours en revenir à cette alternative : ou les conditions économiques du pays qu’il s’agit de peupler sont telles que ceux qui voudront l’habiter pourront facilement y prospérer et s’y fixer ; dans ce cas, il est clair que les hommes et les capitaux y viendront et y resteront ; ou bien, une telle condition ne se rencontre pas, et alors on peut affirmer que rien ne saurait jamais la remplacer. »

Dans ces termes absolus, le dilemme de M. de Tocqueville est logiquement irréfutable. Mais la logique absolue ne gouverne pas le monde, et les conditions économiques d’un pays peuvent d’ailleurs être graduellement modifiées et même parfois très promptement changées. L’Algérie en est un exemple. A coup sûr, elle n’était plus, au moment où nous en avons fait la conquête, ce qu’elle avait été avant notre ère, c’est-à-dire une sorte de grenier d’abondance pour les Romains. Il est de même incontestable qu’elle s’est prodigieusement et très heureusement transformée depuis que nous l’occupons, surtout pendant le cours de ces douze ou quinze dernières années. Loin de moi la pensée que la colonisation officielle ait été l’unique cause de ces notables progrès, ni même qu’elle y ait joué le premier rôle ! Il serait toutefois injuste de nier qu’elle y ait eu sa part ; j’incline même à croire qu’il serait fâcheux de vouloir désormais tenir l’administration tout à fait à l’écart des mesures à prendre pour hâter le peuplement et la mise en valeur des contrées algériennes. C’est une affaire de mesure et de temps. Une colonisation exclusivement officielle serait une colonisation essentiellement factice. Le rôle des agens d’un gouvernement peut être, aux époques de début, celui d’initiateurs, mais il faut qu’ils se hâtent de reprendre le plus tôt possible celui qui, à la longue, leur convient uniquement, à savoir : de conseillers bienveillans et de protecteurs efficaces. Les gouverneurs militaires ou civils de notre colonie africaine ont, chacun à leur date, beaucoup contribué à sa prospérité. Ils lui ont rendu plus de services qu’ils n’ont commis de fautes. Ce sont eux qui ont inauguré la grande expérience de colonisation officielle entreprise sitôt après notre conquête, qui a pris, d’année en année, des développemens si considérables et que l’on semble vouloir, à tort ou à raison, poursuivre encore aujourd’hui, C’est pourquoi, au lieu de débattre théoriquement des doctrines sur lesquelles toutes les opinions se sont produites, je juge plus utile d’étudier de près les essais de colonisation successivement tentés sur le terrain. Ils ont été assez nombreux, surtout depuis 1871, pour nous fournir une excellente occasion d’en apprécier le fort et le faible, et de constater scrupuleusement pour chacun d’eux, quels en ont été, en somme, les résultats effectifs. Cette façon de procéder n’a rien d’ambitieux ; elle est, j’en conviens, on ne peut plus terre à terre. Je me féliciterais toutefois, si, grâce à la précision des faits que je vais rappeler, il m’était donné de fixer les hésitations de l’opinion publique et d’agir, quelque peu que ce fût, sur les déterminations des hommes qui tiennent aujourd’hui en mains les destinées prochaines de notre belle colonie, car il est temps qu’ils sachent au juste ce qu’il convient de faire. Entendent-ils rompre entièrement avec les erremens du passé, ou veulent-ils les continuer tout en les modifiant ? Dans ce dernier cas, qui est le plus probable, ils ont un intérêt majeur à bien discerner, dans la foule encombrante de mesures successivement prises un peu au hasard par leurs devanciers, celles qu’ils peuvent adopter sans trop d’inconvéniens et celles que l’expérience acquise les engage à éviter.

II

Presque aussitôt après l’occupation définitive du Sahel, c’est-à-dire du massif des collines qui environne Alger, le problème de la colonisation s’imposa de lui-même et par la force des choses. De hardis pionniers s’étaient tout d’abord mis à l’œuvre, et, sous la protection d’une forte garnison dont les corps détachés rayonnaient autour de la place, ils avaient commencé par cultiver les terres faisant naguère partie des domaines du dey, qui demeuraient abandonnées dans la banlieue de son ancienne capitale. Peu à peu ils avaient poussé plus avant, et, grâce à l’assistance des commandans militaires, grâce surtout à la coopération gratuitement prêtée par nos soldats, quelques établissemens agricoles et plusieurs centres créés par ces premiers colons s’étaient étendus de proche en proche jusqu’à la plaine de la Mitidja. Nos compatriotes y rencontraient une terre d’une merveilleuse fertilité, mais couverte presque partout de palmiers nains dont le défrichement était non-seulement pénible et coûteux, mais très malsain. Nombre de localités qu’on aperçoit maintenant de loin sur le chemin de fer d’Alger à Oran, couronnées des plus magnifiques ombrages, étaient alors dépourvues de toute végétation et entourées de marais pestilentiels. La plupart, comme Boufarik, par exemple, ce centre aujourd’hui si prospère, dont la population s’est renouvelée successivement jusqu’à trois fois, avaient alors une réputation néfaste d’insalubrité et passaient, dans l’opinion de nos troupes, pour autant de tombeaux. Cependant, malgré les difficultés du début, en dépit de l’hostilité des indigènes et de leurs trop fréquentes pilleries, l’élément européen allait gagnant chaque jour du terrain, non-seulement près d’Alger, mais aux environs d’Oran, de Bône et de Philippeville, et tout le long du littoral. Son essor alla même jusqu’à donner brusquement aux terres primitivement concédées à des civils une valeur assez considérable pour susciter d’assez fâcheuses spéculations de la part de personnes à coup sûr fort peu soucieuses de l’avenir de la colonisation. Ce fut pour mettre obstacle à ce scandaleux trafic que des arrêtés successifs pris par les divers gouverneurs imposèrent aux concessionnaires, de 1840 à 1847, certaines clauses résolutoires : 1° construire une maison d’exploitation en rapport avec l’étendue du terrain concédé ; 2° planter un certain nombre d’arbres par hectare ; 3° défricher et mettre les terres en valeur ; 4° les entourer d’une haie ou d’un fossé. À ces conditions, le colon ne recevait encore qu’un titre de possession provisoire. Des inspecteurs de colonisation devaient en outre vérifier, après un temps donné, l’état de la concession, et, si les clauses stipulées pour l’octroi de la propriété définitive du sol n’avaient pas été remplies, le colon pouvait être évincé[13].

On devine aisément les inconvéniens d’un pareil système uniformément applicable à toutes les parties d’un immense territoire, dont les circonstances économiques varient à l’extrême d’une contrée à l’autre, quant à la nature du sol et à l’espèce des productions agricoles qu’il est en état de fournir. Mais tel est le fond à peu près immuable de tous les plans de colonisation officielle, et le résultat le plus sûr en a toujours été de paralyser à force d’entraves et d’instabilité les féconds efforts de l’initiative individuelle ; Le système du genre n’était pas toutefois encore atteint. Il restait à essayer d’impatroniser en Algérie des colonies militaires à l’instar de celles qu’avaient jadis fondées nos devanciers les Romains. Cette idée avait souri au maréchal Valée, qui, par un arrêté en date du 1er octobre 1840, songea, le premier, à créer près de Coleah une colonie militaire de 300 soldats, auxquels furent alloués conditionnellement quelques hectares de terre, avec un emplacement propre à servir de centre aux constructions rurales qu’ils étaient tenus de bâtir. Les avantages stratégiques de cette combinaison étaient de nature à frapper vivement l’imagination du maréchal Bugeaud, qui, dans des occasions récentes et décisives, venait de remporter sur les Arabes de brillantes victoires. Elle allait droit au cœur du grand homme de guerre et du fervent agriculteur qui avait adopté la fière devise : Ense et aratro. Après Isly, tous les efforts du maréchal, dont l’influence sur la direction à donner aux affaires algériennes était devenue justement dominante, tendirent à faire agréer par le gouvernement un ensemble de mesures élaborées de longue date avec amour jusque dans leurs moindres détails et jugées par lui indispensables au succès de la colonisation. Au ministère de la guerre l’adhésion fut complète. A vrai dire, l’exposé des motifs du projet de loi déposé au commencement de 1847 par le titulaire de ce département, le général Moline de Saint-Yon, pour demander l’ouverture d’un crédit de 3 millions à affecter à l’établissement de camps agricoles en Algérie, n’était que le développement des idées du maréchal. Il était clair qu’il en était l’auteur, et c’était lui, en réalité, qui avait tenu la plume. Outre qu’il expose clairement le plan dont il s’agit, ce document officiel indique avec grande précision où en étaient les essais de colonisation expérimentés, en 1847, sur le territoire de nos trois provinces ; c’est pourquoi nous en reproduirons ici les passages les plus essentiels : … Malgré toute l’attention apportée par le gouvernement à la colonisation en Algérie, ce n’est guère qu’à partir de 1842, disait l’exposé des motifs, que cette œuvre longue et difficile a pu devenir l’objet d’efforts puissans et continus… Trois petits villages créés à grand’peine, deux dans la banlieue et un dans la Mitidja, quelques concessions isolées dans le voisinage des villes d’Alger, de Bône et d’Oran, l’établissement de quelques colons dans les villes de Blidah. Coleah et Cherchell, voilà tout ce qu’on a fait et pu faire… De 1842 à 1845, quinze centres, dont une petite ville, ont été fondés dans le Sahel ; vingt-sept étaient créés ou en voie de construction dans la province d’Alger, huit dans la province d’Oran et huit autres également dans la province de Constantine…


Tout en se félicitant des résultats acquis et en témoignant de sa confiance dans la future prospérité des villages en voie de préparation, le ministre de la guerre se demandait « s’il ne conviendrait pas d’établir dans les vides qui séparaient ces centres les uns des autres, non-seulement des concessionnaires riches et dotés de grandes étendues de terrain, mais une colonisation plus forte, plus défensive que la colonisation complètement libre, complètement civile, en un mot une colonisation armée… » Cette colonisation, dans la pensée du maréchal Bugeaud et du général Moline de Saint-Yon, devait être « une véritable avant-garde destinée à se servir du fusil comme de la bêche, une sorte de bouclier pour les établissemens placés derrière elle… Les hommes habitués au métier des armes, continuait le ministre, sont seuls en état de fournir un choix de sujets jeunes, vigoureux, acclimatés, aguerris, énergiques et capables de tenir les Arabes en respect[14]. » Venaient ensuite, dans l’exposé des motifs, des détails circonstanciés sur la meilleure manière d’organiser ce corps de soldats d’élite appelés à devenir des colons modèles, On renonçait à y admettre les libérés du service, parce que l’expérience avait démontré qu’ils étaient en général plus pressés de retourner en France cultiver les terres de leurs parens que de faire valoir celles qu’on leur promettait en Algérie. Les militaires ayant encore trois années à servir sous les drapeaux donnaient plus de garantie parce qu’ils demeuraient assujettis aux règles d’une stricte discipline. Cependant, comme il est difficile de faire de la colonisation avec des célibataires, il leur était octroyé un congé de trois mois au bout desquels ils étaient disciplinairement tenus de revenir en Algérie muni chacun d’une épouse légitime. Volontiers on se croirait en présence de quelque utopie ou de rêve bienfaisant d’un despote oriental. Loin de là ! Le système que le gouvernement proposait aux chambres françaises d’instituer par voie législative, le maréchal Bugeaud l’avait déjà pleinement inauguré à titre d’expérimentation. Il avait commencé par fonder à Fouka un village composé de libérés ; puis, comme il n’avait pas trouvé chez eux assez de zèle pour la culture ni assez de docilité pour ses conseils agricoles, il avait créé, à Mered et à Mehelma, deux autres villages ne comprenant que des hommes devant encore trois ans de service à l’état. À peine installés sur leurs futures concessions, ces militaires avaient reçu un congé régulier pour s’aller mettre en quête des compagnes qu’ils devaient associer à leur sort. La ville de Toulon n’avait pas été peu surprise de voir un beau matin une vingtaine de jeunes soldats descendre sur ses quais et parcourir ses rues, avec la mission officielle de découvrir et de ramener au plus vite à Alger un nombre égal de jeunes filles se sentant la vocation de contribuer au peuplement de notre colonie. Plus d’une feuille publique s’amusa de ce mode nouveau de recrutement, mais le maréchal, qui ne regardait pas à payer de sa plume pour défendre les œuvres qui lui étaient chères, ne manqua pas de faire constater dans le Moniteur[15] que c’était la propre femme du maire de Toulon qui avait bien voulu se charger de diriger elle-même, avec un zèle patriotique et méritoire, les choix de ces couples parfaitement assortis. Pour un peu, la note officielle, non contente de rétablir ainsi la vérité des faits, aurait conclu par cette phrase, qu’on lit à la fin de la plupart des romans édifians : « Ils furent très heureux et ont eu beaucoup d’enfans. »

La chambre des députés se trouvait donc avoir à discuter un projet parfaitement sérieux, ayant même reçu un commencement d’exécution et qui peut, à bon droit, passer pour le beau idéal de la colonisation officielle. Cependant la commission parlementaire ne lui fut aucunement favorable. Son rapporteur, M. de Tocqueville, ne se borna point à produire, comme nous l’avons déjà dit, les fortes objections qu’il avait, en principe, contre les procédés toujours un peu factices, suivant lui, qui sont à l’usage des partisans de toutes les colonisations officielles ; il critiqua avec gravité, mais non sans une certaine vigueur, qui dut lui paraître un peu amère, la tentative essayée par le maréchal dans les centres militaires de Fouka, de Mered et de Mahelma. Il ne craignit pas d’affirmer qu’elle n’avait pas été heureuse : « En réalité, la condition des colons sortis de l’armée ou des soldats encore soumis aux lois militaires n’apparaissait pas comme ayant été, en aucune façon, avantageuse pour eux. Ils étaient presque tous misérables. Nulle part leur succès n’avait été en rapport avec les sacrifices que l’état s’était imposés… » — « En Algérie, ajoutait avec raison M. de Tocqueville, faisant, à propos de circonstances du moment, une réflexion, générale malheureusement applicable à toutes les tentatives de colonisation en Algérie, l’état, qui n’a reculé devant aucun sacrifice pour faire de ses propres mains la fortune des colons, n’a presque pas songé à les mettre en position de la faire eux-mêmes[16]. »

Les conclusions du rapport, rejetant en bloc le projet de loi pour l’établissement de camps agricoles, avaient été acceptées à l’unanimité par les membres de la commission. Au cours des débats engagés sur les crédits extraordinaires de l’Algérie, débats pendant lesquels les dispositions de la chambre s’étaient clairement manifestées, le nouveau ministre de la guerre, le général Trézel, vint déclarer à la tribune qu’une ordonnance royale du 11 juin 1847 avait prononcé le retrait du projet de loi sur les camps agricoles. C’était l’enterrement définitif du plan que le maréchal avait toujours choyé avec une tendresse toute particulière. Nul doute que l’échec ne lui en ait été. fort sensible. Peut-être en voulait-il un peu au ministère de ne l’avoir pas très vigoureusement défendu et de l’avoir si vite et trop facilement abandonné. Toujours est-il que trois semaines plus tard le maréchal Bugeaud abandonnait l’Algérie pour n’y plus revenir.

Ajoutons qu’après 1848, le temps et de plus mûres réflexions aidant, le maréchal parut lui-même assez revenu des idées dont il avait été le plus ardent promoteur. Dans une brochure, publiée à Lyon en 1849, il n’a pas hésité à reconnaître avec une sincérité bien placée dans la bouche du glorieux vainqueur qui avait rendu tant de signalés services à notre colonie, quels déboires lui avaient causés les trois centres militaires où la fantaisie lui avait pris de rendre obligatoire, pour ses soldats, le travail en commun. Il faut l’entendre raconter d’une façon piquante l’accueil glacial qu’à sa première visite il rencontra de la part de ces hommes habitués à le saluer de leurs acclamations. Il les trouva, sur le seuil de leurs portes, mornes et presque impolis. Il ne recueillit que des plaintes. Au lieu d’un surcroît de production, qu’il avait cru de voir résulter du travail en commun, c’était l’émulation dans la paresse qu’il avait involontairement provoquée. « Les socialistes, affligés de voir souvent la misère à côté de l’aisance et même de la richesse, poursuivent la chimère de l’égalité parfaite. Ils croient, ajoutait tristement le maréchal en se rappelant, sans doute au lendemain des journées révolutionnaires de Paris, le spectacle que lui avaient naguère offert les trois villages de sa création, ils croient l’avoir trouvée dans l’association ; mais ils se trompent ; ils n’obtiendront que l’égalité dans la misère[17]. »

La misère pour de braves gens au sort desquels, comme militaire et comme agriculteur, il portait le plus vif intérêt, voilà bien à quoi avait abouti, au bout de peu de temps, l’essai tenté par le maréchal Bugeaud. Quant à la colonisation, elle n’en profita guère elle-même, car, lisons-nous dans un ouvrage ayant pour titre : l’Algérie en 1880, ou le Cinquantenaire d’une colonie, « les soldats de ces trois villages rentrèrent presque tous chez eux, abandonnant leu » propriété éventuelle[18]. »


III

Le système de colonisation qui venait d’échouer ainsi devant le parlement était sorti armé de toutes pièces du cerveau d’un éminent soldat, auquel ne manquaient ni l’expérience, ni le bon sens, ni assurément la connaissance des choses de l’Algérie. C’était toutefois une conception un peu factice, où les habitudes du métier et une sorte de fantaisie personnelle avaient tenu beaucoup de place. Il n’entrait, au contraire, aucune fantaisie dans les mesures prises par deux autres généraux non moins attachés à notre colonie africaine, qui, peu de temps après les journées de juin, songèrent à la doter d’une population bien différente de celle que le vainqueur d’Isly aurait préféré y établir. En 1848, Cavaignac et La Moricière obéissaient résolument, mais sans beaucoup d’illusion, à de cruelles nécessités. « C’était le moment où Paris regorgeait d’ouvriers sans emploi ; la prudence et l’humanité conseillaient de leur ménager une issue. À ce titre, nos possessions dans le nord de l’Afrique s’offraient naturellement à l’esprit. Tout sacrifice appliqué à cette destination prenait la forme d’un intérêt national[19]. » Un décret signé par le chef du pouvoir exécutif, à la date du 19 septembre 1848, fixait à douze mille le nombre des colons à expédier en Algérie, auxquels mille cinq cents autres furent adjoints au mois de novembre suivant, ce qui portait le chiffre total à treize mille cinq cents. Cinquante millions de francs formèrent la dotation de cette entreprise, à savoir : 5 millions sur l’exercice de 1848, 10 millions pour 1849, le surplus à répartir sur les exercices suivans. Un arrêté du général La Moricière, ministre de la guerre, annonçait, le 27 septembre, que chaque colon recevrait : 1° une habitation que l’état ferait construire ; 2° un lot de terres de 4 à 12 hectares, suivant le nombre des membres de la famille ; 3° les semences, des instrumens de culture, des bestiaux et enfin des rations de vivres jusqu’à la mise en valeur des terres[20]. L’appât était considérable et l’affluence des demandes fut énorme. Il y avait nécessité de faire un choix. Dès sa seconde séance, une commission parlementaire nommée à cet effet s’occupait sans relâche, avec un réel dévoûment, de la classification des bénéficiaires et présidait au départ des convois. A défaut des chemins de fer, qui n’allaient pas encore jusqu’à Marseille, ni même jusqu’à Lyon, ils prenaient les voies fluviales, et c’était sur la Seine, à Bercy, qu’avaient lieu les embarquemens, non dépourvus de quelque éclat et d’une certaine mise en scène. La sympathie pour les émigrans était générale ; l’enthousiasme pour l’œuvre elle-même ne faisait pas non plus défaut, et, comme d’usage, on se servait pour l’exprimer de la phraséologie déclamatoire qui était à la mode du jour. « On commence à comprendre, disait un article du Courrier français, reproduit par le Moniteur, que l’Algérie est destinée à résoudre le problème social qui, depuis le 24 février, agite la France… L’Algérie n’est plus aujourd’hui une question politique, elle est devenue une question sociale… Terre de perdition sous la monarchie, c’est une terre promise sous la république… Les citoyens qui vont s’y rendre n’auront pour ainsi dire qu’à la frapper du pied pour en faire sortir les moissons, les herbes potagères et les arbres à récolte, vignes, oliviers et mûriers, etc….[21]. » Avant la fin de l’année, quinze convois de colons quittèrent ainsi successivement la capitale, emportant les vœux d’une population émue, et fortifiés, au moment des derniers adieux, par les discours pleins de promesses d’hommes considérables et dignes de foi qui leur annonçaient en toute sincérité une ère de bonheur et de prospérité. Les représentans de l’assemblée nationale n’avaient pas été les seuls à encourager, à l’heure du départ, par de chaudes et cordiales paroles, ceux qui allaient quitter le sol natal. Ce qui étonnera peut-être quelques-uns des républicains de nos jours, ils avaient tenu à se faire seconder, dans cette tâche patriotique, par les dignitaires les plus éminens du clergé de Paris. Après les discours tout politiques de M. Trélat, président de la commission parlementaire, venaient les harangues toutes chrétiennes de Mgr l’archevêque de Paris ou de quelques-uns de ses grands vicaires. A MM. Recurt et Henri Didier succédaient comme orateurs Mgr Sibour, l’abbé Buquet, M. le grand-vicaire de La Bouillerie, et les accens de ces ecclésiastiques ne semblaient pas pénétrer moins avant dans l’âme des auditeurs. La forme était différente ; la confiance, et, pour quelques-uns, il faudrait dire la foi dans le succès, étaient égales de part et d’autre. Au départ du quinzième et dernier convoi, organisé et commandé par un ancien officier de l’armée d’Afrique, après quelques paroles patriotiques prononcées par M. Trélat, au moment où il remettait, comme d’habitude, aux émigrans le drapeau aux trois couleurs, ce fut le tour du curé de Saint-Ambroise de s’adresser à eux. « Dieu, s’écria-t-il, bénira votre voyage, car vous vous dirigez vers sa terre. Toute la terre est à Dieu sans doute ; mais, de même que la terre promise était son bien, ainsi l’Algérie, qui offre tant de rapports avec la Palestine, est le bien de Dieu de préférence à toute autre région. Comme les Français qui s’embarquèrent avec saint Louis, écriez-vous : « Diex volt ! (Dieu le veut ! ), nous marchons forts de son secours. Nous faisons voile de par Dieu ; nous arriverons à bon port. » Cependant les colons poussaient des acclamations de joie, la foule enthousiaste saluait de ses applaudissemens le bateau prêt à s’éloigner, et le Moniteur, en reproduisant la scène, regrette, comme à son ordinaire, que la population tout entière de Paris n’ait pas pu être témoin d’un si magnifique spectacle[22].

Il est curieux de suivre pas à pas les phases diverses de ce grand exode de 1848, dont les débuts commençaient sous de si heureux auspices. Les premiers convois furent dirigés du côté d’Oran, parce que les études pour l’établissement des colons y avaient été depuis longtemps achevées ; mais les treize mille cinq cents émigrans furent répartis dans une égale proportion entre les trois provinces[23]. Ils rencontrèrent partout un bon accueil. Dans quelques localités, les habitans du pays avaient d’avance ouvert des souscriptions pour leur venir en aide. Les Arabes même avaient paru s’intéresser à leur sort. Les commandans militaires montrèrent beaucoup d’empressement à leur épargner les embarras du premier établissement. Ils témoignaient en leur faveur. « Rien de plus satisfaisant, écrivait le général Saint-Arnaud au 25 novembre 1848, que le spectacle des nouveaux villages. La tenue des colons, leur excellent esprit, leur courage justifient tous les éloges, et permettent toutes les espérances[24]. » Toutefois les impressions deviennent graduellement moins bonnes sur leur compte et le désenchantement commence à se faire jour parmi eux. Aux premiers mois de 1849, ils ne désespèrent pas encore, mais la confiance dans l’avenir a beaucoup diminué. « Les santés sont toujours bonnes, écrit avec prévoyance un correspondant de Constantine ; mais bientôt les grands travaux de la moisson vont commencer et causeront plus de fatigue aux colons que la culture de leurs jardins[25]. » Quelques-uns commencent à se plaindre de l’abandon dans lequel on les a laissés après leur arrivée, et ces plaintes trouvent un écho et peut-être quelques excitations dans les journaux du pays. Le ministre de la guerre est obligé d’intervenir et fait déclarer par une note insérée au Moniteur que les colons venant journellement de Paris ou des départemens ne peuvent avoir droit aux mêmes subsides que les familles désignées sur la proposition de la commission instituée par la loi du 29 septembre 1848[26]. » A Oran, un journal de la localité présente le relevé de ce qui s’est passé dans cette subdivision : « Sur 3,144 colons, 126, dont 75 célibataires, sont déjà partis, soit pour rentrer en France, soit pour reprendre leurs anciens métiers dans les villes de la province, il y en a eu 20 d’expulsés. Dans la subdivision de Mostaganem, sur 1,834 personnes habitant sept villages, 138 ont quitté, dont 67 célibataires. Il y a eu 11 expulsions. Les décès ont été nombreux, et la mortalité a sévi surtout sur les enfans. 90 décès pour 115 naissances. »

Nous ne trouvons point au Moniteur de chiffres précis pour les autres subdivisions, mais nous avons lieu de croire que, dans la province d’Alger et dans celle de Constantine, il en fut à peu près de même. Les départs y étaient nombreux. Parmi les demeurans, les habitudes de fainéantise et d’insubordination avaient pris le dessus ; à Mazagran, des troubles éclatèrent parmi les colons, qui ne voulaient pas reconnaître l’autorité du maire placé à leur tête, et le sous-préfet avait été obligé d’intervenir pour rétablir l’ordre. Les ressources financières pour l’exercice de 1849 ont d’ailleurs été vite épuisées, et le ministre de la guerre annonce, le 2 mars 1849, qu’il ajournera l’envoi de nouveaux convois, parce que, dit-il, la saison est trop avancée, mais, en réalité, parce qu’il commence à concevoir des doutes sur le succès de l’entreprise dont la direction lui a été confiée[27].

Tel était l’état des choses, quand intervint une décision de la commission budgétaire de l’assemblée accordant un nouveau crédit de 5 millions pour envoi de nouveaux colons, et pour secours à donner aux anciens émigrans, mais stipulant : « que l’emploi de ce crédit n’aurait lieu qu’après qu’un rapport circonstancié sur l’état de la colonie algérienne aurait été soumis à l’approbation du corps législatif. » La commission nommée par le ministre de la guerre, afin de dégager sa responsabilité personnelle, partit de Paris le 27 juin pour Alger, avec mission de pénétrer dans l’intérieur des terres et de se rendre compte de tout par elle-même. Quarante et un villages où séjournaient les colons furent, de sa part, l’objet d’une enquête minutieuse. De l’inspection qu’elle avait faite et des documens qu’elle avait réunis, il ne résultait rien de favorable à l’envoi de nouveaux colons[28]. Quand vint la discussion à l’assemblée, ce fut le rapporteur, M. Ch. Reybaud, qui ouvrit les débats. Son discours, qui obtint l’assentiment à peu près universel résume brièvement en termes pleins de clarté et de bon sens ce qu’il faut définitivement penser de la tentative de colonisation, essayée en Algérie au moyen des émigrans de 1848 :

« Dans cette question des colonies agricoles de l’Algérie, il est deux points sur lesquels tout le monde semble d’accord : le premier, c’est que ces colonies ont été le produit de la nécessité, des circonstances, et qu’elles ont été, dans une proportion notable du moins, composées d’élémens défectueux peu en harmonie avec leur destination… Voilà un premier point dont l’évidence n’est plus à démontrer… Le second est de s’abstenir de tout acte, presque de toute parole qui pourrait ressembler à une condamnation anticipée et ajouter de nouveaux germes de découragemens à ceux qui existent déjà sur les lieux… Il y a plus d’une critique à faire, plus d’une objection à élever sur ce qu’ont été ces colonies, sur ce qu’elles auraient pu être. Les sacrifices n’ont pas été en rapport avec les résultats. On aurait pu employer les ressources du Trésor à des créations mieux ordonnées et plus profitables. Qui n’en a pas le profond sentiment ? .. D’accord avec la commission du budget, d’accord avec le gouvernement, notre commission vous propose de décider : « Qu’à l’avenir, il ne sera plus fondé de colonies agricoles en Algérie dans les mêmes conditions ni avec les mêmes élémens. Il est temps de s’arrêter dans une voie où la dépense n’est pas en rapport avec les produits[29]. »

Ces conclusions de la commission furent acceptées en troisième lecture et presque à l’unanimité par l’assemblée. Quant aux sages avertissemens dont M. Reybaud s’était fait l’interprète, en 1850, ils n’étaient pas destinés à peser d’un grand poids, vingt ans après, sur les déterminations d’une autre assemblée patriotiquement, mais un peu étourdiment empressée de recourir, pour aider au développement de notre colonie algérienne, presque aux mêmes moyens dont nous venons de constater l’insuccès.

IV

Ce qui console un peu, quand il faut, par respect pour la vérité, reconnaître les méprises dans lesquelles sont parfois tombées nos assemblées délibérantes françaises, c’est que les mesures irréfléchies qu’elles ont trop souvent adoptées à l’improviste leur ont presque toujours été dictées par quelque sentiment d’irrésistible générosité. Ce fut le mobile qui décida, en 1848, les représentans du peuple à diriger vers l’Algérie les ouvriers déclassés de Paris. Ce fut encore un mouvement de sympathie non moins spontané qui poussa, en 1871, l’assemblée nationale à attribuer 100,000 hectares de terre dans notre colonie africaine aux Alsaciens-Lorrains originaires des provinces annexées à l’empire allemand. Introduite à Versailles, dès les premières séances, par voie d’initiative individuelle, cette proposition fut aussitôt acclamée. Les termes dans lesquels elle était conçue expriment d’une façon touchante quelle était la préoccupation de ceux qui l’avaient rédigée, lorsqu’ils demandaient tristement à leurs collègues de la voter comme une sorte d’atténuation, si légère et si incomplète qu’elle fût, aux dures conditions de paix que, peu de jours auparavant, ils avaient été contraints de signer avec les détenteurs de nos provinces perdues :


L’assemblée nationale, disaient les signataires de la proposition, attachée par des lieus de cœur indissolubles aux patriotiques populations de l’Alsace et de la Lorraine, dont elle a cédé avec une douleur profonde, sous l’empire de circonstances qu’elle n’a pas faites, le territoire matériel, et voulant, autant qu’il est en son pouvoir, garder les armes et les bras de ces races si vaillantes, décrète :

Art. 1er. — Une concession de 100,000 hectares des meilleures terres dont l’état dispose en Algérie est attribuée aux Alsaciens et Lorrains habitant les territoires cédés, qui voudront, en gardant la nationalité française, demeurer sur le sol français.

Art. 2. — Le transport gratuit aux frais de l’état et une indemnité de premier établissement seront accordés aux individus et aux familles déclarant vouloir user du bénéfice qui leur est offert.

Art. 3. — Une commission de quinze membres sera nommée pour étudier et préparer, dans le plus bref délai possible, la série des mesures qui devront réglementer l’exécution de la présente loi[30].


Au 15 septembre suivant, la motion parlementaire devenait une loi définitive insérée au Moniteur, et précédée d’un rapport de M. Casimir Perier, ministre de l’intérieur. (Deux décrets du 16 et du 28 octobre réglaient, en même temps, le mode de distribution des terres à allouer aux colons. Le titre premier disposait que le colon qui justifierait de la possession d’un certain capital devrait s’engager à le dépenser pour la mise en valeur de sa concession, mais qu’il n’en deviendrait propriétaire définitif qu’après avoir fourni la preuve des dépenses effectuées. Il n’est pas besoin de dire que peu d’Alsaciens-Lorrains (une trentaine à peu près) étaient en état de remplir ces conditions, tandis que celles du titre n s’appliquaient au plus grand nombre. Le titre il apportait une notable innovation (fut-elle très heureuse ? ) au système précédemment suivi. La concession était transformée en un simple bail d’une durée de neuf et, plus tard, en 1874, de cinq années, après lesquelles, les conditions de résidence et de mise en culture étant remplies, le colon devenait propriétaire définitif. Il résultait de cette combinaison une aggravation des anciennes clauses résolutoires ; elle plaçait le concessionnaire dans la situation fort précaire d’un fermier qui, courant le risque d’être définitivement évincé, se trouvait dans l’impossibilité de contracter le moindre emprunt sur des terres qu’il ne lui était pas loisible de donner en gage.

La contenance des lots alloués aux Alsaciens-Lorrains était un peu plus considérable que pour les émigrans de 1848 ; le décret portait, en effet, « qu’il leur serait donné de 3 à 10 hectares par tête, les enfans et les domestiques comptant comme unités. » Cela même n’était pas encore suffisant. Le souvenir des difficultés contre lesquelles on s’était jadis heurté et des échecs qu’elles avaient amenés était déjà complètement oublié, et l’on retomba à peu près dans les mêmes erreurs que par le passé. Le triage opéré sur place par les comités de Nancy et de Belfort entre les demandeurs de concessions ne fut pas toujours très heureux. Sur la simple annonce des terres mises à leur disposition, beaucoup d’individus originaires des provinces annexées étaient accourus en Algérie dépourvus de toutes ressources et nullement préparés par leurs professions antérieures à l’existence pénible qui les attendait sous un climat si différent du leur. A plusieurs points de vue, le nouvel élément de colonisation que les désastres de 1870 amenaient en Algérie, tout en laissant encore à désirer, valait mieux que celui qu’y avait déversé la révolution de février. Ces nouveaux arrivans avaient d’ailleurs sur les colons d’autre provenance ce triste avantage que, chassés sans retour possible du sol natal, ils étaient moins enclins à se laisser décourager par les épreuves du premier début et prêts à s’imposer les plus rudes privations, afin de se refaire, en terre demeurée française, la patrie qu’ils avaient cruellement perdue. Cette fois encore les cultivateurs se trouvaient être de beaucoup les moins nombreux. Presque tous les Alsaciens étaient des ouvriers de fabrique. Pour ces hommes, entourés la plupart d’une nombreuse famille, habitués à vivre dans des villes opulentes et à y toucher de gros salaires, dont les femmes, les enfans même trouvaient le plus souvent à s’employer à côté d’eux à des travaux rémunérateurs, quelle déception d’être ainsi tout à coup déposés sur une terre brûlante et nue, de laquelle il leur fallait tout attendre et qu’ils n’avaient cependant jamais appris à cultiver ! Ce n’était point le sol qui allait leur faire défaut. Les terrains abondaient par suite du séquestre mis par l’amiral de Gueydon sur les biens des tribus révoltées ; ce qui leur manquait, c’était le moyen de s’y établir n’importe comment. L’administration algérienne avait, en effet, été prise au dépourvu. Dans le premier moment, elle n’avait pas d’argent à sa disposition, car il n’y avait pas eu de crédit régulièrement ouvert, et les ressources nécessaires pour subvenir à tant de besoins avaient dû être prises, non sur les fonds du budget, mais sur les amendes imposées aux chefs insurgés et dont l’amiral de Gueydon avait la libre disposition. Peu à peu quelque ordre s’était mis toutefois dans cette lamentable situation, grâce à la puissante impulsion donnée par le gouverneur-général, grâce aussi à l’activité des autorités administratives civiles, mais grâce surtout, il faut le dire, à l’efficace coopération des commandans militaires des trois provinces, animés, à l’envi les uns des autres, de la meilleure volonté à l’égard de nos malheureux compatriotes et que secondaient sur place, avec un zèle intelligent qui ne s’est jamais lassé, des comités locaux composés à Alger, à Oran et à Constantine des personnes les plus notables du pays. A Oran, les généraux Osmont et Gérez, à Constantine, le général de Galliffet, avaient, avec le plus généreux empressement, prêté des transports d’artillerie et détaché des escouades de soldats du génie pour hâter les constructions destinées à abriter les nouveaux débarqués. Cependant, à la fin de 1872 et au commencement de 1873, il s’en fallait de beaucoup que, dans la plupart des localités, l’installation définitive fût achevée. Les hommes logeaient toujours. sous la tente et la plupart des femmes n’avaient encore de refuge, avec leurs enfans en bas âge, que dans de méchans gourbis improvisés à la hâte. Partout l’état des santés laissait énormément à désirer. Telle était la situation déplorable à laquelle le ministre de l’intérieur résolut de pourvoir en instituant une commission, présidée par M. Wolowski, et chargée de régler et de surveiller l’emploi des fonds provenant des souscriptions publiques primitivement destinées à la libération du territoire et qui, n’ayant pas été réclamés par les souscripteurs, devaient, après un certain délai, être affectés à l’assistance des Alsaciens-Lorrains. Sur la somme totale de 6,254,000 francs distribuée entre les trois comités de l’instruction, de secours et de colonisation, ce dernier, le comité de colonisation, avait reçu pour sa part 2,350,655 francs qu’il était chargé de distribuer au mieux pour l’assistance des émigrans alsaciens-lorrains en Algérie.

C’est au rapport présenté, le 31 juillet 1875, à la commission générale, au nom du comité de colonisation en Algérie, par M. Guynemer, membre de cette commission, que nous allons emprunter les renseignemens et les chiffres qui vont suivre[31]. Ils ne sont plus approximatifs, comme ceux dont nous avons dû nous contenter jusqu’à présent. Ils sont le produit d’une enquête officiellement ordonnée par une réunion d’hommes expérimentés, scrupuleusement menée jusqu’au bout par un ancien administrateur doué de l’esprit le plus judicieux, qui avait visité lui-même les lieux à plusieurs reprises et auquel les diverses questions qu’il avait à traiter étaient particulièrement familières. Rien de vague cette fois. Le tableau tracé est fidèle, net et complet ; c’est pourquoi il peut servir à donner, à propos de l’émigration alsacienne-lorraine de 1871, une idée strictement exacte des résultats qu’obtient la colonisation officielle même quand elle s’exerce dans des conditions exceptionnellement favorables et avec le concours empressé de toutes les bonnes volontés. Nous avons ici le bilan mathématique de ce que coûte à l’administration l’établissement d’une famille de colons en Algérie. Voici les chiffres.

« D’après les listes nominatives officiellement fournies, il y avait, à la date du 1er mars 1875, un total de 863 familles installées comme colons au titre n en Algérie. 272 de ces familles (1,202 personnes) étaient installées dans dix-huit villages de la province d’Alger ; 397 de ces familles (1,036 personnes) étaient installées dans vingt-huit villages de la province de Constantine ; 194 de ces familles (977 personnes) étaient installées dans quinze villages de la province d’Oran ; total : 863 familles composées de 4,115 personnes dans 60 villages, Si à ces familles on ajoute celles qui sont arrivées en Algérie avec quelques ressources et ont reçu des concessions au titre Ier, plus d’autres familles installées par la Société de protection et par M. Jean Dolfus à Azib-Zamoun et Boukalfa, on arrive au chiure total de 1,020 familles, plus de 5,000 personnes réellement installées en Algérie au 1er mars 1875[32]. »

Si l’on cherche à se rendre compte de la dépense qu’a définitivement occasionnée l’installation comme colons des familles, dont l’existence a été constatée, au 1er mars 1875, dans les divers villages, on trouve :

Pour la construction seulement des maisons 1,730,793 fr.
Pour assistance directe par l’administration pendant les années 1871, 1872, 1873 et 1874 1,260,017
Pour assistance par le comité de colonisation 1,108,390
Secours de toute espèce donnés par les comités de France, d’Alger, Oran, Constantine 700,000
Pour 40 familles restant à installer 60,000
Total 4,859,200 fr.

Dans ces chiffres ne sont pas comprises les dépenses d’intérêt collectif nécessaires pour la création des villages, c’est-à-dire chemins d’accès, travaux pour captation des eaux, fontaine, lavoir et abreuvoir, assiette du village et empierrement des rues, construction des édifices publics, tels que mairie, école, église et presbytère, évaluées à 150,000 francs quand elles sont complètes pour un village de 50 feux.

La part proportionnelle qu’il faut attribuer aux Alsaciens-Lorrains dans les dépenses d’intérêt collectif indiquées ci-dessus pour les nouveaux villages se montaient,… . . 1,100,000 fr.

au 3l décembre 1874, d’après les tableaux dressés par l’inspection des finances au chiffre de 1,100,000 fr.
Si on y ajoute les chiffres des dépenses pour construction des maisons et assistance 4,859,200
Cela fait un total de 5,959,200 fr.


On trouve donc, en résumé, que « l’installation des 900 familles aura coûté environ, en chiffres ronds, 6,000,000 francs pour les maisons et l’assistance, soit en moyenne environ 6,888-francs par famille. » Comme, au début de l’émigration, des détachemens de troupes ont été employés à la construction des villages et que, dans la suite, les colons ont presque partout rencontré, pour leur installation, le concours efficace et gratuit des officiers et des employés de l’administration, c’est, à vrai dire, un minimum de 7,000 francs qu’il faut équitablement compter pour l’établissement en Algérie d’une famille composée de 3, 4 ou 5 personnes. Tout porte même à croire, vu la sympathie particulière que nos compatriotes des provinces annexées ont rencontrée en Algérie et les nombreux secours de nature diverse qu’ils ont reçus sur place et qui ne sauraient se chiffrer en argent, que l’installation de chaque famille alsacienne-lorraine a dû, suivant toute probabilité, coûter même beaucoup plus cher.

Que sont maintenant devenues, à l’heure où ces lignes sont écrites, ces 900 familles, objet de tant de bienveillance et de tant de soins ? Cela serait extrêmement curieux à savoir précisément. Les renseignemens officiels font malheureusement défaut. Voici toutefois, en ce qui les regarde, ce que nous trouvons dans l’ouvrage récent d’un ancien habitant de l’Algérie, qui a pris soin de relater avec une scrupuleuse impartialité, qualité assez rare dans la contrée où il réside, tous les faits qui se sont passés sous ses yeux depuis environ cinquante ans : « Malgré les efforts de l’administration et des comités, malgré les secours envoyés pendant plusieurs années de France, la réussite fut peu brillante, comparativement aux efforts et aux sacrifices faits. Quand on cessa de distribuer de l’argent et des vivres, un certain nombre d’Alsaciens rentrèrent chez eux ou se dispersèrent ; d’autres attendirent l’expiration des cinq années du bail, vendirent leur concession depuis longtemps grevée et disparurent[33]. »


V

Prendre les précautions nécessaires, afin qu’au lieu de se disperser au bout de quelques années, les Alsaciens-Lorrains demeurassent fixés en Algérie, tel était le but à poursuivre. Une société fondée aussitôt après les désastres de 187Î afin de venir en aide à nos compatriotes des provinces annexées crut possible de l’atteindre en cherchant à lier les nouveaux colons, non point seulement par des obligations positives, mais par ces attaches autrement puissantes qui rendent si chère au cultivateur laborieux la terre qui le nourrit. Sans vouloir faire en aucune façon de la colonisation officielle, elle se proposait, en mettant à profit, en 1874, les enseignemens résultant des récentes tentatives du gouvernement, d’essayer à côté de lui, d’accord avec lui, mais avec une entière indépendance d’action, ce que pourrait produire l’initiative d’un comité composé d’hommes uniquement désireux de faire acte de bienfaisance et de patriotisme. Ils n’en étaient pas à ignorer ce qui s’était passé à l’occasion des 100,000 hectares attribués aux émigrans des provinces annexées et de leurs défectueuses installations. Un des membres de ce comité, M. Guynemer, celui-là même dont nous avons cité le rapport adressé à la commission Wolowski, avait été chargé, vers la fin de l’année 1872, d’aller visiter tous les colons alsaciens-lorrains disséminés un peu partout dans les trois départemens d’Algérie et de leur porter, de la part de la Société de protection, des secours qui ne montèrent pas à moins de 130,000 francs. Le retentissement du voyage de M. Guynemer, les sommes importantes et les conseils utiles qu’il ne se fit point faute de distribuer pendant son excursion ont, dans le temps, donné à penser à beaucoup de personnes, et plusieurs s’imaginent peut-être encore aujourd’hui, que la société dont il était le délégué n’avait pas craint d’accepter le patronage de tous les Alsaciens-Lorrains établis en Algérie. De là à considérer cette société comme responsable des mesures bonnes ou fâcheuses prises à leur égard il n’y avait pas loin. Rien de moins juste cependant, et c’était plutôt le contraire qui était la vérité. M. Guynemer, en effet, avait été frappé des inconvéniens de l’éparpillement infini de ces familles réparties un peu partout, dans des villages éloignés les uns des autres, et noyées pour ainsi dire, au milieu de populations de provenances très différentes, françaises, il est vrai, mais dont les habitans de la rive gauche du Rhin ne comprenaient pas tous la langue. L’aspect des habitations, la plupart insuffisantes, quelques-unes presque insalubres, qu’en raison de l’exiguïté des crédits dont elle disposait, l’administration, avait été réduite à construire pour les nouveaux colons, lui avait inspiré de justes inquiétudes. Il s’était surtout ému au spectacle offert par les misérables abris où, vu la presse des premiers momens, et malgré les dangers hygiéniques d’un pareil encombrement, il avait fallu entasser provisoirement et pêle-mêle hommes, femmes et enfans en une sorte de lamentable promiscuité. Enfin, l’oisiveté forcée dans laquelle avaient dû vivre tant d’émigrans, arrivés à n’importe quelle saison de l’année et dépourvus, presque tous, des moindres notions agricoles, en attendant l’époque des premiers travaux de culture, lui était apparue comme la plus funeste des inaugurations pour la vie de labeur à laquelle ils étaient destinés.

Ce fut pour éviter semblables déboires aux colons que la société de protection avait dessein de placer en Algérie sous son patronage direct, qu’au printemps de 1873 son président voulut aller lui-même choisir sur place les terrains que, moyennant certaines conditions, le gouvernement annonçait l’intention de vouloir mettre à sa disposition. Quelles étaient ces conditions ? Comment ont-elles été remplies ; à combien se sont montés les frais de l’entreprise, et quel en a été le résultat définitif pour l’avenir des colons dont la société de protection prenait les débuts à sa charge ? C’est ce que nous allons exposer brièvement. La tentative a été partielle et le champ de l’investigation est restreint. Tout s’est passé au grand jour. Les comptes ont été tenus par sous, mailles et deniers comme s’il eût été question d’une spéculation industrielle. Une publicité étendue leur a été annuellement donnée. Le contrôle est donc ici des plus faciles, et puisque nous nous sommes jusqu’à présent appliqués à rechercher surtout quel est, en chiffres exacts, le prix de revient de l’établissement d’une famille de colons en Algérie, c’est bien l’occasion de le fixer positivement à propos de cette tentative volontairement circonscrite, qui va nous permettre non plus seulement d’approcher de la vérité, mais de la faire toucher, pour ainsi dire, au doigt et à l’œil.

Les territoires concédés en toute propriété par décrets présidentiels à la société de protection, pour être attribués par elle à des Alsaciens-Lorrains, c’est-à-dire Azib-Zamoun, aujourd’hui Haussonviller, Boukalfa et le Camp-du-Maréchal, sont d’une contenance d’environ six mille hectares, à peu près celle de quelques-uns de nos cantons français les plus petits, mais les plus peuplés, tels que Douai et Dunkerque dans le Nord, Aix et Nîmes dans le Midi. — Séquestrés sur les Arabes à la suite de l’insurrection de 1871, ces territoires sont presque contigus les uns aux autres et situés à 80 kilomètres d’Alger sur la route qui mène de cette ville à Tizi-Ouzou, chef-lieu de l’arrondissement de ce nom, et au Fort-National. Le gouvernement s’était engagé à y exécuter, comme pour d’autres centres, dans un certain espace de temps et suivant un ordre déterminé, tous les travaux dits d’intérêt public, à savoir : chemin d’accès, empierrement des rues, conduite d’eau, fontaine, lavoir, abreuvoir et plantations, la construction des édifices communaux, c’est-à-dire, l’église, la mairie, l’école et le presbytère, enfin, tout ce qui concerne le service topographique, c’est-à-dire la délimitation des territoires et l’allotissement des terres à opérer, suivant les indications de la société. Cette dernière prenait à son compte la construction des maisons, le choix et l’installation personnelle des familles, l’achat des animaux et des instrumens de culture, les semences et le mobilier nécessaires à un ménage, enfin la nourriture et l’entretien des colons jusqu’après leur première récolte. Quinze années étaient données à la société pour terminer le peuplement dans trois villages, délai au bout duquel l’état se réservait le droit de rentrer en possession des lots de terrains allotis et non occupés. Avant la fin de la septième année, le peuplement des trois villages était absolument complet. Aujourd’hui, nul ne saurait douter que les populations qui les habitent ne soient acquises pour tout jamais à l’Algérie et qu’elles ne soient destinées à faire souche d’excellens colons. Reste à savoir à quelles conditions ce résultat a été obtenu.

La société avait tout d’abord posé ce principe dont elle ne s’est jamais départie, qu’elle n’accepterait, autant que possible, pour colons que des cultivateurs mariés, ou, s’ils sortaient d’un régiment de l’armée d’Afrique, des fils de cultivateurs libérés du service, ayant été naguère employés aux travaux de la campagne, et s’engageant à se marier si leur demande était accueillie. Les colons une fois acceptés devaient avant de partir pour l’Algérie, ou s’ils y résidaient déjà, avant d’être installés sur la concession, signer une convention dont les clauses à régulariser devant notaire les constituaient moyennant la redevance annuelle d’un franc, quelle que fût l’étendue de la concession, les fermiers de la société pour l’espace de neuf années. Toute liberté leur était laissée pour tirer parti de leurs terres comme ils l’entendraient, sauf l’obligation de les cultiver eux-mêmes, ou par gens à leurs gages, et de faire rentrer la société par des remboursemens successifs dans la totalité des avances qu’ils en auraient reçues. Une fois arrivés à Alger, ils étaient accueillis au débarquement par l’agent de la société et par un membre du comité local afin d’éviter de les voir errer dans les rues et subir l’influence de ces déclassés trop nombreux dont les conseils et l’exemple auraient pu au début être si pernicieux. Quelques heures après, ils étaient conduits aux lieux de leur destination, où ils trouvaient pour y entrer immédiatement leur maison toute bâtie, les bœufs et les instrumens aratoires nécessaires pour leur culture, le matériel très complet d’un modeste ménage et, sans figure aucune, leurs lits tout faits.

Le remboursement intégral des avances faites et exigibles par dixièmes, après deux années de résidence, aurait-il toutefois lieu régulièrement ? Voilà la question qui se posait après la seconde récolte pour Haussonviller, le premier des villages fondés par la société. Le recrutement de ce centre avait été fait un peu à la hâte, faute d’expérience. Les comités de Nancy, de Belfort, de Lunéville et les commandans de nos divisions militaires en Algérie avaient laissé tomber leur choix sur un personnel dont une partie au moins laissait quelque peu à désirer. En outre, les produits agricoles des deux années écoulées avaient été plus que médiocres. Il devenait évident que, les choses demeurant ainsi, soit qu’il y eût manque de bonne volonté, soit impuissance de leur part, les colons de la société allaient se mettre sur le pied de tout attendre d’elle, de tout en exiger avec l’espoir secret, assez mal déguisé, d’arriver finalement à se dérober aux remboursemens des avances qui leur avaient été faites. La société prit alors trois graves déterminations dont elle n’a eu plus tard qu’à se féliciter. Elle se décida à augmenter d’une façon considérable, et proportionnellement au nombre des membres de la famille, l’étendue des terres concédées à ses colons. Elle annonça l’intention de leur faire l’abandon gratuit et complet, à l’expiration des neuf années de bail, de la valeur entière des maisons qu’ils habitaient, don gracieux qui abaissait notablement (presque de moitié) la dette dont ils auraient à s’acquitter avant d’être constitués propriétaires définitifs de leur concession. Enfin, elle déclara qu’elle se réservait de faire elle-même directement le choix des colons à établir dans ses villages et qu’aucune demande ne serait accueillie quand elle ne serait pas accompagnée de l’engagement pris par écrit de verser à la caisse de la société, avant le départ de France ou sur place à Alger, avant toute installation, une somme de 2,000 francs servant de garantie et qui devait d’ailleurs être rendue par fractions à l’intéressé au fur et à mesure de ses besoins dûment constatés. L’effet de ces mesures se fit sentir à l’instant même, presque du jour au lendemain, et l’on peut dire sans hésitation de la dernière, celle qui exigeait de tout colon un versement préalable en argent, qu’elle a, plus que toute autre, puissamment contribué au succès de l’œuvre. Immédiatement appliquée à Boukalfa, le second des villages créés par la société, la nouvelle condition y produisit, comme à Haussonviller, les plus heureux résultats. A Boukalfa, la société de protection avait hérité de huit colons primitivement installés par M. Jean Dolfus, ancien maire de Mulhouse, dans des maisons dont il leur avait généreusement fait don. La plupart de ces ouvriers de fabrique, peu préparés à mener la rude vie des colons, avaient, pour une raison ou pour une autre, assez mal réussi. Cette localité, dont les terres sont fertiles et qui est agréablement située près du Sebaou, sur le penchant d’une verte colline, mais où quelques cas de fièvres s’étaient produits au début, semblait avoir, somme toute et quoique à tort, la réputation d’un lieu mal choisi pour la colonisation. Cependant les demandes abondèrent pour les lots vacans, comme pour ceux qui restaient encore à donner à Haussonviller ; circonstance singulière et bien encourageante, elles provenaient des parens, amis et connaissances des familles déjà établies dans ces deux centres et elles se produisaient juste au moment où la clause de la garantie pécuniaire à fournir était de nature à écarter ceux des concurrens qui n’auraient pas été animés d’une intrépide confiance. A partir de ce moment, à Haussonviller, comme à Boukalfa, tous les colons ayant accepté cette condition n’ont jamais rien demandé au-delà de ce qui leur avait été promis.

Ainsi confirmée dans la justesse de ses vues, la Société de protection estima qu’il ne lui serait pas impossible de recruter pour le peuplement de son troisième centre, le Camp-du-Maréchal, un personnel de colons plus à l’aise et, par conséquent, aptes à réussir plus vite et plus complètement que ceux qui s’étaient jusqu’alors adressés à elle. Le Camp-du-Maréchal, situé entre les pentes d’un contrefort du Djurjura et les rives du Sebaou, forme une plaine ondulée d’une fertilité extrême, dont les bas-fonds sont presque annuellement inondés par les crues de ce torrent, alors que la fonte des neiges ou des pluies abondantes en font tout à coup un large fleuve au cours impétueux. Cependant les eaux déversés durant l’hiver tout le long de la rive qui borde le Camp-du-Maréchal donnent naissance à des marais sans écoulement, dont les émanations pestilentielles fort redoutées devenaient, pendant l’été, pour le pays environnant, une cause évidente d’insalubrité. Avant de songer à y établir aucun colon, la société, qui jouissait de l’usufruit de ce territoire depuis l’année 1873, appliqua les revenus qu’elle tirait de sa location aux Arabes à creuser des fossés pour écouler l’eau de tous les bas-fonds, à planter des eucalyptus et des arbres à haute tige le long desdits fossés et dans tous les endroits restés humides. Lorsque ces fossés furent devenus de véritables petits canaux, presque des torrens, qui conduisaient rapidement les eaux des terres submergées se perdre dans le Sebaou ; lorsque les arbres eurent atteint une hauteur qui métamorphosait absolument tout l’aspect de la plaine ; après qu’une commission composée des notables du pays eut déclaré qu’elle était devenue parfaitement salubre et susceptible d’être livrée à la colonisation, le président de la société et son secrétaire-général se rendirent de leur personne par deux fois à Nancy. Ils y avaient convoqué toutes les familles des pays annexés qui avaient demandé par écrit à être admises comme colons au Camp-du-Maréchal. Ils leur avaient, au préalable, communiqué les plans de l’assiette du futur village et celui des maisons à deux étages, beaucoup plus spacieuses que celles d’Haussonviller et de Boukalfa, qui leur étaient destinées et dont la construction devait revenir à 4,500 francs. Ajoutons que les exigences de la société avaient grandi. C’était 4,000 francs dont elle exigeait le versement avant le départ de France, prenant toutefois l’engagement de restituer sur place la moitié de cette somme aux intéressés au fur et à mesure de leurs besoins régulièrement constatés. Ces conditions furent acceptées avec reconnaissance. L’embarras était de choisir entre les postulans en raison de leurs bons antécédens, de leur robuste santé, de celle aussi de leurs femmes, car les femmes elles-mêmes avaient été convoquées et n’étaient point les moins pertinentes à répondre aux questions qui leur étaient adressées. Ces questions, est-il besoin de le dire, portaient surtout sur leur aptitude comme agriculteurs, sur la quotité du petit capital qu’ils étaient en état de réaliser. La plupart l’évaluaient de 5,000 à 6,000 francs, quelques-uns assuraient qu’ils pouvaient disposer de 12,000 à 20,000 francs, quand ils auraient vendu les biens immobiliers, les bestiaux et le matériel d’exploitation qu’ils possédaient dans leur pays d’origine. Avec ces données, leur réussite était certaine et, en réalité, à l’heure qu’il est, ils ont tous réussi.

Pendant ce temps-là, un fait non moins heureux s’était produit à Haussonviller et à Boukalfa. Les annuités échues rentraient facilement ; plusieurs colons s’étaient par anticipation libérés entièrement vis-à-vis de la société qui avait pu les constituer propriétaires définitifs. Enfin un certain nombre d’entre eux étaient en voie d’arrangemens avec le Crédit foncier, disposé à leur prêter une somme suffisante pour qu’ils pussent, à la fois, éteindre leurs dettes et consacrer le surplus à l’amélioration de leur exploitation agricole. Dans leur dernière assemblée générale, les fondateurs de la Société de protection n’ont pas entendu sans satisfaction leur comité annoncer que dix-huit autres familles seraient prochainement dans la même situation. Quant aux colons du Camp-du-Maréchal, comme ils ne doivent absolument rien à la Société de protection, ils seront tous, au cours de l’année prochaine, mis en possession définitive de leurs concessions.

Lorsqu’on envisage le côté purement financier de la question, on trouve que la Société de protection, qui vient d’entamer son quatrième million, à dépensé pour l’œuvre qu’elle a entreprise en (Algérie la somme totale de 870,799 francs. Elle y a créé trois centres, qui sont, dans l’ordre de leur fondation : Haussonviller, Boukalfa, le Camp-du-Maréchal, aujourd’hui complètement peuplés. A Haussonviller, il y a 53 feux et 296 habitans ; à Boukalfa, 23 feux et 132 habitans ; au Camp-du-Maréchal, 35 feux et 220 habitans ; en tout, pour les trois villages ensemble, 111 feux et 648 habitans. Haussonviller a coûté, pour la construction de 60 maisons, la somme de 188,504 francs ; Boukalfa, pour la construction de 21 maisons, dont 6 doubles, 70,203 francs ; le Camp-du-Maréchal, pour la construction de 26 maisons, 81,951 francs, d’où il résulte que l’établissement d’une famille est revenu, les autres frais laissés de côté, pour Haussonviller à 4,188 francs, pour Boukalfa à 3,343 francs, pour le Camp-du-Maréchal à 2,840 francs. Il y a là une variation dans le chiffre des dépenses pour les trois villages qui ne laisse pas que d’être considérable et une différence dans les résultats acquis qui est vraiment significative. Elle devient plus frappante encore quand on remarque que, depuis le jour où la société a pris le parti d’exiger, à titre de garantie, le versement préalable d’une somme d’argent, elle n’a plus eu, sauf une seule fois, d’expulsions à prononcer et que celles des premières années (35 sur près de 700 individus) se rapportent exclusivement à l’époque où elle donnait tout à ses colons sans rien exiger d’eux qu’une promesse de remboursement, et enfin, que la prospérité des habitans de chacun de ces trois villages se trouve être précisément en proportion inverse de l’étendue des sacrifices qui ont été faits pour eux. En un mot, plus la Société de protection s’est éloignée des us et coutumes de la colonisation officielle, plus elle a laissé à ses protégés le soin de se tirer d’affaire presque à eux tous seuls et avec leurs propres ressources, plus le succès s’est accentué.


Est-ce donc une illusion de penser que l’exposé de tous ces essais de colonisation officielle, partant un peu factices, qui ont été ébauchés depuis cinquante ans en Algérie, offre des exemples, je ne voudrais pas dire des leçons, qui ne sont peut-être pas à dédaigner pour les chambres et pour le gouvernement, si les projets de loi récemment déposés devaient être prochainement mis en discussion ? Les questions qu’ils soulèvent méritent au plus haut degré de fixer l’attention de tous ceux qui s’intéressent aux affaires de l’Algérie. Ces questions sont nombreuses et délicates, de plus, assez confuses par elles-mêmes et fort mal connues. Il y aurait hardiesse de ma part à les vouloir aborder toutes. Je me sens toutefois encouragé à en traiter quelques-unes, non les moins importantes, en m’apercevant que les idées qui me sont propres ne sont pas loin d’être partagées dans notre colonie par des personnes d’une autorité incontestable siégeant au conseil supérieur de l’Algérie, ou dans les conseils-généraux des trois départemens. La compétence spéciale des membres du conseil supérieur du gouvernement, composé de fonctionnaires haut placés dans la magistrature, dans l’armée, dans l’administration, celle des délégués élus par chaque département, donnent aux opinions émises par eux une valeur dont il est impossible de ne pas tenir grand compte, et je crois discerner qu’ils ne conviennent pas tous également des avantages attribués par de trop ardens promoteurs à la colonisation officielle de l’Algérie, directement entreprise par l’état lui-même. J’ai des craintes à ce sujet. Pour ce qui regarde nos compatriotes des provinces annexées, je ne serais pas, à coup sûr, indifférent aux bénéfices que, les premiers sans doute, ils seraient appelés à recueillir des sacrifices consentis par l’administration. Mais, à un point de vue plus général, sont-ce bien là des sacrifices vraiment utiles auxquels un gouvernement prudent et judicieux doive se prêter ? J’hésite à me prononcer, car je ne suis nullement un théoricien. Les règles abstraites de l’économie politique m’imposent plus qu’elles ne me plaisent. Je crois que leur rigoureuse exactitude risque parfois d’induire en erreur, parce qu’elles ne tiennent pas assez compte de la complexité des choses de ce monde. D’un autre côté, je sais que les entraînemens d’une sympathie mal raisonnée peuvent nuire aux intérêts qu’on aurait le plus à cœur de servir.

Dans la prochaine étude, où je tâcherai d’élucider un peu ces questions épineuses, j’aurai donc à faire effort pour garder une disposition d’esprit suffisamment impartiale à l’égard de deux causes qui me sont également chères : le sort des Alsaciens qui songeraient à se réfugier en Algérie, et les futures destinées de notre belle colonie africaine.


Cte D’HAUSSONVILLE.

  1. « … Les républicains, pensant qu’il fallait avant tout sauver la république menacée et la mettre à l’abri de toutes les atteintes, firent (en 1876) les plus grands efforts de propagande en faveur de M. X,.. dont les opinions républicaines leur offraient plus de garantie et de sécurité que celles de son concurrent, sans songer à lui demander quelles étaient ses opinions algériennes ; ils ne lui posèrent pas un instant cette question, dont l’intérêt leur eût paru très secondaire à cette époque. M. X… est un républicain convaincu, ayant passé sa vie à s’occuper des questions politiques, mais n’ayant jamais songé à prendre les questions algériennes au sérieux. Il connaît beaucoup mieux la place du gouvernement que nos villages de l’intérieur, ne parle pas un mot d’arabe, et n’a jamais montré à propos des questions algériennes une compétence dépassant les bornes d’une incontestable médiocrité. L’élection de M. X… et de ses collègues ne fut donc, pas plus que celle des députés algériens, des élections algériennes, mais des élections politiques… Vraie en ce qui regarde les cinq élus de 1876, cette appréciation n’est pas applicable à un sixième représentant, M. ***, qui ne fut nommé qu’en 1877, alors que la question politique avait un peu perdu de son âcreté… On ne peut pas dire que c’est à sa réputation, ni à ses doctrines algériennes qu’il a dû d’être choisi comme candidat par les républicains ardens, par les colons partisans de la décentralisation qui composent la grande majorité des électeurs de la province de Constantine. M. *** a dû uniquement cet honneur à M. Gambetta, qui daigna étendre ses vues sur lui… (Extrait du n° 7,492 de l’Akbar, du 30 juillet 1880.)
  2. Séance du conseil supérieur du 11 décembre 1880, pages 28, 29, 33 et suivantes.
  3. Rapport fait au nom de la commission chargée d’examiner le projet de loi sur le budget des dépenses de l’exercice 1880 (ministère de l’intérieur), service du gouvernement-général civil de l’Algérie, par M. Gastu, député (séance du 29 mai 1879).
    Cette commission était composée de MM. Brisson, président, Bethmont, Guichard, Casimir Perier, Berlet, Lelièvre, Clemenceau, Gatineau, Latrade, Joly, Spuller, Liouville, La Caze, Millaud, Legrand, Noirot, Lockroy, Proust, Farcy, Rouvier, Gastu, Varambon, Germain, Devès, Lamy, Parent, Blandin, Wilson, Floquet, Constans, Langlois, Bardoux, Margaine.
  4. Rapport fait au nom de la commission du budget chargée d’examiner le projet de loi portant fixation des dépenses et recettes de l’exercice 1881 (ministère de l’intérieur), service du gouvernement-général civil de l’Algérie, par M. Thomson, député (séance du 3 juin 1880).
  5. Rapport fait au nom de la commission du budget chargée d’examiner le projet de loi portant fixation du budget général des dépenses et recettes de l’exercice 1882 (ministère de l’intérieur), service du gouvernement-général civil de l’Algérie, par M. Thomson, député (séance du 12 mai 1881).
  6. Rapport fait au nom de la commission du budget chargée d’examiner le projet de loi sur le budget général de l’exercice 1883 (ministère de l’intérieur), service du gouvernement-général civil de l’Algérie, par M. Thomson, député (séance du 29 juin 1882).
  7. Texte du projet de loi présenté à la chambre des députés, ayant pour objet de mettre à la disposition du ministre de l’intérieur une somme de 50 millions de francs pour être employée en acquisitions de terre et en travaux de colonisation en Algérie (séance du 9 décembre 1881).
  8. Exposé des motifs du projet de loi ayant pour objet de mettre à la disposition du ministre de l’intérieur une somme de 50 millions de francs pour être employés en acquisitions de terres et en travaux de colonisation en Algérie (séance de la chambre des députés du 9 décembre 1881).
  9. Rapport de M. Thomson à la chambre des députés (séance du 12 juillet 1881).
  10. Rapport de M. Thomson à la chambre des députés (séance du 29 juin 1882).
  11. Ibid.
  12. Ibid.
  13. Arrêté du 4 mai 1841, ordonnances des 21 juillet et 1er septembre 1845, des 5 juin et 1er juillet 1847.
  14. Voir l’exposé des motifs du ministre de la guerre, général Moline de Saint-Yon. (Moniteur de 1847, page 420.)
  15. Moniteur de 1847, page 614.
  16. Rapport de M. de Tocqueville. (Moniteur de 1847, page 1446.)
  17. Les Socialistes et le Travail en commun, par le maréchal Bugeaud d’Isly. Chanoine, imprimeur, 1849.
  18. Le Cinquantenaire d’une colonie : l’Algérie en 1880, par Ernest Mercier.
  19. Rapport de M. Reybaud, séance du 6 avril 1850. — Moniteur du 12 avril 1850, page 1190.
  20. Moniteur de 1848, page 2616.
  21. Moniteur de 1848, page 2744.
  22. Moniteur de 1848, page 3409.
  23. Moniteur du 12 octobre 1848.
  24. Moniteur de 1848, page 3470.
  25. Moniteur de 1849, p. 1352.
  26. Moniteur de 1849, p. 2098.
  27. Moniteur de 1849, p. 679.
  28. M. Charles Reybaud. (Moniteur du 5 juillet 1850, page 2289.)
  29. Discours de M. Reybaud, séance du 5 juillet 4850. (Moniteur, page 2289.)
  30. Proposition de M. de Belcastel et de quelques-uns de ses collègues, déposée le 20 Juin. (Moniteur du 22 juin 1871.)
  31. Paris, Imprimerie nationale, 1875.
  32. Rapport de M. Guynemer, page 17.
  33. L’Algérie et les Questions algériennes, Ernest Mercier. Paris, Challamel.