La Cithare (Gille)/La Douleur d’Héraclès

La Cithare, Texte établi par Georges Barral Voir et modifier les données sur WikidataLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 19-23).

LA DOULEUR D’HÉRACLÈS


Hylas aux yeux brillants, Hylas, ô cher Hylas !
La fleur de ta jeunesse en sa fraîcheur éclose
Ne parfumera plus notre patrie ; hélas !
Les vallons et les bois de la terre d’Hellas
Ne frissonneront plus sous tes beaux pieds de rose.

Lorsque sous les mûriers, rougissant tes orteils,
Tu dansais mollement parmi les hautes herbes,
À des roses en feu tes yeux étaient pareils,
Et sur ma lèvre alors, comme des fruits vermeils,
Fondaient les frais baisers de tes lèvres imberbes.


À chacun de tes pas cadencés, tes cheveux
En grappes d’or, ainsi que des raisins d’automne,
Bondissaient sur ton cou délicat et nerveux ;
Comme des diamants, des parfums vaporeux
En rosée, à tes pieds, tombaient de ta couronne.

Ton regard possédait la suave fraîcheur
Des sources et des fleurs que l’aube fait éclore,
Et ton visage était plus pur que la blancheur
De la lune qui brille au fond du ciel songeur ;
Il semblait qu’avec toi marchât la belle Aurore.

Toi seul, enfant, avais touché le cœur d’airain
De celui qui luttait contre l’hydre sauvage ;
Si, comme des oiseaux, palpitaient dans ma main
Tes cheveux caressés par un souffle marin,
Je tremblais, je restais sans voix sur le rivage.

Je t’aimais d’un amour inquiet et jaloux.
Ta beauté, tes vertus occupaient ma pensée ;
Je m’enorgueillissais de tes jeunes courroux,
Lorsqu’au fond de tes yeux impérieux et doux
Ton âme s’allumait de ma flamme embrasée.


Je ne t’abandonnais jamais, ni quand Midi
Crible d’or la rivière et la forêt moussue,
Ni quand l’oiseau revient à son nid attiédi ;
Joyeux et plein d’espoir, j’aidais ton bras hardi
À soulever mon glaive et ma lourde massue.

Prêt à te secourir et toujours défiant,
Je surveillais tes pas avec un tendre zèle ;
J’étais comme une mère auprès de son enfant
Que sa sollicitude attentive défend,
Et mon amour pensif t’abritait de son aile.

Ô fils chéri ! de toi je voulais faire un dieu.
Calme et fort, et célèbre entre les plus célèbres,
Déjà je te voyais, ayant franchi le feu,
Victorieux du monstre ; et sur le grand ciel bleu
Tu te dressais, du front refoulant les ténèbres.

Et c’est toi qui devais, mes travaux accomplis,
Guider les chœurs heureux aux sons chastes des lyres
Par les chemins bordés de roses et de lis.
La terre eût tressailli de joie, et dans ses plis
La mer voluptueuse eût bercé tes sourires.

 
Trompant mes soins, ton cœur fol et prompt au désir
A-t-il été tenté par un subtil mirage ?
Par une ombre ébloui, poussé par le plaisir,
Sans doute tu voulus imprudemment saisir,
Ainsi que dans un songe, une irréelle image.

Ah ! pourquoi m’as-tu fui ? Quel est donc le Vainqueur
Qui désormais du Mal affranchira la terre ?
La nuit en mon esprit monte avec la douleur ;
Plus jamais tes beaux yeux n’éclaireront mon cœur,
Lorsque je gagnerai ma tente solitaire.

Jadis, quand j’entendais l’appel de tes baisers,
J’accourais, orgueilleux d’avoir rempli ma tâche ;
Aujourd’hui, tous mes vœux sont morts désabusés…
Mais, afin de venger mes chers rêves brisés,
Dis : quel dieu te retient et quel autre te cache ?

En vain, pour te trouver, comme un cerf aux abois
Broyant les frêles troncs et les robustes souches,
J’ai parcouru les monts abrupts et les grands bois ;
Je t’ai nommé trois fois, infidèle, et trois fois
Écho m’a renvoyé mes désespoirs farouches.

 
Or, Héraclès s’est tu. Tel qu’un loup frémissant
Il s’arrête. Il saisit un chêne, et dans sa rage
Il le fait éclater sous son effort puissant,
Et, ne pouvant dompter la douleur qu’il ressent,
Il rugit, et son âme est pareille à l’orage.