La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XVII/Chapitre V

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 369-371).

CHAPITRE V.

abolition du sacerdoce d’aaron prédite à héli.

L’homme de Dieu qui fut envoyé au grand-prêtre Héli et que l’Ecriture ne nomme pas, mais que son ministère doit faire indubitablement reconnaître pour prophète, parle de ceci plus clairement. Voici ce que porte le texte sacré : « Un homme de Dieu vint trouver Héli et lui dit : Voici ce que dit le Seigneur : Je me suis fait connaître à la maison de votre père, lorsqu’elle était captive de Pharaon en Egypte, et je l’ai choisie entre toutes les tribus d’Israël pour me faire des prêtres qui montassent à mon autel, qui m’offrissent de l’encens et qui portassent l’éphod ; et j’ai a donné à la maison de votre père, pour se nourrir, tout ce que les enfants d’Israël m’offrent en sacrifice. Pourquoi donc avez-vous foulé aux pieds mon encens et mes sacrifices, et pourquoi avez-vous fait plus de cas de vos enfants que de moi, en souffrant qu’ils emportassent les prémices de tous les sacrifices d’Israël ? C’est pourquoi voici ce que dit le Seigneur et le Dieu d’Israël : J’avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence. Mais je n’ai garde maintenant d’en user de la sorte. Car je glorifierai ceux qui me glorifient ; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables. Voici venir le temps que j’exterminerai votre race et celle de votre père, de sorte qu’il n’en deumeurera pas un seul qui exerce les fonctions de la prêtrise, dans ma maison. Je les bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent en voyant ce changement. Ils périront tous par l’épée ; et la marque de cela, c’est que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux en un même jour. Je me choisirai un prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon cœur et mon âme désirent, et je lui construirai une maison durable qui passera éternellement en la présence de mon Christ. Quiconque restera de votre maison viendra l’adorer avec une petite pièce d’argent, et lui dira : Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain[1]».

On ne peut pas dire que cette prophétie, qui prédit si clairement le changement de l’ancien sacerdoce, ait été accomplie en la personne de Samuel. Quoiqu’il ne fût pas d’une autre tribu que celle que Dieu avait destinée pour servir à l’autel, il n’était pas pourtant de la famille d’Aaron, dont la postérité était désignée pour perpétuer le sacerdoce[2]; et par conséquent tout ceci était la figure du changement qui devait se faire par Jésus-Christ, et appartenait proprement à l’Ancien Testament, et figurativement au Nouveau ; je dis quant à l’événement de la chose, et non quant aux paroles. Il y eut encore depuis des prêtres de la famille d’Aaron, comme Sadoch et Abiathar, sous le règne de David, et plusieurs autres, longtemps avant l’époque où ce changement devait s’accomplir en la personne de Jésus-Christ. Mais à présent quel est celui qui contemple ces choses des yeux de la foi et qui n’avoue qu’elles sont accomplies ? Il ne reste en effet aux Juifs ni tabernacle, ni temple, ni autel, ni sacrifice, ni par conséquent aucun de ces prêtres qui, selon la loi de Dieu, devraient être de la famille d’Aaron, comme le rappelle ici le Prophète : « Voici ce que dit le Seigneur et le Dieu d’Israël : J’avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence ; mais je n’ai garde maintenant d’en user de la sorte. Car je glorifierai ceux qui me glorifient ; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables ». Par la maison de votre père, il n’entend pas parler de celui dont Héli avait pris immédiatement naissance, mais d’Aaron, le premier grand prêtre dont tous les autres sont descendus. Ce qui précède le montre clairement : « Je me suis fait connaître, dit-il, à la maison de votre père, lorsqu’elle était captive de Pharaon en Egypte, et je l’ai choisie entre toutes les tribus d’Israël pour les fonctions du sacerdoce ». Qui était ce père d’Héli dont la famille, après la captivité d’Egypte, fut choisie pour le sacerdoce, sinon Aaron ? C’est donc de cette race que Dieu dit ici qu’il n’y aura plus de prêtre à l’avenir : et c’est ce que nous voyons maintenant accompli. Que notre foi y fasse attention, les choses sont présentes ; on les voit, on les touche, et elles sautent aux yeux, malgré qu’on en ait. « Voici, dit le Seigneur, venir le temps que j’exterminerai votre race et celle de votre père, en sorte qu’il n’en demeurera pas un seul qui exerce les fonctions de la prêtrise dans ma maison. Je les bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent en voyant ce changement ». Ce temps prédit est venu. Il n’y a plus de prêtre selon l’ordre d’Aaron ; et quiconque reste de cette famille, lorsqu’il considère le sacrifice des chrétiens établis par toute la terre et qu’il se voit dépouillé d’un si grand honneur, sèche de regret et d’envie.

Ce qui suit appartient proprement à la maison d’Héli : « Tous ceux qui resteront de votre maison périront par l’épée ; et la marque de cela, c’est que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux en un seul jour ». Le même signe donc qui marquait le sacerdoce enlevé à sa maison marquait aussi qu’il devait être aboli dans la maison d’Aaron. La mort des enfants d’Héli ne figurait la mort d’aucun homme, mais celle du sacerdoce même dans la famille d’Aaron. Ce qui suit se rapporte au grand prêtre, dont Samuel devint la figure en succédant à Héli, et par conséquent on doit l’entendre de Jésus-Christ, le véritable grand prêtre du Nouveau Testament : « Et je me choisirai un prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon cœur et mon âme désirent, et je lui construirai une maison durable ». Cette maison est la céleste et éternelle Jérusalem. « Et elle passera, dit-il, éternellement en la présence de mon Christ », c’est-à-dire elle paraîtra devant lui, comme il a dit auparavant de la maison d’Aaron : « J’avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence ». On peut encore entendre qu’elle passera de la mort à la vie pendant tout le temps de notre mortalité, jusqu’à la fin des siècles. Quand Dieu dit : « Qui fera tout ce que mon cœur et mon âme désirent », ne pensons pas que Dieu ait une âme, lui qui est le créateur de l’âme ; c’est ici une de ces expressions figurées de l’Ecriture, comme quand elle donne à Dieu des mains, des pieds, et les autres membres du corps. Au surplus, de peur qu’on ne s’imagine que c’est selon le corps qu’elle dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu, elle donne aussi à Dieu des ailes, organe dont l’homme est privé, et elle dit : « Seigneur, mettez-moi à l’ombre de vos ailes[3]», afin que les hommes reconnaissent que tout cela n’est dit que par métaphore de cette nature ineffable.

« Et quiconque restera de votre maison viendra l’adorer » . Ceci ne doit pas s’entendre proprement de la maison d’Héli, mais de celle d’Aaron, qui a duré jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ et dont il on reste encore aujourd’hui quelques débris. À l’égard de la maison d’Héli, Dieu avait déjà dit que tous ceux qui resteraient de cette maison périraient par l’épée. Comment donc ce qu’il dit ici peut-il être vrai : « Quiconque restera de votre maison viendra l’adorer», à moins qu’on ne l’entende de toute la famille sacerdotale d’Aaron ? Si donc il existe de ces restes prédestinés dont un autre prophète dit : « Les restes seront sauvés[4]» ; et l’Apôtre : « Ainsi, en ce temps même, les restes ont été sauvés selon l’élection de la grâce[5]» ; si, dis-je, il est quelqu’un qui reste de la maison d’Aaron, indubitablement il croira en Jésus-Christ, comme du temps des Apôtres plusieurs de cette nation crurent en lui ; et encore aujourd’hui, l’on en voit quelques-uns, quoique en petit nombre, qui embrassent la foi et en qui s’accomplit ce que cet homme de Dieu ajoute : « Il viendra l’adorer avec une petite pièce d’argent ». Qui viendra-t-il adorer, sinon ce souverain prêtre qui est Dieu aussi ? Car dans le sacerdoce établi selon l’ordre d’Aaron, on ne venait pas au temple ni à l’autel pour adorer le grand prêtre. Que veut dire cette petite pièce d’argent, si ce n’est cette parole abrégée de la foi dont l’Apôtre fait mention après le Prophète, quand il dit : « Le Seigneur fera une parole courte et abrégée sur la terre[6]? » Or, que l’argent se prenne pour la parole de Dieu, le Psalmiste en témoigne, lorsqu’il dit : « Les paroles du Seigneur sont pures, c’est de l’argent qui a passé par le feu[7]».

Que dit donc celui qui vient adorer le prêtre de Dieu et le prêtre-Dieu ? « Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain ». Ce qui signifie : Je ne prétends rien à la dignité de mes pères, puisqu’elle est abolie ; faites-moi seulement part de votre sacerdoce. « Car j’aime mieux être méprisable dans la maison du Seigneur[8]» ; entendez : pourvu que je devienne un membre de votre sacerdoce, quel qu’il soit. Il appelle ici sacerdoce le peuple même dont est souverain prêtre le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme. C’est à ce peuple que l’apôtre saint Pierre dit : « Vous êtes le peuple saint et le sacerdoce royal[9]». Il est vrai que quelques-uns, au lieu de votre sacerdoce, traduisent votre sacrifice, mais cela signifie toujours le même peuple chrétien. De là vient cette parole de l’Apôtre : « Nous ne sommes tous ensemble qu’un seul pain et qu’un seul corps en Jésus-Christ[10]» ; et celle-ci encore : « Offrez vos corps à Dieu comme une hostie vivante[11]». Ainsi, quand cet homme de Dieu ajoute : « Pour manger du pain », il exprime heureusement le genre même du sacrifice dont le jirêtre lui-même dit : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair[12]». C’est là le sacrifice qui n’est pas selon l’ordre d’Aaron, mais selon l’ordre de Melchisédech. Que celui qui lit ceci l’entende. Cette confession est en même temps courte, humble et salutaire : « Donnez-moi quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain ». C’est là cette petite pièce d’argent, parce que la parole du Seigneur, qui habite dans le cœur de celui qui croit, est courte et abrégée. Comme il avait dit auparavant qu’il avait donné pour nourriture à la maison d’Aaron les victimes de l’Ancien Testament, il parle ici de manger du pain, parce que c’est le sacrifice des chrétiens dans le Nouveau.

  1. I Rois, ii, 27 et seq.
  2. Voyez sur ce point les Rétractations, livre ii, ch. 43, n. 2.
  3. Ps. xvi, 10.
  4. Isa. x, 22.
  5. Rom. xi, 5.
  6. Rom. ix, 28; Isa. x, 23.
  7. Ps. xi, 7.
  8. Ps. lxxxiii, 11.
  9. I Pierre, ii, 9.
  10. 1 Cor. x, 17.
  11. Rom. xii, 1.
  12. Jean, vi, 52.