La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XIII/Chapitre X

Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 271).
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CHAPITRE X.

la vie des mortels est plutôt une mort qu’une vie.

En effet, dès que nous avons commencé d’être dans ce corps mortel, nous n’avons cessé de tendre vers la mort, et nous ne faisons autre chose pendant toute cette vie (si toutefois il faut donner un tel nom à notre existence passagère). Y a-t-il personne qui ne soit plus proche de la mort dans un an qu’à cette heure, et demain qu’aujourd’hui, et aujourd’hui qu’hier ? Tout le temps que l’on vit est autant de retranché sur celui que l’on doit vivre, et ce qui reste diminue tous les jours, de sorte que tout le temps de cette vie n’est autre chose qu’une course vers la mort, dans laquelle il n’est permis à personne de se reposer ou de marcher plus lentement ; tous y courent d’une égale vitesse. En effet, celui dont la vie est plus courte ne passe pas plus vite un jour que celui dont la vie est plus longue ; mais l’un a moins de chemin à faire que l’autre. Si donc nous commençons à mourir, c’est-à-dire à être dans la mort, du moment que nous commençons à avancer vers la mort, il faut dire que nous commençons à mourir dès que nous commençons à vivre. De cette manière, l’homme n’est jamais dans la vie, s’il est vrai qu’il ne puisse être ensemble dans la vie et dans la mort ; ou plutôt ne faut-il point dire qu’il est tout ensemble dans la vie et dans la mort ? dans la vie, parce qu’elle ne lui est pas tout à fait ôtée, dans la mort, parce qu’il meurt à tout moment ? Si en effet il n’est point dans la vie, que lui est-il donc retranché ? et s’il n’est pas dans la mort, qu’est-ce que ce retranchement même ? Quand toute vie a été retranchée au corps, ces mots après la mort n’auraient pas de sens, si la mort n’était déjà, lorsque se faisait le retranchement ; car dès qu’il est fait, on n’est plus mourant, on est mort. On était donc dans la mort au moment où était retranchée la vie.