La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XIII/Chapitre IV

Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 268-269).
◄   III
V  ►

CHAPITRE IV.

pourquoi ceux qui sont absous du péché par le baptême sont encore sujets 0 la mort, qui est la peine du péché.

On dira : si la mort est la peine du péché, pourquoi ceux dont le péché est effacé par le baptême sont-ils également sujets à la mort ? c’est une question que nous avons déjà discutée et résolue dans notre ouvrage Du baptême des enfants, où nous avons dit que la séparation de l’âme et du corps est une épreuve à laquelle l’âme reste encore soumise, quoique libre du lien du péché, parce que, si le corps devenait immortel aussitôt après le baptême, la foi en serait affaiblie. Or, la foi n’est vraiment la foi que quand on attend dans l’espérance ce qu’ors ne voit pas encore dans la réalité, c’est elle qui, dans les temps passés du moins, élevait les âmes au-dessus de la crainte de la mort : témoins ces saints martyrs en qui la foi n’aurait pu remporter tant d’illustres victoires sur la mort, s’ils avaient été immortels. D’ailleurs, qui n’accourrait au baptême avec les petits enfants, si le baptême délivrait de la mort ? Tant s’en faut donc que la foi fût éprouvée par la promesse des récompenses invisibles, qu’il n’y aurait pas de foi, puisqu’elle chercherait et recevrait à l’heure même sa récompense ; tandis que, dans la nouvelle loi, par une grâce du Sauveur bien plus grande et bien plus admirable, la peine du péché est devenue un sujet de mérite. Autrefois il était dit à l’homme : Vous mourrez, si vous péchez ; aujourd’hui il est dit aux martyrs : Mourez, pour ne pécher point. Dieu disait aux premiers hommes : « Si vous désobéissez, vous mourrez » ; il nous dit présentement : « Si vous fuyez la mort vous désobéirez ». Cc qu’il fallait craindre autrefois, afin de ne pécher point, est ce qu’il faut maintenant souffrir, de crainte de pécher. Et de la sorte, par la miséricorde ineffable de Dieu, la peine du crime devient l’instrument de la vertu ; ce qui faisait le supplice du pécheur fait le mérite du juste, et la mort qui a été la peine du péché est désormais l’accomplissement de la justice. Mais il n’en est ainsi que pour lés martyrs à qui leurs persécuteurs donnent le choix ou de renoncer à la foi, ou de souffrir la mort ; car les justes aiment mieux souffrir, en croyant, ce que les premiers prévaricateurs ont souffert pour n’avoir pas cru. Si ceux-ci n’avaient point péché, ils ne seraient pas morts ; et les martyrs pèchent, s’ils ne meurent. Les uns sont donc morts parce qu’ils ont péché ; les autres ne pèchent point parce qu’ils meurent. La faute des premiers a amené la peine, et la peine des seconds prévient la faute : non que la mort, qui était un mal, soit devenue un bien, mais Dieu a fait à la foi une telle grâce que la mort, qui est le contraire de la vie, devient l’instrument de la vie même.