La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XII/Chapitre XIX

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 260-261).

CHAPITRE XIX.
SUR LES SIÈCLES DES SIÈCLES.

Je n’aurai pas la témérité de décider si, par les siècles des siècles, l’Écriture entend cette suite de siècles qui se succèdent les uns aux autres dans une succession continue et une diversité régulière, l’immortalité bienheureuse des âmes délivrées à jamais de la misère planant seule au-dessus de ces vicissitudes, ou bien si elle veut signifier par là les siècles qui demeurent immuables dans la sagesse de Dieu et sont comme les causes efficientes de ces autres siècles que le temps entraîne dans son cours. Peut-être le siècle ne veut-il rien dire autre chose que les siècles, et le siècle du siècle a-t-il même sens que les siècles des siècles, comme le ciel du ciel et les cieux des cieux ne sont qu’une même chose dans le langage de l’Écriture. En effet, Dieu a nommé ciel le firmament au-dessus duquel sont les eaux[1], et cependant le Psalmiste dit : « Que les eaux qui sont au-dessus des cieux louent le nom du Seigneur[2] ». Il est donc très-difficile de savoir, entre les deux sens des siècles des siècles, quel est le meilleur, ou s’il n’y en a pas un troisième qui soit le véritable ; mais cela importe peu à la question présentement agitée, dans le cas même où nous pourrions donner sur ce point quelque explication satisfaisante, comme dans celui où une sage réserve nous conseillerait de ne rien affirmer en si obscure matière. Il ne s’agit ici que de l’opinion de ceux qui veulent que toutes choses reviennent après certains intervalles de temps. Or, le sentiment, quel qu’il soit, que l’on peut avoir touchant les siècles des siècles, est absolument étranger à ces révolutions, puisque, soit que l’on entende par les siècles des siècles ceux qui s’écoulent ici-bas par une suite et un enchaînement continus sans aucun retour des mêmes phénomènes et sans que les âmes des bienheureux retombent jamais dans la misère d’où elles sont sorties, soit qu’on les considère comme ces causes éternelles qui règlent les mouvements de toutes les choses passagères et sujettes au temps, il s’ensuit également que ces retours périodiques qui ramènent les mêmes choses sont tout à fait imaginaires et complétement réfutés par la vie éternelle des bienheureux[3].

  1. Gen. I, 8.
  2. Ps. CXLVIII, 4.
  3. Comp. saint Jérôme en son commentaire sur l’Épître aux Galates, cap. 1, 5.