La Cité de Dieu (Augustin)/Livre X/Chapitre XIII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 205-206).
CHAPITRE XIII.
INVISIBLE EN SOI, DIEU S’EST RENDU SOUVENT VISIBLE, NON TEL QU’IL EST, MAIS TEL QUE LES HOMMES LE POUVAIENT VOIR.

On ne doit pas trouver étrange que Dieu, tout invisible que soit son essence, ait souvent apparu sous une forme visible aux patriarches. Car, comme le son de la voix, qui fait éclater au dehors la pensée conçue dans le silence de l’entendement, n’est pas la pensée même, ainsi la forme sous laquelle Dieu, invisible en soi, s’est montré visible, était autre chose que Dieu ; et cependant c’est bien lui qui apparaissait sous cette forme corporelle, comme c’est bien la pensée qui se fait entendre dans le son de la voix. Les patriarches eux-mêmes n’ignoraient pas qu’ils voyaient Dieu sous une forme corporelle qui n’était pas lui. Ainsi, bien que Dieu parlât à Moïse et que Moïse lui répondît, Moïse ne laissait pas de dire à Dieu : « Si j’ai trouvé grâce devant vous, montrez-vous vous-même à moi, afin que je sois assuré de vous voir[1] ». Et comme il fallait que la loi de Dieu fût publiée avec un appareil terrible, étant donnée, non à un homme ou à un petit nombre de sages, mais à une nation tout entière, à un peuple immense, Dieu fit de grandes choses par le ministère des anges sur le Sinaï, où la loi fut révélée à un seul en présence de la multitude qui contemplait avec effroi tant de signes surprenants. C’est qu’il n’en était pas du peuple d’Israël par rapport à Moïse comme des Lacédémoniens qui crurent à la parole de Lycurgue déclarant tenir ses lois de Jupiter ou d’Apollon[2] ; la loi de Moïse ordonnait d’adorer un seul Dieu, et dès lors il était nécessaire que Dieu fît éclater sa majesté par des effets assez merveilleux pour montrer que Moïse n’était qu’une créature dont se servait le créateur.

  1. Exod. xxxiii, 13.
  2. Voyez Hérodote, liv. i, chap. 65.