La Cité de Dieu (Augustin)/Livre VIII/Chapitre XVIII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 169).
CHAPITRE XVIII.
CE QU’ON DOIT PENSER D’UNE RELIGION QUI RECONNAÎT LES DÉMONS POUR MÉDIATEURS NÉCESSAIRES DES HOMMES AUPRÈS DES DIEUX.

C’est donc en vain qu’Apulée et ses adhérents font aux démons l’honneur de les placer dans l’air, entre le ciel et la terre, pour transmettre aux dieux les prières des hommes et aux hommes les faveurs des dieux, sous prétexte qu’ « aucun dieu ne communique avec l’homme[1] », suivant le principe qu’ils attribuent à Platon. Chose singulière ! ils ont pensé qu’il n’était pas convenable aux dieux de se mêler aux hommes, mais qu’il était convenable aux démons d’être le lien entre les prières des hommes et les bienfaits des dieux ; de sorte que l’homme juste, étranger par cela même aux arts de la magie, sera obligé de prendre pour intercesseurs auprès des dieux ceux qui se plaisent à ces criminelles pratiques, alors que l’aversion qu’elles lui inspirent est justement ce qui le rend plus digne d’être exaucé par les dieux. Aussi bien ces mêmes démons aiment les turpitudes du théâtre, tandis que la pudeur les déteste ; ils se plaisent à tous les maléfices de la magie[2], tandis que l’innocence les a en mépris. Voilà donc l’innocence et la pudeur condamnées, pour obtenir quelque faveur des dieux, à prendre pour intercesseurs leurs propres ennemis. C’est en vain qu’Apulée chercherait à justifier les fictions des poëtes et les infamies du théâtre ; nous avons à lui opposer l’autorité respectée de son maître Platon, si toutefois l’homme peut à ce point renoncer à la pudeur que non-seulement il aime des choses honteuses, mais qu’il les juge agréables à la Divinité.

  1. Voyez Apulée, De deo Socratis, Platon, Banquet, discours de Diotime, page 203, A, trad. fr., tome VI, p. 299.
  2. Voyez Virgile, Énéide, livre VII, v. 338.