La Cité de Dieu (Augustin)/Livre VII/Chapitre I

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 133).
CHAPITRE PREMIER.
SI LE CARACTÈRE DE LA DIVINITÉ, LEQUEL N’EST POINT DANS LA THÉOLOGIE CIVILE, SE RENCONTRE DANS LES DIEUX CHOISIS.

Que le caractère de la divinité ou (pour mieux rendre le mot grec θεότης) de la déité ne se trouve pas dans la théologie civile exposée en seize livres par Varron, en d’autres termes, que les institutions religieuses du paganisme ne servent de rien pour conduire à la vérité éternelle, c’est ce dont quelques-uns n’auront peut-être pas été entièrement convaincus par ce qui précède ; mais j’ai lieu de croire qu’après avoir lu ce qui va suivre ils n’auront plus aucun éclaircissement à désirer. Les personnes que j’ai en vue ont pu, en effet, s’imaginer qu’on doit au moins servir pour la vie bienheureuse, c’est-à-dire pour la vie éternelle, ces dieux choisis que Varron a réservés pour son dernier livre et dont j’ai encore très-peu parlé. Or, je me garderai de leur opposer ce mot plus mordant que vrai de Tertullien : « Si on choisit les dieux comme on fait les oignons, tout ce qu’on ne prend pas est de rebut[1] ». Non, je ne dirai pas cela, car il peut arriver que même dans une élite on fasse encore un choix pour quelque fin plus excellente et plus relevée, comme à la guerre on s’adresse pour un coup de main aux jeunes soldats et parmi eux aux plus braves. De même, dans l’Église, quand on fait choix de certains hommes pour être pasteurs, ce n’est pas à dire que le reste des fidèles soit réprouvé, puisqu’il n’en est pas un qui n’ait droit au nom d’élu. C’est ainsi encore qu’en construisant un édifice on choisit les grosses pierres pour les angles, sans pour cela rejeter les autres, qui trouvent également leur emploi ; et enfin, quand on réserve certaines grappes de raisin pour les manger, on n’en garde pas moins les autres pour en faire du vin. Il est inutile de pousser plus loin les exemples. Je dis donc qu’il ne s’ensuit pas, de ce que dans la multitude des dieux païens on en a distingué quelques-uns, qu’il y ait à blâmer ni l’auteur qui rapporte ce choix, ni ceux qui l’ont fait, ni les divinités préférées : il s’agit seulement d’examiner quelles sont ces divinités et pourquoi elles ont été l’objet d’une préférence.

  1. Tertullien, Contra Nation., lib. ii, cap. 9.