La Cité de Dieu (Augustin)/Livre VI/Chapitre XII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 131-132).
CHAPITRE XII.
IL RÉSULTE ÉVIDEMMENT DE L’IMPUISSANCE DES DIEUX DES GENTILS EN CE QUI TOUCHE LA VIE TEMPORELLE, QU’ILS SONT INCAPABLES DE DONNER LA VIE ÉTERNELLE.

Si ce que j’ai dit dans le présent livre ne suffit pas pour prouver que l’on ne doit demander la vie éternelle à aucune des trois théologies appelées par les Grecs mythique, physique et politique, et par les Latins, fabuleuse, naturelle et civile, si on attend encore quelque chose, soit de la théologie fabuleuse, hautement réprouvée par les païens eux-mêmes, soit de la théologie civile, toute semblable à la fabuleuse et plus détestable encore, je prie qu’on ajoute aux considérations précédentes toutes celles que j’ai développées plus haut, singulièrement dans le quatrième livre où j’ai prouvé que Dieu seul peut donner la félicité. Supposez, en effet, que la félicité fût une déesse, pourquoi les hommes adoreraient-ils une autre qu’elle en vue de la vie éternelle ? Mais comme elle est un don de Dieu, et non pas une déesse, quel autre devons-nous invoquer que le Dieu dispensateur de la félicité, nous qui soupirons après la vie éternelle où réside la félicité véritable et parfaite ? Or, il me semble qu’après ce qui a été dit, personne ne peut plus douter de l’impuissance où sont ces dieux honorés par de si grandes infamies, et plus infâmes encore que le culte exigé par eux, de donner à personne la félicité que nous cherchons. Or, qui ne peut donner la félicité, comment donnerait-il la vie éternelle, qui n’est qu’une félicité sans fin ? Vivre dans les peines éternelles avec ces esprits impurs, ce n’est pas vivre, c’est mourir éternellement. Car quelle mort plus cruelle que cette mort où on ne meurt pas ? Mais comme il est de la nature de l’âme, ayant été faite immortelle, de conserver toujours quelque vie, la mort suprême pour elle, c’est d’être séparée de la vie de Dieu dans un supplice éternel. D’où il suit que celui-là seul donne la vie éternelle, c’est-à-dire la vie toujours heureuse, qui donne le véritable bonheur. Concluons que, les dieux de la théologie civile étant convaincus de ne pouvoir nous rendre heureux, il ne faut les adorer ni pour les biens temporels, comme nous l’avons fait voir dans nos cinq premiers livres, ni à plus forte raison pour les biens éternels, comme nous venons de le montrer dans celui-ci. Au surplus, comme la coutume jette dans les âmes de profondes racines, si quelqu’un n’est pas satisfait de ce que j’ai dit précédemment contre la théologie civile, je le prie de lire attentivement le livre que je vais y ajouter, avec l’aide de Dieu.