La Cité de Dieu (Augustin)/Livre V/Chapitre XIII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 105-106).
CHAPITRE XIII.
L’AMOUR DE LA GLOIRE, QUI EST UN VICE, PASSE POUR UNE VERTU, PARCE QU’IL SURMONTE DES VICES PLUS GRANDS.

Après que les royaumes d’Orient eurent brillé sur la terre pendant une longue suite d’années, Dieu voulut que l’empire d’Occident, qui était le dernier dans l’ordre des temps, devînt le premier de tous par sa grandeur et son étendue ; et comme il avait dessein de se servir de cet empire pour châtier un grand nombre de nations, il le confia à des hommes passionnés pour la louange et l’honneur, qui mettaient leur gloire dans celle de la patrie, et étaient toujours prêts à se sacrifier pour son salut, triomphant ainsi de leur cupidité et de tous leurs autres vices par ce vice unique : l’amour de la gloire. Car, il ne faut pas se le dissimuler, l’amour de la gloire est un vice. Horace en est convenu, quand il a dit :

« L’amour de la gloire enfle-t-il votre cœur ? il y a un remède pour ce mal : c’est de lire un bon livre avec candeur et par trois fois[1] ».

Ecoutez encore ce poëte s’élevant dans un de ses chants lyriques contre la passion de dominer :

« Dompte ton âme ambitieuse, et tu feras ainsi un plus grand empire que si, réunissant à la Libye la lointaine Gadès, tu soumettais à ton joug les deux Carthages[2] ».

Et cependant, quand on n’a pas reçu du Saint-Esprit la grâce de surmonter les passions honteuses par la foi, la piété et l’amour de la beauté intelligible, mieux vaut encore les vaincre par un désir de gloire purement humain que de s’y abandonner ; car si ce désir ne rend pas l’homme saint, il l’empêche de devenir infâme. C’est pourquoi Cicéron, dans son ouvrage de la République où il traite de l’éducation du chef de l’État, dit qu’il faut le nourrir de gloire, et s’autorise, pour le prouver, des souvenirs de ses ancêtres, à qui l’amour de la gloire inspira tant d’actions illustres et merveilleuses. Il est donc avéré que les Romains, loin de résister à ce vice, croyaient devoir l’exciter et le développer dans l’intérêt de la république. Aussi bien Cicéron, jusque dans ses livres de philosophie, ne dissimule pas combien ce poison de la gloire lui est doux. Ses aveux sont plus clairs que le jour ; car, tout en célébrant ces hautes études où l’on se propose pour but le vrai bien, et non la vaine gloire, il ne laisse pas d’établir cette maxime générale : « L’honneur est l’aliment des arts ; c’est par amour de la gloire que nous embrassons avec ardeur les études, et toute science discréditée dans l’opinion languit et s’éteint[3] ».

  1. Horace, Epist.i, v. 36, 37.
  2. Carm., lib. ii, carm. 2, v. 9-12.
  3. Cicéron, Tusc. qu., lib. i, cap. 2.