La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IX/Chapitre XVII

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 190).
CHAPITRE XVII.
POUR ACQUÉRIR LA VIE BIENHEUREUSE, QUI CONSISTE A PARTICIPER AU SOUVERAIN BIEN, L’HOMME N’A PAS BESOIN DE MÉDIATEURS TELS QUE LES DÉMONS, MAIS DU SEUL VRAI MÉDIATEUR, QUI EST LE CHRIST.

J’admire en vérité comment de si savants hommes, qui comptent pour rien les choses corporelles et sensibles au prix des choses incorporelles et intelligibles, nous viennent parler du contact corporel quand il s’agit de la béatitude. Que signifie alors cette parole de Plotin : « Fuyons, fuyons vers notre chère patrie. Là est le Père et tout le reste avec lui. Mais quelle flotte ou quel autre moyen nous y conduira ? le vrai moyen, c’est de devenir semblable à Dieu[1] ». Si donc on s’approche d’autant plus de Dieu qu’on lui devient plus semblable, ce n’est qu’en cessant de lui ressembler qu’on s’éloigne de lui. Or, l’âme de l’homme ressemble d’autant moins à cet Etre éternel et immuable qu’elle a plus de goût pour les choses temporelles et passagères. Et comme il n’y a aucun rapport entre ces objets impurs et la pureté immortelle d’en haut, elle a besoin d’un médiateur, mais non pas d’un médiateur qui tienne aux choses supérieures par un corps immortel et aux choses inférieures par une âme malade, de crainte qu’il ne soit moins porté à nous guérir qu’à nous envier le bienfait de la guérison ; il nous faut un médiateur qui, s’unissant à notre nature mortelle, nous prête un secours divin par la justice de son esprit immortel, et s’abaisse jusqu’à nous pour nous purifier et nous délivrer, sans descendre pourtant de ces régions sublimes où le maintient, non une distance locale, mais sa parfaite ressemblance avec son Père. Loin de nous la pensée qu’un tel médiateur ait craint de souiller sa divinité incorruptible en révélant la nature humaine et en vivant, comme homme, dans la société des hommes. Il nous a en effet donné par son incarnation ces deux grands enseignements, d’abord que la vraie divinité ne peut recevoir de la chair aucune souillure, et puis que les démons, pour n’être point de chair, ne valent pas mieux que nous. Voilà donc, selon les termes de la sainte Ecriture, « ce médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme[2] », égal à son Père par la divinité, et devenu par son humanité semblable à nous ; mais ce n’est pas ici le lieu de développer ces vérités.

  1. Il est clair que saint Augustin n’a pas le texte de Plotin sous les yeux. Il cite de mémoire et par fragments épars le passage célèbre des Ennéades, I, livre vi, ch. 8 : φεύγωμεν δή φἱλην ἐς πατριδα, αληθέστερον ἅν τις, ϰ. τ. λ. (Cf. Ibid., livre ii, ch. 3.)
  2. I Tim. ii, 1.