La Cité de Dieu (Augustin)/Livre I/Chapitre II

La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 2-3).
CHAPITRE II.
IL EST SANS EXEMPLE DANS LES GUERRES ANTÉRIEURES QUE LES VAINQUEURS AIENT ÉPARGNÉ LE VAINCU PAR RESPECT POUR LES DIEUX.

On a écrit l’histoire d’un grand nombre de guerres qui se sont faites avant la fondation de Rome et depuis son origine et ses conquêtes ; eh bien ! qu’on en trouve une seule où les ennemis, après la prise d’une ville, aient épargné ceux qui avaient cherché un refuge dans le temple de leurs dieux[1] ! qu’on cite un seul chef des barbares qui ait ordonné à ses soldats de ne frapper aucun homme réfugié dans tel ou tel lieu sacré ! Énée ne vit-il pas Priam traîné au pied des autels et

« Souillant de son sang les autels et les feux qu’il avait lui-même consacrés[2] ? »

Est-ce que Diomède et Ulysse, après avoir massacré les gardiens de la citadelle, n’osèrent pas

« Saisir l’effigie sacrée de Pallas, et de leurs mains ensanglantées profaner les bandelettes virginales de la déesse ? »

Ce qu’ajoute Virgile n’est pas vrai :

« Dès ce moment disparut sans retour l’espérance des Grecs[3]. »

C’est depuis lors, en effet, qu’ils furent vainqueurs ; c’est depuis lors qu’ils détruisirent Troie par le fer et par le feu ; c’est depuis lors qu’ils égorgèrent Priam abrité près des autels. La perte de Minerve ne fut donc pas la cause de la chute de Troie. Minerve elle-même, pour périr, n’avait-elle rien perdu ? Elle avait, dira-t-on, perdu ses gardes. Il est vrai, c’est après le massacre de ses gardes qu’elle fut enlevée par les Grecs. Preuve évidente que ce n’étaient pas les Troyens qui étaient protégés par la statue, mais la statue qui était protégée par les Troyens. Comment donc l’adorait-on pour qu’elle fût la sauvegarde de Troie et de ses enfants, elle qui n’a pas su défendre ses défenseurs ?

  1. Les bénédictins citent deux exemples qui atténuent, sans la contredire, la remarque de saint Augustin : l’exemple d’Agésilas, après la victoire de Coronée, et celui d’Alexandre, qui, à la prise de Tyr, fit grâce à tous ceux qui s’étaient réfugiés dans le temple d’Hercule. Voyez Plutarque, Vie d’Agésilas, ch. 19 ; et Arrien, De reb. gest. Alex., lib. ii, cap. 21.
  2. Énéide, liv. ii, vers 501, 502.
  3. Énéide, liv. ii, vers 166-170.