La Circulation du sang/Traité anatomique sur les mouvements du cœur et du sang chez les animaux/Seconde dédicace

Traduction par Charles Richet.
Georges Masson (p. 41-44).

AU TRÈS ILLUSTRE ET SAVANT
D. ARGENT
PRÉSIDENT DU COLLÈGE DES MÉDECINS DE LONDRES,
MON AMI PARTICULIER,
ET AUX AUTRES SAVANTS MÉDECINS,
MES COLLÈGUES TRÈS AIMÉS.

J’ai déjà souvent exposé dans mes leçons ma nouvelle théorie sur le mouvement et les fonctions du cœur. Il y a neuf ans et plus que je l’ai confirmée devant vous par des expériences directes, complétée par des raisonnements et des arguments, défendue victorieusement contre les objections des plus illustres et des plus habiles anatomistes. Elle était désirée par tous, réclamée par plusieurs : voici que je la mets en pleine lumière dans ce livre. Toutefois, je produirais mon ouvrage avec bien moins d’espoir dans son succès, si je ne vous l’avais d’abord confié, et si je ne pouvais vous appeler en témoignage, pour toutes les observations à l’aide desquelles je cherche la vérité et je réfute l’erreur. Vous avez, en effet, vu mes vivisections, vous avez, avec une bonne foi complète, assisté, en les approuvant, à ces expériences dont je démontre aujourd’hui publiquement la réalité.

Dans ce livre, je suis seul à affirmer que le sang revient sur lui-même, contrairement à l’opinion générale, admise et démontrée par un grand nombre de savants illustres. Je craignais donc grandement, même après avoir perfectionné mon livre pendant plusieurs années, d’être taxé d’arrogance, en le confiant au public. Cependant, je vous ai d’abord présenté mon œuvre, je l’ai confirmée devant vous par l’anatomie, j’ai répondu à vos doutes et à vos objections ; et l’opinion de votre savant président m’a été favorable. Je suis persuadé que si j’ai pu soutenir ma théorie devant vous, devant notre collège, si riche en savants éminents, je n’ai plus guère à redouter les autres objections.

Par amour de la vérité, vous m’avez encouragé, ce qui a été ma principale consolation. Aussi j’espère que ceux qui aiment la science comme vous feront de même. Les vrais philosophes, en effet, ceux qui sont enflammés par l’amour de la vérité et de la science ne se trouvent jamais si σοφούς, et si pleins de science, et si convaincus d’avoir raison, qu’ils ne donnent une place à la vérité, quelle que soit son origine. Il n’y a pas d’esprit assez étroit pour croire que chaque art ou chaque science nous ont été légués par les anciens dans un état de perfection absolue, telle que rien ne reste plus au génie et aux efforts de leurs successeurs.

Au contraire, presque tous les philosophes reconnaissent que ce que nous savons est une petite part de ce que nous ignorons. Ils ne sont pas assez asservis à la tradition et aux vieilles doctrines, pour perdre leur liberté et ne pas ajouter foi à leurs propres yeux. Ils ne jurent pas assez sur la parole de leurs maîtres, les anciens, pour abandonner publiquement, et aux yeux de tous, la vérité chérie. Ils pensent au contraire que si la vaine crédulité accepte tout à première vue, c’est être insensé que de se refuser à voir ce qui est visible, et reconnaître la lumière en plein jour. Ils enseignent qu’il faut repousser aussi bien les fables des poètes et les aberrations de la foule, que la doctrine des sceptiques. De même tous les hommes consciencieux, bons, honnêtes, ne se laissent pas envahir par la passion de la colère ou de l’envie au point de ne pas écouter avec sang-froid ce qu’on dit en faveur de la vérité, et de repousser une démonstration exacte. Ils ne trouvent pas honteux de changer d’avis si la vérité appuyée sur une démonstration évidente les y engage. Ils ne se croient pas déshonorés pour abandonner une erreur, quelque ancienne qu’elle soit ; ils savent que l’erreur est chose humaine, que le hasard peut révéler bien des faits nouveaux, que tout le monde peut trouver à apprendre chez autrui, le vieillard chez le jeune homme, l’homme intelligent chez l’imbécile.

Dans ce traité, mes chers collègues, je n’ai pas voulu rapporter en détail les noms des anatomistes divers, faire ostentation de mémoire ou d’érudition, en citant leurs œuvres et leurs théories. L’anatomie doit être étudiée et enseignée, à l’aide, non des livres, mais des dissections, non dans les théories des philosophes, mais dans l’examen de la nature.

Toutefois, j’ai tâché de ne priver aucun auteur ancien de l’honneur qui lui est dû pour ses recherches. Quant à leurs successeurs, je n’ai pas eu l’intention de provoquer des querelles. Il serait malséant d’engager la lutte avec ceux qui m’ont précédé dans l’étude de l’anatomie, et qui me l’ont enseignée.

Je n’ai voulu mettre sous le coup d’une accusation de mauvaise foi ou d’erreur aucun de ceux qui cultivent la science. Je ne cherche qu’une chose, la vérité ; j’ai consacré toutes mes forces et toutes mes veilles à produire un livre agréable aux hommes de bien, profitable aux savants, utile à la science.

Sur ce, maîtres illustres, soyez favorables à votre anatomiste.

GUILLAUME HARVEY.