La Chronique de France, 1905/Chapitre III
iii
LA GENÈSE D’UNE TRAGÉDIE
Nous possédons, après cette rapide analyse rétrospective, des éléments suffisants pour apprécier impartialement et en connaissance de cause les événements qui remplirent les premiers mois de l’année 1905. Nous connaissons les embarras intérieurs en face desquels se trouvait l’empereur d’Allemagne et la nature du dommage que lui causaient les succès récents de la diplomatie française alors même qu’aucun danger véritable, aucune menace certaine n’en résultaient pour lui. Le désir devait certainement naître dans son cerveau fécond d’une revanche pacifique à prendre sur la République et l’occasion lui paraissait doublement propice pour la tenter. La Russie en effet, engagée dans une terrible lutte avec les Japonais où elle subissait désastres sur désastres, se trouvait hors d’état de prêter à son alliée un concours même uniquement diplomatique qui put être efficace et, en France, le système inauguré par MM. Combes, André et Pelletan équivalait à une sorte de désarmement relatif qui sans doute ne durerait point et dont il était urgent de profiter.
Dès le lendemain de la signature des accords franco-anglais, on peut dire que Guillaume ii était décidé à faire « quelque chose » mais il ne savait pas quoi. Cette signature l’avait surpris ; jusqu’à la dernière minute il n’y avait pas cru. L’attention qu’avait eue M. Delcassé de faire connaitre à l’ambassadeur d’Allemagne dix-sept jours avant sa conclusion la teneur de l’arrangement aiguillonnait l’empereur comme une impertinence à son adresse. N’avait-il pas, lui-même, cherché vainement à conclure avec l’Angleterre
un pacte d’amitié ? S’il s’était consolé d’y avoir échoué c’était probablement en se disant que nul n’y réussirait et que l’Angleterre entendait en Europe n’avoir de pacte ferme avec aucune autre puissance. Le spectre de la future alliance anglo-franco-russe voulue par Cecil Rhodes, dédaignée par M. Hanotaux et devenue, comme nous venons de le dire, le but final de la politique de M. Delcassé se dressa devant lui. Il est probable que ce fut le désir d’atteindre à la fois l’une des clauses fondamentales du traité franco-anglais et l’auteur principal de ce traité qui le fit pencher pour une action au Maroc. On ne saurait dire à quel moment ce choix commença de se préciser dans son esprit. M. Bihourd le prévoyait en une curieuse dépêche arrivée à Paris le 24 avril 1904 et qui fait le plus grand honneur à sa perspicacité. Il est à remarquer du reste que, sans avoir rien décidé, on se « réservait un grief » à Berlin, car depuis la conclusion de l’accord franco-anglais on évitait les nombreuses occasions de « causerie » recherchées par M. Bihourd et M. Delcassé. D’autre part, à la date du 12 avril 1904, M. de Bulow avait prononcé devant le Reichstag un grand discours dans lequel il avait paru faire bon marché de la question du Maroc indiquant qu’elle ne concernait point l’Allemagne et qu’il n’avait pour sa part « rien à objecter au point de de vue allemand contre l’accord ». Ce n’était pas là, certes, l’avis des coloniaux et des Pangermanistes ; ceux-ci se remuaient sous main. La diplomatie allemande faisait preuve au Maroc d’un esprit d’initiative qui ne lui était pas habituel, préparant le terrain près du sultan avant même qu’une direction dans ce sens lui eût été donnée de Berlin.
Mais ce qui décida tout à fait l’empereur ce furent les lenteurs et les hésitations du gouvernement français à s’autoriser des accords conclus avec l’Angleterre et l’Espagne pour établir son autorité dans l’empire chérifien : lenteurs et hésitations qu’expliquait en les aggravant l’attitude d’une partie de l’opinion nettement hostile à l’entreprise marocaine. M. Jaurès menait à cet égard une campagne éloquente mais néfaste et c’est ainsi que ce pacifiste à outrance porte la responsabihté initiale des périls qui suivirent. L’opinion en France a toujours tardé à s’intéresser aux terres lointaines. Ce qui arrivait pour le Maroc était arrivé pour la Tunisie, pour l’Indo-Chine, pour Madagascar. Mais les répugnances traditionnelles se compliquaient cette fois d’un accès de sentimentalisme humanitaire tendant à envisager toutes les races comme possédant les mêmes droits et douées des mêmes aptitudes et aussi du fait qu’à l’occasion d’un échange conclu avec l’Angleterre au sujet du Maroc et de l’Égypte, leur vieille anglophobie portait les Français à dénigrer la part de gâteau à eux dévolue pour exalter exagérément celle à laquelle ils renonçaient.
Avec un autre président du conseil que M. Combes et un autre ministre de la marine que M. Pelletan, le ministre des Affaires étrangères s’avisant des nombreux inconvénients qu’il pouvait y avoir vis-à-vis du sultan et aussi vis-à-vis des tiers — de l’Espagne par exemple — à traîner ainsi les choses en longueur eût obtenu du parlement les crédits nécessaires et eût fait appuyer par une démonstration navale appropriée l’envoi d’une prompte et solennelle ambassade. Au lieu de cela M. Delcassé en était réduit à faire montre en toute circonstance d’une modération excessive. Lorsqu’il put enfin envoyer M. Saint-René Taillandier à Fez, le sultan se sentait déjà assez fort pour obliger l’ambassade à se rendre par mer à Larache sous prétexte d’insécurité de la route de terre et pour faire mine de supprimer les missions militaires étrangères qu’il entretenait et parmi lesquelles la mission française seule se trouvait alors au complet. À cette époque, l’action allemande s’exerçait déjà à Fez et le sultan commençait à regarder avec espoir du côté de Berlin. L’empereur pourtant hésitait encore, non pas sur les lignes générales de son dessein mais sur la forme à lui donner. Il voulait s’attaquer à la France, la faire reculer quelque part mais sans risquer de provoquer une guerre.
Grand voyageur, grand ami des spectacles sensationnels, l’empereur devait être tenté par l’idée d’un débarquement à Tanger et, après tout, il n’y avait rien là qui fut de nature à allumer un conflit. C’était causer un vif désagrément à la France, lui jouer « un mauvais tour » ; mais ce n’était pas lui adresser une provocation. Entre la conversation si étrange, si incorrecte de procédé, dans laquelle M. de Külhmann, chargé d’affaires d’Allemagne à Tanger, apprit à M. de Cherisey, chargé d’affaires de France en l’absence du ministre parti pour Fez, comment « le comte de Bulow lui avait fait savoir que le gouvernement impérial ignorait tout des accords intervenus au sujet du Maroc et ne se reconnaissait lié en aucune manière relativement à cette question » — entre ledit entretien et l’annonce du voyage impérial, la défaite de Moukden s’était produite, assez terrible pour affaiblir grandement la Russie, pas assez décisive pour l’obliger à conclure une paix qui lui eût rendu les mains libres en Occident. Il s’était aussi produit un autre fait d’une non moindre importance, c’était le séjour prolongé de l’amiral Rodjestvensky dans les eaux de Madagascar et les réclamations auxquels ce séjour avait donné lieu de la part du gouvernement japonais. Cet incident avait provoqué au Japon une campagne de presse contre la France, campagne très violente contenant la menace sans cesse répétée d’une descente en Indo-Chine et dont, chose plus étonnante, la répercussion s’était étendue un instant à l’Angleterre. Encore sous l’action de l’énervement causé par l’affaire de Hull, la presse anglaise s’était laissée aller à tenir un langage peu amical envers la France ; on en avait été péniblement surpris à Paris. Le gouvernement de la République s’était vu dans l’obligation d’intervenir à Pétersbourg pour que l’amiral Rodjestvensky fût invité à se montrer plus scrupuleux de la neutralité. L’incident avait pris fin ; l’on ne savait pas qu’il allait recommencer dans la baie de Camranh mais on ignorait aussi que l’opinion britannique s’étant ressaisie demeurerait désormais obstinément fidèle à l’entente avec la France. L’empereur pouvait donc escompter quelque nouveau malentendu que la continuation des hostilités en Extrême-orient finirait peut-être par susciter entre les cabinets de Londres et de Paris ; il pouvait tabler aussi sur un mouvement favorable de l’opinion espagnole dont une partie avait accueilli avec déplaisir la perspective de la prépondérance française dans les affaires marocaines ; il espérait enfin s’assurer le concours du gouvernement des États-Unis, très attaché en tous lieux au principe de la « porte ouverte » et près duquel il avait fait faire une démarche dans ce sens.
Guillaume ii toutefois n’entendait pas se brouiller avec la France ; il mit quelque affectation à aller dîner chez M. Bihourd peu de temps avant son départ et, dans son retentissant discours prononcé à Brême vers la même époque, il évita soigneusement de prononcer des paroles belliqueuses. S’il célébra la peine que Dieu s’était donné pour la patrie allemande afin d’en faire « le sel de la terre » et s’il esquissa le programme d’un « empire mondial Hohenzollern » il ajouta que la puissance allemande devait être basée sur « la confiance mutuelle des nations. » Et c’était là certainement une conclusion pacifique. La Gazette de l’Allemagne du Nord publia seulement une note d’allures officieuses exprimant un doute sur la façon dont l’autorité de la France au Maroc pouvait s’accorder avec la souveraineté du sultan et spécifiant qu’aucune garantie n’avait été donnée par la France que les intérêts économiques allemands n’auraient rien à souffrir.
Plus significatif que tout le reste fut, à cet égard, le changement de programme décidé par l’empereur au moment du débarquement. Une intention évidente de recul s’y manifestait. Mis au courant à son arrivée en rade de l’émotion causée en France par le fait du voyage et des commentaires peu obligeants par lesquels la presse du monde entier en avait accueilli la nouvelle, Guillaume ii décida aussitôt d’écourter son séjour ; il ne resta que deux heures à terre, n’entra point dans le palais préposé pour le recevoir et ne parla publiquement qu’à la colonie allemande ; ce fut, il est vrai, pour proclamer l’indépendance du Sultan ; encore demeura-t-on quelques jours dans l’hésitation relativement au texte exact des paroles impériales. À Tanger où l’on avait fait des préparatifs considérables, le dépit fut grand et la première impression fut celle d’un fiasco.
Cette impression s’accentua lorsque le 6 avril le roi d’Angleterre traversant la France pour aller s’embarquer à Marseille sur son yacht se rencontra avec le président de la République. L’entrevue empruntait aux circonstances une importance exceptionnelle ; mais quand on apprit coup sur coup que le roi Édouard allait débarquer à Alger et visiter officiellement l’Algérie, qu’au retour il s’arrêterait plusieurs jours à Paris et qu’enfin pendant l’été des visites seraient échangées à Portsmouth et à Brest entre les flottes des deux pays, il devint évident que l’Angleterre entendait jouer entièrement son jeu du côté de la France et lier son sort à celui de sa voisine. D’autre part l’initiative impériale n’avait point suscité en Espagne les sentiments sur l’expression desquels Guillaume ii avait compté, l’Italie se montrait mécontente et hostile et le cabinet de Washington, trouvant sans doute que les engagements pris par la France à l’égard du Maroc y sauvegardaient suffisamment le principe de la porte ouverte, n’avait pas voulu entrer dans les vues allemandes.
Si, en France, les hommes qu’animait principalement le souci de la paix avaient regardé du côté du Maroc et de la Méditerranée ils se seraient mieux rendu compte de la tournure favorable que prenaient les événements et ils les auraient laissé se dérouler sans intervenir. Par malheur ils regardèrent du côté de Rerlin où se poursuivait une campagne violente d’intimidation qui, probablement, avait été convenue d’avance et qu’on avait amorcée peu après le départ de l’empereur. Ce qui donnait évidemment à cette campagne une certaine portée c’est que le chancelier y prenait part en quelque manière : d’abord en faisant devant le Reichstag des déclarations tout à fait différentes de celles portées par lui à la tribune un an auparavant puisqu’il affectait de juger aujourd’hui gravement compromis ces mêmes intérêts commerciaux allemands au Maroc qu’il estimait alors n’être nullement menacés — ensuite en adressant aux chancelleries des puissances ayant participé à la Conférence de Madrid de 1880, une note d’allures impertinentes à l’égard de M. Delcassé où l’on relevait ces mots sans précédents dans les fastes diplomatiques : « Il est faux que la convention franco-anglaise ait été portée par écrit ou verbalement à la connaissance du gouvernement allemand ». Quelques jours avant, le 7 avril, M. Delcassé avait adressé une circulaire à nos représentants à l’étranger. « Je crois utile, disait-il, de vous mettre en mesure de rectifier dans vos conversations les assertions erronées répandues par la presse allemande et d’après lesquelles le cabinet de Berlin n’aurait pas été mis au courant de nos intentions et de nos accords en ce qui concerne le Maroc ; c’est le 23 mars 1904, dix-sept jours avant la signature, que j’ai fait connaître au prince de Radolin les dispositions essentielles de l’accord franco-anglais visant le Maroc ». La note de M. de Bulow contenait donc un démenti formel à la France, démenti non justifié mais surtout conçu en des termes qui n’étaient point en usage jusqu’ici dans les chancelleries des pays civilisés. En même temps M. de Bulow usait d’un autre mauvais procédé à l’occasion d’un incident singulier. On avait accusé M. Saint-René Taillandier de s’être targué auprès du Sultan d’un mandat général lui permettant de parler « au nom de l’Europe ». M. Saint-René Taillandier déclarait péremptoirement ce fait inexact dans une dépêche du 9 avril datée de Fez, ce qui n’allait pas empêcher la chancellerie impériale de persister dans sa plainte, indiquant par là qu’elle attribuait plus de valeur à un propos quelconque du gouvernement chérifien qu’à la parole formelle du représentant de la France à Fez : là encore il y avait un procédé peu conforme aux usages établis.
Mais tout cela demeurait ignoré du public ; le langage agressif et outrancier des journaux allemands parvenait seul à sa connaissance. Il n’en fallut pas plus pour troubler l’esprit des pacifistes et leur faire perdre, à l’idée d’une guerre possible, tout sang-froid et toute finesse de raisonnement. M. Jaurès qui fut le mauvais génie de cette période ne cessait de harceler, à la tribune et dans la presse, le gouvernement afin d’en obtenir des « explications » ; or on n’en pouvait donner car, en les donnant complètes, on eût risqué d’offenser l’Allemagne et en les donnant incomplètes, on lui attribuait le beau rôle dans une affaire où elle avait joué au contraire un rôle détestable et inexcusable. C’est ainsi que fut préparée la lamentable séance de la Chambre des députés du 19 avril, séance qui précipita les événements dans le sens le plus grave.
Non qu’il s’y soit dit une seule parole inspirée par d’autres sentiments que le patriotisme sincère mais parce qu’avec une absence de flair politique tout à fait remarquable, pas un des orateurs de nuances diverses qui se succédèrent à la tribune ne manqua de fournir des armes à l’Allemagne et d’en retirer à la France.
Il y avait alors de longs mois que le ministre des Affaires étrangères s’évertuait à engager avec le cabinet de Berlin une conversation décisive et M. Delcassé aurait pu se disculper d’un mot en le révélant ; mais c’eût été orienter le débat vers une passe dangereuse. Il eut le courage de n’en rien dire et fit bien. Ses contradicteurs qui avaient eu, eux, le tort de ne point se renseigner ou même de ne point causer avec le ministre avant de prendre la parole, n’apportèrent pas la même circonspection dans leur langage. Naïvement ils reprirent tous les arguments dont la presse allemande commençait à faire ses délices quotidiennes, ayant l’air de tenir pour acquis le fait que la France eût offensé l’Allemagne par ses procédés. De l’ensemble de la séance au cours de laquelle on avait entendu successivement MM. de Castellane, Jaurès, Paul Deschanel, de Pressensé, Delafosse, etc… se dégageait nettement l’impression d’un désir exorbitant de paix. La paix avant tout, la paix au prix des pires sacrifices. « Il faut négocier » avait dit M. Jaurès et cette solution revenait sur les lèvres de tous les orateurs ; négocier pour avoir la paix. L’accueil fait aux déclarations de M. Delcassé qui, harcelé et agacé par la maladresse de ses collègues n’était pas ce jour-là en possession de tous ses moyens, décida le président du conseil M. Rouvier à intervenir dans le débat. L’état d’esprit de la Chambre l’obligea à proclamer lui aussi, à la fin d’une harangue d’ailleurs bien inspirée, son ardent amour de la paix ; il mentionna pourtant qu’il fallait tenir compte à un égal degré de la dignité de la France mais les assistants éprouvaient que même un tel souci s’effaçait dans la pensée de la majorité devant le désir d’écarter toute complication. Le soir, M. Delcassé offrit sa démission.
L’effet d’une pareille séance fut décisif. Quand même le ministre des Affaires étrangères avait été amené à retirer cette démission presque aussitôt après l’avoir donnée, sa situation se trouvait diminuée et son prestige atteint. Celui du parlement l’était encore plus et par là on peut dire que, dès ce moment, l’Allemagne avait barre sur la France. Cette situation fâcheuse se traduisit par des faits. Le 14 avril, à la suite d’un dîner que lui avait offert le prince de Radolin, M. Delcassé avait nettement posé la question de savoir s’il existait oui ou non, un malentendu entre les cabinets de Paris et de Berlin, demandant que si un tel malentendu existait on voulût bien le faire connaître sans retard. Et dès le lendemain il avait prescrit à M. Bihourd de formuler la même demande à la Wilhelmstrasse. Cette double démarche, par un nouveau manquement aux usages consacrés de la courtoisie internationale, demeura sans réponse et le 28 avril M. Bihourd adressait à Paris une dépêche dans laquelle, avec la netteté et la clairvoyance dont il avait déjà fait preuve, il disait : « Les conseillers belliqueux ne font pas défaut dans l’entourage du souverain ; ils ne manquent pas de prétendre que la Double alliance a reçu en Mandchourie une atteinte grave. Dans ces conjonctures ils ont beau jeu à signaler l’heure présente comme propice à une lutte armée contre la France ». Et l’ambassadeur ajoutait ce conseil dont il eût fallu s’inspirer tout aussitôt. « Les négociations directes nous semblent en ce moment impossibles car les déclarations officielles les repoussent ou imposent à notre initiative des conditions difficilement acceptables ; mais la voie indirecte ne nous est pas fermée ». Cette voie indirecte, c’était l’Italie, alliée de l’Allemagne et amie de la France dont la médiation n’eut pas manqué dès lors à l’apaisement du conflit. On eût pu d’autant mieux y faire appel à ce moment que, le 29 avril, le roi Édouard vii arrivait à Paris venant d’Algérie et qu’ostensiblement ses longs entretiens avec le président de la République et les membres du gouvernement clarifiaient la situation en montrant l’Angleterre de plus en plus résolue à aider la France dans le cas où celle-ci viendrait à être l’objet d’une agression injustifiée.
L’attitude des pacifistes français s’exerça une fois encore dans un sens funeste. Leurs clameurs et leurs protestations d’amitié pour le peuple allemand vinrent affaiblir la portée de l’attitude digne et calme du ministre des Affaires étrangères et diminuer la signification de la visite à Paris du roi d’Angleterre. On se persuada à Berlin que la France voulant la paix à tout prix irait jusqu’à décourager comme dangereusement suggestives les avances anglaises et l’on commença à entrevoir la possibilité de renverser définitivement M. Delcassé. Une bonne part de responsabilité en tout ceci remontait d’autre part à ceux qui, bien intentionnés ou non, n’avaient cessé depuis trois ans de crier à tous venants que la France, grâce à MM. Combes, André et Pelletan, n’aurait bientôt plus ni armée ni marine. Quelque déplorable que fût l’action de ces trois politiciens, le souci du patriotisme commandait de ne pas en faire état quotidiennement dans les luttes de parti et surtout de ne point en exagérer les résultats au-delà de toute vérité. La méfiance des Français pour eux-mêmes et la confiance de l’Allemagne en leur faiblesse, toutes deux parfaitement outrées, provinrent de là et c’est de ce double élément qu’était faite la crise dans la période aiguë de laquelle on allait entrer.