Librairie Delagrave (p. 85-105).

CHAPITRE V
LES GAINS DE LA « JEUNE CHINE »

La Conférence de la Paix.

Une des circonstances mémorables où les Chinois se montrèrent décidés à entamer l’édifice juridique et administratif élevé chez eux par les Européens, c’est la Conférence de la Paix qui suivit la guerre de 1914. Si, comme on va le voir, le résultat pour eux fut négatif, l’effort qu’ils firent ne fut pas perdu : il les forma et prépara en même temps leur auditoire international à d’autres tentatives de même ordre.

On sait que la Chine avait déclaré la guerre à l’Allemagne et à l’Autriche le 2 août 1917. Dès le lendemain de l’armistice, le président de la République chinoise marquait dans un télégramme au président de la République française l’espérance qu’entretenait son pays de se voir attribuer un siège à la Conférence de la Paix.

La presse chinoise exprimait le même espoir, mais annonçait en même temps que la Chine profiterait des assises internationales qui allaient s’ouvrir, pour exercer ses revendications à l’égard de tous les peuples, qu’ils aient été ses alliés ou ses ennemis.

Bien que surpris de cet avertissement inopportun, les grands Alliés attribuèrent à la Chine un siège à la Conférence, comme à tous les pays qui s’étaient tournés de leur côté pendant la guerre.

C’est alors qu’en avril 1919, au cours de la Conférence, la délégation chinoise soumit à celle-ci un certain nombre de questions à résoudre, outre les fameuses revendications touchant la restitution directe à la Chine des droits allemands au Chan-Toung[1].

Le mémoire qui contenait l’exposé de ces questions s’ouvrait sur l’Introduction suivante dont le ton est à remarquer :

Depuis le commencement du siècle, et en particulier depuis la révolution de 1911 qui a substitué à l’ancienne autocratie impériale un régime républicain, la Chine a réalisé des progrès marqués dans l’ordre politique comme dans l’ordre administratif et économique.

Son libre développement est toujours retardé par un certain nombre d’entraves de caractère international. De ces entraves, les unes sont des legs du passé, conséquences d’un état de choses qui a cessé d’exister. Les autres résultent d’abus récents que l’on ne peut justifier, ni en équité, ni en droit. Leur maintien perpétuerait des causes de difficultés, de frictions, de discordes. Au moment où la Conférence de la Paix cherche à fonder l’édifice d’un monde nouveau sur les principes de justice, d’égalité et de respect de la souveraineté des nations tels qu’ils ont été exprimés dans les quatorze points du président Wilson et acceptés par les puissances alliées et associées, son œuvre resterait incomplète si elle laissait subsister en Extrême-Orient des germes de conflits futurs.

La délégation chinoise a l’honneur, en conséquence, de lui soumettre le présent mémoire qui traite des divers points où des solutions nouvelles doivent intervenir si l’on veut, par application des principes d’intégrité territoriale, d’indépendance politique et d’autonomie économique, délivrer la Chine des entraves qui s’opposent encore à son libre développement.

Il n’est pas moins intéressant de rappeler la Conclusion du dit mémoire, qui énumère les sept questions soumises à la Conférence de la Paix, et indique la solution qui, suivant la délégation chinoise, doit être apportée à chacune d’elles.

En soumettant le présent mémoire à la Conférence de la Paix, le gouvernement chinois se rend bien compte que les questions dont il traite ne sont pas nées directement de la guerre mondiale ; mais il a pleine conscience du but que se propose la Conférence lorsqu’elle cherche, après avoir conclu la paix avec l’ennemi, à fonder un nouvel ordre mondial sur les principes de justice, d’égalité et de respect de la souveraineté des peuples, buts qui ont été éloquemment exprimés dans le pacte de la Ligue des Nations.

Ces questions doivent être résolues par la Conférence, car, si on les laisse en suspens, elles contiennent des germes de conflits futurs susceptibles de troubler de nouveau la paix du monde.

La délégation chinoise demande, en conséquence, à la Conférence de la Paix de les examiner et de les résoudre ainsi qu’il suit :

Sphères d’influence et d’intérêts. — On demande aux diverses puissances intéressées de déclarer, chacune en ce qui la concerne, qu’elles ne possèdent ni ne revendiquent aucune sphère d’influence ou d’intérêts en Chine, et qu’elles sont disposées à entreprendre la révision des traités, accords, notes ou contrats précédemment passés avec la Chine qui leur ont conféré ou peuvent être interprétés comme leur ayant conféré des avantages territoriaux réservés ou des droits de préférence tendant à créer des sphères d’influence ou d’intérêts au préjudice des droits souverains de la Chine.

Troupes et forces de police étrangères. — On demande que les troupes et forces de police étrangères qui se trouvent actuellement sur le territoire chinois sans justification légale soient immédiatement retirées, que les articles VII et IX du protocole du 7 septembre 1901 soient abrogés, et que les troupes et les gardes de légations stationnées en vertu de ces articles, soient intégralement retirées dans l’année qui suivra la déclaration faite à cet effet par la Conférence.

Bureaux de poste étrangers et stations radiotélégraphiques et télégraphiques étrangères. — On demande que tous les bureaux de poste étrangers soient supprimés avant le 1er janvier 1921, qu’aucune installation radiotélégraphique ou télégraphique étrangère ne puisse désormais être établie sur le territoire de la Chine et que toutes les installations de ce genre actuellement existantes soient immédiatement remises au gouvernement chinois contre paiement de justes indemnités.

Juridiction consulaire. — On demande que sur l’engagement pris par la Chine de réaliser avant la fin de l’année 1924 la promulgation des cinq codes et la création de nouveaux tribunaux dans tous les districts qui étaient autrefois chefs-lieux de divisions préfectorales, les puissances à traités promettent de faire abandon de leur juridiction consulaire ou de la juridiction de leurs cours spéciales pour celles qui en ont. On demande, en outre, qu’en attendant cette abolition, les puissances conviennent : 1° que toute affaire mixte, civile ou criminelle, où le défendeur ou accusé est un citoyen chinois, soit examinée et jugée par les tribunaux sans qu’aucun fonctionnaire ou représentant consulaire soit présent ou intervienne à la procédure ni au jugement ; 2° que les mandats et jugements régulièrement émis ou prononcés par les tribunaux chinois soient exécutoires dans les concessions et à l’intérieur des constructions appartenant à des étrangers, sans examen préalable par un fonctionnaire étranger de l’ordre consulaire ou judiciaire.

Territoires cédés à bail. — On demande que ces territoires soient restitués à la Chine, celle-ci prenant l’engagement d’assumer toutes les obligations qui lui incomberont équitablement pour la protection des droits des propriétaires fonciers et l’administration des dits territoires.

Concessions municipales étrangères. — On demande que les puissances intéressées consentent à ce que leurs concessions soient restituées à la Chine à la fin de l’année 1924. La Chine s’engage de son côté à protéger les droits des propriétaires fonciers des concessions. En attendant la restitution finale, on demande certaines modifications de l’organisation actuelle des concessions.

Autonomie en matière de tarif de douanes. — On demande qu’à l’expiration d’une période à fixer d’un commun accord, la Chine ait la liberté de déterminer elle-même son tarif de douanes, et que, durant cette période, elle ait la liberté de négocier avec les diverses puissances des conventions douanières basées sur la réciprocité, distinguant les articles de luxe des articles de nécessité commune, et fixant à 12 % ad valorem au minimum le tarif conventionnel sur les articles de nécessité. En attendant que ces conventions soient conclues, le tarif actuellement en vigueur serait remplacé à la fin de 1921 par le tarif général qui est appliqué au commerce des puissances sans traités. La Chine, d’autre part, s’engage à abolir le likin[2] aussitôt que les nouvelles conventions seront conclues.

On se rappelle que le 28 juin 1919, jour de la signature du traité de Versailles, le chef de la délégation chinoise, M. Lou-Tseng-Tsiang, se rendit auprès du président de la Conférence pour exposer de nouveau le point de vue chinois dans la question du Chan-Toung. Ce point de vue n’ayant pas été admis, la délégation soutenue par les manifestations de l’opinion publique à Pékin, décida de ne point signer le traité, et ne fut pas présente à Versailles. Naturellement, toutes les autres questions soumises à la Conférence de la Paix par la délégation chinoise restèrent sans solution ; mais elles n’allaient pas tarder à faire l’objet d’un examen international. Deux ans et demi plus tard en effet, elles étaient de nouveau posées à la Conférence de Washington et n’étaient déjà plus une nouveauté pour les membres de la Conférence.

La Conférence de Washington.

Cependant les personnes étrangères aux habitudes de la diplomatie chinoise s’étonnèrent de l’imprécision de ses revendications à la Conférence de Washington ; elles attribuèrent ce défaut, ou ce qu’elles jugeaient tel, à l’ignorance où les jeunes délégués chinois étaient de l’Occident et déclarèrent que Li Hung-Chang le connaissait mieux qu’eux.

Nous pensâmes au contraire que la pure tradition des Li Hung-Chang avait présidé à l’élaboration du memorandum de revendications du 15 novembre 1921 et que l’imprécision qui s’y trouvait n’eût pas été désavouée par le vieux conseiller de l’Empire du Milieu.

« Les questions posées dans le memorandum, dit le chef de la délégation chinoise à Washington au représentant d’une agence d’informations, sont plutôt que des demandes de mesures immédiates, des principes suivant lesquels les Chinois désirent traiter les affaires de leur pays et être traités par l’étranger. Une fois ces principes reconnus officiellement, leurs conséquences se pourront développer graduellement au fur et à mesure que les circonstances le permettront. La Chine n’est donc nullement pressée de mettre en pratique les stipulations contenues dans le document ; en gagnant la Conférence à sa cause, elle espère pouvoir régler ses affaires intérieures, aidée dans cette tâche par le prestige qu’elle a acquis au sein de la Société des Nations. »

La diplomatie chinoise apparaît toute dans ces propos, avec sa prudence et son souci de la « face ». Sauver la face, chose essentielle pour tout Chinois, en admettant soi-même l’impossibilité d’obtenir complète et immédiate satisfaction, tel est le procédé.

On sourira, on demandera quel profit en tirent les Chinois ? N’auraient-ils pas mieux fait, à Washington, de demander moins et d’être plus catégoriques sur certains points ? On oublie qu’en se montrant tout d’abord conciliants, en évitant de rebuter leurs interlocuteurs, en se disant uniquement soucieux « d’harmoniser les intérêts particuliers de la Chine avec les intérêts généraux du monde entier », ils ont vu accueillir favorablement leur memorandum et ont obtenu des adhésions de principe. Puis grâce à leur insistance dans la discussion, ce fut l’agrément des quatre puissances, États-Unis, Grande-Bretagne, France et Japon qui possèdent des bureaux de poste en Chine, à leur suppression. Ce fut la résolution de réunir une commission trois mois après l’issue de la Conférence pour « ouvrir une enquête sur les pratiques actuelles de la juridiction territoriale en Chine, sur la législation, sur l’organisation judiciaire en Chine… en vue d’introduire des mesures législatives et des réformes judiciaires qui justifieraient l’abandon soit progressif, soit sous toute autre forme, par les diverses puissances, de leurs droits respectifs d’exterritorialité. » Ce fut l’engagement de procurer au gouvernement chinois un supplément de revenus par le relèvement des droits de douane. Ce fut la résolution relative à la présence des troupes étrangères en Chine : les puissances manifestent leur intention de retirer celles dont le maintien après enquête ne serait justifié par aucun accord, à condition que leur départ ne mette pas en danger la vie et les biens des étrangers.

Est-ce que ces diverses résolutions, et d’autres encore[3] que les délégués des puissances à Washington ont été peu à peu amenés à adopter, pour « harmoniser les intérêts particuliers de la Chine avec les intérêts généraux du monde entier », ne sont pas beaucoup plus déjà que la formule générale à laquelle, au début de la Conférence, les dits délégués croyaient pouvoir s’en tenir ? On se souvient de cette dépêche officieuse et tendancieuse lancée de Washington le 26 novembre 1921 : « En ce qui concerne l’Extrême-Orient, l’idée se fait jour que la Conférence devrait se terminer par la constitution d’une sorte de large entente entre toutes les puissances intéressées qui s’engageraient à résoudre en commun les problèmes non réglés de la Conférence de Washington ou qui viendraient à se poser ultérieurement. Les cercles américains paraîtraient disposés à accueillir favorablement cette suggestion qui, en répondant au vœu de la délégation chinoise à la fin de son memorandum et en maintenant l’action commune entre tous les intéressés, semble devoir constituer un moyen pratique de régler les difficultés qui surviendraient dans la politique à suivre à l’égard de la Chine. »

C’est bien cela qu’entendait la Commission d’Extrême-Orient de la Conférence, quand le même jour, elle adoptait la vague résolution en quatre points préparée par M. Elihu Root, l’ancien secrétaire d’État américain[4]. Mais les délégués chinois surent contraindre leurs collègues à un peu plus de précision et leurs propres revendications si vagues du 15 novembre se précisèrent aussi singulièrement.

Le principe de la « porte ouverte ».

Le point capital, au moins pour leur amour-propre, acquis par eux à Washington est l’abrogation implicite de l’accord passé le 2 novembre 1917 entre le secrétaire d’État américain Robert Lansing et le vicomte K. Ishii, ambassadeur du Japon aux États-Unis[5]. En dépit de leur dénégation ultérieure, les Américains avaient reconnu par cet accord « certains droits spéciaux » au Japon en Chine, en raison de « sa position géographique ».

Or l’article 3 du traité sur les principes à appliquer en Chine, signé à Washington le 6 février 1922, dit :

En vue d’appliquer avec plus d’efficacité les principes de la porte ouverte ou de la chance égale pour le commerce et l’industrie de toutes les nations en Chine, les puissance contractantes autres que la Chine, conviennent de ne pas rechercher, ni aider leurs ressortissants à rechercher : a) la conclusion d’accords qui tendraient à établir en faveur de leurs intérêts des droits généraux supérieurs à ceux des autres touchant le développement commercial ou économique dans une région déterminée de la Chine ; b) l’obtention de monopoles ou traitements préférentiels de nature à priver les ressortissants d’autres puissances du droit d’entreprendre en Chine toute forme légitime de commerce ou d’industrie, ou de participer, soit avec le gouvernement chinois, soit avec des autorités locales, à toute catégorie d’entreprises ayant un caractère public ; ou de monopoles ou traitements préférentiels qui, en raison de leur portée, de leur durée ou de leur étendue territoriale, eraient de nature à constituer en pratique une violation du principe de la chance égale. Toutefois le présent accord ne devra pas être interprété comme interdisant l’acquisition de tels biens ou droits qui pourraient être nécessaires, soit à la conduite d’entreprises particulières, commerciales, industrielles ou financières, soit à l’encouragement des inventions et recherches.

La Chine s’engage à adopter les principes ci-dessus comme guides en ce qui concerne la suite à donner aux demandes de droits et privilèges économiques de la part de gouvernements ou ressortissants de tous pays étrangers, qu’ils soient ou non parties au présent traité.

La délégation chinoise s’empresse alors de déclarer : « En plein accord avec le principe de ce qu’on appelle la « porte ouverte » (open door) ou l’octroi de droits égaux pour le commerce et l’industrie, à toutes les nations liées par traité avec la Chine, celle-ci est disposée à l’accepter et à l’appliquer dans toutes les parties de la République chinoise sans exception. »

Cependant les Chinois ne se faisaient guère d’illusion sur le principe en question, ni sur les réelles idées des puissances. Le 28 janvier 1922, au dîner annuel de l’Union des étudiants chinois à Londres, le chargé d’affaires de Chine expose sa façon de penser sur ce point dans les termes suivants :

« Beaucoup de ceux qui se prétendent les amis de la Chine traînent perpétuellement la « porte ouverte » dans leurs discours… On pouvait penser qu’aujourd’hui la Chine connaissait ses affaires tout à fait aussi bien que n’importe qui, et cependant nous entendons ses soi-disant amis dire : « La chose la plus intéressante serait de trouver comment ouvrir la Chine. » Mais la Chine n’a-t-elle pas ses idées personnelles sur cette ouverture ? Certaines gens en parlent comme si la Chine était assez semblable à un morceau de viande dans une fête de sacrifice, chaque convive essayant d’expliquer comment il le découperait à son avantage particulier, tout en prétendant tout le temps n’avoir aucun intérêt personnel dans la question, et n’être réellement animé que de la plus grande bienveillance pour l’animal qui a fourni le plat principal de la soirée… »

En toute bonne foi que faut-il penser du fameux principe ?

La Chine est « fermée » en ce sens que les commerçants étrangers ne peuvent avoir d’entrepôts et de magasins que dans un petit nombre de ports dits « ouverts ». On pourrait croire qu’en vertu du nouveau principe, ces barrières vont s’abattre et que la Chine sera placée, au point de vue du libre trafic international, sur le même pied que tous les autres pays du monde. Pas du tout ! Ce qui ne doit plus exister ce sont les sphères d’influence[6]. Voilà ce que signifie le principe de la « porte ouverte ». En somme, il retire à la Chine le droit de s’entendre avec un pays quelconque pour lui concéder de grands travaux ou des services publics dans une région déterminée ; la Chine s’engage à ne favoriser personne et à laisser tout son territoire ouvert à la libre activité économique de toutes les nations.

Peut-être le corps chinois allait-il être de ce fait un peu plus ligoté que par le passé ; en tout cas les États-Unis qui, n’ayant pas de zone d’influence en Chine, avaient tant tenu, par un idéalisme seulement apparent, à les voir supprimer aux autres puissances, ne devaient pas tarder à s’apercevoir dans leurs statistiques commerciales, que le principe de la « porte ouverte » rendait plus aisée la pénétration pacifique du Japon et que dans la concurrence internationale en Chine, les Japonais avaient les maîtres atouts.

C’est donc décidément ailleurs que dans l’adoption de ce principe qu’il faut chercher un avantage réel remporté par la Chine à la Conférence de Washington. Or, nous savons que le 1er janvier 1923 eut lieu la suppression effective des bureaux de poste étrangers ; nous voyons actuellement siéger à Pékin depuis le 26 octobre 1925, — assez irrégulièrement il est vrai à cause des circonstances défavorables, mais sans se rompre — la conférence douanière décidée à Washington en vue de procurer à la Chine un supplément de revenus pour le relèvement des droits de douane[7]. Une autre conférence également décidée à Washington, s’est ouverte à Pékin, le 12 janvier dernier, pour examiner la délicate question du privilège d’exterritorialité dont jouissent en Chine dix-sept puissances[8]. Toutefois, à la différence de la conférence douanière qui est née d’un traité (Traité sur les droits de douane en Chine du 6 février 1922) et qui doit « prendre les mesures nécessaires » la conférence, ou plus exactement la commission d’exterritorialité, vient d’une simple résolution adoptée par la Conférence de Washington à la séance plénière du 10 décembre 1921, et son seul objet est de se renseigner, en ouvrant « une enquête sur les pratiques actuelles de juridiction exterritoriale en Chine, sur la législation, l’organisation judiciaire et les méthodes d’administration judiciaire en Chine, en vue de signaler aux gouvernements des diverses puissances leurs constatations de fait en ces matières, et de leur recommander les moyens que la commission pourrait juger convenables pour améliorer les conditions actuelles de l’administration de la justice en Chine, etc. ».

Malgré tout, qui ne voit dans cet ensemble un gain fait par la Chine et surtout une conquête morale d’un prix inestimable ? Qui donc eût dit, il y a vingt ans, que les puissances seraient amenées à se réunir à Pékin, non plus comme en 1901 pour dicter à la Chine un protocole, mais pour examiner avec elle et à sa demande, en vue d’une revision possible, les conditions qu’elles lui avaient autrefois imposées[9] ?

Ceux qui nient qu’il y ait déjà là un résultat d’acquis, qui se refusent à y voir un événement dont on ne peut quant à présent deviner les conséquences et encore moins les peser, ceux-là vivent dans l’absolu et s’y complaisent. Les Chinois, eux, se contentent du relatif et marquent les points.

  1. Voir dans l’Évolution de la Chine : l’affaire du Chan-Toung, pp. 80 et suiv.
  2. Taxe qui frappe les marchandises qui passent d’une province dans une autre, ou même d’une partie à une autre de la même province. Le montant en est fixé par les gouverneurs des provinces.
  3. Résolution concernant le statut applicable aux postes de T. S. F. étrangers en Chine ; résolution relative au statut du chemin de fer de l’Est chinois ; résolution relative à la révision des lois et coutumes de guerre, etc. ; déclaration des puissances possédant des territoires à bail, de leur intention de les rendre à la Chine, etc. La restitution de l’ancien territoire allemand de Kiao-Tchéou, ainsi que des autres droits allemands dans le Chan-Toung s’est faite officiellement en dehors de la Conférence, par un traité signé le 4 février 1922, à Washington, par les seuls représentants de la Chine et du Japon à la Conférence ; mais, comme elle correspondait aux intentions de celle-ci, on peut lui en attribuer le mérite. Du reste cette restitution, malgré son importance aux yeux des Chinois, n’entre pas dans notre thèse au même rang que les autres satisfactions obtenues par les Chinois à Washington ; elle est par définition autre chose qu’un gain de la Chine sur les puissances et n’offre pas de notre point de vue l’intérêt de simples résolutions d’un profit moins réel et surtout moins immédiat, mais d’une portée bien plus considérable.
  4. « Les États-Unis d’Amérique, la Belgique, l’Empire britannique, la France, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas et le Portugal déclarent leur ferme intention : 1° de respecter la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale et administrative de la Chine ; 2° de donner à la Chine la possibilité la plus complète et la plus entière liberté de se développer et de s’assurer un gouvernement stable et efficace ; 3° d’user de leur influence en vue de l’établissement et du maintien effectif du principe d’égalité pour le commerce et l’industrie de toutes les nations sur tout le territoire de la Chine ; 4° de s’abstenir de tirer avantage des circonstances actuelles pour rechercher des droits spéciaux ou des privilèges qui pourraient porter atteinte aux droits des sujets ou nationaux d’États amis et de s’abstenir également d’encourager toute action constituant une menace pour la sécurité des dits États. »
  5. Voir le texte de l’accord dans l’Évolution de la Chine, pp. 158 et suiv. L’accord fut annulé explicitement le 14 avril 1923.
  6. Art. 4 du Traité sur les Principes à appliquer en Chine, đu 6 février 1922 : « Les puissances contractantes conviennent de ne pas donner leur appui à des accords qui seraient conclus entre leurs ressortissants respectifs avec l’intention d’établir au profit de ces derniers des sphères d’influence ou de leur assurer des avantages exclusifs dans des régions déterminées du territoire chinois.
  7. Outre les huit puissances du traité de Washington, il y a en face de la Chine à cette conférence : la Suède, la Norvège, le Danemark et l’Espagne qui ont adhéré au traité du 6 février 1922. L’exclusion de l’Allemagne, qui dérive du traité de Versailles et du traité de Washington, de la Russie, qui dérive du traité de Washington, des nouveaux pays de l’Europe Centrale et de ceux de l’Amérique du Sud qui dérive de l’absence de traités douaniers entre eux et la Chine, complique la situation et la rend pleine d’imprévu dans ses conséquences.
  8. La Belgique, le Brésil, l’État libre du Congo, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Japon, le Mexique, la Norvège, les Pays-Bas, le Pérou, le Portugal, la Suède, la Suisse.
  9. L’érection d’une délégation apostolique en Chine, en 1922, qui paraît répondre provisoirement à la demande d’une nonciature adressée à plusieurs reprises au Vatican par le gouvernement de Pékin, est évidemment considérée par les Chinois comme un gain réalisé sur la France en tant que protectrice des catholiques.