Société générale de librairie catholique (p. 109-131).


V

COMMENT LE PRÉTENDANT JACQUES STUART, DIT LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES, PASSAIT SON TEMPS À BAR-LE-DUC ET QUELS SAGES CONSEILS LUI DONNAIT LE VIEUX BARON DOUGLAS.


À une lieue environ de Bar-le-Duc, en inclinant vers l’ouest et non loin des bords de l’Ornain, il y avait, en pleine forêt, un antique manoir dont la construction était attribuée à Yolande, la chasseresse, femme du bon duc René II de Lorraine. La maison, carrée et flanquée de quatre tourelles octogones, s’élevait au centre d’une clairière, dans cette partie du bois qu’on désignait jadis sous le nom des « Seize grandes coupes de Béhonne. » On y arrivait par des sentiers de chasse seulement.

L’hospitalité que le duc Léopold accordait au chevalier de Saint-Georges était large et cordiale, quoique involontaire. Si la pression puissante des deux cours de France et d’Angleterre n’eût point pesé sur lui, il aurait donné pour asile au royal exilé sa propre capitale, car le sang de Lorraine s’était mêlé bien souvent au sang des Stuarts en d’illustres alliances, et Marie Stuart, trois fois reine, était la fille de Marie de Lorraine. En outre, le chef de nom et d’armes de cette immense maison de Lorraine, dont les cadets, qu’ils s’appelassent Vaudemont, Guise, Mercœur, Mayenne, Joyeuse, Chevreuse, Elbœuf, Aumale ou Harcourt, avaient donné tant de belliqueux champions à la cause catholique, ne pouvait apporter au service de cette famille de Hanovre, parvenue et protestante, une passion bien sincère.

On disait même que, dans ces derniers temps, la princesse Mary, celle qui avait nom aujourd’hui Marie Stuart comme la victime d’Élisabeth Tudor, la cousine du chevalier de Saint-Georges, la fille de Charles Stuart, duc de Rothsay, était venue incognito à la cour de Léopold dans un but politique, et que le prince lorrain, pris d’une respectueuse sympathie pour la belle Écossaise, lui avait tout accordé, sauf l’appui déclaré qui eût appelé la guerre dans ses faibles États.

Le chevalier de Saint-Georges n’était pas un prisonnier, mais il ne jouissait pas non plus de sa liberté tout entière. Il pouvait aller et venir à sa fantaisie, aussi loin que s’étendait le territoire de Bar-le-Duc ; il ne pouvait faire un pas au delà.

Il avait, en ville, la disposition du palais ducal ; à la campagne le château de Fains et cet ancien rendez-vous de chasse de la duchesse Yolande, qu’on appelait la maison de la Croix-Aubert.

Nous sommes encore à ce froid jour de janvier en l’année 1718.

La nuit venait. De la lisière de la forêt, on voyait les fenêtres du vieux manoir brillamment éclairées. Le froid était très vif. Le vent du nord commençait à soulever de légers tourbillons de neige. Dans la cour, les gens de vénerie du prince exilé faisaient, aux flambeaux, les préparatifs de la chasse du lendemain.

On avait chassé aujourd’hui ; on avait chassé la veille. Grâce au duc Léopold, le chevalier de Saint-Georges avait de décents équipages, quoique le comte Stair envoyât messagers sur messagers à la cour de Nancy pour obtenir la réforme des écuries. Le chenil lui importait peu. Mais avec abondance de bons chevaux, le comte Stair prétendait cela, un prince captif peut céder à la tentation de prendre sa volée.

Quand notre faux braconnier Raoul, venant de l’auberge du Lion-d’Or, frappa à la porte de la maison de la Croix-Aubert, la cloche sonnait pour le repas du soir des officiers. Raoul demanda Drayton, le maître de la garde-robe, et fut introduit sur-le-champ dans une vaste salle, percée de trois fenêtres gothiques et ornée de tous les trophées qui font la gloire et la joie des disciples de saint Hubert.

Une lampe à plusieurs becs, suspendue au plafond, n’eût point suffit à éclairer cette énorme pièce, dont les murailles sombres et les caissons chargés de dorures passées absorbaient la lumière, sans un gigantesque bûcher de souches qui brûlait gaiement dans l’âtre. Il y aurait eu là de quoi rôtir un bœuf, et l’atmosphère de la salle en était toute réchauffée.

Drayton, qui cumulait ses fonctions de maître de la garde-robe avec celles de majordome et de premier valet de chambre, donnait des instructions au Français Bouchard, intendant des écuries, et à Thomas Erskine, ancien veneur du feu roi, qui en avait remontré bien souvent à M. de Rohan lui-même, au temps où Louis XIV daignait encore courre le cerf dans sa forêt de Saint-Germain.

— Le roi a pris connaissance de votre rapport, Erskine, disait gravement Drayton. De beau matin, vous quêterez, s’il vous plaît, dans les fonds de Fains, où l’on a revu de ce grand vieux sanglier. La maison du roi entendra la messe de six heures à Béhonne, et se mettra en chasse aussitôt après. Le roi vous ordonne de faire diligence pour remplacer les deux limiers, décousus aux abois de l’Étang-d’en-Face : Arshaw et Garshaw, je crois…

— Archaud et Garçaud ! rectifia l’écuyer.

— Je vous remercie, monsieur Bouchard, repartit paisiblement Drayton. Ces noms honorables seront inscrits sur leurs tombes avec l’orthographe qui convient. D’ici longtemps, je suppose, il n’y aura que des limiers pour mourir au service du roi. Le roi montera son poney de Galway pour se rendre à l’église. En chasse, Sa Majesté aura Red-Side ; pour la main, Arabian et Smoke. J’ai l’honneur de vous souhaiter la bonne nuit, gentlemen… Qui avons-nous là ?

Raoul se découvrit et fit quelques pas vers la cheminée.

— Oh ! oh ! murmura Drayton en congédiant définitivement du geste les deux officiers. M. le vicomte de Châteaubriand-Bretagne ! Encore un qui prend beaucoup de peine pour rien !

Il ôta son chaperon et découvrit à son tour la forêt de cheveux gris qui coiffait son crâne large et intelligent.

Robert Drayton, laird d’Allanadale, avait déjà de l’âge comme presque tous les gens de la maison du chevalier de Saint-Georges. C’est le propre des cours exilées. Le dévouement jeune peut naître et s’échauffer au dehors, mais la domesticité des princes déchus vieillit autour d’eux, gardant et creusant en quelque sorte le fossé qui sépare les bannis de la patrie.

Car la patrie marche sans cesse, emportée par le grand mouvement des siècles ; et il y a parfois quelque chose de fatal dans l’œuvre de ces vieillards qui font l’immobilité autour d’un illustre malheur, comme s’ils défendaient contre les chances d’un réveil heureux la couche de quelque Belle-au-Bois-Dormant.

À proprement parler, le vieux Drayton n’était pas de ceux-là. Fidèle comme l’or et brave comme le vieux sang highlandais qui coulait dans ses veines, il n’eût pas mieux demandé que d’entamer une lutte, même folle et impossible ; mais il connaissait son maître et il n’espérait point. Son découragement tournait de temps en temps au scepticisme à l’amertume.

— Soyez le bienvenu, milord vicomte, dit-il en saluant avec une grâce noble qui eût bien fait dans le royal salon de White-Hall. Arrivez-vous pour souper ce soir et pour chasser demain ? En ce cas, tout est au mieux ; nous sommes capables de faire votre partie…

— Je viens voir le roi, interrompit Raoul. Il faut que le roi agisse aujourd’hui ou jamais !

Drayton secoua la tête en souriant douloureusement et remit son chaperon en offrant un siège au visiteur. Raoul repoussa le siège.

— Je désire parler au roi, dit-il d’une voix ferme, sur-le-champ !

— Milord vicomte, répliqua Drayton, rien n’est plus facile. Plût à Dieu que le reste allât aussi aisément. Sa Majesté accomplit ses dévotions du soir. Aussitôt qu’elles seront achevées…

— Ce que j’ai à dire au roi est pressé, interrompit encore Raoul,

Drayton agita aussitôt une sonnette d’argent qui était sur la table.

— Je ne veux pas qu’il soit dit, murmura-t-il, que j’aie mis le moindre obstacle au loyal désir de Votre Seigneurie,

Un valet parut. Drayton ajouta :

— Faites savoir à lord John Douglas que le vicomte Raoul de Châteaubriand-Bretagne souhaite avoir l’honneur de baiser la main de Sa Majesté.

Le valet se retira. Drayton poursuivit avec tristesse :

— Seymour est venu déjà, monsieur le vicomte, et Lee aussi, et Liddesdale et Arundel, portant un pli du noble comte de Mar… un Stuart ! qui nous attend, là-bas en Écosse, et dont l’épée frémit dans le fourreau. Courtenay-Bourbon est venu. Les messieurs de Coëtlogon sont venus, parlant avec des larmes dans les yeux. Le marquis de Lauzan a écrit, offrant deux millions de livres et quatre cents gentilshommes…

— Je sais cela, répondit Raoul ; mais le roi m’a fait l’honneur de m’appeler son ami, quand nous étions enfants tous deux… et la noble reine, veuve de Jacques II m’aimait comme un fils autrefois. J’ai voulu tenter un dernier effort et voir s’il ne reste rien dans le cœur du roi.

— Il reste un désespoir profond, prononça tout bas Drayton, un découragement qui se traduit par une sorte de résignation amère. Le roi garde rancune à ses sujets…

— Rancune de père !

— Peut-être, car c’est un généreux jeune homme… et Dieu me préserve de douter de son courage personnel : qui dit Stuart dit vaillant… mais il n’a pas confiance !

— Ceux de sa race ont été bien souvent trahis ! dit Raoul.

— C’est vrai ! pensa tout haut Drayton : par autrui et par eux-mêmes.

Raoul leva sur lui un regard étonné. Le vieux Drayton se redressa sous ce regard et reprit avec une fierté tranquille :

— Monsieur le vicomte, à toutes les heures de ma vie, j’ai été, je suis, je serai prêt à mourir pour le roi !

Raoul lui tendit la main et ils restèrent un instant silencieux. Le jeune vicomte reprit le premier la parole :

— Drayton, dit-il, la dernière fois que je vous ai vu, vous parliez déjà avec amertume, mais vous n’aviez pas perdu tout espoir. Quelque fait nouveau s’est-il présenté ?

— Non, répliqua le maître de la garde-robe en détournant la tête.

— Vous me cachez quelque chose… insista Raoul.

— Par la mort de mes os ! s’écria Drayton qui rougit, c’est vrai, mylord. Et les femmes ne nous ont-elles pas fait assez de mal depuis cette pauvre belle martyre, la reine Marie !…

— Les femmes, répéta Raoul.

— Je voudrais, ajouta Drayton, que l’enfer engloutît toutes les femmes ! Vous souriez, mylord ; c’est de votre âge ; moi, je suis en colère et c’est du mien… Il y a une femme là-dedans !

— Le roi a donc bien changé ! murmura le vicomte. Lui, si fervent chrétien !

— Le roi a bientôt trente ans, mylord. Sa jeunesse fut pure admirablement. Il semblait qu’il voulût expier par la paisible austérité de sa vie les folles erreurs de ses ancêtres. Aussi a-t-il en lui toute sa jeunesse, c’est presque un enfant, et souvent, j’ai eu peur de cela. Il y a un proverbe pour le feu qui couve sous la cendre ; il y a un proverbe aussi pour l’heure de trente ans. L’explosion a tardé ; elle aura lieu, et déjà Jacques Stuart rêve jour et nuit à cette intrigante…

— Quelle intrigante ? demanda Raoul.

— Envoyée de Paris, sans doute, continuait Drayton qui suivait sa pensée, envoyée de Londres peut-être… une femme, une inconnue qui joue la comédie du mystère…

— Pour Dieu, son nom ! s’écria le vicomte.

— Allez le lui demander ! repartit le maître de la garde-robe avec emportement, le diable le sait ; mais, pour moi, je l’ignore. Il n’est pas possible que vous n’ayez peu ou beaucoup entendu parler de la Cavalière…

— La Cavalière ! répéta Raoul d’un ton d’étonnement profond. Vous ignorez…

Il allait parler, mais Drayton se leva et mit un doigt sur sa bouche. La porte s’ouvrit. Un homme de grande taille, coiffé de cheveux blancs, rares et éclatants comme la neige, parut sur le seuil.

— Douglas ! murmura Drayton

Et il ajouta tout haut en se découvrant :

— Le roi !

Derrière le vieillard à cheveux blancs, le chevalier de Saint-Georges passa en effet le seuil.

Jacques Stuart ne ressemblait guère alors au portrait d’Horace Walpole, tracé vingt ans plus tard. C’était, dans toute la force du terme un jeune homme, un beau et noble jeune homme, dont le visage, long et fin, avait une sorte de grâce féminine. Ses cheveux bouclés tombaient abondamment sur son front pâle et voilaient presque la douce mélancolie de ses grands yeux bleus. Il portait la moustache et la mouche à la mode de Louis XIII et n’avait point de poudre. Son costume, très simple, mais relevé par la grâce un peu frêle de sa tournure, était d’un chasseur et reculait aussi la mode d’un demi-siècle. Il traversa la chambre à pas lents, soutenant le vieux lord Douglas, plutôt qu’il ne s’appuyait sur lui.

Lord Douglas de Glenbervie, chevalier, baron Douglas, était un cadet des grands comtes d’Angus et avait suivi le roi Jacques II, quoique la majeure partie de sa race fût engagée dans le parti contraire. Il aimait le chevalier de Saint-Georges comme une mère adore son enfant.

— Vicomte, dit le roi, après avoir conduit son respectable compagnon jusqu’à un siège où il le fit asseoir avec une attention filiale, aucune visite ne pouvait m’être plus agréable que la vôtre.

Il tendit sa main que Raoul porta à ses lèvres.

Le roi s’assit et désigna de la main deux sièges. Raoul et Drayton ayant aussitôt pris place, tout le monde se trouva rangé en demi-cercle, au côté droit de la vaste cheminée.

— M’apportez-vous des nouvelles de la reine ma mère ? demanda Jacques.

— Non, sire, répondit le jeune vicomte. Je n’ai pu être admis à l’honneur de voir la mère de Votre majesté.

Un silence embarrassé se fit. Le roi semblait attendre. Douglas prit le premier la parole et dit d’un ton péremptoire.

— Je gêne quelqu’un ici, mais je ne prendrai congé que sur l’ordre exprès du roi.

— Et qui donc pourrais-tu gêner, Douglas, mon vénéré père ? demanda Jacques Stuart. Raoul est mon ami d’enfance ; il doit aimer ceux que j’aime.

— Ainsi fais-je, sire, répondit le vicomte, qui s’inclina respectueusement devant le vieillard.

— Alors, dit celui-ci presque rudement, parlez, mylord. Vous n’êtes pas venu ici pour vous taire.

— Il est venu, s’empressa de répondre le roi pour chasser avec un ancien compagnon. Tu es toujours grand chasseur, hé ! vicomte ?

— C’est selon le gibier, sire, répartit Raoul froidement.

— Ah ! s’écria Douglas avec une colère sénile, vous voyez bien, sire, vous voyez bien !

Jacques Stuart fronça le sourcil. Drayton restait immobile et muet comme une statue.

— Sire, dit Raoul prenant tout à coup son parti, mylord baron a raison : je suis venu pour vous parler de vos fidèles amis, les Écossais, de vos sujets, les Anglais, et de l’héritage de votre père.

— N’y a-t-il plus rien en France qui puisse exciter l’ambition des Français ? demanda aigrement Douglas.

— Restez calme, notre oncle ! ordonna Jacques avec douceur.

Puis, se tournant vers Raoul.

— Ami, dit-il, nous chassons à courre demain dans le fonds de Fains. Es-tu des nôtres ?

— Non, sire, répliqua nettement Raoul.

— Erskine répond pourtant d’un grand vieux sanglier, murmura Jacques, et il s’y connaît !

— Je sais quelqu’un qui chasse un plus noble gibier, sire.

— Qui donc ?

— Ils sont trois : le Hollandais Roboam Boër qui est le piqueur ; mylord comte Stair, qui est le veneur ; et George de Hanovre, soi-disant roi d’Angleterre, qui est le maître de la meute.

— Et quel gibier chassent-ils, ami Raoul ?

— Un roi, sire.

— Moi, sans doute ?

— Votre Majesté l’a dit.

Jacques Stuart eut un sourire forcé ; le vieux Douglas haussa les épaules.

— Mon ami Raoul, reprit Jacques, ces temps derniers, bien des gens sont venus comme toi m’apporter d’inutiles paroles.

— Je déplore pour le roi, répliqua Raoul, que les paroles apportées par ses loyaux serviteurs aient été inutiles.

Jacques soupira et murmura :

— Ils ne savent pas ce que je sais, Raoul !

— Sur mon honneur, c’est le contraire qui est vrai, sire. Votre Majesté ne sait pas ce que nous savons !

— Ma Majesté se souvient ! prononça le roi avec une ironie triste. Elle n’a point oublié la haine des Anglais, ni la trahison des Écossais.

Drayton tressaillit ; le rouge lui monta au front.

— Cache ta colère, Drayton ! dit Douglas d’une voix sonore. Sauf toi, sauf moi, sauf quelques-uns que je pourrais compter sur mes dix doigts, Stuart a dit vrai pour le malheur des temps et la honte des deux royaumes !

Raoul éleva la voix, lui aussi, pour répondre :

— Vous vous trompez, mylord !

— Alors, c’est moi qui me trompe ? interrogea le roi, car je pense comme Douglas.

— Oui, sire, vous vous trompez, prononça lentement Raoul.

Il ajouta :

— Il faudrait plus d’un jour à Votre Majesté pour compter sur ses dix doigts et sur ceux de mylord baron les vingt mille soldats du comte de Mar et le contingent français que Lauzan, Courtenay et Quatrebarbes ont armé à leurs frais…

— Folie ! déclara Douglas ; folie ou mensonge !

— Mylord mon oncle, commanda le roi, retirez ce dernier mot qui va plus loin que notre pensée à tous deux. Je vous l’ordonne !

Raoul avait changé de couleur. La froide prudence du chevalier de Saint-Georges lui semblait plus insultante, et beaucoup plus cruelle que le courroux du vieux lord.

— Je retire tout ce qui a pu mal sonner à l’oreille de mon souverain, repartit Douglas en jetant un regard de triomphe à son adversaire. Je crois comme le roi qu’il y a de la loyauté et de la vaillance dans vos rêves imprudents. Mais j’ai de l’expérience ; je connais les choses et les hommes. Les Écossais ont un mauvais sort quand ils combattent l’Angleterre. Que Dieu bénisse mylord comte de Mar, qui est le cousin du roi ! Je l’ai eu sous mes ordres : serai-je son subalterne ? Et de quel droit les Français vont-ils venir en armes dans nos îles ? Il y eut une conquête ; c’est assez. Nous sommes les conquérants, nous ne voulons pas être conquis !… Allez dire à ceux qui vous envoient, monsieur le vicomte, qu’il y a près du roi un homme, un vieillard, un père… que celui-là voit le monde de la hauteur des derniers jours… On ne reprend pas un royaume plus qu’un champ par la force : il faut la loi. La loi, c’est le pays tout entier, parlant sous la main de Dieu. Se plaignent-ils ? tant mieux ! c’est que la main de Dieu est déjà lourde. La main de Dieu pèsera davantage ; ils pousseront des cris de détresse, et ils viendront pieds nus, à genoux, après avoir chassé eux-mêmes ce tyran païen qui les déshonore en les opprimant, ils viendront à celui-ci qui est l’oint du Seigneur. Ils lui apporteront, sur un coussin de velours, son sceptre et sa couronne… et alors, devant ces pénitents trop aimés, le roi, le roi, entendez-vous ? ouvrira son cœur de père pour en laisser tomber le pardon.

— Amen ! dit tout bas Drayton. Voilà une belle homélie, à laquelle l’apostat George de Hanovre applaudirait, j’en suis sûr !

Jacques Stuart rêvait. Il y avait un pli amer autour de ses lèvres décolorées, et ses yeux baissés semblaient cloués au sol.

— Mylord mon oncle, prononça-t-il enfin d’une voix qui trahissait l’angoisse de sa pensée, nous vous remercions de vos sages conseils… Drayton, vous n’avez point voulu manquer de respect au malheur de votre maître… Sortez tous deux ; je désire être seul avec mon ami, M. le vicomte de Châteaubriand-Bretagne.