La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XXVII

, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 124-127).

Chapitre vingt-septième.
Ci devise comment on doit mener les chienz à fère la suyte.


Après li vueill aprendre à savoir mener les chiens à la suyte ; quar quant celuy qui suit du limier commence sa suyte, celuy qui mène les chiens doit demourer loinh, au moins le giet d’une petite pierre et ne se doit bougier d’illec jusques tant qu’il oye que celuy qui suyt du limier criera : Par ci ! par ci ! Et lors il doit aller avant avec tous ses chiens acouplez, jusques là où il hara oy que celuy qui poursuyt du limier hara dit : Par ci ! par ci ! et brief, touzjours qu’il orra crier : Par ci ! par ci ! il doit aler avant. Se il n’oït cest mot, il doit demourer tout quoy, et doit aller à tout une bonne verge devant ses chiens et deux ou trois autres vallez aveques luy et des autres vallez par les costez et derrière les chiens, affin que les chiens ne se forvoient de la menée et routes par ou le limier suyt ; et affin qu’ilz ne s’en aillent acoupplez. Et quant ce vendra au lessier courre, il doit garder qu’ils descouplent les plus sages chiens premiers ; et recueillir bien ses couples, qu’il ne les perde. Et se doit metre au dessoubz du vent, affin qu’il oye où ses chiens vont et qu’il soit à la prise du cerf. Et s’il le voit savoir cornent il forhuera le cerf.

Puis li vueill aprendre, quant la beste sera prise, de regarder quantz chiens li faillent ; et d’aler les querir par tout environ, là où ilz aront chassié en les appellant et cornant au dessus du vent, affin que les chiens l’oyent mieulz. Et s’il ne les puet trouver de tout le jour, lendemain s’il aille luy et des autres compainhons querir les chiens ès villes environ de la forest. Aussi li vueill aprendre de mener les chiens esbatre deux foys le jour, einsi comme j’ay dit, sus gravier de pierres, espicialment quant ilz sont en sejour, et fere les ongles d’unes petites tenailles ; lesquelles leur deviennent trop longues, quant ilz demuerent trop en séjour comme j’ay dit ; lequel sejour je ne loe pas ; et maintes fois en haray débatu avec Huet des Vantes, qui fut un bon veneur, pour trop de raysons : premièrement voulentiers au séjour les chiens perdent les piez ou les ongles ; et les autres maladies en viennent, que j’ay devant dit ; lesquelles l’enfant doit avoir apris de garir. Et trois choses sont qui ne doivent séjourner trop, homes et bestes et oyseaulx : les hommes par rayson des pechiez que j’ay devant dit ; et aussi devienent-ilz gras et ne leur plest, s’ils séjournent longuement guères travailler en leur mestier, ou soyent clercs ou lais ; quar la chair s’atruandit[1] ; et s’ilz travaillent et ilz ont trop séjourné il leur fera grant mal et en cherront par aventure en une grant maladie. Aussi les chevauls des marchans, qui sont gras et gros, et sont au séjour, ne pourroient fournir une fort journée de courre encontre mes courciers qui sont touzjours en alaine. Aussi les faulcons ou austours ou autres oysauls au partant de la mue et du séjour, ils ne pourroient voler longuement ; quar ilz ne sont pas à point de voler ne essamés[2].

Des chiens chescun qui est de nostre mestier scet bien que chiens de sejour qui sont fort geu[3] ne pevent fournir une longue chasse. Bonne voulenté ont ; mes le povoir n’i est pas ; et par la grant voulenté qu’ilz ont aucunefois font plus qui ne pevent dont vienent en grans maladies de roinhes et d’autres maladies que j’ay dit devant ; et j’en ay trop veu mourir soubdainement et par diverses manières. Et pour ce loe-je que tout homme qui aura bons chiens et sages pour le cerf, les face courre une fois la sepmaine au moins en yver ; mes qu’il face biau temps et chaut, pour quant que la saison soit faillie ; non pas qu’ilz facent longue chasse par yaues ne à force ; quar la froidour de passer les yaues et du temps les pourroit fere grant mal ; mes à levriers à hayes ou autres harnois est il bon qu’ils soyent touzjours en alayne et à la voye et à la char, affin qu’il ne les oublie leur mestier, ne les maladies que j’ay dit devant ne les puissent venir au séjour.

Aussi li vueill aprendre à pestre les chiens ; quar il y a chiens qui sont de malvaise garde et se tiennent megres les uns plus que les autres ; et d’autres qui sont lunages, et les uns plus et les uns plus souvent que les autres. Adonc doit il aprendre que se un chien ne vuelt mengier de tout le jour ne de toute la nuyt, qu’il le traye hors des autres à part, et l’essaye s’il voudra mengier quant il ara jeuné tout un jour et une nuyt ; et se non li donne aucun avantaige de soupes. Et s’il ne vouloit soupes et jeunoit plus longuement, si li donne de la char, jusques tant qu’il soit gary. Et sil estoit longuement sans mengier, si face, comme j’ay dit dessus. Et à chiens qui se tiennent megres et sont de mauvese garde, on leur doit donner à mengier à part, et donner avantaige deux ou iij fois le jour. Et à chiens qui se tiennent trop gras, on les doit garder qui ne les donne trop a mengier ; espicialement s’ils ne sont au séjour ou en yver.

Aussi li vueill aprendre à desjeuner les chiens à l’assemblée ; et les doit donner à mengier demi pain à chescun, affin que le grant chaud ne les yaues qu’ilz beuront en chassant ne les puisse alaschir le cuer ; quar j’ay veu moult de fois chiens qui ne povoient en avant, et on les donnoit deux ou trois mors[4] de pain et le cuer leur revenoit, et ils se metoyent en chasse. Et aussi un homme s’il est bien las et menje un pou et boit, tout le cuer li revendra ; et pource, les dit on desjeuner avant qu’ilz chassent, espicialment quant on chasse à force. Aussi quant ilz sont au chenil il les doit donner à mengier de bonne heure, ij fois le jour : une au vespre et l’autre au matin ; mes le jour devant qu’ils devront aler chassier ilz doivent moins mengier et de plus haute heure que les autres jours, affin qu’ilz ne soient plains lendemain.

Aussi li vueill aprendre saussier les piez aux chiens de yaue et de sel quant ilz auront chassé par dur païs et en sec temps ou sus pierres ou roches ; et aussi s’ilz ont les piedz eschaufez les y laver de vin aigre et de la suye des cheminées. Aussi se chien enfondu ou roinheus y avoit, il le doit trere hors des autres du chenill, affin que la roinhe ne se preinhe aux autres et si fere les medicines que j’ay dit dessus, jusques tant qu’il soit gari. Et si les chiens ont les jambes enflées pour le mal païs d’ajoncx ou de ronces, si face, comme j’ay dit dessus ès médicines. Toutes ces choses et autres qui touchent à office de paje li veuill je apris, et l’enfant les doit avoir aprises et en autres vij ans qu’il demoura paje et doncques ara il xiiii ans.

Séparateur

  1. S’atruandit, s’appauvrit ou s’abâtardit.
  2. Essamés, essimés. Essimer un oiseau de proie, c’est le dégraisser en lui faisant prendre diverses cures. (Goury de Champgrand.)
  3. Geu, couché, du verbe gehir, en latin, jacere. Chiens de sejour qui sont fort geu, c’est à dire qui sont restés long-temps couchés.

    Mars et Venus les quels prins furent
    Ensemble au lit où ils se geurent.

    (Roman de la Rose, vers 18938–39.)
  4. Mors, morceaux.