La Chanson des gueux/Pas frileux

Maurice Dreyfous (p. 162-163).

VII

PAS FRILEUX


Moi j’ai l’ cœur gai. C’est pas ma faute.
J’ rigol’ quand j’ vois les gens d’ la haute
L’ cou engoncé comme des bossus.
On doit rien suer sous leur capote !
Et quand qu’on a sué, çà ch’lipote.
J’ voudrais pa’ êt’ leur pardessus.

Et moi sauciss’, j’ su’ quand j’ turbine.
Mais, bon sang ! la danse s’ débine
Dans l’ coulant d’air qui boit ma sueur.
Eux aut’s, c’est pompé par leur linge.
Minç’ qu’ils doiv’ emboucanner l’ singe.
Vrai, c’est pas l’ ling’ qui fait l’ bonheur.

Est-c’ qu’un mâle a besoin d’ limace,
D’ can’çon, d’ flanell’ ? C’est d’ la grimace.
Bon pour frusquiner nos jeun’s vieux !

Moi, j’ai du sang, du nerf, d’ la moelle,
Du poil partout. Ça m’ tient lieu d’ toile.
J’ai froid null’ part, surtout aux yeux.

Aussi j’ suis gai. Quand la lansquine
M’a trempé l’ cuir, j’ m’essui’ l’échine
Dans le vent qui passe et m’ fait joli ;
Et j’ soutiens qu’ les gens vraiment sales
C’est ceuss que pour laver leurs balles
Il leurs en faut cinque d’Bully.

Viv’ la gaîté ! J’ai pas d’ chaussettes ;
Mes rigadins font des risettes ;
Mes tas d’ douilards m’ servent d’ chapeau ;
Mais avec vous j’ chang’rais pas d’mise.
Qué qu’ ça fait qu’on n’ait pas d’ chemise,
Quand qu’on a du cœur sous la peau ?