La Chanson des gueux/La pêche à la ligne

Maurice Dreyfous (p. 110-111).


V

LA PÊCHE À LA LIGNE


Un chapeau de paille jaune
Dont les bords n’ont pas d’ourlet,
Au bout de sa pointe en cône
Une plume de poulet,

Un chapeau de paille encore,
Un troisième, un autre ! Ainsi
Le rivage se décore
Du Point-du-Jour à Bercy.

Sous ces éteignoirs sans nombre
Rien ne bouge. On ne peut voir
Que les pas lents de leur ombre
Qui s’allonge avec le soir.

Pourtant de chaque statue
Sort un grand sceptre en roseau,
Et ce peuple s’évertue.
À tremper du fil dans l’eau.


Tout le long de la journée,
Ô destin, tu leur promets
La douce proie ajournée
Qu’ils n’attraperont jamais.

Et pas un ne s’en indigne,
Pas un ne songe à partir !
Car le pêcheur à la ligne
Vit et meurt vierge et martyr.