La Chanson d’Ève/Or Vénus, une nuit

Société du Mercure de France (p. 104-106).

*

Or, Vénus, une nuit, vint m’apporter des roses.
C’était dans le bosquet où je dormais encor.
Elle était nue, et blonde, étincelante et rose,
Et tout l’air sombre autour d’elle était d’or.

Dans la nuit chaude il volait des colombes.

Ses belles nymphes, à la fois,
— Elles avaient des ceintures
De pourpre sous les seins,
Et des roses dans leurs chevelures, —
Firent, sous leurs agiles doigts,
Résonner des lyres :


Et l’une dit : Ô reine ! vois,
Elle s’éveille, elle rit, étonnée.
Elle est semblable à toi, au jour où tu es née
De l’écume des eaux sur la mer du printemps.
Comme toi elle est blonde, et ce n’est qu’une enfant.
Regarde-la. Ses yeux émerveillés ignorent
Pourquoi tu lui souris et pourquoi nous venons,
Vénus divine, avec des fleurs et des chansons,
Du fond de notre nuit saluer son aurore ;
Et pourtant elle est comme une sœur de l’Amour.

Et je lui dis : Ô reine,
Comme ce nom dont mes lèvres apprennent
Le murmure ébloui,
Suavement sonne dans le silence,
Et comme ta présence
A parfumé la nuit !
Devant toi mes anges s’inclinent.
Et je t’adore, et je cherche en mon cœur
Des paroles qui soient,
Comme ta grâce et ta beauté divines.


Mais, hélas ! nos âmes humaines
N’ont pour dire leurs bonheurs,
Comme leurs peines,
Qu’un murmure ineffable, et des pleurs…

Et, tout à coup, dans le son de ma voix,
À travers l’air plein de chants et de roses,
Celle qui, de son souffle, anime toutes choses,
Doucement vint vers moi…

Et je sentis sur mon cœur embrasé
Comme des lèvres se poser.