La Chandelle de Sixte-Quint,
ou Une aventure photographique
Chapitre II
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Chapitre III

Les clichés vinrent parfaitement.

— Elle est ravissante, cette femme, dis-je.

— Parfait, parfait, répondit mon compagnon, développant l’image où elle se trouvait nue. Quel modelé !… quel galbe !…

Et il s’enthousiasmait en artiste qu’il était. D’après l’avis d’un philosophe des plus austères on peut exécuter des chefs-d’œuvre avec les sujets les plus immoraux et c’était le but auquel il visait.

— Quelle expression elle a !…

— On dirait que ça y est réellement.

— Elle ne saurait en avoir une plus intense quand ça y est réellement.

— Vous pouvez vous en assurer si vous voulez. Elle ne demandera pas mieux et cela ne vous coûtera pas cher si vous lui plaisez.

— Alors elle fait de l’art pour l’art ? Mais elle ne pose pas ici pour rien ?

— Oui et non ; quelques cadeaux. Si elle pose, c’est un peu parce qu’elle le veut bien. Elle a une pension de son mari.

— Et de quelques autres, sans doute ?

— Ça, c’est son affaire. C’est l’argent de poche…

Mes désirs pour elle grandissaient de plus en plus et j’admirais le calme de mon ami. C’est qu’il avait déjà mis au point sur la glace dépolie tant de tétons, de fesses, de cuisses de femmes qu’il était un peu blasé.

— Mais, dis-je, vous me parliez de groupes ; est-ce elle qui posera ?

— Elle me l’a promis si le sujet lui plaît.

— Sujet homme ou sujet femme ?

— Les deux ; une petite actrice et un commis de nouveautés, joli garçon.

— Il ne s’ennuiera pas, le sujet homme.

— Vous voudriez peut-être bien tenir ce rôle ?

— Oui, s’il n’y avait pas l’objectif ; à moins de garder le cliché moi-même, pour être bien sûr que des épreuves indiscrètes…

— Bah ! Elles ne passeraient jamais qu’en mains sûres et ceux qui prendraient plaisir à contempler l’image de votre fornication avec une jolie femme ne seraient pas loin de se prêter à la même fantaisie. Et puis on peut se grimer, mettre un loup. J’ai là justement une épreuve prise sur un de mes amis avec sa maîtresse ; je vais vous la montrer.

Les clichés étant achevés, nous revînmes dans l’atelier et la jeune femme nous demanda si elle était réussie.

— Parfaitement, lui dis-je ; à faire damner un saint.

Mon ami avait tiré d’un portefeuille une épreuve représentant d’après nature un homme et une femme en train de… consommer le coït. L’image avait été prise dans l’atelier où nous étions ; je reconnus les meubles, mais aucun des deux acteurs de la scène. La jeune femme, qui tenait également à voir, déclara simplement que c’était un beau couple, que l’homme était bien monté et devait bien faire jouir une femme.

— À votre service, dit l’artiste, car c’était sa photographie : méconnaissable, il s’était fait une tête, comme les invités de certaines soirées travesties.

Et je l’enviais, car sa compagne était fort jolie.

— Quelle est cette femme ? demanda notre modèle.

— Une de mes clientes. Voilà son portrait à l’ordinaire.

— Elle a l’air d’une sainte-nitouche, là-dessus.

— Mais elle n’y touche pas non plus… Elle le reçoit tout gentiment. Elle n’y met pas la main…

— Et là, non plus ? demanda la jeune femme qui, malgré mon ami, s’était emparée d’une épreuve qu’il voulait cacher et où sa compagne était représentée y touchant… avec la bouche… C’est comme dans ce livre que vous m’avez prêté, La Passion de Gilberte ; elle n’y met pas la main, mais elle y met… la langue.

— Oh ! Mais vous êtes indiscrète, dit l’artiste…

Mais bon gré mal gré, il dut laisser contempler une suite où il s’exhibait avec cette femme et d’autres en toutes sortes de postures, accouplé avec elles, se faisant sucer, leur faisant minette, risquant même un beau 69… Les groupes étaient artistement composés, les corps délicieusement en relief, les épreuves parfaites. Dans certaines d’entre elles, les deux acteurs avaient un loup sur le visage sans avoir plus de retenue dans leur posture. Il y avait même quelques scènes à trois, où mon ami, s’ébattant avec deux femmes, ne devait pas trouver le temps long.

— Avez-vous livré ces épreuves ? lui demandai-je.

— Oui : à lord H… ; mais j’ai détruit les clichés. Tout ceci n’est que pour moi.

— Du reste, ajoutai-je, en cas de nouvelles demandes, l’original n’est pas loin et toujours à votre disposition. Mais qui opérait ?

— Une amie de bonne volonté…

— Et peu difficile à effaroucher.

— Assez peu, pour échanger sa place sous le voile noir contre une dans un groupe comme ceux que vous avez vus.