La Chandelle de Sixte-Quint,
ou Une aventure photographique
Chapitre I
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Chapitre I

Tout le monde connaît, au moins de réputation, les célèbres images érotiques de Pompéi, composant ce qu’on appelle le Musée de Naples, dont la seule mention fait sourire les messieurs et rougir les dames. Dans ces images, fresques murales ou mosaïques, les exercices amoureux de toute nature sont représentés sans le moindre voile par des personnages dont l’artiste a bien mis en vue les organes en fonction. — Aucun priape qui ne soit vu bandant ferme ou plongé dans un con ; aucun con dont la fente ne soit occupée par un priape, un doigt ou une langue. C’est charmant et les hôtes d’une maison ainsi décorée ne devaient pas s’ennuyer. — Pour consoler les admirateurs de l’antique vertu, les savants prétendent que ces maisons étaient des lupanars ; c’est bientôt dit et cette assertion surprendrait fort les propriétaires de ces maisons qui avaient fait reproduire sur leurs murs des scènes d’amour de ces temps-là, au même titre que les honnêtes gens d’aujourd’hui font décorer leurs salons de tableaux, de gravures ou de photographies. À notre époque, les progrès de l’industrie ont facilité les reproductions d’après nature. Les propriétaires de ces fameuses fresques leur eussent de beaucoup préféré certaines collections photographiques où le soleil s’est chargé de saisir sur le vif des femmes dans des attitudes lascives, des couples dans toutes les postures lubriques imaginables. Là où il fallait autrefois des années et des sommes d’argent considérables, il ne faut plus aujourd’hui que quelques heures, pour reproduire à peu de frais une image autrement suggestive, prise sur le fait.

Quels chefs-d’œuvre de ce genre on verrait éclore s’il régnait en ce temps-ci la même largeur d’idées que chez les Romains ! Quand comprendra-t-on que les images de ce genre ont tout autant leur raison d’être que celles qui reproduisent des scènes de carnage, de jeu, d’ivresse ou d’extase religieuse.

« Je n’écris pas pour les jeunes filles », disait l’auteur de Mademoiselle de Maupin en cette fameuse préface qui pourtant a fait se branler plus d’une vierge.

Ce n’est pas non plus aux demoiselles que les dessins érotiques sont destinés, bien que leur vue n’apprendrait pas grand-chose à certaines dont les propos entendus à leur insu par un auteur célèbre auraient fait, dit-il, « rougir un singe ». — Ils ne s’adressent qu’aux yeux habitués à voir la réalité, à ceux d’hommes et de dames prenant plaisir à pratiquer ce qu’elles représentent, y trouvant de doux souvenirs et de nouvelles inspirations.

Un amateur de paradoxes n’a-t-il pas eu la fantaisie d’assurer que seuls les impuissants prenaient plaisir à leur contemplation ! Quoi ? Parce que j’aime à voir l’image d’un couple en pleine fornication, est-ce à dire pour cela que je ne me trouverais pas dans cette situation avec le plus grand plaisir ?… Où a-t-on vu qu’un chasseur qui s’entoure de tableaux cynégétiques, un cavalier de photographies de chevaux, pratiquent leur sport avec moins d’ardeur ? Pourquoi juger autrement les voluptueux aimant à régaler leur vue de tout ce qui rappelle leur occupation favorite et les actes auxquels ils doivent de si délicieux instants… Et croit-on que telle dame n’aimera pas autant sentir la réalité parce qu’elle s’en sera procuré avec son doigt une passagère illusion en contemplant une image cochonne ?

N’aimaient-ils donc pas faire l’amour ces Romains et ces Romaines qui ornaient les pièces intimes de leurs habitations de tableaux libidineux ?

J’eus dernièrement l’insigne faveur, comme ami intime d’un photographe — assez renté pour n’être un professionnel qu’à ses heures et qui, du reste, ne le devenait que dans le genre, d’être admis à une de ses séances. Il n’opérait que pour des groupes érotiques que lui commandaient des amateurs de haut parage que ses relations du monde le mettaient à même de connaître. — Inutile de dire qu’il n’avait pas d’enseigne. Il opérait dans un atelier de peintre où, en artiste qu’il était, il faisait rivaliser son pinceau et ses crayons avec son appareil dans de charmantes compositions lubriques que des amateurs se disputaient.

Toutes les femmes qui l’honoraient de leurs faveurs gratuites ou payées, femmes honnêtes ou cocottes, il les avait réunies en un album, les dernières dans des postures à faire bander un mort, les premières… également, mais parfois avec un loup sur la figure. Les portraits des cocottes, que n’offusquait nullement ce mode de réclame, étaient livrés aux amateurs ; les autres… aussi, ce qui était peut-être indélicat ; mais il savait que toute femme bien faite n’est pas trop fâchée de voir l’image de son corps inspirer des désirs anonymes…

J’avais obtenu des épreuves de cet album ; plusieurs des originaux avaient même mis à ma disposition le corps charmant dont l’image avait excité mes désirs, car mon ami n’était nullement jaloux et me renseignait sur la façon de les posséder. Mais je n’avais encore assisté à la confection d’aucun cliché.

J’allai un jour lui rendre visite. Son atelier était précédé d’un salon d’attente et d’un vestibule s’ouvrant directement sur la rue, ce qui évitait bien des indiscrétions.

— Sapristi, me dit-il, vous tombez à point ; vous qui vouliez voir ça, vous allez être satisfait.

— Suis-je indiscret ?

— Non, si votre pudeur ne s’alarme pas.

Ma pudeur n’avait rien à redouter. Mais les modèles volontaires ou payés sont assez farouches et toute femme posant à poil, et à plus forte raison en attitude indécente, ne souffre guère la présence d’un tiers en ce moment-là. Que serait-ce, même pour celles du métier, s’il s’agissait d’être vue posant enlacée avec une femme ou avec un homme ? Elle sait bien que son image sera contemplée ainsi par des centaines de regards, mais ce n’est pas la même chose que d’exhiber l’original. — Aussi mon ami me fit-il revêtir une blouse pleine de taches et me présenta-t-il comme son aide.

— Du reste, dit-il, vous pourrez m’être utile ; vous vous y connaissez un peu en photo. J’ai une forte commande pour le prince de Z… ; des femmes, des groupes… un de mes modèles est déjà arrivé.

J’entrai dans l’atelier. Une jolie jeune femme s’y trouvait, encore habillée et vêtue d’une toilette très élégante. Elle parut un peu décontenancée à ma vue, mais après présentations elle reprit son aplomb. De plus, mon ami lui dit que j’avais déjà fait connaissance avec elle, c’est-à-dire avec son portrait ; en effet, dans l’album souvent feuilleté par moi, je pus constater sa présence en une attitude qui la dispensait de faire la prude avec moi. Mais son image ne m’avait pas autrement frappé et je vis avec plaisir que l’original valait cent fois mieux que la photographie, ce qui me procura l’occasion d’un compliment à son adresse.

C’était une petite femme mariée, séparée de son mari et originaire d’un pays voisin où les femmes ont la réputation d’être excellentes pour l’amour, faciles, chaudes, cochonnes, et je constatai plus tard moi-même qu’elle soutenait dignement cette réputation. Elle se souciait peu des préjugés et encore moins de sa vertu que ses cascades avaient transformée en Niagara. Mais rien n’égalait son mépris pour la pudeur dont la totale absence chez elle formait un piquant contraste avec son air élégant et sa physionomie distinguée. — Moi-même, bien qu’ayant vu sa photographie à poil, j’étais loin de soupçonner ce dont elle était capable et quel précieux sujet mon ami avait en elle.

— Nous allons commencer, dit celui-ci. Installez l’appareil, je vais préparer le décor.

— Faut-il me déshabiller ? demanda franchement la jeune femme.

— Non, pas encore, ma belle.

Fort bien agencé, il eut vite organisé une sorte de boudoir, avec fenêtre postiche au fond, cheminée avec sa garniture, nécessaire à ouvrage avec bibelots féminins, bref, un véritable intérieur de femme, car il savait l’importance des accessoires dans un tableau et il tenait à faire mériter ce nom à ses compositions photographiques.

La jeune femme fut priée de quitter son chapeau, ses gants, puis de s’asseoir devant la cheminée, un livre à la main, sur une confortable chauffeuse.

— Bien, dit mon ami. Maintenant, renversez-vous, tenez le livre d’une main et relevez vos jupons de l’autre… Bien…

En prenant la pose demandée, elle exhiba hardiment ses fines jambes et ses cuisses rondes au-dessus de son bas bien tiré, retenu par une jarretière en soie rose.

— Un peu plus haut encore…

Elle obéit, découvrant les dentelles roses d’un pantalon très court et à fente excessivement large, si large que cela n’empêchait pas d’y aller carrément, comme elle me le disait un jour, quand, après plus ample connaissance, je voulais l’enfiler tout habillée.

— Relevez un peu votre chemise… C’est cela.

Son joli con apparut en pleine lumière, ce dont elle ne parut pas troublée.

— Maintenant prenez la pose d’une femme qui se fait cela à elle-même en lisant un livre excitant. Le livre d’une main, l’autre main, vous savez où. C’est bien cela. On voit que vous avez une certaine idée de la chose. Ça vous arrive quelquefois ?…

— Dame, comme à toute femme.

— En pensant à moi ?

— À vous ou à d’autres.

Tournée de trois quarts vers l’objectif, les yeux fixés sur un livre qui ne pouvait que l’inspirer, car c’était La Passion de Gilberte, elle posa, suivant l’indication de l’artiste, sa main sur sa motte et fit pénétrer légèrement son doigt médian dans la fente amoureuse. Mon ami, que ce tableau semblait troubler beaucoup moins que moi, mettait les derniers soins à la pose, se reculant pour juger de l’ensemble, revenant près de la jeune femme pour redresser ou pencher sa tête, corriger quelques plis de ses jupons, écarter ses cuisses, donner plus de moelleux à la main posée entre elles.

— N’enfoncez pas tant votre doigt pour le moment ; vous ne faites que de commencer, vous comprenez ? Bien…

Puis, la tête sous le voile noir, il alla mettre au point cette délicieuse image.

— Voulez-vous, me dit-il, mettre un peu de poudre de riz sur le poil ; il ne se dessine pas bien, il fait tache.

Ce fut avec un fort frisson de concupiscence que je m’acquittai de cette besogne qui chatouilla la jeune femme et la fit rire.

— C’est parfait, dit l’opérateur qui vint fixer le maintien-tête et alla chercher ses plaques pendant que moi-même je contemplais sous le voile noir, non sans bander quelque peu, l’image reproduite sur la glace dépolie… Quel dommage que la science n’arrive pas à fixer sur les épreuves les couleurs, à obtenir la coloration des chairs, la carnation de ce visage, de ces cuisses, de ce con, de cette fine main…

Les plaques sont mises, l’obturateur est en place. La jeune femme est priée de sourire, puis de ne plus bouger ; et… une, deux, sa gracieuse image est fixée dans cette délicieuse posture…

Sans la lui faire quitter, mon ami lui renversa légèrement la tête sur le dossier de la chauffeuse, la pria d’enfoncer plus avant le doigt dans sa vulve et de prendre l’air d’une femme qui jouit…

Je fus stupéfait de l’expression que revêtit alors le visage de la jeune femme. Sa main cessa de tenir ouvert le livre dont le titre s’étalait sur la couverture, réclame pour l’ouvrage et explication de l’extase qu’elle éprouvait, car ses yeux voilés se levaient au ciel, sa bouche s’entr’ouvrait laissant voir une jolie rangée de dents et tout son être respirait la jouissance la plus passionnée… Une nouvelle plaque la reçut ainsi ; puis elle put se reposer et se leva toute souriante en rabaissant et tapotant ses jupons et sa robe.