Lemerre (p. 219-221).


XLIV

les songes


Que de choses en ces quelques jours ! Que d’événements, de surprises. Quelle quantité de bonheur ! J’en ai le cœur doucement réjoui, et la tête comme brisée.

Toutes mes prévisions se réalisent.

L’heureux succès de l’aventure dépasse même ce que j’espérais.

Pauvre Galfar qui s’imaginait, en s’emparant de la clochette, être maître de la Chèvre d’Or.

Galfar doit le comprendre maintenant : la Chèvre d’Or ne cède pas ainsi aux menaces. Fière, elle hait les violents ; il faut savoir lui plaire, la charmer, le reste n’est que peine inutile.

Certes, la clochette de Misé Jano m’a servi. J’en ai déchiffré, avec un peu d’étude, les mots gravés, et j’ai obtenu de cette façon l’indication nécessaire.

Mais qu’aurais-je fait sans Norette ? C’est elle qui m’a soutenu, encouragé. C’est grâce à elle, c’est pour elle, que j’ai eu le courage de persévérer dans l’entreprise malgré Galfar, les gens du Puget, leur colère au grand jour et leurs sourdes embûches. C’est en sa présence qu’au moment du solstice, à l’heure prescrite, et l’ombre du roc marquant la place, nous est apparu, sous un peu de terre et de gazon, le mystérieux coffret de fer, dépositaire du secret.

Nous sommes allés dans un vallon sauvage, la nuit. De hauts rochers se découpaient sur un ciel pailleté d’étoiles, et Misé Jano, sa clochette au cou, nous suivait. Ensemble, d’un commun effort, Norette m’aidant de ses petites mains brunes, nous avons fait tourner la pierre mouvante. Oh ! l’éblouissement tout au fond de la grotte sombre, dont nous suivions les étroits couloirs, lentement, les doigts enlacés !

Ils étaient là, innombrables et jetant des feux sous les reflets de notre torche, les trésors du roi de Majorque. Je les ai vus, mes yeux en brûlent, vus cette seule fois, pendant un instant. Je ne les reverrai que dans un mois, au lendemain de notre mariage. Car Norette le veut ainsi, et je dois obéir à Norette.