Lemerre (p. 201-204).
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XL

la messe


C’est précisément ce matin que l’abbé Sèbe doit dire sa messe annuelle pour l’âme « des deux qui sont morts ».

J’y assisterai, l’ayant promis.

La cloche tinte, nous partons. M. Honnorat et Saladine vont devant. Je les suis, curieusement regardé par les gens debout sur le seuil des portes, ayant eu cette audace, avec un sourire accueillie, d’offrir le bras à Mlle Norette.

Ganteaume est absent. Depuis quelques jours on ne sait jamais où trouver Ganteaume.

Église blanche et froide, sans tableaux aux murs, ni boiseries, nue comme une mosquée de village arabe. Deux rangées de bancs qu’un vide sépare. Et, de chaque côté, échangeant, malgré la sainteté du lieu, des regards farouches, les deux familles avec ceux qui tiennent pour elles. Car, si Galfar a ses partisans, M. Honnorat aussi a les siens. Moi je suis l’ennemi de tous. La Chèvre d’Or a réveillé les haines ; à cause de la Chèvre d’Or, les partisans de M. Honnorat ne m’en veulent pas moins que ceux de Galfar.

Galfar, avec son père, Christophe Galfar, vieux paysan à figure de gentilhomme, et sa mère, jadis Madame, aujourd’hui simplement la Christole, grande femme maigre, révoltée et fière, occupent le premier rang à droite.

Nous occupons parallèlement, les Gazan et moi, le premier banc de gauche ; Galfar, me voyant paraître sain et sauf, s’étonne et dissimule mal une grimace de désappointement.

Je souris, songeant à la pierre ; Mlle Norette, également, ne peut s’empêcher de sourire.

Le vieux Peu-Parle, lui-même, est là, en costume de cérémonie, portant tricorne, culottes courtes et l’habit de cadis blanc, taillé à la française.

Cérémonieux et discret, il a tenu à venir par politesse et savoir-vivre. Peu-Parle connaît le secret de la Chèvre, nos agitations ne l’intéressent point.

Après la messe que, rasé de frais pour la circonstance, il a fort dignement célébrée, l’abbé, devant l’autel, prononce une courte allocution, conseillant à tous la douceur et le mépris des biens de la terre.

Ses paroles sont touchantes. M. Honnorat, qui ne demande que la paix, se mouche bruyamment au plus beau passage. Galfar, lui-même, semble ému. Mais Mlle Norette ne bronche point. Impassible, obstinée, son profil droit et calme, son regard fixe, résolu, me font songer à la statuette impérieuse et mignonne de sainte Sare.

Elle avait raison. Mlle Norette.

Au sortir de l’église, nous voyons arriver Ganteaume, soutenant, caressant Misé Jano blessée, qui trotte douloureusement sur trois pattes.

— « Un coup de couteau piémontais, caché dans la manche et lancé de loin ! nous dit Ganteaume. Si au moins j’avais pu me trouver là ? Mais l’assassin était déjà parti, et Misé Jano semblait vouloir se laisser mourir, perdant son sang, couchée dans l’herbe.

— Voilà pourtant, Norette, à quoi tes imprudences, tes folles bravades nous exposent ! » s’écriait M. Honnorat, pourpre d’égoïste colère. Et, comme s’il eût senti, dans sa propre chair à lui, Mitre Honnorat Gazan, le froid du couteau piémontais : — « Voilà ce que c’est que de laisser courir Misé Jano avec la clochette !

— Mais Misé Jano, père, n’avait pas la clochette.

— On a dû croire qu’elle l’avait.

— Bon ! et quand il s’emparerait de la clochette, pensez-vous que Galfar, bel héritier, ma foi, pour le roi de Majorque ! s’en trouverait plus avancé ?… » conclut Norette, essuyant de son mouchoir les yeux effrayés de Misé Jano.

C’est la première fois que Norette, et certes ! sans me soupçonner, faisait devant moi allusion à la Chèvre d’Or.