Lemerre (p. 118-122).


XXIV

un bouquet


L’aventure tourne au conte de fée.

Ainsi, d’après le vieux Peu-Parle, pour parvenir jusqu’au trésor, je dois d’abord me déguiser en prince Charmant, à mon âge ! Auquel cas, j’aurais pour Belle au Bois dormant, mon Dieu, oui ! Mlle Norette.

Mais Norette n’est pas princesse, la maison de M. Honnorat, quoique pittoresque, n’a que de très lointains rapports avec les châteaux perdus au fond des forêts enchantées, et je ne veux pas, sur de chimériques espérances, m’établir soupirant d’une petite villageoise.

Car elles sont bien chimériques, ces espérances ! et je m’amuse fort, moi-même, d’analyser l’étrange travail qui, en raison de l’isolement où je vis, s’est peu à peu fait dans mon âme.

Eh quoi ! parce qu’un matin de désœuvrement, l’idée m’est venue de consacrer aux Arabes de Provence une étude plus ou moins érudite ; parce qu’il me plaît de rechercher les traces légères que leur passage a pu laisser dans le pays ; parce que, le jour de mon arrivée, les nuages de l’air surchauffé, la grisante odeur des résines et des lavandes m’ont donné, l’espace de quelques secondes, une hallucination, suite naturelle d’un rêve ; et parce que Misé Jano l’ayant perdue, j’ai ramassé une clochette inscrite de caractères qui me parurent curieux, voici que, depuis un grand mois, plus crédule qu’un paysan, plus visionnaire qu’un berger, je perds mon temps à chercher les moyens de conquérir, au fond de la caverne que garde sans doute un dragon, les richesses du roi de Majorque !

Tout en songeant ainsi, je redescendais machinalement la montagne, mais du côté opposé à celui par lequel j’étais venu.

Un étroit sentier, visible à peine, serpente là, au milieu des blocs moussus et des verdures. Car, autant le versant méridional, brûlé du soleil, est aride, autant le versant nord, presque toujours dans l’ombre et perpétuellement humecté par un suintement d’eaux souterraines venues, sans doute, du même mystérieux réservoir qui alimente la source du roc de la Chèvre, offre d’agréable fraîcheur.

Nos montagnes ont de ces contrastes ; et, dans certains coins privilégiés, souvent le printemps se continue, tandis qu’à quelques pas les feuillages et les herbes sèchent aux flammes de l’été.

Des fleurs croissaient en cet endroit, des fleurs alpestres, délicates, d’espèces inconnues. J’en cueillis et finis par faire un bouquet que j’encadrai, pour mieux le garantir, d’une collerette de fougères et de capillaires. Cette précaution me permit de l’apporter intact au village.

M. Honnorat, que je rencontrai se promenant seul sur la place, l’admira fort à cause de sa rareté en cette saison. Je lui dis l’avoir cueilli pour Mlle Norette.

— « Vous tombez mal ! c’est aujourd’hui jour de lessive, et les jours de lessive la maison devient inhabitable. J’avais pris la fuite et n’osais plus aller chercher ma pipe, malheureusement oubliée. Norette est avec Saladine en train d’étendre dans la cour. Après tout, rien ne coûte d’essayer, un bouquet embellira peut-être son humeur. »

Sur des cordes partout se croisant, d’un angle à l’autre, entre les arcades, Saladine, privilégiée par sa haute taille, disposait, d’un air toujours bourru, les toiles que Norette lui passait, et que Ganteaume, religieusement, passait à Norette.

M. Honnorat n’avançait que prudemment, à moitié rassuré par ma présence.

— « Norette ? regarde, Norette : le galant bouquet qu’on veut t’offrir. »

Je ne sais ce qu’avait mon bouquet, pareil pourtant à tous les bouquets ! mais au seul aspect des pauvres fleurs, Ganteaume devint rouge jusqu’aux oreilles. Saladine me jeta un regard de dogue en soupçon, et Norette, qui les serrait déjà dans ses doigts tremblants, me parut, pour un hommage si banal, ressentir une émotion vraiment singulière.

— « Filons maintenant, j’ai ma pipe ! » me disait le bon M. Honnorat.

Et moi, tout en le suivant, je songeais à la phrase énigmatique de Peu-Parle : « C’est la femme qui a la clef d’or, faites-vous aimer de Norette. »

Est-ce que Peu-Parle, en sa qualité de sorcier, aurait vu des choses que je n’ai point vues ? Est-ce que, sans que je m’en doute, par caprice de jeune fille, Mlle Norette m’aimerait ?