Lemerre (p. 109-112).


XXII

le rocher de la chèvre


Depuis, j’ai réfléchi ; car ceci à la fin devient attachant comme la poursuite d’un problème.

Si le trésor lui-même ou l’entrée du souterrain qui, à en croire certains récits, le renferme, se trouve autour de la fontaine, on pourrait aboutir en sondant avec soin le rond de terrain circonscrit que parcourt, plus ou moins étendue selon les saisons, l’ombre portée de sa pyramide.

Mais je suis assuré maintenant que le trésor ne se cache point là.

La fontaine date à peine de quatre cents ans, et n’est point contemporaine du trésor.

D’ailleurs, — un enfant y eût songé tout de suite, — d’après le livre de raison, le nom de fontaine de la Chèvre d’Or s’appliquant au petit monument dressé pour les ermites, ne saurait signifier grand’chose ; car évidemment on ne l’a appelée ainsi que par extension, en souvenir du rocher dit : « de la Chèvre » d’où descend la vraie source, la source mère.

En tout cas, trouver le rocher est facile.

Les tuyaux, depuis quatre siècles, s’étant crevés en maints endroits, je n’ai qu’à suivre une demi-heure durant, le long de la pente aride, cette ligne verte tracée sur le sol par les consoudes et les prêles, plantes dont la présence révèle le voisinage de l’eau ; et me voilà sur un plateau semé de débris, restes probables de quelque château-fort, en présence d’un bloc calcaire, figuré bizarrement, au pied duquel, cristalline, la source s’épanche.

Ce plateau, irrégulièrement quadrangulaire, accessible du côté par où s’en va la source, a pour fossés, des trois autres côtés, une falaise à pic que couronnent encore des restes de murailles.

Le sol résonne sous les pas, des excavations, naturelles ou creusées de main d’homme, s’ouvrent aux flancs de la falaise. C’est ici et non à l’ermitage, ici, dans ce paysage solitaire et pétrifié, que doit habiter la Chèvre d’Or.

Mais la difficulté se complique.

Fouiller au hasard serait folie : sous une mince couche de briques brisées et de pierrailles, tout le plateau se présente comme une table de roc vif.

En outre, il ne s’agirait pas que de fouiller le plateau. Le bloc surplombe l’escarpement : et c’est sur la paroi qu’à cette heure du jour, comme sur un cadran gigantesque, son ombre chemine.

N’est-ce pas une illusion ? La pointe du rocher, nettement dessinée, se dirige vers un inaccessible trou noir bâillant en bouche de caverne. Si pourtant le hasard m’avait servi ! Si j’étais arrivé juste à l’instant où l’ombre indique l’entrée mystérieuse…

À ce moment, un bref appel : « Ici, Guerrier ! » m’a fait tressaillir, sonnant clair dans la solitude.

C’était un vieil homme, un berger qui appelait son chien.

Absorbé par mes songeries, je ne l’avais pas entendu venir.

Lui, sans mettre la main au chapeau, immobile sur son crâne paysan comme un chapeau de grand d’Espagne, me salua du classique : « À Dieu soyez ! » Puis, laissant Guerrier mordiller aux jambes cinq ou six brebis en train d’éplucher l’herbe rare, et désormais ne s’occupant pas plus de moi que si je n’existais pas, il se mit à fumer sa pipe, gravement, par bouffées économes et mesurées, le regard perdu à l’horizon, les jambes pendant sur l’abîme.