Lemerre (p. 105-108).


XXI

la fontaine


Que le trésor ait existé, c’est certain ; la légende, la tradition, certains faits relevés par moi, tout le prouve.

Qu’il existe encore, c’est probable : comment aurait-on fait pour en tenir secrète la découverte ?

Mais le moyen de l’atteindre… voilà l’obscur ! Et peut-être sa destinée est-elle de dormir jusqu’à la fin des jours, aveugle sous terre, inutile, comme tant d’autres trésors perdus, dont les métaux, les pierreries, ne ressusciteront plus jamais aux joies vivantes de la lumière.

Un matin pourtant, sans songer, une préoccupation instinctive, plus que la volonté, me conduisant, je suis monté vers l’ermitage.

Le soleil, depuis longtemps sur l’horizon, mais invisible encore derrière les montagnes, colorait leurs cimes en rose. Arrivé devant la fontaine, je regardais ses deux mascarons cracher l’eau, tandis que des gouttes pleuraient, très claires, aux fils de ses mousses.

Tout à coup le soleil parut, inondant le plateau d’une nappe de clarté blanche ; et l’ombre du petit monument, droite et nette, vint s’allonger jusqu’à mes pieds.

Alors — la mémoire a de ces hasards, les idées de ces associations subites — songeant au distique latin du cadran, je me suis soudain rappelé, pour l’avoir lu sans doute quelque part, l’aventure de Robert Guiscard, en Sicile, et la colonne qu’il trouva, et la statue couronnée d’un cercle de bronze où était gravé : « Le 1er  mai, au soleil levant, j’aurai une couronne d’or. » Mots dont un Sarrasin, prisonnier du comte Robert, sut pénétrer le sens caché. Car Robert, sur ses indications, ayant fait fouiller, le 1er  mai, au soleil levant, l’endroit qu’indiquait l’extrémité de l’ombre projetée par la statue, il y trouva, dit le chroniqueur, un grand et très riche trésor.

Évidemment, si l’inscription tracée par le vieux docteur mesmérien sur le cadran de l’ermitage a jamais signifié quelque chose, et si toutefois le trésor existe, c’est l’ombre d’un objet quelconque qui doit en indiquer la place.

Et pourquoi pas l’ombre de la fontaine, puisqu’elle s’appelle fontaine de la Chèvre d’Or ?

Ils n’ont certes pas si tort que cela, sauf leur croyance en la vertu de la verge tournante et de la messe noire, les gens qui viennent, pendant la nuit, remuer le sol autour de la fontaine !

Ils brûlent, comme on dit ; mais leurs efforts resteront vains, car, non plus que moi, ils ne savent l’heure du jour ni la saison où l’ombre serait indicatrice.

Tout repère manque, l’inscription elle-même est abolie ; et l’abbé qui l’a jadis lue n’en garde qu’un souvenir vague suffisant pour irriter ma curiosité, insuffisant pour m’être un guide.

Moins heureux que Robert Guiscard, n’ayant pas, hélas ! à mon service un prisonnier sarrasin, un de ces fils d’Agar héréditairement experts à deviner le secret des figures, je renoncerai donc au trésor du Puget-Maure.

Et, me raillant un peu moi-même, amusé de mes rêveries, je m’étais étendu sous un buisson, avec le désir d’oublier le trésor, tandis que la fontaine, traversée de rayons obliques, semblait, vision obsédante, rouler dans son cristal, dans son écume, des diamants et des fragments d’or.