Lemerre (p. 59-63).


XII

panier de souhaits


Cette aventure a établi tout de suite une sorte de complicité entre Mlle Norette et moi.

Mlle Norette veut, accompagnée de Ganteaume qui ne la quitte plus d’un pas, me faire visiter de fond en comble, d’abord ma tour, décidément bien sarrasine, puis le château proprement dit, curieux encore quoique moins ancien.

Un petit logis Renaissance, mais bâti sur le plan des maisons arabes. De sorte que l’on s’étonne comme d’un anachronisme, en découvrant au plafond de l’escalier, presque méconnaissables déjà sous les couches de chaux superposées, quelques naïfs bas-reliefs inspirés de l’Iliade : un Agamemnon portant la toque du roi François, une dame que, sans le nom de Briséis inscrit sur une banderole, je prendrais pour Diane de Poitiers.

En revanche la cour a gardé un caractère oriental des plus purs, avec son puits à margelle basse, ses niches creusées dans le mur pour servir d’étagères, le double rang de galeries par où s’éclairent les chambres sans ouvertures sur la rue, et l’énorme vigne centenaire qui, jaillissant d’un angle du sol carrelé, la recouvre presque tout entière de ses bras tortueux et noirs, de ses pampres chargés de grappes dans lesquels à midi des pigeons roucoulent.

L’intérieur est un vrai musée.

Sans compter quelques portraits d’ancêtres suffisamment rébarbatifs ; partout, des tentures aux vives couleurs provenant de Smyrne et d’Alep, des armes damasquinées, des lampes de forme bizarre, des tabourets, des tables, des miroirs à incrustations de nacre font au milieu de meubles d’il y a cent ans le fouillis le plus bizarre du monde.

Rien d’ailleurs qui sente le culte du bibelot, inconnu, Dieu merci ! sur ces hauteurs ; mais quelque chose de patriarcal, la trace restée de plusieurs générations.

Mlle Norette m’explique qu’en effet on a de tous temps beaucoup voyagé dans la famille.

Puis elle ouvre un petit coffre en chêne cerclé de bandes de fer, et me montre des colliers en perles, en corail, ayant généralement pour agrafe une monnaie grecque ou bien une pierre gravée antique, des chapelets de sequins, de lourds bracelets d’argent, des gorgerins d’un style raffiné et barbare, toutes sortes de joyaux rapportés de très loin à des aïeules, des bisaïeules dont elle se rappelle les noms.

Je demande à voir la clochette. Alors Mlle Norette se trouble ; Mlle Norette, paraît-il, ne l’a plus. Elle l’a rendue à son père qui y tient beaucoup, comme souvenir.

— « Mais ne lui racontez pas ce qui est arrivé, ne lui dites jamais que vous l’avez eue entre les mains. »

Et pour rompre une conversation qui la gêne, tout au fond du coffre elle découvre un corbillon d’osier tressé. Quelles richesses nouvelles renferme-t-il sous le carré de vieux salin qui précieusement l’enveloppe ?

Un œuf, un grain de sel, un morceau de pain bis et un petit bâton portant un brin de laine au bout.

— « Ce sont les souhaits ! dit Norette.

— Les souhaits ?

— Oui ! les souhaits et les présents que l’on m’apporta dans mon berceau lorsque j’étais âgée d’un jour.

— Comme au temps des fées ?

— Précisément. Mais depuis longtemps les fées étant mortes, quatre vieilles femmes, généralement, les remplacent, voisines ou amies, respectueuses des usages, qui se donnent, quand il y a quelque part une fillette nouveau-née, cette importante mission. L’idée leur en vient tout à coup, au four, au lavoir, en causant du beau temps et de la pluie. La chose décidée, elles mettent leur robe de grand’messe, un bonnet repassé de neuf, et se présentent. Le petit bâton, qui symbolise une quenouille, est pour que la fillette, en grandissant, devienne active et laborieuse ; le sel, pour qu’elle reste pure ; le pain, pour qu’elle soit bonne comme le bon pain…

— Et l’œuf, demande Ganteaume, à quoi sert l’œuf ?

— L’œuf, répond Norette avec le plus grand sérieux, est pour qu’elle fasse un heureux mariage et pour qu’elle ait beaucoup d’enfants ! »