Henri Laurens (p. 55-75).
L. B. del.

Corniche du bas côté méridional

III

SCULPTURES DE LA FAÇADE

Tympans et voussures des portails. — La sobriété de cette façade n’est en réalité qu’apparente, car tout un monde de sculptures l’anime, mais de façon très discrète. Ces sculptures méritent de retenir l’attention par leur richesse iconographique.

Avant 1756, un trumeau divisant le portail central, supportait le tympan qui devait représenter le Jugement Dernier, si nous en croyons une miniature du manuscrit De tristibus Francice exécutée peu après sa destruction ; les anges adorateurs des voussures attestent la présence du Christ triomphant.

La voussure extérieure contient vingt de ces anges qui jouent de divers instruments, vielle, orgue à main, saquebute, etc. Seules les têtes des plus élevés ont échappé au marteau des calvinistes. Dix-huit séraphins occupent la suivante, seize anges acolytes la troisième et quatorze thuriféraires la quatrième. Portail droit. — Jusqu’en 1878 les tympans latéraux étaient restés couverts d’une épaisse couche de plâtre destinée à dissimuler les mutilations de la sculpture. Nous pûmes faire enlever cet enduit dans l’espoir de retrouver quelques traces des compositions primitives. Au tympan de droite les arrachements indiquent nettement le Couronnement de la Vierge. Sur le linteau on reconnaît aisément l’étable de Bethléem, l’Adoration des Mages et des bergers. Dans les trois voussures de ce portail sont distribuées trente-six statuettes très mutilées des prophètes et des patriarches qui ont prédit ou figuré les destinées de la Vierge.


Portail gauche. — Les sujets du linteau et du tympan, trop martelés, ne sauraient être reconnus. Trente-six figures assises, toutes décapitées, occupent les voussures. Dans la première on peut distinguer à leurs attributs, saint Pothin, saint Irénée, sainte Blandine, sainte Biblis, martyrisés à Lyon, sainte Marie-Madeleine, saint Galmier avec le marteau de son ancien métier de forgeron, sainte Agathe, sainte Catherine, saint Victor appuyé sur la meule, instrument de son martyr, etc. Dans la deuxième voussure : saint Côme, patron d’une église de Lyon, une flèche sur les genoux, saint Bénigne, disciple de saint Polycarpe, saint Félix diacre, disciple de saint Irénée, saint Polycarpe, fondateur de l’Église de Lyon, enveloppé de flammes, etc. Dans la troisième, un chevalier appuyé sur un écu, saint Ferréol, disciple de saint Irénée et martyr, saint Benoît, saint Denis, saint Nizier, évêque de Lyon, etc.

Photo L. Bégule.

Voussure du portail gauche

La signification symbolique de cet ensemble paraît être une image de la Jérusalem céleste : au portail central, le Christ entouré de ses anges ; à celui de droite la Vierge couronnée, au milieu des patriarches et des prophètes ; à celui de gauche, L’Église triomphante, personnifiée par les saints martyrs et principalement par ceux de L’Église de Lyon.


Médaillons des soubassements. — Sur les soubassements des trois portails se développe une véritable tapisserie sculptée qui comprend près de trois cent cinquante petits bas-reliefs de pierre. Cet ensemble est d’une richesse presque unique : on ne peut lui comparer que les sculptures des deux portails latéraux, dits de la Calende et des Libraires, de la cathédrale de Rouen avec lesquels ils présentent la plus frappante analogie[1]. Les bas-reliefs des portails de Rouen datent de l’extrême fin du XIIIe siècle. L’exécution de ceux de Lyon a dû commencer vers 1310.

Ces médaillons disposés sur la face et le retour des pilastres supportant les grandes statues détruites par les calvinistes, constituent une véritable encyclopédie figurée. Aussi les imagiers se sont-ils inspirés non seulement de l’Ancien Testament, de l’Évangile, des Actes des saints, mais aussi des légendes pieuses, des Bestiaires plus ou moins « moralisés », des travaux des saisons et de la vie contemporaine sous ses aspects gracieux ou ridicules. Le tout sans aucun ordre apparent : toute liberté semble avoir été laissée à la fantaisie individuelle des imagiers. Ceux-ci ont égayé la pierre de compositions purement ornementales empruntées au régime végétal, d’animaux hybrides ou fabuleux : mais, à part deux ou trois sujets quelque peu gaulois, rien d’obscène ou de scatologique, ni même de satirique à l’endroit du clergé.

Le portail central montre : 1o Les travaux des Mois et le Zodiaque ; 2o l’Histoire de saint Jean-Baptiste ; 3o La Genèse ; 4o des sujets divers (légendes, scènes de la vie monastique ou privée, portraits).

Sur les portails latéraux nous remarquons : des scènes bibliques, les vies et légendes des saints, des scènes symboliques et morales, la zoologie mystique des fantaisies décoratives et de nombreux sujets intéressants pour l’étude des costumes religieux, civils et militaires.

Photo L. Bégule

Soubassement du portail central, côté droit

Ces bas-reliefs, principalement pour le portail central, doivent généralement se lire dans le sens horizontal en partant du seuil.

Portail central. — Les travaux des mois et les signes du zodiaque, véritable almanach de pierre, occupent, à la base, seize médaillons plus petits que ceux des assises supérieures.

Ire Assise (côté droit). — 1, Janvier. Un personnage à table. — 2, Février. Un homme se chauffe en surveillant la marmite. — 3, Mars. Un vigneron émonde sa vigne. — 4, Avril. Un jardinier taille ses arbres. — 5, Mai. Un jeune seigneur part pour la chasse. — 6, Juin. Un paysan fait ses foins. — 7, Juillet. Le paysan moissonne. — 8, Août. Il bat son blé. — 9, Septembre. Il foule le raisin dans la cuve. — 10, Octobre. Il donne des glands à ses porcs. — 11, Novembre. Il taille les arbres. — 12, Décembre. Il tue son porc pour l’hiver ; des jambons pendent aux solives.

Une scène de chasse occupe les quatre derniers médaillons.

(Côté gauche). — Les signes du zodiaque sont dans l’ordre suivant :

1. Le Verseau. — 2. Les Poissons. — 3. Le Taureau. — 4. Le Bélier. — 5. L’Écrevisse. — 6. Les Gémeaux. — 7. La Vierge, tenant un cœur et une palme. — 8. Le Lion. — 9. Le Scorpion. — 10. La Balance. — 11. Le Capricorne. — 12. Le Sagittaire. Dans les quatre sujets suivants des animaux combattent, un coq crève les yeux d’un renard.

IIe Assise (côté gauche). — Vie de saint Jean-Baptiste. — 1. Zacharie au Temple. — 2. Le peuple prie à la porte du Temple. — 3. Zacharie sort du Temple. — 4. La Visitation. — 5. Nativité de saint Jean. — 6. Jean nommé par son père. — 7. Saint Jean reçoit sa mission du Seigneur, — 8. Prédication de saint Jean dans le désert.

(Côté droit). — 1. Baptême de Jésus. — 2. Saint Jean devant Hérode. — 3. Salomé danse devant Hérode. — 4. Salomé prend conseil de sa mère, — 5. Salomé demande La tête de saint Jean. — 6. Décollation de saint Jean. — 7. Salomé apporte la tête à sa mère. — 8. Ensevelissement de saint Jean.

IIIe Assise (côté droit). — La genèse. — 1. Création des éléments. L’artiste a résumé dans ce seul médaillon les cinq premières journées de la création, — 2. Création de l’homme et de la femme. — 3. Adam et Ève placés dans l’Éden. —

Le corbeau et la colombe envoyés par Noé
Caïn tue Abel
(Portail central)

4. Le péché originel. Le serpent à tête de femme est enroulé autour de l’arbre, — 5. Adam et Ève chassés du Paradis terrestre. — 6. Un ange couvre la nudité d’Adam et d’Ève. 7. La réhabilitation par le travail, Adam pioche la terre et Ève file la laine. — 8. Offrande de Caïn et d’Abel.

(Côté gauche). — 1. Caïn tue Abel, — 2. Dieu reproche ce meurtre à Caïn. — 3. Mort de Caïn tué par Lamech dans la forêt. — 4. Construction de l’arche. — 5. Entrée des animaux dans l’arche. — 6. Le corbeau et la colombe envoyés par Noé. — 7. Noé plante la vigne. — 8. Ivresse de Noé.

IVe Assise (côté droit). — Construction de la tour de Babel. — 2. Confusion des langues. — 3. Sacrifice de Melchisédech. — 4. Dieu éprouve la fidélité d’Abraham. — 5. Séparation d’Abraham et de Loth. — 6. Loth reçoit les anges chez lui. — 7. Les habitants de Sodome veulent forcer la maison de Loth. — 8. Loth leur offre ses deux filles.

(Côté gauche). — 1. Un ange console Agar. — 2. Querelle entre les bergers d’Abraham et de Loth. — 3. Embrasement de Sodome. — 4. L’ange fait sortir Loth de Sodome. — 5. Inceste de la fille aînée de Loth. On a prétendu que cette scène avait été martelée sur l’ordre du chapitre. En réalité l’artiste, devant le choquant du sujet, a laissé la pierre à peine dégrossie, n’indiquant intentionnellement que l’entrée de la caverne. — 6. Les filles de Loth donnent du vin à leur père. — 7. Inceste de la fille cadette de Loth. Sujet traité comme celui no 5. — 8. La fille aînée invite la cadette à l’imiter. Ici l’ordre a été interverti.

Ve Assise (côté droit). — 1. Naissance d’Isaac. — 2. Agar chassée avec Ismaël. — 3. Agar abandonne son fils. — 4. Un ange console Agar. — 5. Mort de Sara. — 6. Abraham achète un champ pour la sépulture de Sara. — 7. Rébecca abreuve les chameaux d’Eliézer. L’artiste, peu soucieux du texte de l’Écriture, a remplacé les chameaux par des animaux plus connus de nos contrées, une chèvre et un porc. 8. Laban reçoit Eliézer.

(Côté gauche). — 1 et 2. Eliézer donne des présents à Rébecca et Laban. — 3. Deux diables emportent un damné. Rébecca donne à boire à Eliézer. À partir d’ici les sujets sont isolés et sans ordre.

Sujets divers. — 5. Saint Nicolas. — 6. Une petite figure sort de l’échine d’une tarasque. Probablement sainte Marguerite. Ce sujet est semblable à l’un de ceux du portail des Libraires de Rouen. — 7. Saint Sébastien. — 8. Roi offrant à un moine le modèle d’une Église.

VIe Assise (côté droit). — 1. Jeune homme et jeune fille tressant des couronnes. — 2. Jeune homme caressant le menton d’une dame qui lui offre son cœur de la main gauche. — 3. Un roi donne une charte à une abbesse. — 4. Un clerc cherche à faire violence à une femme. — 5. Deux moines au lutrin. — 6. Un saint nimbé. — 7. Jeune homme offrant un petit chien à une dame. — 8. Jeune homme et jeune fille cueillant des fruits.

(Côté gauche). — 1. Chevalier et jeune dame soutenant un écu aux armes de Savoie. Ce sujet peut se rattacher au souvenir des fondations de l’archevêque Pierre III de Savoie en faveur de sa cathédrale et en particulier pour cette partie de la façade. — 2. Une dame et un jeune page caressent un faucon. — 3. Un roi remet une épée à un personnage. — 4. Un homme s’éloignant d’une religieuse. — 5. L’Annonciation. — 6. Femme couronnée entraînant un personnage nu. — 7. Deux moines discutent un texte. — 8. Deux docteurs conversant.

VIIe Assise. — Toutes les compositions de ce dernier rang abritées sous les pinacles qui couronnent ces pilastres sont traitées avec une délicatesse infinie et peuvent rivaliser avec les plus élégantes sculptures sur ivoire du XIVe siècle.

(Côté droit). — 1. Vieillard sur un animal moitié loup moitié cheval. — 1. Deux amoureux, le faucon au poing, se caressent assis sous un chêne, — 3. Saint-Martin partage son manteau. — 4. Deux personnages agenouillés sollicitent un évêque. — 5 et 6. Deux bustes d’évêques. — 7 et 8. Une reine et un roi ; peut-être Jeanne de Navarre et Philippe le Bel qui imposa sa suzeraineté à Lyon.

(Côté gauche). — Une femme tenant une lance entre un chevalier et une jeune fille agenouillés. — 2. Une reine assise sur deux lions — 3 et 4. Deux charmantes scènes de saint Georges terrassant le dragon. — 5. Un roi avec le sceptre et une bourse. — 6. Un clerc, une palme et un livre à la main. — 7 et 8. Deux figures richement drapées.

Portails latéraux. — Les sujets des deux portails latéraux ne se présentant plus en séries continues comme la plupart de ceux du portail central, il est nécessaire de les grouper autant que possible par genres. Des abréviations permettront d’en retrouver la place. P. D.-G. 3. signifie : Portail droit, côté gauche, troisième rang. P. G. D. 5 : Portail gauche, côté droit, cinquième rang.

Scènes bibliques, vies et légendes des Saints. — Histoire de Samson. P. G. G. 6. — 1. Dalila coupe les cheveux de Samson. — 2. Samson attaché à la colonne.

Vie de saint-Pierre. P. G. D. 2. — On sait que saint Pierre était patron de l’archevêque Pierre de Savoie qui fit exécuter les portails de 1308 à 1332. On a raison de croire que c’est là ce qui a motivé les six compositions suivantes : — 1. Vocation de saint Pierre. — 2. Délivrance de saint Pierre. — 3. Fuite de saint Pierre. — 4. Saint Pierre rencontre Jésus aux portes de Rome. — 5. Un archevêque reçoit la mitre de saint Pierre et de saint Paul, allusion à la consécration de Pierre de Savoie. — 3. Crucifiement de saint Pierre.

L’Apocalypse. P. G. D. 5. L’imagier a représenté la vision de saint Jean : « Sept chandeliers d’or, et au milieu des chandeliers, le Fils de l’Homme qui avait en sa main droite sept étoiles. »

Mort de saint Ennemond. P. G. D. 5. Saint Ennemond, 44e évêque de Lyon, est poignardé par un émissaire d’Ebroïn.

Légende de Théophile, P. D. D. 4. Deux sujets sur la face et le retour du même pilastre résument la légende popularisée par Rutebeuf. I. Théophile, vidame de l’église d’Adane en Cilicie, ayant été destitué injustement, recourut au diable et lui promit par écrit de renoncer au Christ et à la Vierge. II. Mais pris de remords, Théophile supplie Notre-Dame et celle-ci arrache au diable le traité signé de sa main.

Figures de saints isolés. P. D. D. 3. Sainte Catherine d’Alexandrie, sur un dragon, avec le glaive et la roue de son martyre. — P. D. D. 5. Saint Laurent présente son gril à un autre personnage qui recule effrayé. P. D. D. 6. Trois sujets retracent des miracles de la vie de saint Benoît, relatés par saint Grégoire le Grand. Un moine cherche à empoisonner saint Benoît. — Un novice qui déserte son monastère est arrêté par un dragon. — P. G. G. 6. Une sainte

Photo L. Bégule.

Soubassement du portail gauche, côté gauche
agenouillée est martyrisée à coups de massue. — P. G. G. 3. Troisième représentation de saint Georges terrassant le dragon. — P. G. G. 5. Saint Pierre et saint Paul. — P. G. G. 3-5-6. Diverses figures de saints non identifiées.

Anges. — Aux deux portails les couronnements des pieds-droits contiennent douze anges à mi-corps, les ailes éployées, distribuant des couronnes aux saints figurés au-dessous.

Scènes symboliques et morales — La Luxure P. D. D. 3. — Une femme très élégamment drapée élève un hanap. Sous ses pieds un lièvre s’enfuit poursuivi par un chien. — L’Église et la Synagogue. — C. D. G. 2. L’Église couronnée s’appuie sur la croix, et la Synagogue laisse tomber sa couronne. Le sujet en retour est une variante du précédent. — La Force P. G. G. 2. Une jeune fille dompte un lion qui lui sert de monture. — La Peur. P. D. G. 1. Un chevalier, le glaive à la main, se défend d’un colimaçon. P. G. D. 4. Un homme armé d’une hache frappe un chien niché dans une coquille d’escargot. — P. G. D. 4. Une femme montée sur le dos d’un homme l’oblige à marcher en se traînant sur les mains. Un bâton d’une main, un linge tordu de l’autre, lui servent à stimuler l’allure du pauvre mari. Le sujet, qui est de tous les temps, se passe de commentaires. — Le Pèsement des âmes, P. G. G. 7. Saint Michel tenant la balance de la justice divine, résume la pensée du Jugement dernier qui avait toujours sa place dans la statuaire d’une cathédrale. — Luttes contre le Dragon. P. D. D. 2. — P. D. G. 2 et 3 — P. G. D. 1. — P. G. G. 3, etc. Aux deux portails, des personnages de toutes conditions, chevaliers, bourgeois, paysans, attaquent le dragon, fantaisie décorative ou emblème de la lutte du chrétien contre le mal.

Zoologie symbolique. — Les animaux revêtus d’un sens symbolique, tels que l’entendaient les Pères de l’Église et tels qu’ils furent vulgarisés dans l’enseignement scolastique du moyen âge abondent dans les médaillons de la façade. — Le Phénix, P. D. D. 2. Emblème du Christ sacrifié puis ressuscité. — Le Pélican P. D. D. 2. Les Sirènes. P. D. G. 3 — P. D. G. 3. — P. D. D. 1. — P. D. D. 3. — Quatre sujets
Photo L. Bégule.

Détail des sculptures du portail droit

du portail droit rappellent le prestige de ces perfides enchanteresses dont le chrétien doit savoir fuir les séductions comme Ulysse et ses compagnons. — Le Corbeau P. G. D. 3. Image du diable, le corbeau dévore la cervelle et les yeux d’un lapin, de même que le démon aveugle les pécheurs. — L’Aigle P. G. D 3. Symbole de la Résurrection. — L’Ibis P. G. G. 2. Cet oiseau se repaît de charognes, comme le « pécheur endurci qui ne touche jamais aux aliments spirituels ». Dans la sculpture, l’artiste grossièrement inspiré, a moins cherché à rappeler l’enseignement moral que l’inconvénient résultant pour cet animal d’une nourriture malsaine et trop abondante. — La Foulque. P. G. G. 4. Au contraire elle vit frugalement de poisson toujours frais, « comme le bon chrétien nourri de la parole de Dieu. » — L’Éléphant P. G. G. 2. Il passait, d’après les auteurs des Bestiaires, pour ne ressentir l’amour qu’après avoir mangé la Mandragore, image d’Adam et Ève qui ignoraient le mal avant d’avoir touché au fruit défendu. Le Dragon, P. G. G. 3. qui représente le démon est représenté à l’infini, mais surtout comme un heureux motif de décoration. Le Chameau, P. G. G. 2, qui symbolise la patience et la sobriété. — L’Autruche, P. G. G. 2. regardée comme emblème de la gloutonnerie.

Enfin, de nombreux animaux employés comme motifs d’ornementation, sans signification symbolique. — Les sujets tératologiques occupent une place importante dans l’ordonnance des médaillons. Il est impossible d’énumérer toutes les chimères, dragons ailés, centaures bizarres, lions à tête d’homme, etc. qui ont exercé la verve des imagiers.


Fantaisies décoratives. — Cette série comprend des têtes feuillagées, des têtes de lion, de porc, un écureuil, un lièvre poursuivi par un chien, des escargots mangeant un choux, deux lutteurs, un bateleur faisant danser un chien savant, Prométhée enchaîné, et une fantaisie qu’on retrouve à Saint-Maurice de Vienne, à la chapelle de l’hôtel de Cluny, à la chapelle souterraine de Saint-Bonnet-le-Château : c’est un groupe de quatre lièvres disposés en carré ; il y a seulement quatre oreilles sculptées et chaque lièvre paraît en avoir deux.

Certains médaillons, montrant des hommes d’armes combattant, sont particulièrement intéressants pour l’histoire du costume militaire au XIVe siècle. P. D. G. 3 — P. G. G. 8.


Cet ensemble présente un intérêt exceptionnel par le mélange d’éléments sacrés et profanes ou même grotesques que le sculpteur rapproche avec une parfaite indifférence. Ce mélange apparaît déjà dans les bas-reliefs des deux portails de Rouen qui ont servi de prototype, sinon de modèle direct aux portails de la cathédrale de Lyon. On l’a observé avec des détails identiques dans la décoration des manuscrits, vers la fin du XIIIe siècle ; il apparaît en Angleterre, comme l’ont démontré M. Haseloff et le comte Vitzthum, plus tôt qu’en France. M. Bertaux, qui a étudié tout particulièrement cette question, nous fait observer que les portails de Rouen avec leurs grotesques, ont pu être directement inspirés de l’art des enlumineurs anglais, qui aurait exercé son influence à la fois sur les sculpteurs normands

Photo L. B.

Couronnement des pilastres du portail central

et les enlumineurs parisiens. Il semble qu’un même atelier ait fait le voyage de Rouen à Lyon ; mais des artistes plus savants et plus délicats que ceux qui avaient travaillé à Rouen se sont joints à ce groupe d’imagiers inconnus ; ces artistes, qui représentaient l’art parisien le plus raffiné, ont sculpté les douze consoles qui supportaient, entre les portails, les grandes statues détruites par les protestants.

Les consoles. — Nous suivrons ces consoles de droite à gauche en les numérotant.

1, 2, 3, 4. — Sur la face et les retours de ces premières consoles, des anges à mi-corps tiennent des couronnes. Les dessous représentent des têtes feuillagées, Noé entouré de pampres, une jeune fille jouant de la viole, encadrée de tiges d’érable.

Photo L. Bégule.

Le printemps de la vie
Console de la façade.

5. Face et retours. — Le Christ en croix entre La Vierge et saint Jean. Un homme transperce un dragon et un autre écrit sur un phylactère. Dessous. — Saint Pierre et saint Paul soutiennent le voile liturgique au-dessus de la tête de Pierre III de Savoie, promu au siège archiépiscopal de Lyon.

6. Face et retours. — Religieux confessant un personnage agenouillé. Buste d’évêque et personnage assis sur deux dragons. Dessous. — Une jeune fille tenant sur sa poitrine une couronne de marguerites.

Photo L. Bégule.

Lai d’Aristote
Console de la façade.

7. Face et retours. — Saint Nicolas ressuscitant les trois enfants. Deux lions reposent leur tête sur les genoux d’une femme. Un homme corrige un singe. Dessous. — La Licorne. Le symbolisme de cette bête fabuleuse, qui ne redoute nul veneur et ne peut être prise que par une vierge, popularisé par les Bestiaires et développé par Honorius d’Autun, fut très répandu dans l’iconographie religieuse. On y vit l’image de Jésus-Christ incarné dans le sein de la Vierge, puis trahi et livré. Mais ici on ne peut chercher dans le petit relief aucun sens religieux. L’imagier a représenté la Licorne agenouillée aux pieds d’une jeune fille couronnée d’un chapeau de fleurs et qui se regarde dans un miroir. Près d’elle, le veneur perce l’animal de son épieu. La scène se passe dans un taillis de chênes.

8. Face et retours. — Saint Michel terrasse le démon. La Grammaire enseigne un élève ; une jeune fille abrite la Licorne dans les plis de son manteau. Dessous. — Dans un buisson de roses fleuries, une jeune fille dépose une couronne sur la tête d’un jeune homme.

9. Face et retours. — Vieillard appuyé sur un bâton ; figure nue à cheval sur un lièvre et jouant de la vielle. Un centaure. — Dessous. Un jeune homme, le faucon au poing, caresse d’un geste tendre le menton de son amie qui, relevant gracieusement le pan de sa robe, porte un écureuil sur le bras droit. Cette exquise composition est traitée avec tout le charme et la virtuosité des plus belles œuvres des maîtres ivoiriers du XIVe siècle.

10. Face retours et dessous. — Têtes feuillagées.

11. Face et retours. — Le Christ entre deux personnages sortant des limbes. Le Saint-Esprit figuré par des colombes. Dessous — Chimère entourée de feuillages.

12. Face et retours. — Un vieillard remet à une jeune femme un phylactère. Une femme tient un agneau ; un homme dompte un lion. Dessous. — Le Lai d’Aristote, l’un des plus célèbres parmi les nombreuses représentations du fabliau si populaire d’Henri d’Andely. L’imagier de Lyon nous montre Aristote avec la robe et le bonnet de docteur, marchant à quatre pattes et portant sur son dos Campaspe, la rusée indienne, assise sur une selle, qui dirige sa plaisante monture avec une bride et un fouet.

Il s’en faut de beaucoup que les 325 bas-reliefs de la façade aient une valeur artistique égale. Bien qu’un érudit ait voulu que Donatello soit venu plus tard leur demander des modèles, ces sculptures sont en partie des œuvres d’imagerie populaire, destinées à parler à la foule un langage clair et expressif. Si l’exécution de quelques sujets est quelque peu lourde ou sommaire, plusieurs « tailleurs d’image » et d’habileté inégale ayant dû être employés simultanément, il faut convenir que la composition est toujours admirablement équilibrée et que l’entente décorative résultant de la parfaite distribution des pleins et des vides n’a jamais été égalée dans les sujets de Rouen. En cela, ceux de Lyon leur sont de beaucoup supérieurs, et un très grand nombre, principalement dans les zones inférieures des trois portails, plus à portée de la vue, tous les couronnements des pilastres et les dessous des douze consoles sont autant de merveilles de ciselure.

Ce qui fait aussi leur originalité et leur intérêt, c’est que nous y voyons apparaître et se développer un art nouveau. La grande tradition du XIIIe siècle s’affirme encore dans la distribution des bas-reliefs étroitement assujettie aux lignes architecturales. Mais la préoccupation d’un enseignement surtout dogmatique qui guidait les imagiers du siècle précédent s’atténue de plus en plus et finit par disparaître et laisser la place à des scènes de fantaisie ou à des sujets purement mondains. Or les mieux traités des bas-reliefs de la façade de Saint-Jean sont précisément ceux qui relèvent d’un art profane et « féminin » d’où l’idée religieuse est entièrement absente, et dont l’étude récente de M. Bertaux a montré l’intérêt[2]. Ils représentent les scènes qu’on voit couramment sur les ivoires du temps, couvercles de coffrets ou boîtiers de miroir. Ce sont de vraies scènes de Décaméron, d’une fantaisie galante et légère, délicieusement puérile : jeunes filles élégamment drapées tressent des couronnes, ou écoutent les doux propos de leurs adorateurs, couples en chasse qui s’égarent et se caressent, le faucon au poing, dans des bosquets fleuris.

Il faut également noter la perfection de l’appareil, la pureté des profils et l’habileté avec laquelle sont raccordées les moulures et les arêtes verticales encadrant les pieds-droits. Les arêtes des assises, toutes taillées isolément avant la pose, bloc par bloc, se raccordent exactement pour former des colonnettes d’une régularité parfaite.

Rappelons que le niveau primitif du parvis était de 0m,33 au-dessous du niveau actuel. Pendant les travaux exécutés en 1879 on a pu se rendre compte que les sculptures, vues d’un peu plus bas, étaient d’un effet encore plus heureux.

Photo L. B.

La licorne
Console de la façade.
  1. Le soubassement de Saint-Jean a dû servir de modèle au maître de l’œuvre de Clément VI pour le décor des deux jambages du portail de la grande chapelle de son palais d’Avignon, qu’il venait d’achever en 1351. Le style, l’ordonnance et le choix des sujets de cette porte nouvellement découverte offrent une incontestable analogie avec les sculptures de Lyon.
  2. La Femme et l’Art du Moyen Âge français (Revue de Paris, 15 novembre 1909).