La Catastrophe de la Martinique (Hess)/31

Librairie Charpentier et Fasquelle (p. 181-186).


XXXI

LES OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES DE M. MIRVILLE


Les graphiques des instruments enregistreurs de l’Observatoire météorologique de l’hôpital de Fort-de-France présentent de curieuses particularités.

Coïncidant avec l’instant précis de chaque éruption, il y a des à-coups barométriques hausse et baisse ou baisse et hausse, nul jamais ne le saura, d’une brusquerie instantanée ; à-coups marqués par une verticale d’un centimètre, qui coupe d’un trait sec la course, un demi-centimètre au-dessus et un demi-centimètre au-dessous. J’explique le « nul ne le saura jamais ». La ligne verticale est si brusque, si nette, si instantanée qu’il est impossible de distinguer les trois traits enregistrés dont elle est formée. On ne peut distinguer si elle a commencé par une baisse ou par une hausse du stylet enregistreur ; donc, nul ne saura jamais si les éruptions de la Montagne Pelée, dans leur action sur la pression barométrique, ont provoqué une augmentation instantanée suivie d’une aussi rapide diminution de cette pression, ou inversement une diminution, puis une augmentation. La seule chose certaine, c’est qu’il y a eu une variation excessivement rapide dans les deux sens, variation traduite par une coupure en travers de la courbe enregistrée.

Les éruptions sont aussi notées à l’enregistreur hygrométrique. Elles sont traduites par de brusques descentes de sécheresse, beaucoup plus rapides et plus nettes que celles qui signalent presque régulièrement le milieu de la journée.

L’anémomètre porte, lui aussi, la marque des phénomènes volcaniques. Les témoins qui ont observé la marche du nuage destructeur sur Saint-Pierre ont dit qu’il courait vers le Sud, très vite. Et il a fallu cela pour que Saint-Pierre fut anéanti, car Saint-Pierre est au sud de la Montagne Pelée. Mais, à la rigueur, cette marche de nuage au Sud pourrait s’expliquer par les seules lois de la pesanteur et la configuration des vallées de la Rivière des Pères et de la Roxelane, le nuage étant formé de matières et de gaz lourds. Néanmoins, l’action du vent s’est jointe à celle de la pesanteur. À l’anémomètre enregistreur de l’hôpital, la direction en est marquée par une ligne de tendance ordinaire N.-E. À l’heure de l’éruption, la ligne saute brusquement au Sud, pour reprendre peu après sa direction habituelle. Et cela explique : 1o la direction du phénomène sur Saint-Pierre ; 2o son retrait sur la mer et l’impossibilité d’accostage qui éloigna les premiers bateaux arrivés pour aborder Saint-Pierre après l’incendie, etc., etc.

À bord du Jouffroy, semblables observations furent faites. On y constata, de plus, l’affolement des compas. À bord du Suchet également. Enfin, aux éruptions ultérieures, quand fut arrivé le Dr Assas, qui porte les appareils de télégraphie sans fil, on nota des phénomènes très complexes dans les récepteurs de ces appareils. Un officier me dit que les antennes du navire chantaient.

M. Le Bris, commandant du Suchet, a coordonné toutes les observations faites à bord des navires de guerre qui se trouvaient dans les eaux martiniquaises, et les a réunies dans un rapport adressé au ministre de la Marine, par le même courrier qui me ramène en France. Il est à présumer que le ministre publiera immédiatement ce rapport dans la Revue maritime. J’y renvoie donc les lecteurs qui voudraient sur ces données des observations plus précises, plus étendues surtout que mes simples notes de reporter.

De même pour ceux qui voudraient complets les travaux de M. Mirville, on les trouvera dans le Journal officiel de la Martinique.

J’en publierai seulement quelques chiffres :

Les températures minima varièrent, avant l’éruption du 8, de 23°3 à 25 degrés ; après l’éruption, elles allèrent de 24°9 à 24°4. Les maxima, avant, de 30 à 31,8 ; après de 31°2 à 33°1.

Le 8, il y eut : minimum 22,1 ; maximum 29,3 degrés. La pression barométrique notée le 1er mai, à 6 heures, à 10 heures matin et 4 heures soir : 763 mm. 0 — 764,1 — 761,8, diminua progressivement, pour être, le 7, de 760,7 — 761,9 — 760,1 ; le 8, de 761,2 — 762,2 — 760,1, remonta ensuite jusqu’au 12, où l’on nota : 762,0 — 762,7 — 761,5. Ensuite elle redescendit, puis remonta, suivant les caprices du volcan.

Les « observations particulières » qui accompagnent les tableaux de M. Mirville sont intéressantes à reproduire.

Les voici :

« Nuit du 2 au 3 mai. — Pluies de cendres volcaniques très fines ; la couche à Fort-de-France est de 1/2 millimètre environ. L’état hygrométrique s’est maintenu, pendant cette nuit, à 10 p. 100 au-dessous de la moyenne.

« Lundi 5 mai — À midi 15 minutes, le volcan projette une avalanche de boue qui comble les vallées de la Rivière-Blanche et de la Rivière-Sèche, engloutissant l’usine Guérin. À ce moment, un disque noir, plus foncé sur les bords, apparaît dans le ciel, couvrant le soleil. Ce disque disparaît à 1 h. et demi du soir. Légère dépression du baromètre. L’oscillation diurne atteint ce jour 2 millimètres 8.

« Mercredi 7 mai. — À partir de 1 h. et demi du soir, on entend à Fort-de-France des coups sourds, suivis de roulements semblables au bruit du canon lointain. Les coups sont plus violents à partir de 2 h. et demi. Le phénomène se continue moins intense dans la soirée. De 2 heures à 3 heures du soir, la rivière Madame monte et descend toutes les cinq minutes, phénomène produit par la mer, qui s’abaisse et s’élève régulièrement. La dénivellation totale est de 25 centimètres. Mer calme.

« Jeudi 8 mai. — Éruption du volcan : pluie de cendres agglomérées et de roches siliceuses ; à l’hôpital militaire de Fort-de-France, une des roches tombées pesait 85 grammes. Toute la ville de Saint-Pierre est détruite et incendiée. La destruction est complète dans les quartiers du Centre. Les murs sont restés, en général, debout jusqu’au premier étage, dans les quartiers du Fort et du Mouillage. Tous les navires de la rade sont détruits ou incendiés. La catastrophe s’est produite à 7 h. 50 du matin, ainsi qu’en témoigne l’horloge de l’ambulance arrêtée à cette heure. La couche de cendres tombée ce jour atteint à Fort-de-France 6 millimètres.

« 17 mai. — Masse considérable de cendres se dirigeant lentement vers le Sud-Est, portée par les courants supérieurs et rendant le ciel obscur dans le secteur compris entre Nord et Sud-Est. Dans l’après-midi, les vents inférieurs ramènent du Nord-Est une partie des cendres. Hauteur à Fort-de-France : 1 millimètre.

« 18 mai — Très légère pluie de cendres vers 10 heures du malin.

« 20 mai. — Grande masse de nuages sombres venant directement du cratère, allant vers le Sud-Est, apparaissant à Fort-de-France à 5 h. et demi du malin, éclairs et tonnerre dans la nuée. L’avant de la masse, éclairée par le soleil levant, a des reflets d’incendie. Vers 5 h. 45, pluie de pierres anguleuses et noires, suivie aussitôt d’une pluie de cendres. Hauteur : 2 millimètres. Raz de marée au Carbet. »

Une note, maintenant, à propos de M. Mirville.

Cet officier du corps de santé colonial faisait partie de la commission instituée par le gouvernement pour étudier les phénomènes de l’éruption volcanique de la Montagne Pelée. Tous les autres membres de la commission sont morts, sauf lui. Pourquoi ? C’est bien simple. La commission ne devait se réunir à Saint-Pierre que le 8. Comme tous les membres, sauf M. Mirville, étaient à Saint-Pierre le 7, et que le gouverneur, M. Mouttet, désirait obtenir une communication[1] de nature à rassurer la population, la commission se réunit le 7 au soir. Quand cette réunion fut décidée, il était trop tard pour prévenir utilement M, Mirville, qui se trouvait à Fort-de-France. Le dernier bateau pour Saint-Pierre était parti.

Le lendemain 8, M. Mirville pensa qu’il arriverait à temps en prenant le bateau de 8 heures et non celui de 6 heures. Les passagers du bateau de 6 heures périrent tous. Ceux du bateau de 8 heures, lorsqu’ils eurent dépassé la pointe du Carbet, virent Saint-Pierre en flammes et rentrèrent à Fort de-France.

  1. Cette communication fut affichée le lendemain même à Fort-de-France, alors que Saint-Pierre était détruit déjà !