La Catastrophe de la Martinique (Hess)/02

Librairie Charpentier et Fasquelle (p. 3-6).


II

DEVANT LE VOLCAN


Sur rade de Saint-Pierre, au couchant.


La terre !… Il y a toujours, en fin du voyage, une impatience, un frémissement, quand on approche la terre. Les yeux scrutent, les lunettes fouillent l’horizon, cherchent entre le ciel et l’onde, là-bas, dans l’indécision des lointains, la tache un peu plus sombre qui, d’heure en heure, de mille en mille, se précisera, se dessinera, marquant le port…

Avec une impatience angoissée, dans une confusion de sentiments douloureux, nous cherchions à l’horizon la petite tache sombre qui, émergeant, grandissant, pointant, se devait éclairer des lueurs du volcan destructeur, pour nous montrer, au lieu du port accueillant et de ses joies, une ville morte, un cimetière et ses tristesses.

Inoubliable spectacle !


D’abord, ce fut très beau. Le jour tombait en lumières calmes dans ces vapeurs légères que les pluies jettent, comme une mousseline, sur les mers des tropiques, aux mois des hauts soleils.

Le volcan, 22 mai.

Les vagues étaient de pâle émeraude, les yeux que le poète voyait à la sage déesse, les yeux glauques de Minerve : c’était une mer très sage.

La terre. Un mont aux formes arrondies, harmonieuses ; un mont violet, de bleus clairs sur des pourpres claires ; un mont nimbé de nues qui semblaient du rose poudrant l’azur. Un pastel exquis de grâce délicate.

Ça, le volcan ?… cette chose jolie ?…

Mais nous approchions… en même temps que la nuit… dans la nuit.

Les tendresses colorées du paysage, aux détails précisés par l’ombre, devenaient des colères dures. La mer d’émeraude s’endeuillait. La montagne grandissait, noire, tragique : une menace.

Le volcan, 1er juin.

Elle n’était plus voilée de rose et de bleu. Elle était casquée, empanachée de fumées noires à taches rouges, de taches de sang. Et cela montait dans le ciel, très haut, lancé d’un souffle puissant…

Et nous approchions encore. Et c’était, aux flancs noirs de la montagne, de larges coulées blanches. Et puis, sous du noir encore, une tache blanche, très grande, longue, au fond du golfe…

Mais quels noirs !… quels blancs !… Je ne sais pas de mots capables d’en rendre la saleté livide, quelque chose de jamais vu, d’irrêvé, et que vous n’imaginerez point. Il n’était pas besoin de savoir que là-dedans, que là-dessus, quarante mille cadavres gisaient pour que cette vision parût effrayante. Nul mot, vous dis-je, pour vous en répéter l’horreur… blanche et noire.

Et jamais peintre ne trouvera, sur sa palette, ce qu’il y avait de lugubre, en ce noir, en ce blanc… sous les lueurs du volcan, sous ces lueurs qui, maintenant jaunes des boues et des cendres qu’elles portaient, verdissaient les bleus de la nuit.

Et nous approchions davantage. Nous passions plus près, tout près de Saint-Pierre, tout près de ce qui avait été Saint-Pierre.

Et alors, c’était plus que de l’horreur…

Le chaos. Des ruines blanches sous la nuit, des ruines qui semblaient une ville de tombes, et d’où nous venaient des puanteurs avec des cendres… Ce blanc, qui couvrait la montagne ; ce blanc, qui couvrait les ruines, suaire immense, tout ce blanc, d’un blanc que nos yeux n’avaient jamais vu, tout ce blanc, qui restait blanc dans la nuit, c’était les cendres, les cendres qui avaient tué…

Vision de cauchemar, de cauchemar affreux…

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L’heure d’après, nous arrivions sur rade de Fort-de-France. On y voyait des vaisseaux. Nous entendions, d’un haut bord, la Valse bleue. L’amiral dînait. Nous rentrions dans la réalité.

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