La Campagne coloniale des alliés en 1914 et 1915/02

La Campagne coloniale des alliés en 1914 et 1915
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 30 (p. 405-436).
◄  01
03  ►
LA CAMPAGNE COLONIALE DES ALLIÉS
EN 1914 ET 1915

II.[1]
LE CAMEROUN

Après avoir parlé de la conquête du Togo achevée par nous et nos alliés en l’espace de quelques semaines, si nous suivons les indications de la carte, nous apercevons le Cameroun. Ici, il n’est pas encore possible d’inscrire au profit de notre cause une victoire complète et définitive. Si le Togo mesure 87 200 kilomètres carrés, le Cameroun couvre une surface beaucoup plus grande, c’est-à-dire environ un demi-million de kilomètres carrés. Toutefois, une remarque s’impose à ce sujet. Il y a quelques années, un arrangement franco-allemand cédait à l’Allemagne une portion considérable des anciennes conquêtes de Brazza. Ce fut, en l’espèce, un agrandissement du Cameroun. Aussi convient-il, en parlant de cette colonie, de faire une distinction entre le vieux et le nouveau Cameroun. Des indications exactes quant à la superficie et à la population de cette colonie, accrue d’acquisitions récentes, nous manquent. La délimitation en effet vient à peine d’être faite, si même elle est réellement terminée. Je m’en tiendrai donc aux renseignemens de sources allemandes et se rapportant au vieux Cameroun. Elles doivent donc être considérées comme un minimum.

Le Cameroun, aimaient à dire nos ennemis, équivaut par son territoire à tout l’Empire allemand, la Silésie non comprise. Sa frontière du côté de la Nigérie n’était pas encore établie. Quant à ses limites d’avec l’Afrique équatoriale française, si elles résultaient de l’accord de 1911, il fallait encore en préciser la place sur les lieux mêmes. Le vieux Cameroun comptait en 1910 2 700 000 habitans, parmi lesquels 1 455 Européens, dont 1 311 Allemands.

Divisé en vingt-quatre provinces, celle de Garua, avec 530 000 habitans, et aussi celle de Kusseri, peuplée de 430 000 indigènes, en constituaient les deux parties administratives les plus importantes par leur population et leur étendue.

On remarquera peut-être avec un certain étonnement, que cette terre africaine soumise au pouvoir du Kaiser contenait une montagne dont l’altitude pourrait presque porter ombrage au roi des pics européens. Le mont Cameroun, en effet, mesure 4 070 mètres d’altitude. Sa base fortement boisée abrite, ainsi que tout le pays, une, faune variée. L’éléphant par sa masse se trouve à une des extrémités d’une liste très variée d’animaux. Chimpanzés et gorilles foisonnent dans les forêts ; la brousse cache des léopards d’un grand modèle et les rivières sans nombre servent toutes aux ébats d’alligators.

Cette vaste colonie, après les arrangemens de 1911, six ou sept fois plus grande que le Togo, se présentait à l’activité européenne comme une terre encore vierge de tous progrès. Elle affectait surtout dans sa pointe septentrionale la forme d’une canine gigantesque. C’était d’ailleurs, sans hyperbole, un des points d’appui principaux des visées allemandes d’outre-mer. En se servant du Cameroun comme d’une base solide, le gouvernement de Berlin comptait bien pouvoir dépecer en Afrique l’avoir d’autrui et s’attribuer, là comme partout, les dépouilles de ceux qu’il espérait réduire à sa merci.

Nous l’avons dit précédemment, ce fut en 1884 que l’explorateur allemand Nachtigall planta sur le Togo les couleurs de son pays. Vers cette date, c’est-à-dire en juillet 1884, le même voyageur pénétrait au Cameroun et déclarait cette terre désormais allemande.

En 1902, le lieutenant Pavel atteignit le grand lac Tchad, qui forme l’extrême frontière septentrionale du Cameroun. Il y trouva, il est vrai, non seulement les Anglais, mais encore les Français qui l’y avaient devancé.

Si, en général, le climat du Cameroun est plutôt sec, surtout de mai à octobre, la côte et le mont Cameroun comptent parmi les régions les plus humides du monde, à cause de l’abondance des pluies. C’est une des raisons pour lesquelles les forêts de ce pays sont malsaines à l’excès, raison qui contribue pour beaucoup à expliquer le caractère ardu et long de la campagne dont nous avons à exposer le développement, sans aller jusqu’à la conclusion qui n’est pas encore acquise, mais le sera prochainement.

La résidence du gouvernement général est à Buéa. Les Allemands avaient installé des écoles à Duala, Victoria, Garua et Jaundé.

Les fleuves principaux sont le Njong, le Kampo et la Sanga. C’est par la Sanga, affluent du Congo, que l’Allemagne avait accès à cet immense et si important bassin fluvial de l’Afrique.

Proportionnellement à sa surface, le Cameroun est moins bien desservi par les lignes ferrées que le Togo. Le rail réunit Duala à Edea ; son prolongement jusqu’à Widimenge était prévu. Ce projet réalisé, la distance totale de cette voie sera de 293 kilomètres. Partant encore de Duala, un autre chemin de fer gagne le mont Manenguba et mesure 100 kilomètres. Enfin ; une autre ligne, de beaucoup moins importante, complète le réseau ferré du Cameroun. C’est la ligne Victoria à Soppo, longue de 43 kilomètres.

En raison de sa situation géographique, le Cameroun se prêtait de notre part à l’application de la même tactique que le Togo,

A l’Ouest, la Nigerie trace une longue frontière anglo-allemande qui va de la mer à la pointe du lac Tchad et mesure à vol d’oiseau environ 1 100 kilomètres. Vers l’Est, la Franca était voisine de cette terre allemande. La frontière Sud-Est est surtout maritime. A l’Est, le Cameroun est voisin du Gabon français.

Avant d’entrer dans le détail des opérations militaires, voyons quelle en fut la préparation.

Dès la déclaration de guerre, le gouverneur de la colonie et le commandant des troupes coloniales se dirigèrent sur Duala en vue d’organiser la défense. Depuis le 6 août, des travaux défensifs étaient en voie d’exécution sur le bord extérieur des sommets du plateau de Joss, situé entre le fleuve Cameroun, depuis le mât du pavillon, à travers le jardin de l’administration, jusqu’à la partie postérieure du terrain occupé par les troupes coloniales. Des tranchées pour canons y furent creusées et quatre pièces d’artillerie placées à l’abri des balles. Deux pièces se trouvaient encore à Hoffmannswey, près du fleuve, sur la hauteur du champ de course et deux autres dans le jardin de l’administration. Des mines furent immédiatement fabriquées. On les immergea dans le fleuve à la barre intérieure. On fit de même à l’embouchure des différens affluens. De plus, le chenal de la barre fut obstrué au moyen de quelques bateaux coulés.

Suivant la Gazette de Colonie, sur 300 Allemands réunis à Duala, environ 80 seulement furent incorporés dans la troupe coloniale, à cause du manque de munitions et de fusils.

Nous avons de sérieux motifs pour mettre en doute cette affirmation.

On transféra l’hôpital officiel dans le quartier de Deido ; les femmes et les enfans y furent logés dans l’église catholique et dans d’autres maisons massives, afin qu’on pût les protéger éventuellement contre les coups de fusil. Une ambulance fut installée à Neu-Bell.

D’autre part, le ravitaillement des habitans de Duala était organisé. Les vivres placés dans un entrepôt central à l’intérieur ont été périodiquement envoyés à l’intendance.

Des mesures furent prises pour interdire la circulation aux gens de Duala, dont quelques-uns avaient servi de guides aux alliés lorsqu’ils atterrirent la première fois à Victoria et dans d’autres mouvemens dans l’estuaire du fleuve Cameroun.

Les Allemands firent évacuer les habitans du quartier de Deido.

Telles furent les préliminaires de la campagne en ce qui concerne l’ennemi.

La suppression des communications maritimes, la rupture des câbles allemands et la destruction du poste de télégraphie sans fil de Kamina firent, qu’à partir du 25 août 1914, les relations de l’ennemi avec sa colonie du Cameroun devinrent impossibles. Livrée à des suppositions, l’Allemagne croyait que, vu la disposition des frontières et la répartition des troupes, nous tenterions de pénétrer dans sa colonie en attaquant les quatre côtés du territoire afin de multiplier les champs de bataille.


De notre côté, en effet, nous avons entrepris les opérations contre le Cameroun à peu près simultanément sur les frontières terrestres du Nord, de l’Est et du Sud. Ce fut la tâche des troupes françaises du Tchad et de l’Afrique équatoriale, tandis que sur la côte un corps de débarquement franco-anglais prenait l’offensive.

Les troupes allemandes occupant le Cameroun comprenaient 11 compagnies et une escouade de police à effectif moyen de 125 hommes, plus 15 gradés indigènes. Ces unités furent, par l’appel des réserves locales, portées à 200 hommes. En outre on créa quatre détachemens de réserve du même effectif. Toutes ces troupes étaient solidement encadrées par les Européens résidant sur place, et pourvues de deux à quatre mitrailleuses par compagnie.

Les Allemands armèrent encore un assez grand nombre de partisans originaires du pays qui sont utilisés, soit à compenser les pertes subies par les compagnies régulières, soit à opérer par groupes isolés. Au total, on peut estimer les forces de l’ennemi à près de 5 000 hommes bien armés, abondamment pourvus de munitions, et dont l’instruction militaire était en général excellente. Sa parfaite connaissance du terrain lui a permis d’en mettre à profit toutes les difficultés naturelles, surtout les marécages qui s’étendent à l’Est et les forêts épaisses qui en couvrent les parties Ouest. Ainsi, les Allemands purent retarder la marche en avant de nos diverses colonnes par la défense énergique et bien préparée des points de passage. Un excellent réseau routier leur permet de se concentrer rapidement pour tomber à l’improviste sur nos colonnes isolées. En cas d’insuccès, ils pouvaient se retirer en s’éparpillant dans toutes les directions pour aller se reformer ailleurs, rendant ainsi illusoire toute tentative de poursuite.

Nous trouvons reproduites ici à notre détriment, mais sur un théâtre plus modeste, les difficultés qui, en Europe, guettent les Austro-Allemands dans leur lutte contre la Russie, maintenant en retraite dans les profondeurs de son territoire. Au Cameroun, au fur et à mesure que l’aire sur laquelle l’ennemi se meut semble diminuer, les obstacles augmentent pour nos colonnes. Nos lignes de communication atteignent un développement exagéré alors que l’ennemi opère de plus en plus facilement ses concentrations successives. Pour toutes ces raisons, le résultat décisif se produira lorsque l’ennemi ayant été peu à peu délogé de ses centres de réserve, nous le bloquerons sur les plateaux de l’intérieur et arrêterons son ravitaillement. Alors, la comparaison, que nous venons de faire avec les événemens de Pologne, sera renversée.


Dès le milieu du mois d’août, les gouvernemens anglais et français se mirent d’accord sur le principe d’une action concertée par mer contre la colonie du Cameroun. Un corps expéditionnaire fut constitué. Des troupes coloniales, prélevées sur les effectifs de l’Afrique occidentale française et sur ceux des colonies anglaises de la côte, c’est-à-dire en Nigérie et dans le Gold Coast, fournirent les élémens de cette colonne. « A raison des aptitudes spéciales » du général anglais Dobell, et aussi « à cause de sa connaissance complète des conditions topographiques du Cameroun, » le commandement suprême lui fut confié à la demande du gouvernement anglais. Il était entendu « que cette désignation ne devait avoir dans l’avenir aucun effet sur la manière dont il serait éventuellement disposé de cette colonie allemande. »

Le contingent britannique comprenait plusieurs milliers d’hommes. Il était accompagné de 10 canons légers de montagne.

Les forces françaises comportaient une batterie mixte d’artillerie de montagne à 6 pièces, 2 sections de mitrailleuses et un train de ravitaillement. A cet ensemble il fut adjoint, peu après, une section de chemin de fer de campagne.


Les opérations de 1914 furent précédées par l’heureuse intervention, sur la côte Ouest, du croiseur anglais Cumberland, sous les ordres du capitaine Cyril Fuller. Jaugeant 1) 800 tonneaux, armé de 14 pièces de 152, de 8 de 70 et de 3 de 47, ce navire détruisit, d’abord, deux steamers de rivière dans la baie de Biafra. Ce fut un résultat appréciable, car les bateaux coulés venaient de faire leur plein de munitions. En outre, le Cumberland s’empara de la canonnière Soden et de plus s’en servit activement contre l’ennemi. Enfin, 9 bateaux marchands furent encore capturés. Ils représentaient un total de 30 000 tonnes. Leur prix valait un peu plus de dix millions de francs.

Sur ces entrefaites, les troupes du corps expéditionnaire avaient été concentrées dans les différens ports de la côte. Des transports vinrent les y prendre. Convoyés par des navires de guerre français et anglais, ils arrivèrent à l’embouchure de la rivière Cameroun le 22 septembre 1914.

D’abord, il fallut préparer le débarquement. Après avoir repêché les mines, on enleva les épaves. Restait à repérer le chenal. Dès le 26 septembre, le Challenger commença le bombardement de Duala pour couvrir la tentative de mise à terre de nos troupes dans la crique Dibemba. Le même jour, le commandant allemand rendit sans conditions les villes de Duala et de Bonaberi, situées au fond de l’estuaire. L’ennemi s’était déjà retiré vers l’intérieur, emportant la plus grande partie de ses approvisionnemens. Le débarquement dura jusqu’au 3 octobre.

Dès son installation à Duala, le premier objectif du général Dobell fut de se donner de l’air au Nord et au Nord-Ouest. Son but était de diminuer la pression que les compagnies allemandes de Bamanda faisaient sentir sur les frontières de la Nigeria. En effet, l’ennemi s’était, de ce côté, avancé en territoire anglais afin de contrarier l’envoi par voie de terre de renforts aux troupes expéditionnaires.


Considérons maintenant l’action du contingent britannique.

Le colonel Georges, en partant de Duala, se dirigea vers Jabassi avec un détachement composé de 100 marins, 1 bataillon et demi de tirailleurs et une batterie d’artillerie. Cette colonne remonta le Wuri sur des chaloupes et débarqua devant Nsake, à 3 kilomètres au Sud de Jabassi. Le 9 octobre, ce poste était attaqué, mais sans résultat. La troupe alliée dut même se replier. Elle se réembarqua non sans difficulté et revint à Duala le 10.

Le 14, on tenta un nouvel effort et, cette fois, avec un succès complet. Les Allemands se retirèrent sans avoir offert de résistance sérieuse, Un bataillon occupa Jabassi, tandis que le reste du détachement rentrait à Duala. Ainsi, non seulement les Alliés s’étaient installés sur la côte, mais ils progressaient déjà vers l’intérieur. Dans cette première avance, ils s’étaient servis d’une vallée fluviale comme voie de pénétration.

Une seconde colonne, commandée par le lieutenant-colonel Ilaywood, fut lancée sur Susa dont elle s’empara, ainsi que de Kake, le 9 octobre.

Après s’être d’abord retiré, l’ennemi manifesta une certaine activité dans cette région. En conséquence, des renforts furent envoyés aux Anglais, qui purent alors occuper Mujuka, sur la ligne du chemin de fer, et refouler les Allemands vers Mundame. Ces deux opérations terminées, le bataillon resté à Jabassi recula pour s’installer solidement à l’embouchure de la Dibemba.

Une troisième colonne fut formée à Duala. Elle avait pour objectif Mpundu — Ekona — Buca, pendant que le colonel Georges, dont la troupe était renforcée par une compagnie de tirailleurs sénégalais, se dirigeait sur Victoria situé à l’Ouest de Bonaberi. Les alliés devaient dégager le Mont-Cameroun. Pour cela, il fallait l’attaquer à la fois par le Nord et par le Sud. Ce résultat fut obtenu sans peine, car les Allemands, après avoir brûlé quelques cartouches, évacuèrent la position.

Le 13 novembre, le croiseur français Bruix et le navire anglais Ivy bombardèrent Victoria, puis mirent à terre une compagnie de fusiliers marins, qui s’emparèrent du siège du gouvernement.

Le 16 novembre, la zone Victoria, Buca, Mujuki, Jabassi était complètement libérée.

Dès ce moment, le corps expéditionnaire avait ainsi obtenu, d’abord, la base qu’il cherchait dans le Cameroun. S’appuyant sur cette acquisition, il avait progressé vers le Nord et vers l’Ouest. Dès lors, l’occupation de Duala et de Bonaberi se trouvait assurée. Enfin les troupes allemandes qui inquiétaient les frontières de la Nigérie anglaise, voyaient leurs incursions sous le coup d’une riposte prochaine.

Ces résultats acquis, il fallait les consolider en élargissant la zone débarrassée des Allemands. Une forte reconnaissance comprenant 3 bataillons et 2 batteries se dirigea vers l’intérieur en suivant le chemin de fer à partir de Mujuki. Elle parvint facilement à Lum et, après avoir repoussé une forte attaque au pont de Nlohe, atteignit Nkongsamba, point terminus de la voie ferrée. Le 10 décembre, Bare tombait en son pouvoir.

Tandis que ces événemens se déroulaient, une flanc-garde destinée à protéger le mouvement de cette colonne principale remontait vers le Nord-Ouest, en suivant la Dibemba, sans rencontrer d’opposition.


De leur côté, les Français, opérant seuls, ne restaient pas inactifs.

Choisissant aussi comme but le dégagement de Duala, mais cette fois par le Sud, tandis que les Anglais avaient agi vers le Nord, le contingent français, à part 3 compagnies restées à Duala, tenta d’occuper Edea au Sud-Est de Duala sur les bords de la Sanga. Il fallait d’abord forcer le passage de Japona dont le pont avait été démoli. L’adversaire opposa une résistance acharnée et, solidement retranché sur l’autre berge, il empêcha les nôtres de traverser. Ce fut alors que, le 4 octobre, le colonel Mayer décida de tourner les Allemands en franchissant la rivière à Peltibey, en amont de Japona. Deux compagnies s’en chargèrent, tandis qu’une batterie et deux canons à tir rapide anglais furent amenés en face des débris du pont.

Cette fois, l’attaque réussit, mais le demi-bataillon ne put avancer sur la voie ferrée, à cause des marécages et d’une impénétrable forêt qui barrait le chemin qu’il fallait suivre.

Le 6 octobre, le passage de la rivière est tenté de vive force sous la protection de l’artillerie. Les tranchées ennemies sont enlevées. Une tête de pont est organisée à Japona, tandis qu’un bataillon rentre à Duala. Le 15, la marche sur Edea est reprise. Tandis qu’une première colonne transportée par mer doit débarquer à Dehane, la colonne secondaire suit la voie ferrée de Japona à Edea. Le 25, la colonne principale est concentrée à Dehane. Objet d’une violente attaque, elle la repousse. Il était impossible d’exécuter un mouvement tournant à cause des fourrés impénétrables qui cernent la route de toutes parts. Les nôtres enlèvent les tranchées qui barraient la route et qu’il fallait bien attaquer de front. Enfin, le 26 octobre, la colonne arrive à Edea. De son côté, le contingent secondaire, après avoir bousculé l’ennemi, y arrive lui aussi deux jours après.

À ce moment, il fallait dégager la ligne Edea-Dehane-Longji, et chasser les Allemands de la région côtière où ils manifestaient une activité particulièrement gênante. Pour cela, 2 compagnies sénégalaises furent débarquées sur la côte, très au Sud, à Kribi, qui avait été bombardé dès le 10 octobre. En parlant de cette base, elles devaient faire leur jonction avec deux autres compagnies venues d’Edea à Dehane, tandis qu’une canonnière transportant des marins remontait la rivière Lokundji dont l’embouchure se trouve au Nord de Kribi. Les compagnies d’Edea furent violemment attaquées le 27 novembre à 10 milles au Nord de Dehane. Les pertes furent sérieuses et nous obligèrent à un retour vers Edea. De son côté, le détachement débarqué à Kribi éprouvait beaucoup de difficultés pour avancer. En fin de compte, nos troupes reçurent l’ordre de rentrer à Kribi.


Tous ces événemens ont vu arriver la fin de 1914. L’année nouvelle apportait au corps expéditionnaire une tache sans doute déjà bien ébauchée, mais encore très dure.

Depuis le commencement de 1915, les opérations d’offensive Contre le Cameroun se sont poursuivies activement. Le contingent anglais, d’abord, suivant les indications du général Dobell, reçut pour mission de dégager complètement le chemin de fer du Nord. Pour cela, il entreprit l’attaque de Dschang. C’était une station importante, car elle servait de base à l’ennemi pour inquiéter les postes anglais de Bare et de Nkongsamba, conquis, comme nous l’avons vu, dans la première partie de la campagne.

Le colonel Georges, parti de Bare, put à la suite d’un vif combat s’emparer de Dschang le 2 janvier. Après avoir complètement détruit le poste, la colonne rentra à Nkongsamba. Menant une offensive hardie, les Alliés ne s’en tinrent pas à cette attaque. En examinant la situation géographique des frontières du Cameroun, nous avons fait ressortir la possibilité de les attaquer par les quatre points cardinaux. En effet, deux détachemens, constitués dans la Nigérie, agirent immédiatement le long de la frontière Nord-Ouest.

La colonne dite d’Ikom, comprenant 6 compagnies, occupa Ossidinge au Nord-Ouest des localités de Dschang, Bare et Manenguba dont, comme on le sait, les troupes parties de Duala s’étaient emparées. La direction dans laquelle s’engageait ce contingent nigérien rattache son action à celle des premières opérations dont nous avons déjà parlé. Après la prise d’Ossidinge, à cinquante kilomètres environ de la frontière, le premier soin de nos alliés fut d’en consolider les fortifications. Ensuite, se dirigeant vers Tnito, au Sud, ils en délogèrent l’ennemi. Celui-ci se retira vers Bamenda. Une seconde colonne forte de 2 compagnies, concentrée plus au Nord, à Takum, rejeta les Allemands au-delà de la frontière. Elle avait été, d’abord, moins heureuse car, en octobre 1914, les Allemands l’avaient obligée à battre en retraite en pénétrant eux-mêmes en territoire anglais.

Depuis lors, ces deux détachemens ne semblent pas avoir progressé. Il paraît probable que les Allemands ont pu se renforcer, car, au commencement d’avril, est parvenue l’annonce d’un combat important litre dans cette région et occasionnant aux Anglais des pertes sensibles.

En définitive, l’action du corps anglais, nettement séparé du détachement français, a eu surtout pour but de déblayer les environs de Duala où étaient installés le général Dobell et son quartier général et de dégager la frontière du Nigeria. La contrée ainsi occupée et désormais libre de la présence de tout ennemi a pour limite une ligne partant de Ikom et passant par Ossidinge, Tinto, Bare, Jabassi, Edea et le cours inférieur de la Sanga.

Dans ces opérations, les troupes du général Dobell avaient affaire, suivant les renseignemens parvenus, à 4 compagnies et à 2 détachemens de réserve, soit environ 1 200 hommes auxquels se sont joints des partisans dont le nombre peut être évalué à 4 ou 500.


Tandis que ces événemens se passaient, le 5 janvier, la colonne Mayer fut violemment heurtée à Edea par un parti ennemi, fort de plus de 800 hommes, dont 100 Européens. Profitant d’un brouillard épais, celui-ci s’avança en plusieurs fractions jusqu’auprès des sentinelles, sans être vu. Le poste de la mission catholique situé à l’Ouest, craignant d’être tourné, dut se replier momentanément. Heureusement, le feu de notre artillerie rendant intenables les bâtimens de cette mission, nous pûmes les réoccuper après trois heures de combat.

Au Sud, l’ennemi tente l’assaut des premières tranchées, mais il est repoussé avec de grosses pertes.

Sur ces entrefaites, vers l’Est, le blockhaus de la route de Jaundé, défendu par 20 Sénégalais, cloue sur place une compagnie et demie et l’oblige ensuite à reculer. Au bout de quatre heures de lutte, l’ennemi était en pleine déroute. Une poursuite ardente jetait le désordre dans ses rangs. Nous avions eu dans cette affaire 4 tués et 11 blessés contre une perte pour l’ennemi de 20.Européens, dont on trouva les cadavres, et une soixantaine d’indigènes. Il fallut s’en tenir là, parce que l’ennemi, s’engageant dans la forêt très épaisse et par des sentiers inconnus des nôtres, se fractionna en de petits détachemens.

De son côté, le contingent qui occupait Kribi, sur la côte, cherchait a se dégager. À cette fin, il envoyait de fortes patrouilles dans toutes les directions. Le 24 janvier, un bataillon anglais vint le relever, ce qui lui permit de retourner à Edea.

La colonne Mayer se trouva bientôt renforcée par la concentration de tous ses élémens. Ceux qui avaient été laissés à Kribi, ceux qui avaient été retenus à Duala, enfin l’arrivée d’une nouvelle compagnie, venue de Dakar, permirent une reconstitution solide. Elle put continuer sa marche en avant dès le commencement d’avril.

La coordination entre les opérations du corps expéditionnaire franco-anglais et celles des colonnes de l’Afrique équatoriale française, fut décidée au cours d’une entrevue du gouverneur Fourneau et du général Dobell au commencement d’avril. Deux colonnes furent formées dans cette intention. La première comprenait des troupes françaises avec de l’artillerie, dirigées par le colonel Mayer ; la seconde était constituée de troupes britanniques, envoyées par le général Dobell pour renforcer et flanquer la colonne Mayer. L’objectif de celle-ci se trouvait à l’Est. C’était Esseka sur le chemin de fer d’Edea à Zaounde et ensuite Zaounde même.

Pour aller d’Edea à Esseka, les Français empruntèrent la plate-forme de la voie ferrée en construction. Le corps anglais suivit au Nord la route parallèle à la voie ferrée.

Tout se présenta d’abord favorablement. Le 14 avril, tandis que notre détachement force le passage de la rivière Kele, au pont de la voie ferrée, les Anglais chassèrent l’ennemi du pont de la N’Give sur la route de Yaounde. Le 4 mai, la colonne anglaise du lieutenant-colonel Haywood s’empare de la position de M’Bêla sur la route de Yaounde à 75 kilomètres d’Edea., Le 6 mai, les troupes françaises du commandant Mechet s’emparent de Sende, sur la voie ferrée, à la même distance d’Edea. Après un ralentissement de l’action ordonné par le général Dobell, afin de rester en coopération avec les forces de l’Afrique équatoriale française, la colonne Mayer reprend sa marche en avant vers le 10 mai et le 14 s’empare brillamment d’Esseka, où elle trouve un matériel de guerre et de chemin de fer important.

Au mois de juin, les Français opèrent sur la route leur jonction avec le corps allié et s’emparent de positions successives à l’Est de Wumbiagos, où l’ennemi s’était retranché. Celui-ci parvint cependant à couper notre ligne de communication et à enlever un convoi de ravitaillement. La troupe fatiguée par ces opérations pénibles et affaiblie par un état sanitaire médiocre est rappelée à l’Ouest de la ligne Kele-N’Give, que l’on renforce. Le 18, l’ennemi attaque N’Give, mais il est repoussé.

Depuis, la colonel Mayer a dû se résoudre à une offensive locale sur la ligne de la Kele. C’est là une position d’attente, jusqu’à ce que la fin de l’hivernage lui permette de reprendre la marche en avant. En attendant, le commandement a fait occuper Dehane au Sud-Est d’Edea. Ainsi le dégagement de Duaba, d’abord réalisé au Nord-Ouest, vers la Nigérie, s’était complété par notre action dirigée au Sud-Est.


Après avoir exposé l’action de nos troupes sur le front Sud-Ouest, c’est-à-dire le rôle du corps de débarquement, puis sur la frontière nigérienne à l’Ouest du Cameroun il nous reste à dire le rôle des troupes du Tchad et de l’Afrique équatoriale française. Cela nous conduira sur la longue frontière de l’Est, d’abord, et aussi sur les limites du Gabon au Sud de la colonie attaquée.

Considérons, d’abord, les effectifs provenant du Tchad.

Le 25 août, le colonel Largeau tenta une première attaque du poste allemand de Kousseri. C’était un blockhaus faisant face au fort Lamy. Une pluie torrentielle transforma le terrain en marécages et provoqua l’échec de cette entreprise.

Le 20 septembre, elle fut renouvelée, mais cette fois avec deux canons de montagne du calibre 80. Le fortin fut démoli. Sur ces entrefaites, le poste de Lai sur le Logone, dont les Allemands s’étaient emparés le 21 août, était réoccupé.

Le résultat de ces opérations fut de nettoyer la rive gauche du Logone. Les Allemands durent se retirer sur Mora.

De son côté, un détachement anglais, venu de Maidyari, occupait Dikea, puis se portait sur Mora où il éprouvait d’ailleurs un sérieux échec.

Au début d’octobre, le lieutenant-colonel Brisset prit le commandement de forces soutenues par deux canons de montagne de 80, à laquelle s’adjoignit un détachement britannique sous les ordres du capitaine Fox. Celui-ci après son insuccès avait dû se retirer vers le Nord.

Une nouvelle tentative fut faite sur Mora. Elle échoua parce que les tirailleurs ne purent atteindre le sommet de la position ennemie. Mora était un poste fortifié sur une colline escarpée, et d’accès très difficile.

Des hommes de renfort sont envoyés au colonel Brisset. Après en avoir laissé 200 devant Mora, il se porte à la rencontre des contingens allemands signalés comme venant de Garua et montant vers le Nord au secours de la garnison. Alors, les Allemands se retirent jusqu’à Garua, position bien organisée et commandant une route importante vers le Sud de la colonie.

D’autre part, un détachement anglais venu de Yola, en Nigérie, avait, dès le mois d’août, tenté une attaque contre Garua. Repoussé avec pertes, il n’avait pu reprendre l’offensive.

D’accord avec les autorités locales, ce détachement est placé sous les ordres du colonel Brisset avec lequel il devait faire sa liaison. Mais, par suite de l’inconsistance de ses tirailleurs encore sous le coup de l’échec éprouvé en août, le commandant anglais ne veut pas s’aventurer en territoire ennemi et reste près de Yola, en attendant que le corps français soit arrivé devant Garua. Ce fut dans ces conditions que, réduite à ses propres moyens, la colonne française s’avança vers cette localité qu’elle atteignit le 13 février. Avant que sa liaison fût assurée avec le détachement britannique, la garnison de Garua se porta à sa rencontre à Yamboutou, à quatre kilomètres au Nord-Ouest de Garua. Dans-un engagement très violent, les Allemands lui infligèrent des pertes assez élevées pour l’obliger à la retraite. Le colonel Brisset put, cependant, se rabattre sur le Sud, franchir la Bénoué et rejoindre les Anglais, qui n’avaient pas bougé.

En attendant, à Garua sont concentrées quatre compagnies ennemies pourvues de mitrailleuses et de canons. De plus, profitant du répit qui leur était laissé, les adversaires se fortifièrent. La conséquence ne pouvait en être que de rendre plus difficile le siège de Garua, qui reste une opération de nature longue et pénible.

En plus de ses deux canons de montagne, le colonel Brisset reçut un canon de 95 venu de Dakar. De son côté, le gouverneur de la Nigérie envoya un canon de marine. La prise de Mora, désormais étroitement bloquée, n’était plus qu’une question de jours. En effet, elle tomba en notre pouvoir le 12 juin, nous livrant ainsi un solide point d’appui dans le Nord et privant l’ennemi d’un appoint d’autant plus utile à sa cause qu’elle était plus que jamais compromise dans les autres parties du pays. Sur une garnison de 500 tirailleurs, 200 furent faits prisonniers et envoyés à Yola, tandis que les 300 autres, mettant à profit l’obscurité de la nuit, gagnèrent la brousse. Les prises furent de 200 fusils, 40 mitrailleuses, 4 canons, 700 obus et 80 000 cartouches.

La colonne franco-anglaise s’est alors dissoute. Le contingent britannique fut envoyé sur la frontière Ouest. Quant aux Français, ils gagnèrent Ngaundere.


Il faut examiner maintenant quel fut le rôle des troupes de l’Afrique équatoriale française et ainsi nous descendrons plus au Sud-Est, sur le théâtre des opérations.

Les entreprises de ces troupes ont été de beaucoup les plus importantes, non pas tant à cause de leur nombre, mais, ce qui compte surtout, par la valeur des résultats obtenus.

Dès la période de tension politique qui précéda l’ouverture des hostilités, les autorités locales se préoccupèrent d’assurer à tout prix la liberté des communications entre Brazzaville et Bangui.

On n’a pas oublié que l’Allemagne, par la Convention de 1911, était parvenue à atteindre le fleuve Congo Poursuivant l’exécution d’une arrière-pensée d’accaparement, elle avait exigé la cession de deux pointes de territoire qui la rapprochaient du Congo belge. Depuis, le baron Beyens, qui vient de prendre la direction des Affaires étrangères belges, nous a révélé, dans sa contribution au vivre Gris, les réelles intentions du gouvernement allemand, M. de Jagow, à la date d’avril 1914, voulait provoquer une entente franco-anglo-allemande en Afrique contre la Belgique. Sous prétexte de chemins de fer à construire et à raccorder de concert, il n’était question de rien moins que de procéder au partage du Congo belge.

Tirant de leur acquisition nouvelle des avantages militaires immédiats, les Allemands, dès la déclaration de guerre, concentrèrent leurs troupes à Bonga et à Zuiga. Le premier but à réaliser, sans aucun retard, devait donc être pour nous l’occupation de ces deux postes. Pour cela, deux colonnes furent aussitôt préparées, l’une à Mossaka et l’autre à Bangui.

Les Allemands avaient, dès les derniers jours de juillet 1914, violé le principe de la neutralité conventionnelle du Congo. Ils avaient fait circuler sur le fleuve une canonnière armée qui arrêtait toutes les chaloupes et les pirogues descendant le fleuve. De plus, ils faisaient recruter par leurs émissaires des tirailleurs jusque sur le territoire belge. Dans ces conditions, l’accord international qui garantissait cette neutralité étant rompu par un des contractans, nous étions libres de nos mouvemens contre lui.

D’autre part, pour assurer la défense du Gabon, deux autres colonnes furent réunies à Milzio et à M’Vadhi : elles avaient pour objectif de surveiller les forces ennemies d’Ozem et d’Aloayui.

A la nouvelle de la déclaration de guerre, ces colonnes agirent indépendamment les unes des autres et sur des théâtres d’opérations différens. Il convient donc d’exposer séparément leur rôle, en faisant déjà remarquer toutefois qu’au cours des événemens ultérieurs, ces offensives séparées, en atteignant petit à petit le but fixé à chacune d’elles, se sont fondues dans une action générale dont toutes les parties sont parfaitement coordonnées.

Nous examinerons d’abord le rôle de la colonne de la Sanga.

Un détachement de tirailleurs, accompagnés d’une pièce de 47, s’était porté dès le 2 août à Mossoke. Quatre jours après, il reçut la nouvelle des hostilités. Immédiatement, il s’empara du poste allemand de Bonga, dans lequel furent trouvés 150 mausers et un important approvisionnement de munitions. Bientôt, ce détachement fut renforcé de 4 pièces d’artillerie. Il convenait de consolider notre base d’opérations à l’embouchure de la Sanga et de pouvoir secourir éventuellement Ouesso. Quittant Bonga le 19 août, ce corps était rejoint à Pikunda par un fort parti venant d’Etoumbi et parvenait à Ouesso le 31. Entre temps, ce poste, défendu par 17 Européens, colons de factorerie et 20 miliciens, avait été enlevé, le 21 août, grâce à une surprise. Les Européens s’étaient mis à table sans prendre la précaution de se faire garder. Ils ne purent même pas se défendre. Seize d’entre eux furent massacrés sur place avec des raffinemens de cruauté inimaginables.

Dès le 25 août, les Allemands recevaient la nouvelle de l’avance de la colonne française. Aussitôt, ils se replièrent sur le N’Goko. Notre colonne les suivit. Sous le commandement du lieutenant-colonel Hutin, elle arriva le 11 septembre devant Tibundi. Là, un parti allemand s’était fortement organisé. On ne put pas l’enlever. La colonne revint à Ouesso. Elle avait laissé à N’Gabi, pour couvrir Ouesso, un poste important. Violemment attaquée, la garnison de N’Gabi dut se replier à son tour sur Ouesso.

La vallée de N’Goko présentant de front une trop forte résistance, à cause des difficultés d’un terrain souvent impraticable et, aussi, de l’importance des effectifs ennemis qui s’y trouvaient, le général commandant décida d’avancer en amont de la Sanga. Ainsi, Nola était prise comme objectif. Le but était d’entrer en liaison avec la colonne Morisson. Celle-ci, partie de Zinga, remontait la Lobaye. En cas de succès, les nôtres réoccuperaient ainsi la plus grande partie des territoires cédés en 1911.

Le colonel Hutin laissa des hommes, qui furent renforcés de troupes venues de Brazzaville, à la garde d’Ouesso. Puis, avec 4 pièces d’artillerie, il enleva Djemba, à 60 kilomètres au Nord d’Ouesso ; 60 hommes furent retirés d’Ouesso pour occuper Djemba ; ensuite, les troupes reprirent leur marche vers Nola. C’est là que s’était retranchée la 6e compagnie allemande, après avoir fui de M’Baiki à l’approche de la colonne Morisson.

Arrivés là, les Français engagèrent immédiatement une action très vive, couronnée d’un plein succès. Nos obus explosifs jetèrent la panique dans les rangs des tirailleurs allemands. Le 23 octobre, une partie de la garnison de Nola se rendit. Le reste s’enfuit vers le Nord. En fin de compte, nous avions mis la main sur 3 officiers, 2 sous-officiers, 14 tirailleurs, 2 mitrailleuses et 1 canon de 37.

Le 8 octobre, Djemba fut attaquée par l’ennemi, venu en suivant la N’Goko avec 150 hommes et 2 mitrailleuses. La garnison française du poste ne comptait que 60 hommes. Elle opposa une défense héroïque. Malgré cela, ses munitions s’épuisant, elle dut battre en retraite, profitant de la nuit, et se dirigea sur Ouesso, tandis qu’une patrouille envoyée à Nola prévenait le colonel Hutin. La position de cet officier devenait critique. Il était menacé de voir ses communications avec Ouesso coupées. Ce fut alors que, laissant 100 hommes à Nola, il redescendit la Sanga avec la ferme décision de forcer le passage. Heureusement, le général Aymerich, commandant supérieur des troupes de l’Afrique équatoriale française, arrivé à Ouesso le 21 octobre, se rendit compte de la situation. Il était venu sur les lieux pour inspecter la Sanga. Se portant au secours du colonel Hutin avec une partie de la garnison d’Ouesso et 135 mitrailleurs belges, accompagnés d’un canon de 47 Nordenfeld, d’un canon Krupp et d’une mitrailleuse, le 26, il embarqua ses troupes sur deux steamers de rivière. Le vapeur belge Luxembourg et le Commandant-Lamy, des Messageries fluviales, étaient à quai, prêts à être utilisés.

Le lendemain, la rencontre se produisit. L’ennemi était fortement retranché à N’Dzimou. Le combat fut acharné. La colonne franco-belge dut se replier à Ouesso. Mais, quelques heures après, les Alliés revenaient à la charge. Après deux jours de lutte violente, l’ennemi se retira à son tour, car il venait d’apprendre l’approche de la colonne Hutin : il allait se trouver pris entre deux feux.

Le groupe franco-belge avait subi des pertes sérieuses : 2 Européens et 3 indigènes étaient tués et 56 blessés. La petite colonne belge avait perdu 3 tirailleurs tués et 11 blessés. Mais les Français étaient maîtres de tout le cours de la Sanga, les Allemands s’étant retirés vers N’Goko.

A peine la jonction s’était-elle faite entre le corps commandé par le général Aymerich et la colonne Hutin que celle-ci reçut l’ordre de reprendre la marche dans la vallée vers le N’Goko. Il fallait ne pas perdre le contact avec l’ennemi. Un nouveau détachement de 225 tirailleurs belges était mis à la disposition des Français par le gouverneur général du Congo belge. Le transport des troupes eut lieu par voie fluviale. Des chaloupes allaient à la file indienne sous la protection des flancs-gardes. Celles-ci marchaient parallèlement l’une à l’autre sur les deux rives.

Le 26 novembre, la colonne rencontra les Allemands. Ils étaient fortement établis à Molundu.

Un groupe belge avec 3 canons s’établit sur la rive droite vis-à-vis de Molundu, qui est bombardé. Sur la rive opposée, une compagnie se retranche face à l’ennemi devant la Malapa pendant qu’une autre troupe remonte cette rivière, la franchit à 3 kilomètres en amont et se porte vers le Nord de Molundu.

Le 4 décembre, l’ordre de l’attaque générale est donné. Nos compagnies avancent sur la gauche du cours d’eau. Mais les Allemands ont envoyé en amont sur la rive droite de la N’Goko des hommes qui prennent à revers la compagnie qui s’y trouve installée. Nos tirailleurs se replient vers la flottille, laissant aux mains de l’ennemi deux canons de 47.

Cet incident malheureux provoqua une retraite générale. La colonne entière se rejeta sur Tibundi, tandis que des patrouilles ennemies ne cessaient de la harceler.

Le 19, l’opération est reprise. Cette fois, la tactique fut différente : 3 colonnes par voie terrestre et la flottille marchant de pair réalisèrent un encerclement complet. Les Allemands se retirèrent dans la nuit du 22. Les 2 canons qui nous avaient été enlevés peu de jours avant furent retrouvés et, quoiqu’ils eussent été jetés à l’eau, on put les remettre en état.

Tous ces événemens n’avaient pas été sans affaiblir considérablement la colonne Hutin. Elle avait perdu beaucoup d’hommes au cours de tant de combats En outre, obligée de séjourner sans aucun abri dans la vase de cette région marécageuse, tandis que tombait une pluie torrentielle, quand vint le moment de poursuivre l’ennemi en fuite, ses forces n’y purent suffire. Les Allemands parvinrent donc, se partageant en deux groupes, à gagner les uns la direction de Lomie, les autres celle de Yokodume.

Deux compagnies, sont laissées en garnison à Molundu. Le reste de la colonne rentre à Ouesso.

A la fin de janvier, après une période de repos, le corps du colonel Hutin se remet en marche vers Yokodume, qui est occupé sans coup férir le 2 février.

Du côté de Suanque-Eva, l’ennemi formant de nombreux rassemblemens, le premier objectif du colonel Hutin devait être de disperser ces groupes dont les attaques gênaient sa liaison avec la colonne de M’Vadhi. De concert avec celle-ci, il entreprit ensuite un mouvement offensif du Sud au Nord sur Lomie, puis vers Dume-Station, devant lequel se trouvait la colonne Morisson.


Après un temps d’arrêt provoqué par la difficulté d’assurer un service de ravitaillement complet et rapide, le colonel Hutin reprend l’offensive avec Lomie comme objectif, dès le milieu du mois de mai.

Il y eut alors une série d’engagemens très violens, suivis de combats de nuit du 21 au 31 mai. La colonne partie de N’Goko refoule l’ennemi de positions en positions et, finalement, le réduit à capituler dans Monso, situé à deux jours de marche à l’Ouest de N’Goko. Neuf Européens furent faits prisonniers, ainsi que 12 tirailleurs. Un matériel assez important tomba aux mains des Français, entre autres 2 mitrailleuses, des munitions abondantes et des élémens de correspondance.

La colonne Mutin continue sur Besam.

Entre temps, une compagnie de 170 soldats part de Yakodume pour rejoindre Assobam. Un détachement belge assure la liaison avec la colonne de la Lobaye, dont le but reste Lomie.


* * *

En suivant l’ordre que nous avons choisi pour sérier les différentes parties de cette campagne, examinons maintenant quel fut le rôle de la colonne de la Lobaye.

Sous le commandement du colonel Morisson, un corps français s’empara de Zinga, dans la nuit du 7 au 8 août. Aussitôt, avec deux compagnies et pour prévenir tout retour offensif de l’ennemi, le colonel marcha sur le poste de M’Baïki, défendu par la 6e compagnie allemande et l’occupa sans coup férir.

Des pluies incessantes venaient de déterminer une crue de la Lobaye, la rendant infranchissable. Aussi fallait-il se borner à l’occupation des points stratégiques les plus importans. Mais ce repos forcé fut mis à profit pour augmenter et organiser les effectifs avec lesquels le colonel Morisson comptait prendre l’offensive.

Le 9 octobre, traversant la Lobaye à Kolongo, les troupes françaises se portaient sur la Sanga. Le passage en était solidement défendu. Il s’y trouvait, en effet, 100 fusils ennemis retranchés dans un ouvrage situé sur la rive droite. Un parti de 60 hommes franchit la rivière en aval, attaque le blockhaus de liane et force l’adversaire à la retraite. Le gros de la colonne marche sur Koumbe, tandis qu’une reconnaissance est chargée de la surveillance des abords de Carnot.

D’autre part, un second détachement se dirige vers Baronde, afin de recueillir des renseignemens sur la colonne de la Sanga.

Le 16 octobre, Koumbe est occupé. Une demi-compagnie est dépêchée à Carnot, dont la garnison est signalée comme ayant commencé à passer la Sanga. Les deux troupes se rejoignent devant Carnot, après avoir bousculé quelques patrouilles ennemies envoyées pour masquer la retraite des Allemands. Ceux-ci s’efforcent de gagner Goza, où doivent les rallier les débris de la 0ecompagnie battue à Nola. Les nôtres les poursuivent, mais s’arrêtent à Abba en apprenant que la 5e compagnie allemande, contournée à Bouar, a quitté le poste pour se replier sur Goza.

De son côté, le détachement Alliez, constatant la retraite de la 6e compagnie, se lance à sa poursuite, la rejoint à Beaon entre Bania et Goza et lui inflige des pertes sensibles. Ce fut ainsi qu’il arriva devant Goza où il retrouve l’avant-garde de la colonne Morisson et un autre détachement. Grâce aux renforts et par l’union de tous leurs moyens dans une seule action, les nôtres brisent la résistance de l’ennemi et s’emparent de Goza. Les Allemands fuient une fois de plus et gagnent Baturi.

Devant ce parti, le colonel Morisson rallie ses différens détachemens, puis prend la direction de Baturi. Dès le 15 novembre, nos avant-postes occupent la rive gauche de la rivière Boumbell, affluent de la Kuddéi. Une fraction tient Berke et marche contre Baturi en appuyant sa gauche sur la Kaddéi et la Boumbe, afin de prendre de flanc les ennemis postés en bordure des deux rivières. Du 3 au 8 décembre, elle livre combat tous les jours, refoulant devant elle une compagnie accompagnée de 2 mitrailleuses. Celle-ci bataille le jour et se replie la nuit. Elle arrive enfin devant Baturi le 9 au soir. Sur ces entrefaites, nous forçons le passage de la Kaddéi à Boubare avec trois pièces de 80. Une compagnie allemande tenait la rive droite de la Kaddéi. Menacée par un mouvement tournant, elle s’enfuit en laissant un grand nombre de blessés, et, vivement pressée, elle regagne Baturi.

Le colonel Morisson y arrive le 9 au matin. Mais les Allemands, désemparés par l’énergie de ces attaques et craignant d’être coupés de la Kaddéi, abandonnent la place, quoique cette position fût naturellement très forte. De plus, l’adversaire l’avait sérieusement organisée. Il abandonne tout et se retire sur la rive droite de la Kaddéi. Bientôt, menacé par un détachement qui avait franchi cette rivière en amont, il gagne Dunu en suivant le cours d’eau du même nom.

Nous crûmes alors que les Allemands voulaient s’établir sur la rivière Tuki, qui se prête à une défensive sérieuse, car ses abords sont marécageux. De plus, à l’arrière, Batua constitue un centre de résistance où on signalait un rassemblement de sérieuse importance. Aussi, deux compagnies sont-elles dirigées dans la direction de N’Dilabo et Bimba et deux autres dans celle de Batua. L’adversaire dispose de 350 fusils, de 3 mitrailleuses et d’un canon. Le 28 décembre, un violent combat s’engage. Dès le lendemain, les Allemands subissent un échec. Ils évacuent le poste. Malheureusement, l’état de fatigue de nos tirailleurs ne permet pas une poursuite immédiate. De leur côté, les compagnies dirigées sur Bimba s’emparent de cette position, le 27, après un combat violent, forcent le passage de la rivière Ate et obligent l’ennemi à regagner Gonga.

Au cours de toutes ces opérations, les Allemands furent très éprouvés. Inquiets de la marche rapide de la colonne française, ils appelèrent des renforts importans.

L’inaction dans laquelle la colonne Butin avait dû se maintenir eut un avantage pour eux. Ils purent opérer leur concentration à Dume. Cinq compagnies, c’est-à-dire les 5e, 6e et 9e de Dume, une compagnie de réserve et la 11e venue d’Akoaflm, soit en tout un millier d’hommes, se trouvaient ainsi prêts à nous résister. De plus, ils prirent l’offensive avant que la liaison des colonnes Hutin et Morisson pût être opérée. Il se porta à l’improviste sur Bertua, occupé par une compagne française et la surprit. Bref, menacé par des forces supérieures qui effectuaient un mouvement tournant du Nord vers l’Est, le gros de la colonne Morisson, stationné à Béri et à N’Gilabo, dut se replier. Elle s’établit sur la Kaddéi, en attendant le moment favorable pour reprendre l’offensive, avec l’aide d’une partie de la colonne Hutin, rappelée de Yakodume.

Les troupes d’opération dans la Lobaye durent attendre que l’action des forces du colonel Hutin pût se faire sentir au Sud ; afin de leur permettre de repartir de l’avant. Le 20 mai, elles se remirent en marche. Les groupes du Centre (Batieri) et du Sud (Mokbé Mundio) devaient se porter sur Nyanyeld et Nyassi pour appuyer l’attaque que la colonne de la Sanga effectuait contre Besam-Assebam. A la date du 2 juin, le groupe Nord avait franchi la Kaddéi vers Bacombe, pour faire une démonstration sur Guidu.

D’après les dernières nouvelles, l’ennemi semblait occuper fortement Myassi-Dume-Bertue ; mais ce poste vient de tomber en notre pouvoir.


Tandis que ces événemens se déroulaient, une autre colonne, partie du Gabon, intervenait d’une manière des plus actives.

D’après les instructions données aux troupes du Gabon, il fallait assurer la défense de Libreville ; ensuite, avec deux colonnes formées à Milzic et M’Vadhi, surveiller l’ennemi et au besoin prendre l’offensive vers Oyem et Akoafim.

Ainsi il y eut, dès les premiers jours, trois théâtres d’opérations. En premier lieu, celles de Muni.

Le 20 septembre, un détachement, sous les ordres du commandant Miquelard, quitta Libreville à bord de la canonnière Surprise, et débarqua à Goco-Baech, malgré une résistance opiniâtre de l’ennemi. Le poste fut pris. Le commandant français poursuit alors sa marche à l’Est vers Ekododo et Akoya. Il devait assurer l’occupation de la zone entre notre frontière septentrionale du Gabon et la limite méridionale de la Guinée espagnole. Il arriva donc à Mitzic pour prendre le commandement de la colonne concentrée en ce point. Celle-ci, dans l’intervalle, avait subi quelques échecs assez sérieux pour voir son offensive brisée.

D’autre part, la colonne de Mitzic avait franchi la frontière dès la fin du mois d’août. Le 6 septembre, elle se heurta à Mibang contre un fort parti. La position ne put être enlevée. Le commandant de Soligny fut tué et nos troupes se replièrent sur Mitzic. Reconstituée, la colonne divisée reprit l’offensive avec plus de prudence. Cependant, le 26 octobre, alors qu’elle était divisée en deux détachemens, l’un à Bolenzosk, l’autre à Ebom, deux forces ennemies, chacune de 200 fusils, obligèrent ces détachemens à se retirer simultanément, sans toutefois que l’adversaire pût poursuivre son succès.

Le commandant Miquelard, arrivé à Essonne le 30 octobre, prit la direction de la colonne sur la base Essonne-Mitzic, qui fut mise en état de défense.

Dès les premiers jours de février, une attaque fut décidée. Le chef de bataillon français parvint sans peine jusque sur le Wolen dont il occupa fortement la rive gauche. Averti que l’ennemi tenait une solide position devant N’Kolago, à 4 kilomètres au Nord de Wolen, il franchit le fleuve dans la nuit du 9 au 10 février. Ayant refoulé les Allemands, il s’empara de N’Kolago après une vive résistance. Le commandant Miquelard s’établit à N’Kolago, attendant, pour marcher sur Oyem, le résultat des reconnaissances envoyées dans cette direction.

Enfin, la troisième colonne, celle de M’Vadhi, à l’Est, supporta, d’abord, le choc ennemi dès le 20 septembre. Malgré deux assauts très violens, les Allemands furent repoussés par la garnison du poste.

Le capitaine Defert, au moment où se passaient ces événemens, était en reconnaissance vers Minkebe avec 150 hommes. Ayant attaqué en vain, il rentra à M’Vadhi quand il eut appris que la compagnie allemande de Akoafim arrivait au secours de Minkebe. La colonne de M’Vadhi fut encore augmentée d’une compagnie venue de Dakar avec deux canons, sous le commandement du lieutenant-colonel Le Meillour. Ainsi, elle put reprendre sa marche vers Minkebe et s’en emparer.

Telles ont été les opérations entreprises jusqu’à ces temps derniers par les différentes troupes opérant contre les frontières du Cameroun. Ajoutons que, suivant les plus récentes nouvelles, les forces alliées ont occupé Ngaumdere, ville importante située au centre du pays. De plus, la colonne du Sud s’est emparée de Bitam, évacué dans la nuit du 16 au 17 juillet. Le résultat de ce succès n’est pas sans une grande signification morale pour la France. En effet, la seule région de la partie du Congo cédée à l’Allemagne en 1911 qui n’eût pas encore été reprise par les troupes françaises va se trouver entièrement réoccupée.

Dans l’Est, la colonne qui opère à droite des troupes victorieuses à Bitam a enlevé, le 23 juin, la factorerie de Moopa et forcé l’ennemi à se retirer sur Mombi. Quatre jours plus tard, elle y prenait pied. Aussitôt, des reconnaissances ont été lancées sur Ngangela et Nyassi. Nos troupes déploient une grande activité sur tout le front jalonné par Gadji, Béri et Bimba. A la suite d’un violent combat, Gadji a été perdue par les Allemands. Aujourd’hui, ils sont menacés d’un encerclement complet. Cependant, si l’ennemi donne des marques non douteuses de grande fatigue, il continue à résister avec ténacité. Notre but est de le cerner d’une manière définitive, et nous le poursuivons avec un plein succès.


En ce qui concerne le Cameroun, on peut conclure des opérations dont on a lu l’exposé, que toutes ces colonnes, tant britanniques et françaises que franco-anglaises, ont été amenées à opérer isolément. C’est la conséquence forcée des circonstances locales. Le premier objectif des Alliés était, en effet, de repousser les groupemens ennemis auxquels elles correspondaient et qui eux-mêmes se trouvaient isolés les uns des autres. Mais, chassées de leurs positions primitives, ces troupes allemandes se sont concentrées peu à peu. Il importe donc que, de notre côté, soit envisagée désormais une coordination plus étroite des effectifs engagés. Les Allemands vont être acculés vers la région centrale du Cameroun, et y établiront le dernier réduit de leur défense. Là sera donc le but commun des colonnes alliées. Sa réalisation entraînera la coopération non seulement de nos troupes de l’Afrique équatoriale française opérant à l’Est et au Sud, mais aussi de celles du général Dobell qui, en ce moment, combat à l’Ouest.

Le gouvernement français poursuit la défaite complète et définitive de l’ennemi. Pour atteindre ce but, il importe de faire coopérer avec plus d’unité les forces franco-anglaises engagées au Cameroun. A cet effet, deux conseils ont eu lieu. D’abord, le général Dobell et le gouverneur Fourneau, assisté du commandant Joly, chef d’état-major des troupes de l’Afrique équatoriale française, se sont réunis à Duala, après entente préalable entre les gouvernemens intéressés. Puis, une nouvelle conférence vient encore d’avoir lieu entre le gouverneur de l’Afrique équatoriale française, assisté par le général Aymerich et le général en chef anglais Dobell. Les résultats de ces entrevues ne peuvent pas être publiés, puisqu’ils contiennent en germe toute la campagne prochaine. Disons toutefois qu’elle a abouti à un accord complet. On est en droit d’espérer que ces dispositions nouvelles nous permettront d’atteindre Jaundé, siège actuel du gouvernement de la colonie du Cameroun. Il est même permis d’escompter que la prise de ce point important amènera la fin de la campagne. Dès maintenant les colonnes françaises opérant dans l’Est et le Sud-Est poursuivent leur avance vers la capitale du pays. Dans la direction de Jaundé, les succès de nos armes ont ébranlé fortement les troupes allemandes. Des désertions en nombre se sont produites dans le camp ennemi. Trois cents hommes viennent à Abad-Makei de se rendre à nous avec armes et bagages.

A la suite de vifs engagemens, surtout les 23, 24 et 25 juillet dernier, la colonne française descendant du Nord s’est emparée de Dume-Station. A ce moment, les Allemands croyaient de notre part à une attaque menée par le Sud. En nous voyant déboucher du côté opposé, ils furent tellement surpris que le 24 juillet, de grand matin, ils évacuaient N’Djassi, localité importante, ainsi que plusieurs postes fortifiés jalonnant la distance qui sépare Mombi-Dume de Ngilabo-Dume. Quoiqu’ils eussent fui en désordre, ces contingens tentèrent un retour offensif dans la nuit du 24 au 25 juillet. Cette attaque se produisit à Sakal, mais échoua complètement. Avant de quitter Dume-Station, l’ennemi incendia la place. Au centre de la ville restait une colline fortifiée dont nos troupes chassèrent les derniers défenseurs. L’officier européen commandant cette position a été fait prisonnier. Poussant plus en avant, à la suite de cet heureux résultat, une colonne française enlevait le 29 juillet Abong-Mbang.

Ainsi toutes ces opérations indépendantes en sont arrivées maintenant à se lier autour du but unique qui, dès le commencement, coordonnait leurs efforts à travers les espaces africains. Il serait même permis de dire que ces colonnes parties de Duala, de la frontière Nigérienne, du lac Tchad et de l’Afrique équatoriale française ainsi que du Gabon, ont réalisé pas à pas l’encerclement d’un ennemi mobile disposant jusqu’aujourd’hui d’un vaste territoire pour ses évolutions. Entre tous ces points du Cameroun en notre pouvoir, la liaison se fait plus étroite par le développement naturel de nos opérations. C’est le gage du succès prochain.


Il n’est pas possible de parler de la guerre aux colonies et surtout au Cameroun sans dire quelques mots du concours donné par la Belgique à la cause commune des Alliés, par elle si vaillamment défendue sous les tropiques comme en Europe.

Au début de la guerre, le gouvernement belge se préoccupa de prévenir l’extension des hostilités à l’Afrique centrale. Sa première intention fut de ne pas intervenir, aussi longtemps que cela serait possible, dans les opérations militaires contre le Cameroun et de se maintenir dans la stricte neutralité qu’autorisait le traité de Berlin. Même après la déclaration de guerre de l’Allemagne à la Belgique, le gouvernement de Bruxelles prescrivit au gouverneur général du Congo et au vice-gouverneur général du Katanga d’observer une attitude strictement défensive vis-à-vis des colonies allemandes du Cameroun et de l’Est africain. Les forces coloniales belges devaient s’abstenir de prendre l’initiative des hostilités. Elles ne pouvaient entrer en action que pour repousser une attaque directe contre le territoire congolais.

Plus tard, le 7 août 1914, le gouvernement belge se mit en rapport avec les gouvernemens français et britannique, auxquels il proposa de neutraliser les possessions comprises dans le bassin conventionnel du Congo[2]. C’était la conséquence naturelle de l’article 11 de l’acte général de Berlin du 26 février 1885. Quelles étaient, en effet, les possessions des États belligérans comprises dans cette région ? D’un côté, l’Est africain britannique, une partie de l’Afrique équatoriale française, l’Uganda et le Congo belge ; d’un autre, une partie du Cameroun et l’Est africain allemand. Par égard pour les Puissances garantes dont les armées combattaient aux côtés de son armée en Europe, la Belgique ne fit aucune proposition à l’Allemagne. Elle voulait, d’abord, s’assurer que cette neutralisation, à supposer qu’elle fût admise par l’ennemi, ne nuirait pas aux intérêts de la France et de l’Angleterre en Afrique et ne contrecarrerait pas leurs projets. Les documens relatifs à cette négociation ont été publiés dans le Livre Gris et figurent dans les pièces nos 57, 58, 59, 61, 74, 75. On y lira les motifs qui ne permirent pas à la France et à l’Angleterre d’accueillir la suggestion de la Belgique.

Il y eut ensuite, du 17 au 22 août 1914, une situation d’expectative. La neutralisation du bassin conventionnel du Congo étant impossible, le gouvernement belge se borna à maintenir, autant qu’il l’a pu, sa propre colonie en dehors du champ des hostilités. Mais, le 22 août, les Allemands ouvrirent eux-mêmes les hostilités contre le Congo belge. Le vapeur ennemi Hedwig von Wissmann se mit à la recherche du vapeur belge Alexandre Delcommune et se présenta devant le port belge de Lukuga, sur le lac Tanganika. Sans sommation aucune, il bombarda le bateau belge et la position organisée à terre. Celle-ci riposta et l’ennemi se retira. Le combat d’artillerie avait duré une heure trois quarts.

Les Allemands ayant ainsi ouvert les hostilités, le gouvernement belge modifia ses instructions antérieures. Le gouverneur général du Congo devait, dès le 28 août, répondre à cette agression par tous les moyens en son pouvoir, sans en exclure l’offensive en territoire ennemi. Ainsi le concours de la Belgique à la cause commune en Afrique devenait effectif dans la mesure où il serait utile qu’elle prit l’offensive, soit seule, soit avec l’appui des troupes françaises et britanniques, en vue de défendre l’intégrité du territoire colonial belge. Par la même occasion, le gouverneur général était autorisé à admettre éventuellement l’entrée des troupes amies en territoire belge et à accorder la coopération des troupes belges à la défense des territoires français et britannique contigus à la frontière belge. On vient de voir qu’au cours des opérations militaires faites dans le Cameroun par la France, l’intervention des contingens belges fut un des facteurs du succès. On verra bientôt que des troupes belges, répondant à l’appel des autorités britanniques, de la Rhodésie et du gouverneur général de l’Afrique équatoriale française, sont entrées en Rhodésie et ont passé sur la rive droite de l’Ubangi pour prêter main-forte aux troupes franco-anglaises.

Un incident se produisit alors. Le 15 septembre 1914, le consulat des États-Unis d’Amérique, à Anvers, communiqua au gouvernement belge un télégramme du secrétaire d’État à Washington, daté du 24 du même mois, annonçant que le gouvernement allemand avait, le 22 août, remis une note à l’ambassadeur des États-Unis à Berlin. Suivant les termes de ce message, le gouvernement de Berlin se déclarait disposé à neutraliser le bassin conventionnel du Congo, conformément à la faculté reconnue par l’article II de l’acte de Berlin. Le deuxième Livre Gris, à la pièce numéro 54, nous éclaire sur ces incidens. Par l’intermédiaire du gouvernement espagnol, — dont le représentant a assumé, comme on le sait, la protection des intérêts belges en Allemagne, — le gouvernement du roi Albert fit connaître sa réponse. D’abord, il souligna la remise tardive de cette communication. Ensuite, il fit remarquer que, depuis le 22 août, les forces coloniales allemandes avaient ouvert les hostilités contre le Congo belge. A l’Allemagne, et à elle seule, revenait donc la responsabilité de l’état de guerre en Afrique comme en Europe.

Cependant, dans son numéro du 21 mars 1915, le Berliner Tageblatt lança l’affirmation que le poste allemand de Zinga, sur l’Ubangi, dans le Cameroun, aurait été pris dès les premiers jours d’août 1914, par des forces belges sous les ordres du commissaire de district, Tummers. L’attaque allemande au Tanganika n’était donc qu’une riposte h. une attaque belge antérieure contre le poste de l’Ubangi. Le bureau compétent belge répondit au Berliner Togeblatt. Il démontra que l’attaque de Zinga par les Belges était de pure invention. Leurs forces, en effet, n’étaient entrées en campagne que le 30 septembre 1914. En Afrique, comme en Europe, l’Allemagne n’a donc cessé de mentir.

A diverses reprises, les troupes belges sont intervenues depuis. Cependant, il convient de grouper les faits en deux campagnes distinctes, l’une dirigée contre le Cameroun, l’autre contre l’Est africain allemand. Celle-ci, d’ailleurs, prend chaque jour plus d’importance, comme on le verra à propos de la lutte engagée de concert avec les Anglais.

Depuis les accords de 1911, appelés en Belgique « le règlement congo-marocain, » la colonie allemande du Cameroun touche au territoire du Congo belge en deux points de sa frontière : au confluent de la Lobaye et de l’Ubangi, puis à celui de la Sanga et du Congo.

Nous avons dit plus haut que, le 24 août 1914, les instructions données au gouverneur général du Congo lui ordonnaient de prêter aux Alliés tout l’appui de la colonie. Plusieurs fois, le gouverneur général fit en effet connaître à M. le gouverneur de l’Afrique équatoriale française qu’il mettait entièrement à sa disposition les forces militaires réparties entre Borna et Libenge, soit environ 800 hommes, quelques pièces d’artillerie et des mitrailleuses. Au commencement de septembre, l’aide des Belges fut réclamée. Les Allemands attaquaient les positions que les Français avaient conquises dans la Sanga. Des indigènes étaient venus renseigner le lieutenant Bruère, chef de la circonscription de l’Ibenga-Motaba. D’après ces indications, une forte colonne ennemie devait descendre la rivière Ibenga pour se porter à Dongou. Dès que les autorités locales belges eurent connaissance de ces bruits, elles envoyèrent de Léopoldville un détachement pour renforcer la garnison française de Dongou. Cette colonne se composait d’un officier commandant 150 fusils, d’une mitrailleuse, d’un Nordenfelt et de deux canons en bronze. Quelques jours après, toute menace était dissipée. Les troupes belges regagnèrent le poste d’Imese où elles attendirent l’occasion d’une intervention nouvelle. La garnison de Libenge reçut l’ordre de prêter aux Français l’appui qui lui serait demandé.

Les Belges avaient un intérêt particulier à soutenir les Français dans cette partie de l’Afrique. En effet, un succès des Allemands dans la Sanga les portait sur le Moyen Congo. Une fois arrivés là, ils menaçaient le nœud des grandes voies de communications fluviales qui conduisaient du Haut Congo au chef-lieu de la colonie et à l’Océan. D’autre part, depuis 1911, les visées de l’Allemagne sur les territoires belges de l’Ubangi étaient clairement apparues au gouvernement de Bruxelles. Depuis, nous avons appris les idées qu’avait là-dessus M. de Jagow. La Belgique était destinée, comme tous les petits Etats, à disparaître ou à graviter dans l’orbite des grandes Puissances, et l’absorption de la Belgique devait exceptionnellement entraîner celle du Congo belge.

En septembre 1914, un premier détachement partit pour la Sanga. Il était commandé par le lieutenant Bal et appuyé par le vapeur blindé belge Luxembourg, armé de deux canons et d’une mitrailleuse. Le capitaine Goransson en assumait la direction. Tous participèrent aux durs combats livrés à N’zimou les 26, 28 et 29 octobre. N’zimou fut pris et les Allemands repoussés vers le Nord-Ouest. Le vapeur Luxembourg avait à cette occasion amené 130 tirailleurs belges, un canon de 75 Krupp, deux pièces de 47 Nordenfelt et une mitrailleuse Maxim. La canonnière Commandant-Lamy fut ainsi fortement aidée. Deux jours après, le Luxembourg et les 65 tirailleurs belges qui le montaient vinrent de nouveau au secours des forces françaises, qui avaient dû renouveler l’offensive sur N’zimou et Djembe. La part des Belges dans le brillant succès remporté à cette occasion fut réellement grande et efficace. A la suite de cette victoire, la presque totalité de la Sanga tomba au pouvoir des Français. Dès lors, la coopération belge devint permanente. Les troupes du roi Albert constituaient un élément de la colonne Hutin, ainsi que nous l’avons dit plus haut.

Il faut ajouter qu’un second détachement belge avec deux canons partit le 2 décembre pour renforcer encore la colonne de la Sanga. Appuyées par les pièces du Luxembourg, le 20 et le 21 décembre, les troupes franco-belges s’emparèrent de Mulundu, après deux jours de combat. La région où ces événemens se sont déroulés est la moyenne N’Goko. En vue de renforcer la colonne, le gouverneur du Congo belge envoie un nouveau contingent de 225 hommes encadrés par 3 Européens avec 400 cartouches par homme. Ainsi l’effectif de la colonne Sanga est porté à 1100 hommes dont 430 Belges. Voilà comment au début de janvier l’élément belge de la colonne Hutin comprenait 580 hommes, — réuni à un effectif français de 791 hommes. A partir de ce moment, les troupes belges participèrent à la marche convergente des colonnes françaises vers la haute Kadéi et vers Lomié, situé entre la Kadéi et la Ngoko. Plusieurs combats furent livrés, notamment le 28 mars à Ngato.

La colonne Morisson, qui a opéré dans l’Est du Cameroun en jonction avec la colonne Hutin, comprenait à partir du mois de mars un élément belge de 102 hommes, tandis que la partie belge de la colonne Hutin est réduit à 466 hommes avec la même artillerie que précédemment. L’effectif total du contingent belge ne change donc pas. Il n’a pas été augmenté depuis cette époque.

Les troupes du Roi prirent part aux opérations qui ont amené la capitulation du gros des forces allemandes à Monso et à la prise de Lomié. Le gouvernement français s’est plu à reconnaître la part brillante qu’elles y prirent. Le général Aymerich, commandant les forces de l’Afrique équatoriale française, a signalé différentes fois les rares qualités militaires dont elles firent preuve dans cette rude campagne. « Le général, écrivait-il après l’affaire de N’zimou, tient à signaler tout spécialement la conduite admirable du lieutenant Bal et des troupes belges sous ses ordres. Celles-ci ont subi sans fléchir de fortes pertes et ont donné l’assaut, lieutenant en tête, avec un entrain merveilleux. Le capitaine Goransson, commandant le Luxembourg et son personnel ont fait preuve d’un magnifique sang-froid et d’un courage réfléchi, en exécutant la manœuvre de leur bateau sous le feu de l’ennemi avec le même calme que dans les circonstances ordinaires. »

En résumé, l’effort militaire accompli en Afrique par la Belgique est considérable. Le bref aperçu que nous venons d’en donner permet de s’en rendre compte. Comment d’ailleurs, malgré son désir d’épargner à sa colonie africaine la dure épreuve de la guerre, la Belgique aurait-elle pu y réussir ? Comment l’Allemagne le lui aurait-elle permis ? L’Allemagne, dans ses projets d’accroissement colonial, visait surtout le domaine belge. En défendant victorieusement le Congo, en portant à son tour la guerre en territoire ennemi, la Belgique a acquis des titres nouveaux à la conservation du beau domaine qu’elle doit à Léopold II.

En même temps, la campagne belge en Afrique a servi utilement la cause générale des Alliés. Si, au point de vue numérique, l’aide apportée par le Congo belge parait de faible importance relativement au total des forces alliées, — 570 hommes sur 11 600, — elle a été un élément important dans les opérations dirigées contre le Sud-Cameroun et dans la Sanga, en plus de son rôle dans l’Est africain. Et nous nous plaisons à le reconnaître ici.


CHARLES STIENON.

  1. Voyez la Revue du 1er novembre.
  2. Le Congo belge est soumis au régime de la neutralité permanente, l’État indépendant du Congo auquel il a succédé s’étant déclaré perpétuellement neutre sur les bases indiquées au chapitre III de l’Acte général de la Conférence de Berlin. (Déclaration du 1er août 1885.)