La Campagne coloniale des alliés en 1914 et 1915/01

La Campagne coloniale des alliés en 1914 et 1915
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 30 (p. 151-185).
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LA CAMPAGNE COLONIALE DES ALLIÉS
EN 1914 ET 1915

I

Le 1er juillet 1896, le duc de Broglie publiait dans la Revue des Deux Mondes un article intitulé : « Vingt-cinq ans après, » et qui eut un grand retentissement. « La perte de nos deux provinces, écrivait-il, n’est point un de ces sacrifices d’orgueil ou de sentiment dont, après quelques paroles d’oraison funèbre, on puisse se consoler ou se distraire : c’est une infirmité calculée d’avance par nos vainqueurs, parfaitement connue de tous nos rivaux et destinée à affaiblir, même en temps de paix et dans les relations ordinaires, toute notre action politique. » Il ajoutait, en parlant toujours des conséquences malheureuses pour la France de la guerre de 1870 : « Contre les abus de la force qui passent une certaine mesure, s’élève non seulement du fond des cœurs, mais du sol lui-même, une protestation qui, même silencieuse, finit, si elle persiste, par se faire entendre. » Se retournant alors vers les partisans des aspirations coloniales, il disait : « Quel est le principal reproche que nous faisions à cette éclosion soudaine d’aspirations coloniales ? Notre crainte était de voir la France se laisser entraîner à disséminer sur des points, épars et éloignés, du monde les forces et les ressources de toute nature qu’un intérêt supérieur lui faisait la loi de concentrer sur un seul et de rassembler en elle-même. »

D’autre part, tout le monde savait que M. de Bismarck favorisait les tendances colonisatrices des Français. Il avait ses raisons pour cela. Certains, dont était le duc de Broglie, faisaient remarquer avec raison que M. de Bismarck n’était peut-être pas le conseiller le plus désintéressé pour déterminer l’emploi des forces militaires de la France.

Je ne rappellerai pas autrement les idées que le duc de Broglie exprimait dans cette circonstance. Quelques-unes de ses craintes se sont réalisées. D’autres, au contraire, n’ont pas été ratifiées par les événemens. Aujourd’hui, son patriotisme se réjouirait de ce que l’expansion coloniale ait, en fait, donné à son pays des occasions précieuses d’entretenir sa flamme guerrière. Que de bons soldats, et de vaillans officiers, et de chefs incomparables ses colonies ont donnés à la France !

Cependant, vers 1896, de longues discussions avaient pour objet l’utilité de la politique coloniale. Le duc de Broglie remarquait, au sujet de l’Algérie, qu’après plus de soixante ans, elle ne rapportait encore rien à la France, et il ajoutait : « Les plus satisfaits ne peuvent prétendre même à prévoir le jour où on pourra tirer de nos possessions nouvelles soit une recrue pour notre armée, soit une recette pour notre budget. » En ce qui concerne l’armée, l’illustre écrivain serait heureux, en parcourant aujourd’hui le front de bataille anglo-français, de constater la présence dans nos rangs de représentans nombreux et d’une valeur incontestée des régions africaines. Longtemps elles retinrent, pour compléter leur soumission, des contingens d’Europe ; maintenant, Algériens, Tunisiens, Marocains sont avec nous pour faire face à l’ennemi séculaire de la France. Quant aux réserves alimentaires et autres dont les colonies apportent vers nos rivages l’appoint très précieux, ceux-là pourraient en détailler l’importance qui ont la lourde charge de prévoir les lendemains encore nombreux dont est faite cette guerre.

Aujourd’hui que la politique coloniale est pratiquée par tous les grands peuples, et même par quelques-uns des plus petits, ces discussions n’auraient pas d’objet. Mais il faut les rappeler en se plaçant à une époque où la France innovait en cette vaste matière. Si, après 1870, désireuse de détourner les regards français d’une frontière mutilée, l’Allemagne applaudissait à l’expansion de la France vers des contrées lointaines, elle ne tarda pas à se rendre compte de l’intérêt qu’elle avait elle-même à suivre la même politique. Dès 1883 et 1884, le nouvel Empire, sentant sa fortune incroyable prendre un nouvel essor, voulut amorcer son développement colonial. Voici trente années, l’Allemagne entrait dans cette voie sur toute la côte du Sud-Ouest africain et spécialement à Lüderitzbucht. Adroitement disséminés en des endroits bien choisis et sans rapports apparens les uns avec les autres, des comptoirs commerciaux s’ouvrirent au Togo, au Cameroun, sur la côte orientale d’Afrique, face à Zanzibar, en Nouvelle-Guinée et enfin aux îles Marschall, en Océanie. On eût dit les prémices d’une monstrueuse toile d’araignée, où apparaissaient les points de raccord entre des entreprises futures. C’est dans les mailles de ce vaste filet que l’Allemagne a trébuché. Rappelons-nous, en effet, l’arrière-pensée du Kaiser, lorsque, dès les premiers jours du mois d’août 1914, le chancelier, croyant pouvoir régler un partage amiable avec l’Angleterre, promettait à l’ambassadeur britannique à Berlin de respecter l’intégrité territoriale française seulement en Europe. Ainsi donc, à part ce qu’elle nommait d’un euphémisme fourbe des rectifications de frontières, l’Allemagne voulait alors s’emparer surtout du domaine colonial de la France.

Tous ces comptoirs, aux apparences exclusivement mercantiles, constituaient déjà autant de centres allemands, bien modestes, semblait-il, mais dont l’avenir dépassa certainement l’espoir de leurs fondateurs.

Une Société d’outre-Rhin, la Deutsche Kolonialgesellschaft, s’efforça d’intensifier le mouvement qui naissait. Dans la Métropole, elle multiplia les démarches publiques et privées, afin d’attirer les sympathies aux questions d’outre-mer. Elle fit naître des syndicats financiers, lança des colonnes de prospecteurs. Se retournant alors vers l’Afrique, elle secoua la torpeur de certains négocians, provoqua la convoitise des mercantis en plaçant sous leurs yeux des rapports de savans dont la conclusion affirmait toujours l’existence en tels et tels endroits de richesses incalculables qui n’attendaient que des mains pour les prendre.

Quatorze ans après, placée en face du chemin parcouru, la Deutsche Kolonialgesellschaft se disait peut-être que les résultats de ses efforts étaient bien médiocres. Mais ce fut alors, une fois de plus, l’occasion pour la vertu de ténacité de montrer sa valeur, et les Allemands sont opiniâtrement tenaces. Le produit de quinze années laborieuses était, disons-nous, presque nul. Telle était du moins l’apparence aux yeux des Allemands comme aux nôtres. En réalité, cependant, ils avaient acquis des résultats riches d’un avenir insoupçonné.

En 1898 apparurent les premiers épis de ces longues semailles. Le 6 mars de cette année, l’Allemagne obtenait en Chine une concession importante. Ici même, M. Daniel Bellet publiait, le 1er mars dernier, l’histoire de Tsing-Tao. Je n’y reviendrai donc pas, me contentant de noter, pour l’utilité des pages qui suivront, cette date et la cession à bail faite au gouvernement de Berlin de tout le territoire adjacent à la baie de Kiaou-Tchéou. L’Allemagne avait réalisé en Chine sa première ambition exotique.

Après Kiaou-Tchéou, acquis le 6 mars 1898, l’année 1899 voyait les îles Mariannes et Carolines passer des mains de l’Espagne dans celles des Allemands. L’Angleterre et les Etats-Unis, cette même année, acceptaient la domination germanique sur la plus grande partie des îles Samoa.

En 1904 et 1905, les espérances de l’Allemagne connurent des jours remplis d’anxiété. Dans l’Afrique du Sud-Ouest et en Afrique orientale, un souffle de révolte passa sur les populations indigènes. Des heures sanglantes marquèrent cette époque dont la propagande coloniale allemande eut d’ailleurs raison, après avoir surmonté les plus grandes difficultés.

A partir de l’année 1906, sous la puissante impulsion d’un homme cher à Guillaume II, l’Allemagne doubla les étapes dans la voie nouvelle ouverte à ses prétentions. M. Dernburg, doué d’un esprit audacieux et dénué de scrupules, pratiqua résolument une politique réaliste, étiquetée d’un mot nouveau : « Zielbewusst. »

A partir de 1907 et pendant les années suivantes, l’Allemagne se lança dans la construction des voies ferrées. Le rail germanique se glissa partout. L’ingénieur devança le métallurgiste, suivi lui-même de l’exportateur préparant les bases de comptoirs nouveaux, dont le nombre ne cessa d’aller croissant. Dans la Métropole, les sociétés coloniales se fondèrent. Ce fut la ruée des hommes allemands et de l’argent allemand à la conquête du monde.

Parallèlement à ces efforts, différens, mais concertés, la marine marchande et la flotte de guerre devenaient l’objet des soins toujours plus attentifs du gouvernement.

Une Compagnie maritime dont le pavillon allait couvrir les mers, la Hamburg Amerika, sous l’impulsion de cet autre ami du Kaiser, M. Ballin, comptait bientôt 450 vapeurs dont 200 paquebots jaugeant un total de 1 400 000 tonneaux. Ainsi, cette Compagnie avait un tonnage dépassant de 33,3 pour 100 la flotte à vapeur de la France entière. C’était un capital d’un milliard placé sous une seule firme allemande. Grâce à une politique intérieure habile, la Hamburg Amerika écartait toute concurrence. M. Ballin s’entendait avec ses rivaux de Brème et la Norddeutscher Lloyd company. Dès lors, en face des steamers géans de l’Allemagne, seuls pouvaient disputer la suprématie deux navires anglais, le Mauretania et le Lusitania. Voilà qui éclaire d’un jour singulier le drame récent dont la honte couvrira à jamais les couleurs de l’Allemagne.

Désormais, munie d’un puissant moyen de transport, l’action coloniale allemande réclamait encore l’appui d’une marine de guerre. Tous savent comment Kiel devint pour nos ennemis l’objet de ces soins qui, en peu d’années, mirent l’Allemagne à la tête d’une capacité navale formidable

Ainsi le pays qui, en 1883, possédait en tout quelques comptoirs commerciaux disséminés dans le monde, détenait, à peine trente années plus tard, des possessions d’outre-mer couvrant une superficie de 2 950 000 kilomètres carrés. Son pouvoir s’exerçait sur une population d’autochtones se chiffrant à 11 780 000 habitans, dont il faudrait seulement déduire 24 500 Européens. Le nombre de ces derniers avait, d’ailleurs, triplé en l’espace de dix années.

Entre toutes ces possessions d’outre-mer, la plus puissante, sous le rapport de la population, était l’Afrique orientale. Elle est en effet peuplée de 7 500 000 habitans. Puis, vient le Cameroun avec 2 537 000 indigènes. Puis, le Togo, comptant 1 million d’autochtones. Ensuite, l’Afrique du Sud-Ouest, avec à peine 91 000 indigènes pour 835 000 kilomètres carrés. Enfin, suivant l’ordre de décroissance, la Nouvelle-Guinée avec 600 000 habitans, Samoa avec 33 000 et Tsing-Tao avec 60 500.

Avant de montrer en détail comment l’Allemagne a perdu un aussi vaste domaine colonial, quelques précisions sont encore nécessaires. Nous en apprécierons mieux l’importance de nos victoires exotiques.

Dans l’Afrique du Sud-Ouest, le nombre des fermiers, d’après le dernier recensement, était de 1 245. Leurs propriétés couvraient 13 millions d’hectares peuplés par 142 000 têtes de gros bétail et 631 000 de petit bétail, dont surtout des moutons à laine.

Dans toute cette région, l’Afrique du Sud-Ouest est la seule contrée offrant aux Européens un climat tempéré et favorable à la colonisation. Les autres possessions allemandes sont situées dans la zone tropicale.

En 1904, l’Allemagne possédait en Afrique 479 kilomètres ferrés. La France en avait alors 5 000 en exploitation. Neuf ans plus tard, en 1913, les Allemands exploitent dans les mêmes régions 4 176 kilomètres de chemins de fer contre 7 600 dans les colonies françaises. Ainsi, le réseau colonial allemand augmentait de neuf fois sa valeur initiale. Le réseau français d’outre-mer ne s’accroissait dans le même temps que d’un tiers.

Les efforts de la Deutsche Kolonialgesellschaft avaient donc abouti. La persévérance teutonne, une fois de plus, était victorieuse.

Au point de vue financier, que représentait ce domaine colonial ? La Koloniale Rundschau de mars 1914 nous renseigne à ce sujet. 300 millions de marks ont été engagés par l’Etat en construction de chemins de fer. Ils étaient réalisés ou à la veille de l’être quand éclata le coup de tonnerre du mois d’août 1914.

Les emprunts coloniaux à la date de juin 1914 représentaient un total de 308 646 000 francs.

Les entreprises privées, l’Annuaire colonial de Heyd pour 1913 nous l’indique, représentaient nominalement 463 000 000, dont 352 275 000 pour les sociétés allemandes seules.

Il faudrait y ajouter la valeur des compagnies de navigation et de la Société de transport fluvial Kamerun schifffahrt Gesellschaft, au capital de 2 millions et demi de francs.

Les compagnies de chemin de fer avaient immobilisé 127 000 000 marks, dont 75 000 000 pour la Shantung-Eisenbahn-Gesellschaft. Cette voie touche à Tsing-Tao. Le capital des sociétés agricoles valait 90 000 000 ïïmks. Les associations commerciales en représentaient 30 000 000. Les groupes miniers 60 250 000. Les entreprises mixtes et diverses 138 750 000, toutes allemandes, sauf deux ou trois sociétés anglaises. Enfin, les banques coloniales avaient engage 11 250 000 marks de capitaux. Il s’agit ici du capital nominal ; mais, les cours des Bourses ont donné une plus-value énorme à tous ces fonds publics, même si on tient compte de la régression subie par les cours des principales valeurs à la suite de spéculations qui mirent en danger une partie de l’épargne allemande.

La plupart de ces entreprises étaient jeunes. Pour beaucoup d’entre elles, l’avenir s’annonçait très beau. En effet, leurs propriétés agricoles, d’élevage ou minières, étaient à peine mises en valeur. Leur accroissement paraissait certain.

En 1912, les importations donnèrent un total de 322 016 000 marks, — les exportations 251 338 000, — et le commerce total 573 354 000.

Bref, le commerce extérieur total des colonies allemandes, en 1912, dépasse sensiblement le demi-milliard. Il était, ainsi, deux fois et demi supérieur à celui de 1905.

D’après le directeur de la Deutsche bank, les échanges commerciaux de l’Allemagne avec ses colonies se montait à 127 millions en 1914 contre 13 750 000 en 1898.

Ces chiffres se suffisent à eux-mêmes. Les accompagner de commentaires ne pourrait que diminuer l’impression qu’ils produisent.


Devant de semblables résultats, obtenus en si peu de temps, on se demande où se serait arrêté le développement colonial germanique. La question devient plus angoissante encore si l’on songe aux prétentions qui ont été révélées dès les premiers jours du mois d’août 1914. Il résulte des déclarations officielles du gouvernement de Berlin que les projets extravagans des pangermanistes ont été encore dépassés par ceux du pouvoir officiel. Au temps des vains espoirs pacifistes, on traitait de billevesées les conséquences pourtant inévitables de cette Weltpoiitik ; mais, en fait, toute l’Allemagne était convaincue qu’elle avait droit à la suprême hégémonie du monde. C’est ce qu’il ne faut pas oublier, pour bien comprendre à quels dangers nous fûmes tous exposés et l’avenir sombre dont la guerre actuelle, malgré toutes ses douleurs, nous a sauvés.

D’ailleurs, cette politique d’absorption avait réalisé déjà une partie de son vaste programme : le Bagdadbahn suffirait à nous en convaincre. Même en dehors de son domaine, l’Allemagne était occupée à s’assurer la possession d’Haïdar-Pacha jusqu’au golfe Persique. Elle ne demandait plus que trois ans pour inaugurer son grand chemin de fer de conquête, tout au moins jusqu’à Bagdad. Ainsi, le réseau français de Syrie était menacé. Le port d’Alexandrette en voie d’équipement devait, aux mains de l’Allemagne, lui assurer une prépondérance économique et politique sur la partie centrale de la Turquie d’Asie, du Bosphore au golfe Persique. Le canal de Suez était dès lors mis en danger, par une concurrence prochaine, tandis que les chemins de fer russes projetés en Perse se trouvaient déjà en face d’une lutte préparée grâce à l’embranchement allemand qui devait réunir Bagdad à Khanekin.

Enfin, les projets des Allemands auront été suffisamment mis en évidence quand nous aurons rappelé leurs convoitises sur l’Afrique équatoriale et centrale. Du golfe de Guinée à l’océan Indien, l’Allemagne avait la secrète pensée d’absorber toutes ces terres sur lesquelles flottent les pavillons français, belge et portugais.

Depuis le 4 novembre 1911, le Cameroun était en contact avec le Congo belge par la Sanga et la Lobaye. Le Gabon, le Moyen-Congo et le Congo belge devaient, suivant les projets de cette Weltpolitik, servir de trait d’union entre le Cameroun et l’Afrique orientale.

Voilà à grands traits ce que l’Allemagne s’était acquis dans les terres étrangères. Voilà ce qu’elle voulait encore s’approprier, sans oublier ses prétentions sur le domaine de la France dans l’Afrique du Nord.

Tandis que sur deux lignes dont l’immensité confond la pensée coule le sang des meilleurs d’entre nous, il est utile de montrer où nous en sommes sur le front colonial après plus d’une année de guerre. Cette tragédie universelle ignore les limites de son théâtre. Le monde entier sert de terrain au grand débat dont l’avenir attend la solution. Sans doute, elle est lente à se produire, mais le temps convient à tout ce qui est grand et doit être durable. Cependant, pour calmer les impatiens, il doit être bon de connaître les succès que les Alliés ont réalisés par-delà les mers. Exposer en détail les pertes de l’Allemagne et nos gains, — la différence en est ainsi doublée, — tel est notre but.


Lorsqu’on regarde une carte planisphère descendant du Septentrion vers l’Orient, les possessions allemandes apparaissent ainsi successivement. Le Togo auquel fait suite le Kameroun, puis l’Ouest africain allemand. Remontant ensuite du Sud vers le Nord, mais en inclinant à l’Est cette fois, les yeux rencontrent l’Est africain. Ce sont les principales possessions coloniales de l’Allemagne. Il faudrait encore citer la Terre de l’empereur Guillaume, la Nouvelle-Guinée et les îles Samoa. Enfin, personne n’oubliera Kiaou-Tchéou, car il y fut remporté un des premiers grands succès contre l’Allemagne depuis le début de la guerre.

De tout cela, que détient encore l’Allemagne et dans quelles conditions lui furent ravis ces territoires ?

En ce qui concerne les rapports des colonies avec la Métropole, on pourrait répondre que des terres exotiques allemandes il n’est rien resté dès le jour où la flotte anglaise a détruit dans la bataille des iles Falkland ceux des cuirassés du Kaiser qui couraient encore le monde. Depuis le 8 décembre 1914 au soir, l’empire des Hohenzollern est coupé de ses colonies désormais sans valeur militaire pour lui dans la lutte mondiale où nous sommes engagés. Voilà le résultat négatif. Un autre est positif : ce sont les acquisitions nouvelles au profit des Alliés.


Nous voudrions examiner le sort réservé par les combats aux différentes colonies de nos ennemis en suivant autant que possible l’ordre chronologique, mis d’accord avec la valeur des nouveaux territoires conquis.


LE TOGO

Le Togo couvre une surface de 87 200 kilomètres carrés. Il affecte une forme très allongée du Nord au Sud. Ses deux frontières orientale et septentrionale sont distantes de 525 kilomètres, tandis qu’au contraire une moyenne de 200 kilomètres séparent à peine ses limites Ouest de celles de l’Est. Ce sont là des détails utiles à retenir quand on étudie une campagne militaire dont ces régions ont été à la fois le théâtre et l’objet.

Au milieu d’une population indigène d’environ 1 million il y avait 363 blancs dont 327 Allemands. Parmi les 8 cercles administratifs partageant cette terre, celui de Mangu, avec 225 000 habitans, était le plus peuplé.

Sans revenir sur ce que j’ai déjà dit du commerce de l’Allemagne avec ses colonies, il importe tout au moins de rappeler qu’en 1911, 327 bateaux d’un tonnage global de 577 000 tonneaux entrèrent et sortirent des ports côtiers du Togo.

La question des voies ferrées, si importante quand il s’agit d’une action militaire, ne se pose pas avec la même gravité sur le terrain colonial de cette guerre dont le monde lui-même marque les bornes. Toutefois, dans maintes circonstances, la possession du rail valut à l’un des adversaires, pendant la campagne du Togo, de grands avantages. Aussi, avant d’entrer dans les détails, crois-je utile de situer nettement les trois chemins de fer construits par les Allemands au Togo.

L’un va de Lomé vers Anecho. Cette ligne côtière mesure 45 kilomètres, en desservant successivement Bagida, Porto Seguro et Kpeme. Elle a un écartement de voie d’un mètre et fut construite en 1905.

Lomé, capitale du pays, est encore réuni par le rail à Agome-Palime. Par rapport à la côte, elle s’enfonce dans les terres en obliquant à l’Ouest vers la frontière anglaise du Gold Coast. Quoique mesurant 123 kilomètres, son rôle fut secondaire au cours des opérations militaires de 1914. Sa construction date de 1907.

Au contraire, la voie, terminée en 1911, qui de Lomé, tête de ligne des chemins de fer du Togo, monte droit au Nord et par-delà 163 kilomètres atteint Atakpame a rendu des services importans tour à tour à l’ennemi et aux nôtres.

Depuis le mois de juillet 1884 où Nachtigall après quelques combats avec les indigènes planta les couleurs allemandes sur cette terre nouvelle, la politique de Berlin ne fut jamais inactive. Une fois encore nous en trouvons une des manifestations les plus habituelles dans la construction énergique des chemins de fer dont l’intérêt stratégique comptait à l’égal des avantages économiques. D’ailleurs, guerre et commerce ne sont-ils pas tout pour ce gouvernement dont les arrière-pensées ne cessent d’être révélées chaque jour plus profondément ?

Sur la côte, le climat moyen varie peu autour de 26 degrés. A l’intérieur, la température est en général de 3 degrés inférieure à celle du rivage maritime.

Les chemins de fer et le climat sont les deux grands facteurs à considérer dans une entreprise militaire de ce genre. Ce sont des élémens d’un ordre général. Suivant les régions successivement visées, l’orographie, l’hydrographie surtout deviennent prépondérantes.

Le réseau télégraphique du Togo était développé. Mais les cinquantaines de kilomètres de fil et les 18 bureaux de postes, dont 4 téléphoniques, répartis sur tout le territoire, sont d’un intérêt secondaire dans cette campagne. Certes, on a utilisé les lignes télégraphiques et téléphoniques, mais leur destruction rapide, et l’appoint des services établis pour les besoins immédiats, font que le réseau normal fut, en fait, d’une importance relative dans tout ceci.

Les troupes françaises et britanniques étant intervenues ici, il semblerait qu’a priori il faudrait exposer la situation des deux frontières Est et Ouest. Par l’Ouest, en effet, l’offensive pouvait être menée à l’aide des contingens du Gold Coast. De l’Est, l’action des troupes françaises trouvait un vaste champ le long d’une frontière difficile à garder. Cependant, ainsi qu’il apparaîtra au cours de l’exposé détaillé des opérations, l’action fut surtout conduite suivant une direction Sud ou Nord et la base des Alliés se trouva en grande partie confondue avec le littoral togolandais.

A première vue, voulant s’emparer de ce territoire ennemi, les Alliés devaient viser la capitale, quelques localités principales et surtout le réseau ferré. L’essentiel de cette campagne fut représenté par la prise d’une station en apparence bien modeste, Kamina, située à 10 kilomètres du Dahomey, et non loin de la rive gauche de l’Ogu, un des principaux affluens du Mona, qui, plus bas, vers le Sud, trace la frontière du Togo et du Dahomey. Kamina se trouve à deux cents kilomètres environ de la côte et au Nord-Est d’Atakpame, centre important du Togo.

Il existe deux moyens pour se rendre de la côte à Kamina : la route et la voie ferrée. En certains points, la route et le rail sont contigus ; en d’autres, ils divergent considérablement. Le pays traversé est marécageux, et il était couvert, à l’époque où se déroulaient ces événemens, d’une herbe haute et fournie, d’une brousse peu élevée, mais presque toujours très épaisse. Aussi, maintenir la liaison entre des colonnes qui opéraient le long de la voie et des troupes qui agissaient le long de la route, puis les faire concourir à une action d’ensemble était un problème difficile sinon parfois même complètement impossible à résoudre d’une manière satisfaisante. On se trouve dans le cas d’une colonne utilisant pour s’avancer deux défilés étroits et continus, fréquemment séparés l’un de l’autre. Grâce au chemin de fer et à son matériel roulant, l’adversaire pouvait se trouver un jour à 50 kilomètres des Alliés et, la nuit suivante, faire irruption au milieu d’eux. Ils n’étaient pas pour cela encombrés par les embarras du portage et pouvaient être d’une extrême mobilité. La colonne expéditionnaire, au contraire, ne pouvait jamais marcher plus vite que son convoi, sans être obligée de s’arrêter pour le réorganiser.

Ainsi que l’a démontré dans son rapport le lieutenant-colonel anglais Bryant, chef de l’expédition, chasser d’une forte position soigneusement mise en état de défense, un adversaire bien armé, constituait une lâche extrêmement ardue, et qui exigeait des commandans de compagnie un jugement clair, beaucoup d’esprit d’initiative et de décision, en même temps que, de la part de tous, officiers et soldats, un très bel exemple de courage et de fermeté.

Il est à noter aussi que, pour la première fois, les troupes de l’Afrique occidentale étaient ainsi mises en présence d’un ennemi muni d’un armement moderne. L’officier anglais ajoutait cette réflexion, qui se rattache au début de notre exposé, que ce serait folie de penser jamais, suivant lui, qu’on pût opposer des troupes noires de l’Afrique occidentale à une armée européenne. La guerre en Europe a prouvé que, dans d’autres parties de leur empire colonial, l’Angleterre et la France ont pu trouver des auxiliaires aussi précieux par leur courage que par un dévouement absolu.

Nous l’avons dit, la côte constitua la base principale de notre offensive. Si Kamina n’avait ni par elle-même, ni par sa situation stratégique, aucune valeur, quelle fut donc la cause de son importance subite dès la déclaration de la guerre ? Ici, nous retrouvons la politique allemande dans une de ses manifestations bien connues. Procéder secrètement, grâce à des moyens d’ailleurs souvent illicites ; s’assurer quelque avantage, fut-il médiocre, mais quand même utile, telle est sa ligne de conduite, s’agit-il de questions primordiales ou d’affaires de détail.

Il y avait à Kamina un poste de télégraphie sans fil de très grande puissance. L’existence de ce poste était connue du gouvernement des deux colonies voisines, mais on ignorait encore l’endroit exact où il se trouvait. Si l’on s’en étonne, nous répondrons en rappelant ce que tous connaissent de l’avant-guerre et ce que chaque jour nous apprend encore. Ici, à tout bien considérer, les Allemands étaient chez eux et l’absence d’agent consulaire au Togo explique en partie l’ignorance d’un fait dont l’intérêt ressort aux yeux de tous. La guerre de course pratiquée au début par l’Allemagne contre les pavillons alliés eût-elle été aussi nuisible qu’elle l’a été à notre cause sans toutes ces stations de télégraphie sans fil disséminées ça et là à l’insu de tous ? Voilà pourquoi, dans la campagne du Togo, Kamina concentra le maximum de nos efforts. Voilà aussi comment, Kamina et ses défenseurs étant tombés en notre pouvoir, cela mit pratiquement fin à notre expédition et fut suivi d’une capitulation complète.

Mais, avant d’en arriver aux premiers actes d’hostilité entre les deux partis, il importe, dans un ordre d’idées générales autant qu’au point de vue du fait immédiat, de rappeler une démarche bien déconcertante de la part des Allemands. Eux qui n’ont respecté aucun traité, essayèrent d’abord d’obtenir de nous la neutralisation réciproque, en ce qui concerne le Togo spécialement, des trois terres limitrophes, anglaise, allemande et française. Le but qu’ils se proposaient était sans doute de préserver leur colonie du sort inéluctable qui lui était réservé par l’effort commun des Anglais unis aux Français. Mais surtout, sachant ou croyant inconnue l’existence du grand poste de télégraphie sans fil à Kamina, le gouverneur allemand espérait non pas sauver le Togo, mais garder un précieux moyen d’information, doublement rare, puisqu’il était à la fois ignoré de l’adversaire et doué d’un rayon d’action considérable. En conséquence, le 3 août 1914, le gouverneur de l’Afrique occidentale française recevait du gouverneur intérimaire du Togo, M. von Doering, l’offre de maintenir dans la neutralité pendant toute la durée de la guerre les colonies françaises voisines du Togo, ainsi que celui-ci. La même proposition avait été faite au gouverneur anglais du Gold Coast. Ainsi, le représentant du gouvernement ennemi espérait s’assurer, à l’Est et à l’Ouest, la plus grande tranquillité.

Ces offres furent repoussées de part et d’autre. Le 7 août, en effet, le Département des Colonies câblait au gouverneur, M. Ponty, qu’il fallait agir immédiatement, s’engager à fond et occuper la plus grande partie possible du territoire ennemi. Les instructions reçues ajoutaient qu’on devait marcher d’accord avec les Anglais. Dès ce moment, dans la pensée des dirigeans responsables, le Togo devait donc être l’objet d’opérations conjuguées venant de l’Ouest, menées par les Anglais occupant le Gold Coast et partant de l’Est, conduites par les Français s’appuyant sur la frontière du Dahomey.

Ces actions militaires ont duré du 7 au 28 août 1914.

Le plan de mobilisation des réserves militaires du Dahomey pour 1913, applicable en 1914, assurait le maintien dans la colonie des troupes qui y sont stationnées en temps de paix.

Le commandant militaire du Dahomey, le vaillant et avisé chef de bataillon Maroix, avait reçu des ordres qui prévoyaient deux alternatives. La mer pourrait être considérée comme libre, et, alors, le transport des troupes du Dahomey dans le Bas-Sénégal était prévu ; — ou bien la voie maritime ne serait pas sûre, et, dans ce cas, on maintiendrait les troupes dans la colonie en leur assignant comme objectif une action offensive contre le Togo.

On était aux premiers jours d’août 1914.

En dehors du poste de télégraphie sans fil dont nous avons parlé, un autre poste d’importance beaucoup moindre, se trouvait à Toglelekoje. Son existence dans le voisinage relatif de Kamina avait-elle pour but d’enlever tout soupçon quant au poste principal ? Nous l’ignorons. Le gouverneur allemand détruisit, d’ailleurs, cette station avant de se retirer avec ses troupes à Kamina.

Mise au courant de ces faits, l’autorité française décida de s’emparer de cette place. Tel devait être du moins un des objectifs de son action. En fait, ce projet ne pouvait être réalisé immédiatement, quoique le point visé se trouvât peu éloigné de la frontière du Dahomey.

Alors, le commandant en chef n’avait prévu qu’une attaque contre Lomé. Les raisons de cette tactique sont multiples. L’examen de la carte nous les livre. Lomé était le centre du pays. À ce titre, son occupation devait comporter une signification morale particulière. C’était, nous l’avons dit, la tête de ligne des trois chemins de fer du pays. En plus de ce moyen d’invasion de la colonie dont il convenait, vu nos projets, de pouvoir disposer, Lomé possédait encore un port muni d’un bon wharf. Or, les Alliés se proposaient de transporter des troupes par voie maritime. Ainsi pour les Anglais surtout venant de la Côte d’Or, parce qu’ils allaient amener des contingens par mer, Lomé prenait une importance toute spéciale. Et voilà comment, pour atteindre l’ennemi dans son dernier repaire, Kamina, l’offensive dominante, qui, suivant un tracé simpliste, devait partir, tout au moins en ce qui concerne l’action des Français, de la frontière immédiate du Dahomey, s’appuya en réalité sur la côte, et principalement sur Lomé. Une fois occupée, ce qui se réalisa sans coup férir, Lomé devint la base d’une opération militaire menée désormais suivant une direction générale Sud-Nord. Je me hâte d’ajouter que, en dehors de cette opération d’autres secondaires furent conduites, en parlant du Nord vers le Sud et de l’Est vers l’Ouest.

La conséquence naturelle de ces intentions, dès la période des difficultés diplomatiques, fut que la majorité des forces du Dahomey furent concentrées à Cotonou, au bord de l’Océan.

Sur ces entrefaites, l’Angleterre prit un parti et se rangea à nos côtés. Dès lors, l’effort combiné des deux Puissances présentait des éventualités stratégiques que, d’abord, on n’avait pas envisagées. Des conférences eurent lieu entre le gouverneur français et le représentant de l’Angleterre dans le Gold Coast.

La campagne du Togo, qui devait se terminer le 28 août par la chute de cette colonie entre les mains des Alliés, fut très courte. Elle ne dura guère, en effet, que trois semaines. La conclusion en fut une victoire entière.

Des colonnes sont formées. Venant de points différens, elles se relient entre elles par l’unité du but. De l’Est, les troupes françaises, partant du Dahomey, prononcent immédiatement une attaque décidée. De l’Ouest, les contingens anglais de la Côte d’Or s’ébranlent à leur tour.

Avant d’exposer en détail les faits qui se déroulèrent pendant ces quelques jours, il est utile de faire deux remarques. D’abord, eh comparaison des effectifs innombrables qui sont engagés dans les batailles dont l’Europe est le théâtre, le nombre des combattans dans ces opérations coloniales paraîtra minuscule. Il pourrait en résulter dans l’esprit du public une appréciation inexacte de l’importance de cette campagne, en même temps qu’une idée injuste du courage et de la valeur qui y ont été dépensées. Mais ce sera répondre à toutes les critiques que de rappeler dans quelles conditions se sont passées ces luttes. La grande distance où l’on est de l’Europe rend difficile et parfois incertain le ravitaillement indispensable à une offensive déterminée. À cette époque, en effet, les mers n’étaient pas encore libres de toute menace allemande. Et puis, la guerre sous-marine, dont le rayon va croissant chaque jour, ne reste pas sans influence sur la suite de nos affaires d’outremer. Elle impose des précautions qui n’activent pas le voyage de nos courriers. Ainsi la distance se trouve accrue des difficultés inhérentes à l’état de guerre. Dans le continent africain, nos soldats se butent aux lenteurs considérables du ravitaillement par voie de terre. Quelques tonnes de munitions rendent nécessaire la levée de porteurs, dont l’organisation n’est pas allaire d’un jour. Les bien mener à travers ces forêts sans percée, exposés aux menaces de l’ennemi, qui connaît les chemins, constitue un danger très grave. Enfin, la nocivité du climat, les périls propres aux régions tropicales, les trajets de plusieurs centaines de kilomètres, augmentés encore par l’absence de moyens de transport rapide, sont des inconvéniens qui, joints à ceux qui résultent de la parfaite préparation allemande, donnent à ces expéditions un caractère très sérieux indépendamment des effectifs engagés.


Avant toute autre chose, demandons-nous quelles étaient les forces en présence ?

Là-bas comme ici, on était inexactement renseigné sur les ressources en hommes et en munitions de nos ennemis. En ce qui concerne le Togo, notre manque d’information s’explique. La France n’y possédait point d’agent officiel. Toutefois, à s’en tenir aux indications que le commandement français avait en juillet 1914, les forces allemandes dans cette partie de l’Afrique semblaient être de 2 officiers, 6 grades européens et 560 indigènes sans grande instruction militaire. La destination de ces hommes ne semblait avoir jamais été qu’une action de police régionale dans les différens postes de la colonie.

Cependant, non loin de la Côte d’Or, à Lomé, on signalait un groupement important. Il ne comptait pas moins de 144 fusils.

Tels étaient les élémens militaires allemands au Togo, — du moins le pensait-on ; mais, en réalité, ces effectifs étaient supérieurs. Ils se composaient de plus de 1 000 hommes disposant de trois mitrailleuses Maxim. Malgré cette supériorité numérique, le gouverneur von Doering eût préféré garder une neutralité qu’il avait négociée sans succès, au dernier moment. Il avait, en effet, à Kamina, la meilleure des raisons pour lui faire éviter les risques d’un échec : les crépitemens de la mousqueterie devaient troubler d’autres crépitemens dont ne cessaient d’être entourées les antennes du grand poste de télégraphie sans fil.

D’autre part, quels étaient les moyens militaires des Anglais ?

Ils amenèrent du Gold Coast 2 compagnies, qui furent ensuite renforcées par deux autres, armées de trois canons.

Le lieutenant-colonel britannique Bryant prit le commandement de ces unités, qui ne dépassaient pas 120 hommes par compagnie. À cette colonne principale s’ajoutèrent des équipes de service et 800 porteurs. Ultérieurement, après l’affaire de Chra, 3 compagnies, qui étaient concentrées sur le Volta, à la frontière anglaise près de Kete-Kratschi, reçurent l’ordre de rallier le gros des troupes à Lomé, où elles arrivèrent en partie à pied, puis par voie ferrée. De Lomé, ces renforts eurent comme objectif de gagner Atakpame, où les conduisait le chemin de fer. Enfin, deux autres compagnies anglaises arriveront de la Nigeria. Notons, afin d’apprécier exactement les faits, que ces 5 dernières compagnies, à cause des circonstances, ne prirent part à aucune action. Quant aux Français, sous la direction du commandant Maroix, ils disposaient, dès le 7 août, c’est-à-dire au moment de l’ouverture des hostilités, des forces suivantes. D’abord, la brigade[1] indigène du Dahomey. Secondement, la brigade de marche, venant de la Côte d’Ivoire pour réprimer l’insurrection Holli. Troisièmement, une brigade de tirailleurs réservistes rappelés à la mobilisation. Quatrièmement, une section d’artillerie munie de pièces de 80 millimètres. Cinquièmement, une compagnie du territoire militaire du Niger groupée à Goya. Sixièmement, une brigade Mossi, avec 300 goumiers venant de Fada N’Gourma. Ces deux dernières unités n’intervinrent pas dans les hostilités, à cause de leur éloignement du théâtre des opérations. Toutefois, la brigade Mossi prêta un appui indirect en occupant la région Nord du Togo.

Au total, le commandant Maroix a pu utiliser 3 brigades et demie, et une section d’artillerie, l’autre demi-brigade tenant le pays Holli.

En plus des Européens, il y avait 200 indigènes, un peloton de la brigade indigène du Dahomey, un autre groupe de 100 indigènes, une colonne de 350 porteurs, y compris les 160 de la section d’artillerie.

Quant aux services de l’arrière, sous la direction du chef de poste de Tchetti, assisté de 6 gardes-frontières, il comportait une dizaine de malingres et 6 partisans. A cet ensemble fut ajouté, dans la suite, un adjoint et 16 gardes de cercle.


Enfin, une formation sanitaire était organisée à Savalou.

Voyons maintenant à quelles actions se livrèrent ces forces opposées.

Dès le 7 août, 2 compagnies anglaises, venues par voie de terre, entraient à Lomé. Elles occupèrent sans difficulté la capitale, que les Allemands avaient évacuée pour se porter vers Kamina, où la défense du poste de télégraphie sans fil devait réunir tous leurs moyens.

C’est ici le cas de rappeler que, dès le commencement de la guerre, le commerce maritime avait été rendu pratiquement impossible pour nos ennemis. Les câbles sous-marins allemands avaient été détruits. Ainsi toutes les communications télégraphiques entre Berlin et ses possessions d’outre-mer se trouvaient supprimées. Seules restaient en leur pouvoir quelques puissantes installations de télégraphie sans fil, soigneusement dissimulées. Peut-être même, à l’heure actuelle, en existe-t-il encore dont les Alliés ignorent l’existence.

Le 2 août, la station de télégraphie sans fil de Jap, et bientôt celle de Nauru, furent détruites. Le 29 août, ce fut le tour de celle de Tafaigata, dans les îles Samoa. Le 12 septembre, la station de Bitapaka, dans la Nouvelle-Poméranie, subissait le même sort. Mais aucune de ces stations n’avait la valeur de celle de Kamina. Avec la destruction de ce poste devaient disparaître toutes les relations directes intercoloniales allemandes. Ce fait fut reconnu par la Gazette de Cologne dans ses numéros des 22 et 23 décembre 1914. Le grand journal rhénan ajoutait, d’ailleurs, que la tactique des Alliés provoqua dès le début un grand dérangement dans celle des Allemands.


De toutes les colonies allemandes africaines, le Togo se présentait, en cas de guerre, dans les conditions les moins favorables à la défensive. Cette terre ennemie était entourée par les possessions anglaises et françaises. Les Allemands exagèrent pourtant beaucoup quand ils disent que nous ne pouvions rencontrer aucune difficulté. Ils avaient préparé un excellent réseau de voies ferrées et routières et leur résistance avait été organisée avec une grande vigueur. Ce fut en se retirant sur Kamina, après l’abandon de la capitale, que le gouverneur allemand fit abattre la tour de télégraphie sans fil de Toglelekoje. En même temps, il fit sauter également le pont de chemin de fer sur la rivière Scio qui coule du Nord-Ouest au Sud-Est, et se jette dans l’Océan, non loin de Bagida et de Porto Seguro, localités côtières. Continuant à couvrir sa retraite, le major von Doering détruisît deux autres ponts, l’un à Atakpamé et l’autre à Paline.

Sur ces entrefaites, les Anglais occupaient Lomé. L’ennemi a reconnu, à ce propos, que la promesse faite par nos alliés de maintenir l’ordre et de protéger les propriétés privées, fut respectée scrupuleusement. Ainsi, même sous les tropiques, dans des conditions climatériques qui sont peu favorables au sang-froid et à la mesure, nous avons donné aux Allemands un exemple qu’ils se sont gardés d’imiter même en Europe !

Avant la prise de Lomé, le 6 août, les Anglais sommèrent le gouverneur allemand de se rendre. A cet effet, le capitaine Barker, commandant neuf compagnies à Addah, se présentait sous la protection du drapeau blanc. Il exposa au major von Doering que trois fortes colonnes anglaises se disposaient à franchir la frontière Ouest du Togoland. D’autre part, une colonne française se préparait à passer la frontière Nord, tandis que deux autres allaient attaquer par l’Est. Ainsi, toute résistance devait être vaine. Un délai de vingt-quatre heures, sous forme d’armistice, était donné au major ennemi pour faire connaître sa réponse. Le 6 août, à vingt et une heures, le parlementaire anglais était rentré à Quittah. Dès le lendemain, à dix-huit heures, il retournait à Lomé pour recevoir la réponse du gouverneur. Mais déjà, comme nous l’avons dit, la capitale avait été évacuée. Seul, le commandant du cercle était resté pour remettre aux mains des Alliés tout le pays jusqu’au parallèle à 120 kilomètres de Lomé.

Dès que le capitaine Barker eut fait savoir en quel état il avait trouvé Lomé, il lui fut télégraphié d’occuper la ville avec ses deux compagnies et de mettre le pays en état de siège.

À ce moment, il fallait, pour donner aux opérations l’extension nécessaire, envoyer des renforts aux premiers occupans, leur dépêcher deux compagnies et une section d’artillerie et choisir pour cet envoi entre la voie de terre ou celle de mer.

Le lieutenant-colonel commandant la colonne expéditionnaire du Togoland, constatant que quinze jours auraient été nécessaires pour gagner Lomé par terre, demanda par câble l’autorisation d’effectuer le transport des troupes par mer, ce qu’il obtint. Ainsi, le 10 août, à seize heures, le vapeur Êlele, amarré au quai de Sekondi, embarquait, en plus de deux compagnies et d’une section d’artillerie, les services de santé, de transport et de ravitaillement avec 800 porteurs. Afin d’éviter une attaque allemande, le bateau ne partit que la nuit venue. Il devait se rendre à Akra, amorce du chemin de fer qui monte vers le Nord et dont Mangoase est le point terminus. L’Élele navigua tous feux éteints. Parvenu à Akra, le petit corps expéditionnaire resta en rade pendant la journée du 11 et partit pour Lomé dans la nuit du 11 au 12 août. Arrivé sans incident, dès six heures commençait le débarquement des troupes et du matériel. Après quatre heures d’un travail fiévreux, toutes les troupes et les porteurs se trouvaient sur le quai et, six heures plus tard, le matériel avait été transporté à terre. Cette opération, menée si rapidement à bonne fin, était due au sage et vigoureux commandant du vapeur Élele, le capitaine Vardley.

Les journées des 12 et 13 août furent employées à l’organisation à Lomé des états-majors et de leurs différens services.

Le 12 août, le commandement anglais apprit la destruction du pont de chemin de fer à Togblekove, exécutée par une troupe ennemie descendue du Nord par le chemin de fer dont les Allemands pouvaient encore disposer. Dès lors, le premier soin des Anglais devait être d’arrêter ou de prévenir toute tentative de démolition plus complète de cet ouvrage d’art. Aussi, une demi-compagnie fut-elle dirigée vers Togblekove. Le lendemain, arrivait du renfort constitué par une compagnie et demie du régiment de la Côte d’Or. Le commandement de ces hommes fut remis au capitaine Bettington.

Le 14, au matin, la compagnie du 1er  régiment de la Côte d’Or partit pour Tsevie. Le quartier général et le reste de la colonne se rendirent à Togblekove.

Dans la soirée du 14, on apprenait que les Allemands avaient abandonné Tsevie. D’autre part, des patrouillas avancées rapportaient qu’il ne s’en trouvait plus au Sud d’Agbelojoe, ce qui pouvait paraître étrange, vu l’importance de cette place qui était considérée comme tête de ligne.

Le capitaine commandant la compagnie no 1 avança, le 14, à vingt-deux heures, de Tsevie sur Agbelojoe.

Le 15, à huit heures trente, à 2 kilomètres au Sud de Dane, des rapports d’indigènes assuraient que le matin de ce même jour, vers six heures, un train rempli de soldats allemands et de beaucoup d’Européens était arrivé à Tsevie et avait ouvert un feu violent sur la gare.

Ce fut le 16, à Lilikoje, vers quinze heures, que le corps expéditionnaire anglais prit pour la première fois contact avec l’ennemi. À cause de l’épaisseur extrême de la brousse et de la nature difficile du terrain, sa marche en avant ne put être poursuivie qu’à seize heures trente. L’ennemi, à ce moment, fut délogé de la position qu’il occupait sur une crête à environ 1 800 mètres en arrière de la rivière Lili, dont il venait de faire sauter le pont pour couvrir sa retraite. Les Anglais bivouaquèrent à Ekuni.

Tandis qu’arrivaient lentement 700 porteurs, des coups de fusil tirés à la nuit tombante provoquèrent un certain désarroi parmi cette colonne de ravitaillement.

Sur le pont du chemin de fer, à Ekuni, on trouva un train long de 200 wagons complètement détruit. C’était le convoi qui avait dirigé sur le Sud, dans.la matinée, des troupes ennemies vers Tsevie et qu’avait fait dérailler un obstacle placé sur.la voie par le lieutenant Collins de la compagnie du 1er régiment de la Côte d’Or.

Le 16 août, à sept heures, on amena comme prisonnier le baron Godelli, constructeur de la station radio-télégraphique de Kamina.

Nos alliés, à Sani-Koje, constatèrent pour la première fois la présence de l’ennemi. La route portait les traces d’une retraite démoralisée. Ce n’était qu’armes, effets d’équipement, bicyclettes et poneys abandonnés sur le chemin.

Bientôt, il fut constaté que le bruit d’une fusillade nourrie, dont les éclats arrivaient jusqu’à la colonne dont nous suivons les évolutions, n’était autre que celui de l’attaque opérée par le capitaine Potter et la compagnie n° 1 dont on était sans nouvelle. Ces braves venaient de capturer, à Ekuni, le reste du train, ainsi que deux locomotives. 16 Européens, une mitrailleuse Maxim, des armes et des munitions constituaient le butin de celle heureuse opération.

Revenant un peu en arrière, nous voudrions, en quelques mots, dire ce qu’avait fait cette compagnie n° 1. Le 15 août, vers quatre heures, elle avait fait halte sur la route, près d’Ekuni. Tout à coup, elle entend le bruit d’un train qui se dirigeait vers Tsevie. Le lieutenant Collins et M. Kilby, attaché au service de renseignemens, avec une section guidée par un indigène Haoussaman, se lancèrent par une piste de brousse jusqu’à la voie ferrée. Ils empilèrent des pierres à deux cents mètres au Nord du pont d’Ekuni. Puis, laissant là leurs hommes prêts à agir, les deux chefs suivirent la voie jusqu’au pont. Là, ils enlevèrent une plaque en tôle non fixée et la posèrent en travers des rails. Cela fait, une section fut placée en embuscade. Bientôt, on percevait le bruit de l’arrivée d’un train. Il fut arrêté par les pierres entassées sur la voie, mais, quand le lieutenant Collins arriva avec ses hommes baïonnette au canon dans l’espoir de s’en emparer, déjà le convoi rebroussait chemin et l’officier n’eut plus qu’à rallier le gros de sa troupe. D’un autre côté, le capitaine Potter, avec le reste de la compagnie n° 1, voulut cerner le deuxième train ; mais, quoiqu’il eût pris position tout à fait contre la voie, le train put passer à toute vitesse.

La gare d’Agbelufoe fut alors occupée et mise en état de défense. Assez tôt dans la soirée, l’ennemi venant du Sud attaqua en force, mais sans résultat. Pendant la nuit, il renouvela son effort dans l’espoir de percer dans la direction du Nord. Ce fut en vain. Dès le 15 août au matin, l’effet de tous ces événemens un peu éparpillés commença à prendre forme. L’ennemi se replia et se rendit au capitaine Potter.

L’influence morale de ce désastre sur les Allemands fut manifeste pendant tout le reste de la campagne. Dans cette occasion, les Anglais avaient eu affaire à un adversaire supérieur en nombre, — ils l’avaient battu, — et, tandis que les ennemis essuyaient cette défaite, ils attendaient vainement des renforts devant descendre du Nord vers la côte.

L’ennemi comptait au moins 200 hommes dont 30 Européens, sur lesquels 25 furent tués ou faits prisonniers. Un des résultats les plus utiles de cette opération militaire fut que 45 à 50 kilomètres de voie ferrée, au Nord d’Agbelufoe, tombèrent intacts aux mains des Anglais. La retraite des Allemands fut si hâtive qu’ils négligèrent de détruire un pont important de la rivière Haho, à 7 milles au Nord d’Agbelufoe. Dès lors, notre offensive commençait à se préciser. La possession des voies ferrées étant un moyen essentiel de pénétration rapide vers le centre de la colonie, l’occupation de ce tronçon du chemin de fer donnait à notre marche vers Kamina un point d’appui inestimable.

Trois jours de repos furent accordés aux troupes, qui, d’ailleurs, en avaient un grand besoin. Les journées des 16, 17 et 18 août se passèrent sans incident. Ce temps fut employé par la colonne de ravitaillement pour rejoindre les troupes. C’est, en effet, une des complications caractéristiques dans toutes ces opérations que de maintenir le contact entre les élémens de combat plus mobiles et les porteurs à l’allure lente. Les difficultés se mesurent moins à l’importance du ravitaillement qu’aux obstacles dont est semée la route.

Sur ces entrefaites, le 18 août, le capitaine Castaing, à la tête de 150 tirailleurs commandés par trois officiers, arrivait d’Anecho. A partir de ce moment, les forces françaises, venues du Bas-Dahomey, avaient opéré leur jonction avec les contingens britanniques. Ces renforts furent aussitôt dirigés sur le pont du Haho, et Adakakpé, situé à six kilomètres au Nord du pont en question, et qui se trouva occupé par la moitié de la compagnie Castaing.

À ce moment même, le pont de Togblekove, qui avait été en partie détruit, comme nous l’avons dit, par l’ennemi battant en retraite, venait d’être réparé. Ainsi le rail fut poussé jusqu’à la passerelle de Lilikoje où il devait s’arrêter parce que les Allemands avaient supprimé les moyens de passage de la rivière. En même temps, la ligne télégraphique était complètement rétablie jusqu’à Agbelufoe. Ainsi, non seulement notre progression était sensible, mais encore la base de nos colonnes se trouvait parfaitement organisée.

Le 19 août, nos avant-gardes occupaient Haatja.

Le lieutenant-colonel Bryant, commandant en chef, dépêcha deux courriers en vue d’unifier l’action de toutes nos forces. L’un se rendit vers le chef de bataillon Maroix, commandant la colonne française à Tchetti, l’autre rejoignit le capitaine Eglee, chef de la colonne de Krachi. Par ces messages, le chef anglais informait ses collaborateurs de son projet d’être le 26 août sur la rivière Amutschi et leur demandait de se trouver à cette date à deux jours de marche au plus de Kamina, but de l’expédition.

Le 20, tout le corps expéditionnaire était concentré à Nuatja. L’avant-garde se trouvait en partie dans Kpedome, et le gros des troupes couvrait le village.

Dès lors, les événemens se précisent et nous approchons de l’événement capital qui devait faire tomber le Togo en notre pouvoir.

Le 21 août, on apprenait que les Allemands occupaient une forte position retranchée au village de Chra, à 400 mètres au Nord du pont du chemin de fer sur la rivière Ghra, qui coule dans une direction générale Ouest-Est. C’est un affluent de l’Ogu, qui lui-même se jette dans le Mono en aval de Tung, sur la frontière séparant le Togo du Dahomey.

Des patrouilles, sous les ordres du capitaine Redfern, vont reconnaître le terrain. Quoique accueillies par un feu très nourri, elles rapportent des renseignemens détaillés sur les dispositions de l’ennemi.

Le 22 août, l’avant-garde alliée prend contact avec l’ennemi. Le corps expéditionnaire comprend à ce moment trois faibles compagnies anglaises de 120 tirailleurs et 3 canons. Il s’avance en deux colonnes, l’une suit la route, l’autre longe la voie ferrée.

Une compagnie doit rechercher un chemin qui l’amènerait derrière le flanc droit ennemi. La moitié d’une autre compagnie lui fait front, tandis que les troupes du génie ont pour mission de maintenir les adversaires éloignés de la voie. Pendant ce temps, les troupes françaises et le reste de la compagnie Castaing devaient attaquer le flanc gauche des Allemands. Ainsi, le choc était prévu sur les deux ailes et contre le centre.

Les nôtres, faisant une fois de plus preuve de beaucoup d’ardeur, foncent droit à travers la brousse vers la gauche. Mais les retranche mon s les arrêtent. A 50 mètres de ceux-ci, malgré leur bravoure, ils doivent se retirer. Le lieutenant Guillemart et le lieutenant Thompson sont tués ainsi que 13 soldats indigènes.

Cependant, la compagnie, sous un feu violent, commence à tourner le flanc droit allemand. Faute de renfort, elle ne peut pousser à fond l’attaque pourtant si bien commencée. A la tombée de la nuit, elle se replie dans le lit de la rivière, à 300 yards à l’Ouest du village, et s’y retranche.

De leur côté, les troupes françaises et une moitié de la compagnie Castaing contiennent la gauche ennemie pendant que l’autre moitié attaque le front.

Toutes les dispositions étaient ainsi prises pour renouveler l’offensive, quand des patrouilles envoyées en avant rapportèrent que le village était maintenant inoccupé. Pendant la nuit, les Allemands s’étaient enfuis précipitamment. L’engagement de la veille étant resté incertain, on ne comprend pas pourquoi l’ennemi prit ce parti imprévu. Tout compte fait, le point du territoire qu’il importait de défendre restait Kamina. Le commandement s’en rendait d’autant mieux compte que l’issue d’un nouvel engagement à Chra demeurait indécise. Il convient d’ajouter que la colonne sous les ordres du commandant Maroix venant de Tchetti se trouvait alors à moins de deux journées de marche de Kamina. Informés de cette nouvelle menace contre leur poste de télégraphie sans fil, les Allemands s’y portèrent immédiatement, car là se trouvait le vrai but de toute leur résistance.

Entre temps, ils s’étaient livrés à une consommation étonnante de munitions. Les trois mitrailleuses dont ils disposaient furent maniées avec autant de sang-froid que d’à-propos, ce qui produisit un effet moral considérable sur les troupes noires. La position choisie était excessivement forte, et l’avis du chef de l’expédition anglaise est que son organisation avait été l’œuvre d’un officier vraiment à la hauteur de sa tâche.

Pour apprécier comme il convient la situation des Allies devant dira, faisons remarquer le manque complet de communication entre les différentes colonnes d’attaque et partant l’impossibilité pour le commandant en chef de suivre les progrès faits par chacune d’elles. La conséquence fatale en était le manque de liaison. Chaque colonne devait opérer pour son propre compte à cause de l’épaisseur de la brousse couvrant le pays. Le lieutenant-colonel Bryant devait ainsi diriger un tout dont les parties, dans une mesure variable, échappaient à son jugement. Faute de bonnes positions, les canons furent de peu d’utilité. Il vint s’y joindre deux inconvéniens sans remède. D’abord, l’absence de tous moyens d’observer le tir ; ensuite, la petite quantité de munitions par pièce qu’il est possible de transporter à dos d’hommes.

La brousse couvrant de son mystère, souvent impénétrable, l’ensemble du combat, les nôtres en étaient encore à se demander quelle était la force du parti ennemi. On sut depuis que les Allemands avaient disposé de 60 Européens et de 400 indigènes. Du côté franco-anglais, les pertes furent de 2 officiers et 21 indigènes tués et de 2 officiers, et de 48 indigènes blessés, donnant ainsi un total de 73 hommes hors de combat. Si on songe que c’était là un déchet de 17 pour 100 de nos effectifs engagés, on comprendra mieux le caractère cruel de ces luttes où la valeur de chacun supplée au nombre.

Quant aux ennemis, leurs pertes furent très peu élevées. Les retranchemens qui les abritaient l’expliquent. Tout ce qu’on apprit, ce fut la mort de 2 Européens tués.

Quoi qu’il en soit, dès huit heures, le village de Chra était en notre pouvoir.

Les 23 et 24 août furent employés à l’évacuation des blessés, à la réorganisation des convois de bagages et de vivres. De fortes patrouilles d’officiers furent envoyées sur Clei et vers la rivière Amu, qui coule de l’Ouest vers l’Est et constitue un des principaux affluens du Monu dont nous avons eu déjà l’occasion de parler plus haut.

Des renseignemens recueillis, il résultait que l’ennemi venait de recourir à des mesures désespérées. En effet, pendant la nuit du 24 au 25 août, on entendit le bruit d’explosions dans la direction de Kamina. Dès le 25, à huit heures, on constatait que les pylônes de la station radiotélégraphique, encore très visibles la veille des environs de Clei, avaient disparu.

Le 25, à dix heures trente, le corps expéditionnaire occupait Clei et son avant-garde était sur la rivière Amu, où le pont du chemin de fer aussi bien que celui de la route avaient été détruits par l’ennemi en retraite. Nous nous trouvions à 85 kilopiètres à vol d’oiseau de Kamina, but ultime de notre campagne.

Ce même jour à seize heures, deux Allemands s’avançaient en parlementaires. C’étaient le commandant von Roben et M. Gullenkampf, venu comme interprète. Ils se rendaient à Clei pour discuter les termes d’une capitulation. La réponse du lieutenant-colonel commandant les Alliés fut ce qu’elle devait être : il exigeait la reddition sans aucune réserve. A l’appui de notre réponse, nous avançâmes immédiatement sur Anutschi. La rive Nord de la rivière Amu fut occupée par 2 compagnies à faible effectif. D’autre part, le capitaine Castaing commandant les troupes françaises se portait avec ses hommes en avant du pont du chemin de fer.

Durant la nuit du 25 au 26 août, il se produisit une crue des eaux de l’Amu, qui rendait très difficile et même périlleux le passage de la colonne avec son convoi. Cependant, des passerelles furent construites. A midi, les troupes avec armes et bagages s’étaient transportées sans aucun accident de l’autre côté des eaux devenues de plus en plus menaçantes.

Tandis que ces événemens se déroulaient grâce surtout à l’action décidée des troupes anglaises, mais aussi pour une bonne part des troupes françaises, comme nous l’avons exposé plus haut, le commandant Maroix réunissait à l’Est du Togo, toutes les troupes du Dahomey, à l’exception de la brigade Castaing. Le rassemblement fut effectué à Tchetti. De là il était décidé qu’on marcherait directement sur Atakpame-Kamina.

Tchetti se trouve tout près de la frontière du Togo et dans le voisinage d’une des deux sources de la rivière Couffo. Pour atteindre de là les deux objectifs visés, il fallait descendre dans une direction Sud-Ouest vers Atakpame, — ou monter au Nord afin de gagner Kamina : les deux directions, on le voit, étaient très divergentes,

La rivière Mono, collecteur principal des eaux de cette région, fut à son passage par les troupes françaises le théâtre de nombreux engagemens sans très grande importance. Cela se passait le 23 août : dès le 26 août, les Français se trouvaient devant Kamina. Le 27, ils y entraient par l’Est en même temps que la colonne anglo-française y pénétrait par l’Ouest. La colonne du commandant Maroix se composait de 300 fusils, 2 pièces de montagne, le tout commandé par 4 officiers.

Tel est en résumé l’action du corps Maroix, mais il convient d’en préciser certains détails.

Le 5 août, un détachement ennemi attaque Petit-Popo et détruit les ponts du Guidji et de Sébé. D’autre part, on signalait la réoccupation des postes douaniers par 200 hommes environ et une grosse concentration sur Lomé où déjà les Allemands s’efforcent de rendre le wharf inutilisable.

Le 6 août, tous les sentiers menant vers la rivière le Mono sont sillonnés de patrouilles, tandis qu’un mouvement général de l’ennemi vers Atakpamé est apparent.

Sur ces entrefaites, les Français procèdent à la réparation de la voie ferrée Lomé-Petit-Popo, dont l’utilisation devait servir grandement les communications avec le Dahomey.

Dans la nuit du 7 au 8, les commandans français et anglais se mettent en rapport par radiotélégrammes. Les mouvemens sont concertés en commun comme nous l’avons exposé précédemment. Successivement sont occupés le poste d’Avoueganou, Tablibo, et différens centres importans au Nord de Petit-Popo. Tous les postes de douane allemands du Mono jusqu’à Tokpli sont gardés par le personnel des postes correspondans français. Les Allemands se sont complètement retirés de la région Sud dont l’occupation est terminée. Partout la population indigène accueille les troupes françaises avec empressement.

En résumé, sans qu’il fallût se livrer à aucune opération militaire, toute la partie méridionale du Togo tombait entre nos mains. Ce résultat fut sans doute dû en bonne partie aux marches forcées accomplies par le capitaine Marchand.


Quelles étaient les troupes dont la coopération pouvait être escomptée au moment où commençait la conquête du Togo ?

À Anecho et dans les postes de cette province, il y avait une brigade provisoire de marche du Dahomey comprenant 3 officiers et 210 fusils. À Cotonou, se trouvait une brigade de réserve de 3 officiers et 210 fusils ; puis, une section de la brigade du Dahomey de 52 fusils ; enfin, une section d’artillerie de 80 de montagne, c’est-à-dire 2 canons à 300 coups. A Djougou, 51 fusils ; à Pobe, 59. — En outre, à Gaya une compagnie était mise à la disposition du, commandant Maroix. Elle comprenait 80 hommes fusiliers qui devaient être transportés par convoi automobile.

La conduite de toute cette affaire du Togo reposa pour une bonne part sur l’interception d’un radiotélégramme envoyé par le gouverneur allemand von Doering au gouvernement de Berlin pour l’informer que toutes les forces allemandes seraient concentrées dans l’intention de préserver la station radiotélégraphique de Kamina.

La route de Tchetti, excellente voie de communication, s’ouvrait aux nôtres pour prononcer une vigoureuse attaque sur le flanc de l’adversaire.

Le 8 août, le chef de bataillon commandant militaire prescrit un mouvement dans la direction de Dassa-Zoume, puis, une fois arrivées là par train spécial, les troupes devaient continuer par voie de terre vers Savalou et Tchetti.

Le 10 août, le général de division commandant supérieur mit à la disposition du commandant militaire du Dahomey une brigade du Haut Sénégal-Niger et les goums du Mossi.

Dès le 13 août, le lieutenant-gouverneur du Dahomey, le lieutenant-colonel anglais Bryant et le commandant Maroix s’entendirent pour régler la marche des différentes colonnes vers Kamina.

Le 14, la section Balaim reçoit l’ordre de se porter rapidement sur Doume, à 25 kilomètres au Nord de Tchetti. D’autre part, le capitaine Castaing avec sa brigade, composée de 3 sections, soit en tout 150 fusils, se porte sur Game, où, comme nous l’avons vu, il se met à la disposition du chef de l’expédition anglaise.

Avant de s’engager ainsi vers le Togo, l’officier commandant devait laisser une section sur la côte, à Anecho, et à Porto-Seguro, également sur le littoral, mais plus à l’Ouest, un détachement de gardes de cercle pour assurer en son absence l’administration provisoire et la police de la province d’Anecho, conformément aux articles 42 et 56 du règlement du 2 décembre 1910, ce qui était une application de la Convention de La Haye.

Le 15 août, au soir, les opérations de mobilisation sont terminées. La question du Togo Sud était liquidée. En même temps, la sécurité intérieure du Dahomey, assurée par la reddition du chef rebelle Mohilo, se trouvait à l’abri de tout imprévu.

Le 21, les Alliés apprenaient que 110 officiers, sous-officiers et soldats de l’armée active allemande ou de la réserve européenne et environ 500 indigènes armés s’étaient concentrés à Kamina. En plus, dans la suite, le nombre des Européens s’est accru en même temps que le groupe des indigènes se grossissait d’un appoint de 300 nouveaux hommes. Mais ces derniers étaient mal armés et peu instruits.

Le 16 août la colonne anglaise avait, à Agbelove, tué ou fait prisonniers 21 Européens et 250 hommes de troupes indigènes.

Les Français, de leur côté, étaient appuyés par la colonne anglo-française, forte de 600 hommes et de 3 canons.


Le convoi était encadré par une demi-section qui détachait une faible arrière-garde. Les porteurs, au nombre de 150, étaient répartis de la manière suivante : au maximum les officiers avaient droit pour leurs bagages à trois porteurs, les sous-officiers et autres hommes de troupes à deux. Le nombre des hommes nécessaires au transport du matériel était aussi réduit que possible.

Le 24 août, après avoir la veille surtout livré un violent combat sur le Mono, le commandant Maroix recevait du lieutenant-colonel Bryant le télégramme suivant expédié de Chra le 22 août à vingt-trois heures : « Combat sérieux ici aujourd’hui. Ennemi sérieusement retranché. Regrette infiniment vous informer que, de vos troupes, un sous-lieutenant a été tué et 24 hommes ont été tués ou blessés. Avons fait bons progrès et espère être en possession ennemi demain. »

De son côté, le commandant français l’avertissait qu’après avoir franchi le Mono, il avançait sur Agbelove afin de détruire l’appareil téléphonique que l’ennemi y avait installé pour renseigner Kamina sur les mouvemens des Alliés.

Le 25 août, la colonne française atteignit dès neuf heures du matin Agbelove. Le village était organisé en vue d’une forte résistance. Malgré cela, l’ennemi l’avait abandonné vers six heures en emportant l’appareil téléphonique.

Le 26, au point du jour, la colonne, laissant ses bagages sous la garde d’une section à Ololé, marcha sur la position de Kamina par le petit sentier qui traversait successivement les villages Adjami, Apaka et Ssutoë où elle arriva à neuf heures et demie. Tous les chefs de village étaient absens. La colonne traverse Ssutoë à moins de 5 kilomètres de Kamina à l’Est. Un bon chemin y conduit. A onze heures, l’avant-garde était à 800 mètres de Kamina. Deux sections portées en avant couvraient la tête de la colonne pendant la reconnaissance du terrain. Kamina est entourée par une haute brousse épaisse. Les Français, occupant une position d’attente, essayèrent de se lier avec la colonne anglaise. Sur ces entrefaites, le lieutenant-colonel anglais informa le commandant Maroix qu’il escomptait une capitulation prochaine des ennemis. Deux heures et demie plus tard, un nouveau message annonçait que la capitulation aurait lieu le lendemain. Le commandant Maroix répondit qu’il était avec ses troupes prêt pour l’attaque à 800 mètres de Kamina. De plus, il réclamait du gouverneur allemand von Doering un parlementaire pour traiter, mais il n’obtint pas de réponse. Le chef français somma alors les Allemands de se rendre. En l’absence persistante de nouvelle, les troupes se portèrent en avant. Au moment où les nôtres arrivaient à la lisière de la vaste zone débroussaillée en avant de Kamina, ils aperçurent une quinzaine de drapeaux blancs. Deux groupes d’Européens étaient rassemblés dans des parties défilées. Un parlementaire quitta enfin le voisinage du pavillon du gouverneur et s’avança au-devant de l’officier-adjoint, le capitaine Friry, qui, accompagné d’un clairon porteur d’un fanion blanc, dépassa la ligne française.

Dans cette entrevue, l’officier allemand qui se présentait déclara au commandant français que, le matin même, une capitulation sans condition et pour toutes les troupes du Togo avait eu lieu entre les mains du lieutenant-colonel Bryant. Il ajoutait que le gouverneur von Doering s’estimait protégé par les drapeaux blancs arborés sur les divers bâtimens. Quelques instans après cette déclaration faite au nom de l’ennemi, était apportée une lettre du gouverneur du Togo. Elle confirmait les paroles du parlementaire. Des excuses étaient exprimées pour ne l’avoir pas envoyée plus tôt.

En effet, le 26 août à dix heures trente, la colonne expéditionnaire franco-anglaise sous les ordres du lieutenant-colonel Bryant était arrivée à Anutschi. Deux officiers allemands vinrent au-devant des Alliés. Ils apportaient une lettre. Les Allemands se rendaient.

De tous les rapports reçux il résulte que les Allemands s’étaient fait une idée inexacte sur la force numérique des Alliés. Mais, même dans ces conditions, on peut s’étonner qu’ils n’aient pas tenté plus sérieusement d’entraver la marche de nos colonnes avant qu’elles n’eussent atteint Tsevie et Agbelufoe.

Une première fois, après l’affaire qui eut lieu près de Tsevie, l’ennemi eut la crainte de voir coupée sa ligne de retraite. Toute son attitude ultérieure procède de là. Ce n’était d’ailleurs pas sans raison, puisque les Allemands dépendaient exclusivement de leur chemin de fer. Si nous avions pu, poussant très au Nord, occuper la voie ferrée, ils se seraient trouvés pris comme dans une trappe.


D’après les renseignemens donnés alors, tout avait été détruit par les ennemis eux-mêmes dans le village de Kamina. Le lieutenant-colonel Bryant s’était engagé à n’entrer dans la place que le 27 à huit heures. Respectant ces conventions, la colonne française s’installa dans un petit village proche, Ssutoë, où à dix-huit heures se présentait de la part du chef anglais le capitaine Hornby ; il venait à son tour avertir le commandant Maroix de la capitulation imposée aux Allemands et acceptée par eux. Il demandait au commandant Maroix de bien vouloir joindre un détachement à celui de la colonne alliée pour entrer à Kamina.

Nous y entrions le lendemain matin à huit heures. — D’une part, une troupe alliée ayant en tête la brigade Castaing, — ainsi l’avait voulu par courtoisie le colonel anglais, — arrivait par la route venant du Nord-Ouest. D’un autre côté, la colonne française y débouchait par l’Est. Ainsi réunies, les deux troupes rendaient les honneurs aux drapeaux des deux nations. Ce fut sous le soleil africain la communion de deux grands peuples dans une même pensée d’estime réciproque. Immédiatement après cette cérémonie, le lieutenant-colonel Bryant notifiait au gouverneur von Doering les instructions concernant la reddition. En même temps, ces ordres étaient traduits au chef de bataillon Maroix.

Quelles furent les prises ?

206 prisonniers européens, — 3 canons Maxim’s, — 940 fusils, — 142 carabines du calibre 450, — 208 800 cartouches Mauser, 99 000 munitions diverses, environ 450 moyens de transport comprenant le matériel roulant en entier, quatre locomotives du chemin de fer du Togoland. De plus, des automobiles, des bicyclettes, des vivres et des habillemens, différens équipemens, de grandes quantités de poudre et de mélinite, enfin, du matériel télégraphique et des fonds publics. En outre, les Français avaient pris à Patuklu un Européen, 20 fusils et 200 cartouches.

Quinze jours après le débarquement à Lomé, les opérations avaient réalisé l’objectif assigné aux efforts concertés des Anglais et des Français.


Il nous reste à dire ce qui s’est passé dans le Nord du Togo.

Le 14 août, à six heures du matin, le commandant Maroix avisait par télégramme le capitaine Bouchez, à Ouagadougou, que, dans le cas où il occuperait Sansané-Mungo sans résistance, il devrait marcher aussitôt sur Sakode avec sa brigade et un goum en laissant le reste du personnel pour tenir la province de Sansané.

Le 17, une colonne mobile anglaise, sous les ordres du lieutenant Bellon, se présentait à Sansané, mais, trouvant le poste occupé par des troupes françaises, elle repartit le 21 sur la route de Bassari.

Sur ces entrefaites, Sansané-Mungo et Sokodé étaient signalés comme évacués par les Allemands. Les Français voulurent s’y rendre par marches forcées ; malheureusement, bien que rapide, la progression fut gênée par les pluies. Le 26, le capitaine Bouchez arrivait seulement en même temps que le lieutenant Marotel.

En résumé, une compagnie du territoire militaire du Niger groupée à Gaya et une brigade Mossi avec 300 hommes sous les ordres du capitaine Bouchez envahirent le territoire ennemi et occupèrent sans combat Sansané-Mungo et Bokodé, chefs-lieux de province où ils reçurent la soumission des chefs indigènes de ces régions. Dès le 15 août, Sansané était prise, alors qu’un groupe anglais venu de Sumbadka n’y arrivait que le 18. Sokodé se trouvait occupé le 25 août, trois jours avant que le même groupe anglais y parvint. Au total, ces opérations avaient mis en action 115 tirailleurs, 3 sous-officiers, 2 officiers de troupes régulières, 115 cavaliers de troupes auxiliaires et 400 partisans.

Quel était le plan d’action de l’offensive contre le Nord du Togo ?

Il fallait, d’abord et dans tous les cas, envahir le pays par le plus grand nombre de directions possible de manière qu’il y eût concordance avec l’action alliée sur le littoral et qu’on donnât à l’ennemi l’impression qu’il était débordé. Ensuite et selon le cas, s’il n’y avait pas de résistance, prendre avec rapidité possession de chaque poste.

Le 5 août, le capitaine Bouchez était parti à la mobilisation de Dori sur Kati ; touché par l’ordre de mouvement le 13 août à dix-huit heures à Baraboulé, entre Djibo et Bandiagara, à 700 kilomètres au Nord-Ouest de Sansané-Mungo, il coupa seul vers le Togo et rejoignit la brigade, le 25 au matin, au premier village allemand, à 100 kilomètres de Sansané. En sept jours, il avait traversé les 300 kilomètres d’inondation du Yatanga, passé une demi-journée à Ouagadougou pour divers soins d’organisation de la colonne et effectué en trois jours et demi les 300 derniers kilomètres qui le séparaient de la frontière. Pendant ce temps, les Allemands, sans avoir attendu le choc et refusant de combattre, étaient en pleine retraite vers le Sud.

Le 9 août, un premier détachement, composé de tous les Allemands de Sansané et 180 soldats indigènes, avait évacué ce poste, emportant tout ce qu’il pouvait. Les Français, ce qui prouve la fuite précipitée des Allemands, trouvèrent ce poste dans l’état habituel de sa vie courante avec ses archives, ses cartes et même un pavillon (non hissé).

Le 15 août, les postes de Bassari et de Sokodé étaient également évacués.

Cette retraite détruisit tout le prestige allemand chez la population indigène déjà médiocrement disposée envers une autorité extrêmement dure. Ce fut en vain que nos ennemis répandirent en partant le bruit de leur retour prochain et qu’ils cherchèrent par des cadeaux ou des avances de solde à s’assurer la fidélité des indigènes. L’incrédulité resta complète. La prompte arrivée des troupes françaises empêcha seule la population de se livrer au pillage. Partout, les Alliés furent bien accueillis, sauf par les habitans du village de Poussigua.

Du 13 au 25 août, des pointes furent poussées de tous les côtés. Ces opérations se terminèrent le 26 par l’arrivée de la 4e brigade au poste de Sansané-Mungo où se trouvait ainsi réunie tout entière et concentrée la colonne Nord-Togo le jour même où, après le combat de Kamina, les troupes du Sud recevaient du gouverneur allemand la reddition générale de la colonie entière.


Le Togo est maintenant partagé comme suit : aux Anglais, la côte jusqu’à Porto Seguro le long du lac de Togo jusqu’à l’embouchure du Haho, le cercle de Lomé, la région de Misahohe, partie du cercle d’Atakpame qui est situé à l’Ouest du chemin de fer.

Aux Français, le cercle d’Anecho, celui d’Atakpame à l’Est du chemin de fer, Atakpame même et le cercle de Sokode.

Nos ennemis reconnaissent eux-mêmes par la voix de leur grand organe, la Gazette de Cologne, que l’occupation du Togo, aussi bien dans la partie attribuée aux Anglais que dans celle remise aux Français, n’a été accompagnée d’aucun désordre, mais, que, au contraire, l’administration s’est employée au mieux des intérêts du pays. Partout, de l’avis même de nos adversaires, les prisonniers ont été traités convenablement.

Les Allemands continuent leurs affaires dans la partie occupée par les Anglais. L’exploitation du wharf, de la douane, du chemin de fer de Palimé et de la côte fonctionnent aux tarifs antérieurs.

Ainsi prirent fin les opérations qui donnèrent à la France les élémens d’une nouvelle colonie. Les troupes franco-anglaises venaient d’enlever à la domination germanique un pays immense et certainement plein d’avenir.


CHARLES STIENON.

  1. Brigade, dans le sens qui lui est donné aux colonies, est l’équivalent du terme compagnie, employé dans les armées métropolitaines.