La Bretagne (Janin)/Dédicace

Ernest Bourdin, éditeur (p. i-iv).

À MONSIEUR

LE VICOMTE DE CHATEAUBRIAND.

MONSIEUR,

Vous avez bien voulu permettre que votre nom, illustre entre tous les noms célèbres, fût inscrit au frontispice de ce livre, entrepris à la louange de la Bretagne, qui vous place, avec tant d’orgueil, à la tête de ses plus dignes enfants.

Cette autorisation, que vous avez accordée avec la bienveillance qui vous est naturelle pour les entreprises honnêtes et sérieuses, a été pour nous tous, pour l’écrivain et pour les artistes, un encouragement précieux. Les uns et les autres, à force de zèle, de travail, de persévérance, ils ont voulu élever un monument qui ne fût pas trop indigne de mériter votre intérêt et d’attirer vos regards. — Votre nom sera le premier nom de ce livre ; votre nom fermera l’histoire de cette province de Bretagne que vous nous avez appris à aimer de si bonne heure, vous le poëte du quatrième livre des Martyrs, vous l’historien qui racontez à la façon de Bossuet lui-même les annales de la patrie française, vous qui venez, récemment encore, car votre plume est infatigable comme votre esprit, de rendre à la Bretagne une famille qui est sienne, en écrivant la Vie de Rancé.

Vous êtes notre maître, vous êtes le maître de ce siècle. Vous avez indiqué de nouveau, avec la conscience de la probité et du génie, la voie abandonnée par le siècle passé, la voie chrétienne. Votre parole austère et poétique s’est élevée la première — avec quel éclat et quelle énergie, l’histoire le dit déjà ! — au milieu des ruines amoncelées, sur les débris du vieux trône et des autels sacrés. — Votre souffle puissant a rendu la vie et l’honneur à tout ce qui était l’histoire, la poésie, les vieux noms glorieux, les conquêtes d’autrefois. — Vous avez démontré, à la façon d’un poëte et d’un Père de l’Église d’Orient, le génie de l’Évangile ; aussi êtes-vous compté, par cette nation que vous avez sauvée, non-seulement au rang des plus illustres poëtes, mais encore, et c’est une gloire qui vous touchera davantage, à la tête de ses plus excellents bienfaiteurs.

Non, le monde n’est pas ingrat ; ce monde, il est vrai, a joui des travaux achevés par d’autres que par lui, mais il a connu ce que ces travaux ont coûté : » Il a trouvé le ridicule que Voltaire avait jeté sur la religion effacée, les jeunes gens osant aller à la messe, les prêtres respectés au nom de leur martyre ; » mais ce vieux monde n’a pas cru que cela était arrivé seul, que personne n’y avait mis la main[1] : au contraire, il sait très-bien, et il n’oubliera jamais, le nom de l’homme illustre qui a accompli cette révolution salutaire, et qu’il s’appelle Chateaubriand.

Non, le monde « n’a pas senti d’éloignement pour celui qui a rouvert la porte des temples en prêchant la modération évangélique, pour celui qui a fait aimer le christianisme par la beauté de son culte, par le génie de ses orateurs, par la science de ses docteurs, par les vertus de ses apôtres ! » Au contraire, la reconnaissance est universelle comme le bienfait ; au contraire, les honneurs et le respect unanimes sont venus chercher dans sa retraite le rude et éloquent jouteur dont la vie n’a été qu’un combat « contre tout ce qui était faux en religion, en philosophie, en politique ; contre les crimes ou les erreurs de son siècle, contre les hommes qui abusaient du pouvoir pour corrompre ou pour enchaîner les peuples. » Et la preuve de la reconnaissance publique, c’est que cet homme a été suivi par son siècle dans le chemin qu’il a tracé. « Une jeunesse généreuse s’est jetée dans les bras de qui lui prêchait les nobles sentiments qui s’allient si bien aux sublimes préceptes de l’Évangile, » et après s’être ému du combat, le monde a rendu à la victoire et au victorieux tous les hommages qui leur sont dus.

Voilà pourquoi, dans toute œuvre littéraire un peu sérieuse, c’est vous que l’on invoque le premier. Vous êtes l’exemple, vous êtes l’encouragement, vous êtes la consolation, vous êtes le conseil. Le philosophe, le poëte, l’historien, l’orateur, le prédicateur de l’Évangile, tous les hommes qui parlent à l’intelligence et à l’âme des peuples, s’abritent à l’ombre de votre gloire. Ce qu’ils savent vous le leur avez enseigné ; ils n’expriment que les sentiments que vous leur avez appris ; le peu de style qu’ils possèdent, ils font puisé dans vos livres ; le peu de courage qui les soutient leur vient de vous : ils sont éclairés de votre soleil, ils marchent dans votre sentier.

Ce livre sur la Bretagne est écrit sous vos auspices ; il est écrit dans les mêmes sentiments que cette histoire de Normandie pour laquelle vous n’avez pas été sans quelque indulgence. À force de soins, de zèle de travail, nous avons essayé de retracer l’image ressemblante d’une province que vous avez souvent dessinée d’un seul trait, et qui se retrouve vivante dans votre poëme, dans votre histoire. Dans tout le cours de ce récit, on s’est efforcé de ne pas sortir des bornes les plus strictes de la vérité, de la justice, de la croyance. Puisse ce livre être accepté par vous, comme un nouvel et sincère hommage du respect que nous portons à votre génie, et de notre admiration profonde pour votre vertu !

J’ai l’honneur d’être, monsieur le Vicomte, je devrais dire

Monseigneur,
Avec le plus profond respect,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
Jules JANIN.
  1. Préface du Génie du Christianisme pour l’édition de 1828.