Ernest Bourdin, éditeur (p. 1-40).


CHAPITRE PREMIER.


Origines. — Limites de la Bretagne. — Les Celtes. — Les Druides. — Velléda. — Tacite. — Jules César. — Pline le naturaliste. — Division des Gaules par les Romains.


Pour l’homme habile et de bon sens qui tient à se rendre compte des diverses parties dont se compose la patrie française, il n’est pas de meilleure méthode que celle-ci : jetez un vaste coup d’œil sur l’ensemble, et quand enfin vous aurez compris par quelle suite régulière et providentielle de progrès, de conquêtes, d’alliances, de grands hommes, d’heureux hasards ; par combien de prévoyance et de sagesse a été formé et s’est composé le royaume de France, alors vous pourrez revenir tout à l’aise sur les parties diverses de cette grande histoire. Après avoir étudié dans ses développements magnifiques cette terre bénie du ciel et fêtée des hommes, le lecteur en étudiera les diverses contrées avec soin, avec zèle, avec respect. Noble étude, qui consiste à remonter de la province au royaume, à savoir le royaume pour mieux savoir la province ; noble étude, à laquelle l’histoire préside, et avec l’histoire tous les grands hommes qui l’ont faite, les hommes de la paix, les hommes de la guerre, le soldat et le poëte, le philosophe et l’artiste, les belles personnes et les gentilshommes, le peuple et le rot ; œuvre immense de la patience et du génie, à laquelle tout contribue, le temps qui passe, le législateur qui fonde, le peuple qui obéit, le souverain qui commande, le soleil qui éclaire, la mer qui féconde, la liberté qui agrandit la terre, la Providence qui mène le monde. Ainsi vue de très-haut, l’histoire n’a pas de landes stériles, elle est la même pour chacun et pour tous, histoire du village qui se repose à l’ombre nourricière de la charrue, n’a pas moins intérêt et ne porte pas en elle-même moins d’émotions, que les annales de la cité superbe tout occupée à repousser des sièges ou à porter l’invasion chez les peuples voisins ; le paysan dans sa cabane n’est pas moins digne de notre étude et de notre sympathie, que le baron dans son manoir féodal. Entendez-vous toutes ces voix diverses qui s’élèvent de chaque partie de la France ? Que de bruits, que de clameurs, que de travaux, que de halles laborieuses, les armes à la main ! Que d’épées brisées, que de charrues fatiguées ! que de génie et de courage dépensés à combler la distance qui sépare les provinces de la France ! Eh bien ! pour être justes envers toutes les parties de ce grand territoire, il les faut interroger l’une après Vautre ; il faut rechercher patiemment leurs titres de noblesse, et leurs travaux passés, et les espérances présentes, et les luttes d’autrefois, et les mœurs et les croyances, et le paysage, et tout ce qui fait dire aux cœurs bien nés : Que la patrie est chère ! Et, croyez-nous, ce sera un grand jour quand chaque fragment de la patrie commune aura rencontré son historien actif et studieux ; alors seulement de ces provinces bien étudiées et de cette réunion d’études faites avec soin et conscience, se composera la grande histoire, — l’histoire de toutes ces races diverses, de toutes ces villes, de tous ces hameaux, de ces fleuves, de ces mers, des sceptres et des épées, et en un mot de tous les nobles outils de la civilisation humaine : — serfs attachés à la glèbe, soldats qui suivent leurs capitaines, magistrats qui fondent les lois, prêtres qui enseignent l’Évangile, peuple qui se réveille, bataille, tumulte, royaume, république, empire, liberté !

L’histoire que nous écrivons aujourd’hui est une des histoires les plus difficiles et les plus curieuses qui se puissent entreprendre. À l’ouest de la France s’étend d’une façon formidable une grande presqu’île ; elle va s’allongeant entre deux mers, et elle forme à l’occident la pointe la plus avancée du continent européen. Cette contrée, qui appartient autant à la poésie qu’à l’histoire, tour à tour république fédérale, royaume, duché, province du royaume de France, c’est la Bretagne. Depuis les temps de Jules César jusqu’au dixième siècle, elle a défendu ses libertés par toutes les résistances de la parole et des armes. Elle a tenu à ses privilèges comme les honnêtes gens tiennent à l’honneur de leur nom. Ses soldats se sont battus sur tous les champs de bataille ; ses grands capitaines ont contribué autant que les plus grands rois de France à l’établissement du royaume. Les Bretons ont été les plus hardis conquérants de la mer ; ils ont leur part dans toutes les gloires pacifiques et guerrières de la nation française, par Duguesclin, par Abeilard, par M. de Chateaubriand. Province austère, elle eut pour ses premiers historiens et pour ses premiers architectes les vieux druides. Vastes forêts, landes stériles, bruyères, torrents, mer qui gronde, bardes qui chantent, philosophes qui rêvent, illustres penseurs, énergiques précurseurs de la croyance et du doute, qui s’arrêtent à M. de Lamennais comme à leur héritier le plus illustre et le plus direct.

La côte nord de la Bretagne commence aux grèves du Mont-Saint-Michel, qui la séparent de la Normandie, son ancienne et formidable rivale. La limite est digne des deux provinces : forteresse imprenable, voilà pour la Normandie ; formidable écueil, voilà pour la Bretagne. À partir de ce point terrible, le regard, épouvanté, s’arrête sur une côte hérissée de rochers et percée de baies profondes ; vous comprenez, rien qu’à suivre ces choses bouleversées, que le flot de la mer s’en est rendu maître par la violence. En effet, le continent a perdu tout l’espace, aujourd’hui recouvert par les îlots, qui s’étend entre la Normandie, les îles de Jersey et la côte bretonne. Là s’élevait, profonde, remplie de ténèbres et de mystères, la forêt de Scissy, cette terre des fables et des miracles dont parlent les légendes. On trouve encore, le long de ces grèves, à quelques pieds sous le sable, des arbres entiers ensevelis par la mer, irrécusables vestiges de ce déluge dont l’histoire n’a gardé qu’un vague souvenir. Le cap Fréhel, pâles rochers que l’on prendrait de loin pour autant de fantômes, grottes profondes habitées par des géants, est la partie la plus pittoresque de cette côte, dont le sillon de Talberg et le point le plus avancé. Des îles nombreuses, des écueils noirs et tranchants, des bruits d’une ardeur sauvage, semblent défendre cette terre solennelle, où viennent se briser incessamment les vagues vertes et saccadées de l’océan Britannique.

À l’ouest et au sud de la Bretagne se déroulent les îlots de l’Atlantique. Cette fois encore le paysage prend un aspect plus sauvage, les côtes s’élèvent plus désolées et plus menaçantes, ce ne sont que souvenirs lugubres, tristesses infinies, histoires de funérailles et d’horribles catastrophes. Qui pourrait compter les marins engloutis entre le cap Saint-Matthieu et la baie des Trépassés ? qui pourrait dire

Vue du cap Saint-Matthieu.

les naufragés massacrés par les pilleurs de mer entre les brisants de l’île de Sein et l’embouchure de la Loire ? Ce fleuve, qui sépare le Poitou de la Bretagne, continue au midi les limites de cette province, dont les marches de l’Anjou, du Maine et de la Normandie forment la frontière continentale.

Le sol de la Bretagne est tout hérissé d’accidents pittoresques : collines, plaines, montagnes, ruines, déserts, fraîche verdure, profonds silences, vaste campagne, vaste nature. La province est traversée, dans la direction de l’ouest, par deux chaînes de montagnes peu élevées. De ces hauteurs plus humaines descendent toutes sortes de petits ruisseaux sans nom qui arrivent à la mer aussi inconnus qu’au départ. Ces beaux petits filets d’eau, d’une limpidité si charmante, rafraîchissent le paysage : paysage rempli d’une sauvage grandeur, de surprises naturelles, de souvenirs ; les bruyants orages passent sur la tête du laboureur sans la toucher ; ciel nuageux ; mais, quand le rayon vainqueur perce la nue, toute la limpidité éclatante des soleils du Nord.

La question des origines de la race bretonne a été le sujet inépuisable de dissertations sans nombre et de livres sans fin[1]. Les uns parlent, à propos de la Bretagne, d’une colonie phénicienne qui s’était établie sur la côte occidentale de la Gaule, favorisée par le commerce que la reine des mers entretenait avec Thulé et les îles Cassitérides. Cette colonie devint riche et florissante ; elle s’étendit de proche en proche, elle finit par peupler toute cette île et par coloniser à son tour les îles Britanniques. Ce système repose principalement sur une prétendue analogie entre la langue celtique et l’ancien idiome des Phéniciens et des Carthaginois. Malheureusement, il paraît que la langue phénicienne est tout à fait perdue, et même il est impossible de juger à quel point les hypothèses fondées sur les étymologies entassées par le savant Bochart et par les étymologistes à sa suite, méritent la confiance des bonnes gens qui, même en fait d’origines, n’aiment pas à remonter trop haut.

Voici la seconde hypothèse ; au moins elle repose sur un son, sur une analogie, sur quelque chose de plus que rien, et on peut l’adopter à tout hasard. Donc les philologues modernes ont découvert, et non sans quelque surprise, que les mêmes sons qui se répètent depuis deux mille ans dans les chaumières de la Bretagne et du pays de Galles se conservent depuis bientôt trois mille années dans la langue sacrée des pagodes de l’Inde. S’il en est ainsi, un fait précieux resterait acquis à la science : la race celtique, comme presque toutes les races occidentales, appartient à la race indo-germanique ; elle se lie au berceau commun du genre humain, par les Romains, par les Grecs, par les Germains, et non par les Phéniciens et les races sémitiques, comme on l’a cru longtemps. Mais par quelle suite d’événements inexplicables cette race orientale est-elle venue s’égarer au milieu des brouillards de notre Europe ? Quelle route a-t-elle suivie ? À quelle époque s’est accompli ce long pèlerinage ? Tel était, à tout prendre, le point important de la question, et, en ceci encore, les nouvelles recherches des savants n’ont pas été sans résultats. Ils ont retrouvé dans Hérodote que vers la fin du septième siècle avant Jésus-Christ, la guerre éclata entre les Scythes et les Cimmériens, qui habitaient alors les vastes plaines situées entre la mer Caspienne et le Pont-Euxin. Les Cimmériens furent vaincus, et tandis que les uns portaient le ravage dans l’Asie-Mineure, les autres franchissaient le Dniester et se dirigeaient vers les contrées de l’Ouest. Ces Cimmériens, de l’aveu de tous les historiens grecs, sont les mêmes peuples que les Cimbres, dont nous voyons les établissements divers se déplacer de siècle en siècle sur la carte du monde, sans doute à mesure que de nouveaux flots de populations asiatiques refoulaient ce peuple, débordé à son tour, vers les limites occidentales de l’Europe. Bientôt, par le rapprochement qui se doit tirer des notions que nous fournissent les historiens grecs, les récits des histoires romaines, et enfin les traditions nationales de la race celtique, les hommes habiles à retrouver la suite des faits dans la suite des âges sont parvenus à renouer un à un les chaînons brisés de la généalogie de ce peuple et à établir l’identité des Cimmériens, des Cimbres, des Kimbres et des Celtes modernes. Tout cela sans doute appartient encore quelque peu à l’hypothèse, que l’on pourrait appeler, sinon la mère, du moins l’aïeule de l’histoire ; mais les preuves sont fortes, le système est vraisemblable, et, bien plus, la marche analogue suivie quelques siècles plus tard par les barbares qui ont renversé l’empire romain, donne à cette hypothèse glorieuse pour tous, tout l’aspect, sinon toute la force, de la vérité.

Pendant que la race celtique, chassée de son berceau, allait d’exil en exil prendre possession de ses nouveaux domaines, tout porte à croire que les Pélages, ce peuple mystérieux qui se montre sur divers points de l’empire dans le crépuscule de l’histoire, et dont les monuments de Pæstum attesteront longtemps encore la toute-puissance et le génie, avaient précédé les Celtes sur la terre de Bretagne ; les Pelages y avaient même séjourné (mais à quelle époque perdue dans le nuage des temps ?) avant de se répandre dans le Midi, où ils ont engendré les Ibères, ces peuples de vieille date, que longtemps aussi on a voulu rattacher aux races sémitiques.

Quoi qu’il en soit de toutes ces hypothèses, au temps où l’histoire commence enfin à jeter une clarté plus vive sur la situation des peuples placés entre le Rhin, les Alpes, les Pyrénées et l’immense Océan, les Celtes occupaient déjà toute la lisière maritime de cette contrée et les grandes îles situées à l’ouest. Il semble toutefois que quelques-unes de ces tribus soient restées en arrière, égarées sans doute dans les forêts de la Germanie ; car un grand siècle avant l’ère chrétienne, nous rencontrons des Cimbres qui ne savent plus où les pousse la fortune. Ils sont venus du Nord, ils se sont réunis aux faibles restes des peuplades germaniques tombées sous les coups de Marius dans les plaines ensanglantées d’Aix et de Verceil. De ces batailles de Romains à barbares, de cette lutte terrible entre les deux peuples, les historiens nous ont transmis d’horribles et éloquents souvenirs. La taille énorme, les yeux farouches, les armes et les vêtements étranges des barbares avaient d’abord jeté l’épouvante dans le camp des Romains. L’armée des Cimbres occupait la longueur d’une lieue, et les rangs de leur infanterie étaient liés ensemble par des chaînes de fer. Les Cimbres vaincus, leurs femmes, qui les accompagnaient toujours dans ces lointaines excursions, demandèrent grâce au vainqueur. Le Romain répondit à ces femmes, filles, femmes et mères des héros, par l’ironie et par l’insulte. Aussitôt les voilà qui relèvent la tête : elles priaient pour leurs enfants, non pas pour elles ; mais plutôt que d’en faire des esclaves, elles les étranglent et les jettent sous les roues de leurs chariots ; puis, leurs enfants morts, elles se pendirent elles-mêmes par un nœud coulant aux cornes de leurs bœufs. Cependant la victoire des Romains n’était pas complète : les chiens des Cimbres défendirent longtemps les cadavres de leurs maîtres ; il fallut tuer le chien à côté du soldat.

Le peuple qui occupait la contrée comprise aujourd’hui sous la dénomination de Bretagne se composait de plusieurs peuples. Il y avait les Kimbres, les Celtes purs, pressés sur la côte, et les Galls ou Goëls, qui habitaient l’intérieur. Nous aurons occasion de faire remarquer plus d’une fois les oppositions de ces races, dont la rivalité n’est pas complètement éteinte encore. On retrouve la trace de ces vieux ressentiments dans la haine héréditaire qui subsista de tout temps entre la haute et la basse Bretagne, entre les vrais Bretons de pure race et ces Gatloët, qui ont oublié la langue et négligé les mœurs de leurs pères.

S’il vous plaît, nous laisserons les savants[2] se reconnaître dans ces races diverses, et retrouver avec cette patience qui tient du génie les diverses branches de la famille gauloise : ici les Kimbri de la première invasion et les Kimbri de la seconde invasion ; plus loin, sur les faîtes des Pyrénées, sur les bords de la Garonne, sur les rives de la Méditerranée, les Aquitani et les Ligures ; laissons-les saluer dans l’ancienne Provence la famille grecque-ionienne ; en Corse, la famille græco-latine, la race arabe dans les synagogues, la race germanique dans les campagnes de l’Alsace et dans les villes de la Lorraine : tout ce que nous pouvons faire, c’est d’accepter ces origines si bien débattues ; nous n’avons pas la prétention de deviner comment s’est opéré le mélange de toutes ces races diverses avec les Celtes, les pères de nos pères. Celtes et Gaulois : voilà de quels peuples nous sommes sortis — Celtæ-Galli ; leurs titres de noblesse se retrouvent dans Strabon[3] et surtout dans les Commentaires de Jules César. Ces Celtes-Gaulois ont déjà quelque chose de l’esprit français : ils sont hardis et goguenards, impétueux et frivoles, très-braves et très-légers, hospitaliers, généreux, avides de justice et de liberté. Rome, qui n’estimait guère ce qui n’était pas la république romaine, porte aux Celtes une grande estime ; elle en parle avec de sérieuses louanges, et, ce qui est le plus sûr hommage, elle en parle avec une certaine terreur : elle trouve que ces barbares sont pleins d’intelligence et de hardiesse ; que rien ne les étonne, non pas même la civilisation, l’organisation et les beaux-arts de la ville éternelle. Quand Rome disait cela, elle se rappelait qu’il y avait dans les forêts de la Gaule d’intrépides soldats sept cents ans avant la fondation de Rome ; même à Rome toute-puissante, il avait fallu soixante années d’une guerre acharnée et les plus rudes travaux de ses plus grands capitaines pour dompter cette race celtique, et pour faire de la terre des Celtes une province romaine. C’est la gloire de Jules César d’avoir soumis à ses armes la Gaule transalpine. Il s’est battu tour à tour contre les Celtes, contre les Aquitains, contre les Belges, contre les Kimbri ; et quand enfin tous ces enfants de la même famille eurent cédé pour un temps au génie de Rome, alors les Romains n’eurent pas de cesse qu’ils n’eussent divisé la Gaule d’abord en quatre provinces : la Belgique, la Celtique, l’Aquitanique, la Narbonnaise ; puis en sept provinces, puis en douze ; Valentinien en fit quatorze ; l’empereur Gratien en fit dix-sept : quinze de ces provinces renfermaient le territoire actuel de la France ; mais pour se bien rendre compte de ces divisions importantes, il est nécessaire de les bien expliquer.

La première Narbonnaise était formée du Roussillon, d’une grande partie du comté de Foix ; la seconde Narbonnaise comprenait la plus grande partie de la Provence ; les Alpes maritimes se composaient d’une partie du Dauphiné, de la Provence et du Piémont. La Novempopulanie occupait le territoire de la Gascogne, de l’Armagnac, du Béarn et de la basse Navarre. — Dans la première Aquitaine étaient compris : le Quercy, le Rouergue, l’Auvergne, le Bourbonnais, la Marche, le Limousin, le Velay, le Gévaudan, une partie du Languedoc, le Berri et une partie du Poitou. — La seconde Aquitaine contenait l’autre partie du Poitou, la Saintonge, l’Angoumois, le Périgord, l’Agenois et le reste de la Guienne. — La Viennoise renfermait une partie de la Provence et tout le comtat Venaissin, partie du Dauphiné, avec la principauté d’Orange, du Languedoc et de la Savoie, y compris le territoire de Genève. — La grande Séquanaise, c’est-à-dire une partie de la Bourgogne, de la Franche-Comté, du pays de Basigny, d’une portion de l’Helvétie. — La première Lyonnaise, le Lyonnais, le Beaujolais, le Forez, une partie de la Bourgogne, du Nivernais, de la Franche-Comté et de la Champagne. — La deuxième Lyonnaise, à savoir la Normandie, le Vexin français, la plus grande partie du Perche. — La troisième Lyonnaise, pays des Redones, sur le territoire de Rennes ; des Vénètes, peuple puissant et navigateur, sur le territoire de Vannes ; des Namnètes à Nantes, des Arvii sur les bords de l’Arve, qui se jette dans la Sarthe ; les Cenomani, aux environs du Mans ; les Anedandecavi, habitants d’Angers ; les Turones habitants de la Touraine : telle était cette troisième Lyonnaise, qui sera le théâtre de cette histoire et qui comprenait la Bretagne, le Maine, l’Anjou, la Touraine. Quelle que soit notre envie de nous renfermer dans le cercle de cette entreprise, il nous est impossible, puisque ainsi nous avons commencé, de ne pas poursuivre le dénombrement de toutes les forces dont se compose la vieille France ; le lecteur comprendra beaucoup mieux, nous le répétons, tout l’ensemble de cette histoire, quand il en aura bien étudié tous les détails. Il ne faut pas oublier que la quatrième Lyonnaise renfermait la Beauce, l’Île-de-France, la Brie, une partie de la Champagne, de la Bourgogne et du Nivernais, le Gâtinais et l’Orléanais ; — la première Belgique, seulement en France, renfermait le pays Messin, Verdun, Bar, Toul et une partie de la Touraine. — La deuxième Belgique comprenait le Cambrésis, une partie de la Picardie, la Flandre française, le territoire d’Amiens, le Beauvoisis, le Valois, le Soissonnais, une partie de la Champagne, le territoire de Reims, de Laon et de Châlons. — La première Germanie, qui s’étendait sur les deux rives du Rhin, comprenait, dans notre province d’Alsace, Strasbourg, Saverne et Neuf-Brisac. Et notez bien que chacune de ces contrées avait ses peuples à part ; ces peuples avaient leurs noms, leurs origines, leurs histoires, leurs grands hommes, leur dialecte enfin.

Les Celtes Armoriques[4] se rappelaient confusément les Phéniciens, qui, les premiers, avaient touché ces rivages, pendant que les Celtes de l’Irlande se servaient, non pas des caractères grecs, mais d’un alphabet de leur invention. De tous ces idiomes mêlés et confondus, est résulté le galique, une langue qui se parle encore dans plusieurs des îles Britanniques. Le galique se divise en plusieurs idiomes : le kumbre (kimri, ou le celto-Belge, dont on rencontre des traces dans la Belgique et dans la Flandre), enfin le breyzad, ou le bas-breton, que parlent encore les paysans de la Bretagne[5].

Le bas-breton même n’a pas moins de quatre sous-dialectes qui répondent à la langue vulgaire du Finistère, du Morbihan, d’une partie des Côtes-du-Nord : le léonard ou léaunais, qui se parle sur le territoire de Saint-Pol-de-Léon ; le trécosien, qui est le patois de Trégué ; le cornouiller fêté à Quimper-Corentin ; le valteux, qui est la langue du territoire de Vannes ; quatre langues différentes qui ne se parlent qu’aux lieux mêmes où elles ont eu leur origine, à ce point que le paysan de Trégué serait à peine compris par le paysan de Cornouaille. Langue simple et primitive, énergique, austère, tout entière consacrée à parler de l’agriculture, des travaux des champs, des périls de la mer. À peine si de tous ces dialectes est sortie par hasard une chanson populaire ; et parmi toutes ces chansons, à peine si l’on en cite une ou deux qui soient restées fidèlement dans la mémoire de ces campagnes ; seulement il en est une qui est célèbre, elle commence par ces mots : an ini coz ; et sur l’âme du paysan breton, ce simple chant, d’une mélodie plaintive, n’est pas moins puissant que le ranz des vaches sur les enfants de l’Helvétie ; souvenir de la patrie absente, de la jeunesse évanouie, des premières amours, des veillées de l’hiver et des printemps de là-bas.

Mais si parmi tous ces peuples différents, la langue n’était pas la même, ces peuples étaient réunis par les mêmes intérêts à défendre, par la même liberté à sauver. Figurez-vous la Gaule celtique comme une réunion intelligente et vivace de petits États et de petites Républiques, les uns gouvernés par des magistrats à vie qui s’appellent des rois, les autres par des magistrats électifs qui ne gardent la puissance que pour un temps limité ; chaque année, au printemps, ces diverses fractions de la Gaule se réunissent, représentées par leurs députés, dans une assemblée générale où se débattent les intérêts de tous. Là, tout homme libre était le bienvenu ; l’assemblée était silencieuse, austère, intelligente ; elle savait écouter en silence, et quiconque troublait la délibération solennelle, était averti qu’il eût à prendre garde à sa langue et à son manteau ; à la troisième interruption, l’homme perdait la moitié de son manteau. Si parfois les colères étaient trop vives, les passions trop bruyantes, soudain les bardes chantaient, et leurs voix respectées calmaient cette émeute. Le poëme de ces temps primitifs serait beau à écrire ; ces hommes des bois, comme l’indique leur nom, évitaient l’enceinte des villes ; leurs cabanes étaient çà et là éparses dans les forêts, sur le bord des fleuves ; l’homme libre avait seul le droit de porter des armes ; il abandonnait l’agriculture à sa femme et à ses esclaves. Quand il n’avait pas à se battre pour son propre compte, il louait son courage à qui lui promettait de la gloire et du butin. La bataille était terrible, la victoire féroce ; les guerriers buvaient le vin, la bière et l’hydromel dans le crâne de leurs ennemis. Le Celte avait pour juge son épée, pour ornement sa longue chevelure blonde et ses colliers d’or ; il n’épousait qu’une seule femme, qui lui disait : « Vous êtes mon maître et je suis votre esclave ! » Sur cette femme, en effet, le mari avait le droit de vie et de mort, et le droit de divorce ; la femme adultère était brûlée vive. Quant à la croyance, ces barbares, comme des peuples intelligents à qui l’avenir était réservé, adoraient l’intelligence suprême qui a créé le monde et le soleil ; mais point de temples ; leur temple c’était la forêt, leur dôme c’était le ciel ; seulement, pour témoigner de leur passage sur la terre et de leur croyance en la puissance invisible, ils ont laissé des pierres inexplicables, des cercles mystérieux, des monuments tout bruts dont personne encore aujourd’hui n’a trouvé le sens véritable ; mystères des générations passées dont nous savons à peine le nom : dolmen, cromlech, peulven, menhir[6].

De ces monuments étranges d’un aspect si nouveau, la Bretagne tout entière est remplie. Entre les baies de Brest et de Douarnenez, des bords de la rivière d’Aûn (Aulne) jusqu’à la pointe de Toulinguet, la presqu’île de Crozon attire l’attention et tous les regards de l’antiquaire. Cette presqu’île, célèbre dans l’histoire du druidisme, se divise en trois fractions principales : la presqu’île de Quelern, l’île Longue, la pointe de la Chèvre. Le paysan breton vous dira le nom de toutes ces anses battues par la mer : Poulmic, le Fret, Roscanuel, Camaret, qui sert d’abri contre la tempête. Dans ce groupe d’îlots, d’anses, de presqu’îles, de curiosités naturelles, témoin l’arche immense de Morgatte, les druides avaient transporté leurs mystères, loin des regards profanes. Des plus curieux monuments de la religion des Celtes, la péninsule de Crozon est remplie : autels, tombeaux, sanctuaires, tombelles, pierres vacillantes, cimetières. Les anciennes traditions du Nord racontaient que les alignements angulaires du Leuré étaient jadis le souvenir des guerriers morts à cheval : Ordo cuneato equestrium designans sepulturas. La presqu’île de Quelern, toute chargée de verdure, riches bosquets, jardins fertiles, frais paysages, possède un menhir de quatorze pieds. Les paysans disaient que le menhir renfermait un trésor, mais personne n’eût consenti à porter sur cette antique pierre une main impie. Un soldat qui passait en Bretagne fut plus hardi que les gens de Ouelern ; il se mit à la recherche du trésor, mais la pierre croulante s’abattit sur le téméraire, qui resta enseveli sous cette masse. — Vous retrouvez les mêmes pierres à la pointe de Toulinguet, sur les côtes de la Pallue, au nord du Bec-de-la-Chèvre (Beg ar C’haor) ; la rivière de Labes est chargée sur ses deux rives de ces dolmens ; une de ces tombelles s’appelle la tombe d’Artus. Mais quel Artus ? Le chef illustre, le digne chef de la Table-Ronde, l’homme qui a donné le signal à tant de vaillants hommes, le véritable Artus, est enterré non loin du château de Keruel, dans l’île d’Aval. Mais qui pourrait compter tous les monuments du même genre dans la Cornouaille Armorique ?

Pierres druidiques de Meneck près de Karnac

À la pointe du Raz, le point le plus reculé du vieux monde, sur ce rocher miné, à cette hauteur de trois cents pieds qui domine sept lieues de côtes, existe un menhir. — Dans l’île de Sein existait, il n’y a pas cinquante ans, un monument celtique renversé par les Anglais ; c’est l’île célèbre, la demeure des vierges sacrées. Les poètes ont fait de cet inculte rocher le collège des druides. En langue celtique, sen veut dire vieillard. — Au village de Primelen, une source d’eau fraîche et limpide sort en murmurant d’une vieille pierre druidique ; la pierre, c’est l’autel ; la source cachée, c’est la divinité inconnue. Un long bassin, formé de longues pierres, reçoit cette eau murmurante, dans laquelle le monument druidique prolonge son ombre vénérée. Dans la baie d’Audierne, à la pointe du doch, non loin de la petite crique de Poulhant, s’élève le plus imposant dolmen de tout le Finistère. La plate-forme du monument est portée sur seize pierres verticales ; le monument n’a pas moins de quarante-trois pieds de long sur six pieds et demi de large. — Lieu sauvage tout rempli de silence et de mystère ! pas un troupeau et pas un pâtre ; pas une cabane dont l’ondoyante fumée vous promette l’accueil hospitalier et le repas du soir. Les cris de l’oiseau de proie se mêlent aux grands bruits de la mer :


Goélands ! Goélands !
Rendez-nous nos maris ! rendez-nous nos enfants !


À la pointe de Penmarc’h, à travers les débris d’une ville dont le nom même n’est pas resté, il serait difficile de compter tous les monuments celtiques. Le menhir de la plaine est remarquable par sa hauteur ; masse informe et glorieuse, qui a demandé, pour être placée là, la force de toute une armée. Le chef vainqueur, dort sous ce rocher élevé à sa gloire. Un peu plus loin, près du bourg, deux menhirs de vingt pieds. Près du manoir de Gouenac’h, une table de pierre ; sur cette table ruisselait le sang des victimes humaines ; un de ces monuments s’appelle ty ar Gorriket, la maison du Nain ; car ces masses de pierre, à en croire le paysan breton, ont été portées là par les nains et les mauvais génies. De même que dans tout le reste de la France on croit aux géants, la Bretagne croit aux nains ; le nain est le roi de ces contrées ; il a la malice des petits êtres : il est railleur, il est taquin, il a les caprices et les colères d’un enfant à qui rien ne résiste.

À Quimper, le premier évêché de la Bretagne, les évêques de l’Église primitive ont fait une guerre assidue aux souvenirs des vieilles idoles ; seulement, les plus gros rochers sont restés immobiles ; apportés là par des mains inconnues, pas une force humaine ne les a pu arracher de cette place. Non loin de Pontaven, l’antique forêt de Lusuen (du mot celtique lusu, lousou, gui, fougère, verveine, plante salutaire) prolonge encore son ombre fatidique ; c’est toute l’histoire du passé, cette forêt de Lusuen ; sa forteresse n’a pas été renversée tout à fait par le temps et par les hommes. Le plus beau dolmen de Lusuen s’élève à quarante pieds ; de chaque côté de cette pierre solennelle a grandi un chêne séculaire ; dans une fente du milieu, dans cette pierre des vieux siècles, un autre chêne a poussé. Que de siècles représentent ces pierres et ces arbres ! combien de générations se sont agenouillées à cet ombrage ! À Saint-Yvi, dans les genêts qu’agite incessamment le vent du nord, se rencontre un dolmen incliné, le plus curieux de la contrée. Sur les côtes de Kerlouan, tout au sommet de la stérile colline, vacille sur son pivot, aussi agitée que les genêts de Saint-Yvi, une immense pierre vacillante posée, pointe pour pointe sur le roc vif : miraculeux équilibre, pivot de diamant qui ne s’est pas encore usé ! À Plouescat, entre la chapelle de Brelevenez et le village de Cléder, la pierre des sacrifices contient un bassin carré. — Mais qui pourrait compter tous les vestiges laissés par ses premiers prêtres sur cette Bretagne croyante et sauvage ? La plaine de Tregune, à elle seule, suffirait à fatiguer toute une académie d’antiquaires. Dans tout le cours de cette histoire, nous rencontrerons bien d’autres débris de la même époque et de l’époque romaine, et les vestiges du moyen âge, et toutes les ruines qu’entraînent après elles la guerre et l’émeute. Le monument druidique est resté dans ces campagnes reculées, sinon un monument sacré, du moins un objet de vénération et de respect. Sous ces larges toits de granit, aujourd’hui chargés de mousse et de lichens, le paysan breton s’abrite contre l’orage, non pas sans dire sa prière à la bonne Vierge, la patronne de tous les humbles cœurs ; priant ainsi, le Breton ne songe ni aux Celtes, ni aux druides, ni au sang des victimes immolées ; il a peur du mauvais génie habitant de ce lieu ; il évoque le couriquet ou le couril, caché dans ces ruines ; il se le figure porté sur deux ailes de chauve-souris ; tête difforme, sourire malin, poussant de petits cris d’ironie et de joie. Malheur à qui tombe dans la danse infernale de ces malins génies ! Il faut aller encore, il faut aller toujours ; il a beau résister, le tourbillon l’emporte ; les malins diables l’enlacent dans les anneaux de leur queue traînante. Trop heureux encore de se tirer d’affaire, une fourche à la main, en récitant ces paroles cabalistiques :


Les hi, les han !
Baz ann arar a zo gant han ;
Les han, les hi !
Baz ann arar a zo gant hi.
Laisse-la, laisse-le, laisse-le, laisse-la,
Le bâton du char le voilà.


Vous savez l’histoire du petit tailleur de Coad-Bily. Il était si bossu, si trapu, si chevelu, si barbu, qu’il dit un jour : « Pourquoi donc n’irais-je pas danser au clair de la lune avec les couriquets, les cournils, les cournicanets ? » Il dit, et il va. Justement la lune était sombre, le vent bruyant, la bruyère agitée, les follets un peu moins fous que d’habitude ; la danse commençait à peine. On fait place au nouveau venu ; seulement on le trouve un peu laid pour un couriquet. Vous savez ce que disaient les follets en dansant ? trois mots qui sont toute leur joie : dilunn, lundi, dimeurs, mardi ; dimerch’er, mercredi ; lundi, mardi, mercredi, ainsi disait le tailleur. La ronde était triste et monotone, la joie commençait à peine ; elle allait de dilunn à dimeurs. Enfin le petit bossu ajoute aux trois journées des follets : jeudi et vendredi, dialiaou na digwener. À ce moment, la danse devient un tourbillon, c’est la ronde infernale dans toute sa joie ; on reconnaît le petit bossu, on l’embrasse, on l’étouffé ; il était parti avec une bosse, il revient avec deux bosses : digne charge de couriquets ! — Beaux petits contes populaires ! ils ont donné une vie nouvelle aux vieux monuments de la race celtique, ils ont rajeuni ces vénérables pierres que le christianisme avait ébranlées ; ils ont rendu à ces quatre mille années couchées sous ces dalles funèbres, un peu d’intérêt et de passion. Souvenir des races celtiques, et tenant au plus antique honneur de la Bretagne, le monument druidique est l’ornement de ces bruyères roses, de ces ravins, de ces rocs, de ces rivages ; il a conservé (à Locmariaker) quelques-unes des lettres de cette langue, plus vieille de mille années, que la langue d’Homère. Race austère et dévouée, cette race des vieux Bretons, française par le cœur, elle a toutes les vertus de la France, elle a peu de ses défauts. Que de fois la Bretagne a sauvé la France ! Les premiers, les Bretons de Nomenoé ont résisté à l’invasion des hommes du Nord ! Qui donc a chassé les Anglais de la France au quinzième siècle ? Dugesclin le Breton ! Au quinzième siècle ? le Breton Richemond ! Qui a battu les Anglais sur toutes les mers ? Duguay-Trouin, le Breton !

Dans le département du Morbihan, non moins que dans le Finistère[7], les monuments des druides sont nombreux et d’un intérêt puissant. Un vieux Celte sortirait aujourd’hui de son tombeau de pierre, il reconnaîtrait la vieille patrie ; aujourd’hui comme autrefois, la bruyère entoure de sa fleur empourprée les têtes grisâtres des pierres placées sur la tombe des héros ; la fontaine sacrée murmure sa douce complainte sous le feuillage du hêtre ; l’autel du dieu Thor et d’Esus attend le sacrifice ; du haut du dolmen, le druide peut haranguer tout son peuple ; debout au centre de ces grands cercles taillés dans le roc, la prêtresse peut se livrer, le soir à minuit, à ses incantations magiques. C’est vous que j’atteste, pâles rochers de Kerhan[8], dolmen de Locmariaker (lieu de la belle Marie), Men ar Runn, pierres de la colline, qui dominez l’entrée du golfe du Morbihan, nobles traces, fiers souvenirs, chantés par Ossian, le poëte des Celtes : « Place-moi, Fingal, sous quelque pierre mémorable qui atteste la gloire de Calma… Cathula, dresse ma tombe sur la colline, et place sur ma tombe cette pierre grise… Ici repose, sous ce bloc, le chef de la race de Dermid. — Ces pierres diront aux siècles à venir : Ici se rencontrèrent Ossian et Cathmor, et ils se dirent des paroles de paix ! — Pierres, vous parlerez aux années qui s’élèvent derrière les siècles ! » — Dans ces chants du barde, le tombeau se retrouve toujours aussi souvent que paraît la gloire ; mais à tant de distance, qui donc pourrait dire à ces pierres : « Levez votre tête grisâtre, et dites-nous les noms des héros que vous cachez ? »

Vue sur la plaine de Karnac.

Cependant, si la pierre druidique n’a pas gardé le nom du héros qu’elle recouvre, elle a gardé son nom à elle, et ce nom-là sert à la désigner et à la faire reconnaître : Kerguelvan (pierre des pleurs), Kerroch, lieu des rochers ; ou bien le christianisme naissant s’est emparé des pierres druidiques, tout comme il s’est emparé du Capitole romain. La croix et l’image de la Vierge protègent plus d’une pierre de la plaine de Karnac ; Karnac, le cimetière aux tombes éternelles ! Les Romains, jaloux de tout ce qui n’était pas Rome, appelaient Karnac le camp de César. Mais le savant et vaillant homme à qui était réservée une si belle mort, l’antiquaire le plus illustre du Morbihan, le premier grenadier de France, Latour-d’Auvergne, dans ses Origines gauloises, se demande avec juste raison si les Romains ont jamais retranché leurs camps par un pareil entassement de rochers. Un autre antiquaire[9], pour échapper aux Celtes sans tomber dans les Romains, affirme que les roches de Karnac sont l’œuvre des Égyptiens, et la preuve, c’est que parmi les ruines de Thèbes s’élève une ruine appelée Karnac ! J’aime tout autant les traditions des habitants de la Cornouaille, qui appellent les pierres de Karnac les soldats de saint Corneille (saint Corneli, soudard). C’est tout un poëme de pierres ce Karnac, lugubre poésie, silencieuse, solennelle, imposante. Suivez toujours la trace druidique, elle vous conduira à Kennebon, à Cloukinec, landes désertes, sombres forêts, aspect sauvage. La plaine d’Ardven est inculte comme aux premiers jours ; les pierres d’Ardven sont disposées dans un ordre régulier et sur neuf files parallèles. Le dolmen de Kerkouno est le plus vaste du Morbihan ; les villages voisins en ont fait un lieu de réunion et de plaisir ; c’est le cabaret du village les jours de Pardons, depuis que le Pardon a cessé d’être une fête toute religieuse. Une de ces pierres s’appelle la pierre du diable, et même on raconte la chronique de la pierre du diable. C’est un véritable peulven celtique, destiné à rappeler une histoire oubliée à jamais ; la légende seule est restée. Comme les manœuvres chrétiens élevaient la cathédrale de Saint-Pol, le diable, pour écraser l’église naissante, prit cette pierre et la jeta sur le clocher, qui déjà s’élevait dans les airs ; mais la pierre, lancée avec trop de violence, est retombée à cette place. Et en preuve, le diable a laissé dans le roc la double empreinte de sa griffe de fer.

À une demi-lieue d’Auray, se rencontre le Manê Korriganet (la montagne des petits hommes), apportée là par les Korrics ; cette montagne, presque aussi abrupte qu’un monument celtique, est une des premières forteresses de la Bretagne féodale. Mais, dans ce premier chapitre, nous n’irons pas plus loin que les Celtes ; nous retrouverons plus tard les antiquités françaises, les vieux manoirs, les châteaux forts, les tours féodales, les inscriptions, l’inscription de la tour d’Elven, par exemple : « Ci-gît Erec, fils d’Alain de Broerec, dont Dieu ait l’âme. » C’est une belle histoire à écrire et à entendre, cette histoire de Bretagne. Dieu vienne en aide à notre esprit !

C’est ainsi que les vieilles pierres druidiques, longtemps négligées comme les vains caprices d’un peuple enfant, sont devenues autant de pages d’une histoire sérieuse, importante, et pour ainsi dire authentique.

Rien qu’à voir ces monuments d’une simplicité si grande, ces dalles grisâtres en guise d’autel, ces vieux chênes qui devenaient tout un temple, on comprend quel grand peuple a passé dans ces campagnes. Quant à deviner le dieu qu’ils ont adoré, de ce dieu-là les Celtes n’ont pas laissé l’image ; à peine s’ils ont laissé le nom : il s’appelait Teutatès. C’est le nom du dieu pacifique qui présidait à l’agriculture et aux beaux-arts ; le dieu de la guerre s’appelait Hésus, du mot celtique goez[10].

Au reste, chaque dieu des Celtes avait son nom, ses attributs, ses fantaisies. Le dieu qui présidait à la joie, qui avait apporté la vigne dans les Gaules, le Bacchus gaulois, avait nom Kernunos, du mot celtique korn ; et l’on sait en effet que le Bacchus venu de Phénicie portait des cornes. Le dieu d’où venait l’inspiration poétique avait aussi son nom propre, et il tenait sa place à côté des deux autres. Quant aux divinités secondaires, les génies inférieurs, les fées, le lutin familier, les farfadets, tous les petits génies qui président à la poésie populaire, ils avaient noms Drac’', Gripi, Fada. Ces peuples adoraient aussi l’eau et le feu, la terre et les vents, et les montagnes. Chacune de ces divinités avait ses prêtres ; parmi les prêtres, les uns étudiaient les lois naturelles, les autres s’occupaient de l’histoire vivante des temps passés ; ils rappelaient dans leurs chants la mémoire des héros, ils célébraient les vainqueurs de la bataille, ils chantaient l’hymne funèbre ; la jeunesse prêtait l’oreille à ces chants de guerre et sentait s’allumer son courage aux récits des exploits de leurs pères. Après les bardes, venaient les sacrificateurs, et au-dessus de tous ces prêtres, les druides[11].

Les druides étaient les sages de la nation. Ils étaient les maîtres de la loi, les chefs de la justice, le conseil de ces peuples, la loi vivante, pour tout dire. Ils enseignaient toute la morale, toute la politique. Qui manquait à la loi, qui manquait de courage, était chassé, par les druides, de l’assemblée universelle. À la voix de ces prêtres vénérés, la nation prenait ou déposait les armes ; la femme du druide, le type de la femme gauloise, était, comme son mari, éloquente, inspirée, entourée de terreur et de respect. La voix des prêtresses était écoutée à l’égale de la voix de Dieu ; elles ont créé des prodiges : devant elles marchait la terreur. Au sommet des roches escarpées, sur le bord de la mer furieuse, au pied du chêne gaulois, la prêtresse se tenait debout, et, l’œil au ciel, elle prédisait l’avenir. La foudre et l’éclair et la tempête gardaient la demeure de la druidesse. La mer obéissait à sa voix, le vent à sa parole ; elle prenait toutes les formes, elle passait comme une ombre ; elle se montrait surtout quand la patrie était en danger. Rappelez-vous à ce propos cette femme poétique, cette Velléda inspirée dont M. de Chateaubriand a écrit histoire. C’est la plus vaillante héroïne, et ce n’est pas la moins touchante, du poëme des Martyrs.

Dans l’Armorique, les prêtres portaient le surnom de Belhec, parce qu’ils étaient vêtus de lin[12], et les prêtresses celui de Léanes, parce qu’elles étaient toujours habillées de laine blanche[13].

Mais à propos de la Velléda et du poëme de M. de Chateaubriand, trop heureux sommes-nous de rencontrer, au commencement de ce livre, ce grand poëte, honneur de la Bretagne moderne, pour nous guider à travers les Gaules primitives, dans cet étrange mélange. de mœurs, de religions, de civilisation, de barbarie.

C’en est fait, le vieux monde va se retremper dans la religion nouvelle ; le christianisme a commencé son œuvre éternelle, le vrai Dieu s’est montré à l’univers lassé de ces fausses grandeurs. Nous sommes sous, le règne de Dioclès ; la longue voie romaine se déroule à travers la forêt des druides. Au milieu des bois sauvages, tout à côté de la hutte du Gaulois, entre ses forteresses de solives et de pierres, les Romains ont élevé les plus beaux monuments de l’architecture grecque et latine. Pourtant, la forêt domine encore tout cet ensemble ; de temps à autre ; vous rencontrez les vestiges du camp de César, vous retrouvez les plantes semées par les vainqueurs ; quelques restes de cette civilisation armée se rencontrent même dans les endroits les plus sauvages. Le héros de M. de Chateaubriand, Eudore, arrive enfin dans cette belliqueuse Bretagne dont M. de Chateaubriand se souvenait avec tant de joie et d’orgueil quand il écrivait son poëme. Suivons Eudore, il nous guidera par la main, dans les sentiers et dans les villes de !’Armorique. Il arrive chez les Rhédons (les peuples de Rennes), et laissez-le décrire tout à l’aise cette terre de la résistance et des miracles :

« L’Armorique ne m’offrit que des bruyères ; des bois, des vallées étroites et profondes, traversées de petites rivières que ne remonte point le navigateur, et qui portent à la mer des eaux inconnues ; région solitaire, triste, orageuse, enveloppée de brouillards, retentissant du bruit des vents, et dont les côtes hérissés de rochers sont battus d’un océan sauvage.

« Le château où je commandais, situé à quelques milles de la mer, était une ancienne forteresse des Gaulois, agrandie par Jules César lorsqu’il porta la guerre chez les Venétes (les peuples de Vannes), et les Curiosolites (peuples des environs de Dinan). Il était bâti sur un roc, appuyé contre une forêt et baigné par un lac. »

Ceci dit, le poëte raconte l’histoire de Velléda, la prêtresse des Bretons. Que pourrions-nous ajouter, nous autres, à cette histoire ainsi racontée ? Quels détails M. de Chateaubriand, le Breton, n’a-t-il pas appris dans son enfance ? Quel récit n’a-t-il pas retrouvé dans ses souvenirs ? Dans notre premier livre, la Normandie, plus d’une fois, quand l’histoire nous manquait, nous avons appelé les poëtes à notre aide. Shakspeare et Walter Scott[14] nous ont raconté les passages les plus difficiles et les plus obscurs des vieilles annales ; M. de Chateaubriand ne fera pas moins pour l’histoire de ces peuples bretons parmi lesquels il a vu le jour, pour cette noble terre où il a choisi sa sépulture. L’épisode de Velléda, c’est toute histoire de la vieille Bretagne. — « Les habitants de l’Armorique avaient conservé leurs mœurs primitives et portaient impatiemment le joug romain. Braves, comme tous les Gaulois, jusqu’à la témérité, ils se distinguaient par une franchise de caractère qui leur est particulière, par des haines et des amours violentées, et par une opiniâtreté de sentiments que rien ne peut vaincre. » Tel est ce portrait des Bretons ; il est traité de main de maître, à la façon de Chateaubriand ou de Jules César. Bientôt paraît Velléda la prêtresse. Est-ce une femme ? est-ce une ombre qui passe, emportée par la vague ? Elle est seule dans sa barque ; elle jette aux flots de la mer des toisons de brebis et de petites meules d’or et d’argent. « Sa taille était haute ; une tunique noire, courte et sans manches, servait à peine de voile à sa nudité. Elle portait une faucille d’or suspendue à une ceinture d’airain ; elle était couronnée d’une branche de chêne. La blancheur de ses bras et de son teint, ses yeux bleus, ses lèvres de rose, ses longs cheveux blonds qui flottaient épars, annonçaient la fille des Gaulois, et contrastaient par leur douceur avec sa démarche fière et sauvage. Elle chantait d’une voix mélodieuse des paroles terribles, et son sein découvert s’abaissait et s’élevait comme l’écume des flots.

« Je la suivis à quelque distance : elle traversa d’abord une châtaigneraie dont les arbres, vieux comme le temps ; étaient presque tous desséchés par la cime ; nous marchâmes ensuite, plus d’une heure, sur une lande de mousse et de fougère ; au bout de cette lande, nous trouvâmes un bois, et au milieu de ce bois une bruyère de plusieurs milles de tour : Jamais le sol n’y avait été défriché, et l’on y avait semé des pierres pour qu’il restât inaccessible à la faux et à la charrue. À l’extrémité de cette arène s’élevait une de ces roches isolées que les Gaulois appellent dolmen, et qui marquent le tombeau de quelque guerrier… La nuit était descendue ; la jeune fille s’arrêta non loin de la pierre, frappa trois fois des mains en prononçant ce mot mystérieux : An gui, l’an neuf ! À l’instant je vis briller dans la profondeur du bois mille lumières[15]. »

Bientôt, l’assemblée est complète ; les Gaulois arrivent la torche à la main. Les Eubages marchaient les premiers, conduisant deux taureaux destinés au sacrifice ; les bardes suivaient en chantant les louanges de Teutatès : Trois sénavis (philosophes) venaient ensuite ; la prêtresse marchait la dernière. L’autel est dressé au pied d’un jeune chêne où la prêtresse a découvert le gui sacré, que l’Eubage coupe avec la faucille d’or ; sur le dolmen monte la prêtresse[16].

Quand la foule a fait silence, la prêtresse prononce d’austères paroles : « Où sont, dit-elle, ces États florissants, ce conseil de femmes auquel se soumit le grand Annibal ? Où sont les druides qui élevaient dans leurs conseils sacrés une nombreuse jeunesse ?… Ô île de Syane, ô île vénérable et sacrée ! je suis demeurée seule des neuf vierges qui desservaient votre sanctuaire ! » En même Lemps elle annonce à ces Gaulois que les tribus des Francs qui s’étaient établis en Espagne retournent maintenant dans leur pays ; leur flotte est à la vue des côtes ; ils n’attendent plus qu’un signal pour marcher sur Rome. Puis, quand elle a parlé et remué profondément tous ces courages, la prêtresse demande la victime humaine que réclame Teutatès. Sur un bassin de fer, elle va pour égorger un vieillard ; mais l’aube matinale paraît enfin, et nos Bretons se séparent en chantant ce chant funèbre :

« Teutatès veut du sang ; il a parlé dans le chêne des druides. Le gui sacré a été coupé avec-une faucille d’or, au sixième jour de la lune, au premier jour du siècle. Teutatès veut du sang ; il a parlé dans le chêne des druides ! »

La scène est belle, elle est grande ; à cette hauteur, la poésie, c’est de l’histoire. M. de Chateaubriand a écrit, en effet, l’histoire de ces bruyères et de ces solitudes. Il a retrouvé les titres de noblesse de la Bretagne, et il les lui a rendus. Il me semble que ces quelques passages du poëme nous en apprennent beaucoup plus-sur la religion des druides que bien des gros livres. Voilà ce que c’est que de voir de très-haut et de tout embrasser d’un coup d’œil : c’est le privilége des hommes de génie !

Notez bien que ces poétiques récits dont personne ne songerait à lui demander les témoignages, M. de Chateaubriand les appuie sur les preuves les plus complètes : non-seulement il a vu et parcouru dans tous les sens cette terre de Bretagne, mais encore il a lu tous les livres qui en parlent. Parle-t-il des factions qui ont divisé la Bretagne, et des révoltes des Bretons contre leurs maîtres, il salue en passant le nom du Breton. Caractacus défendant la Bretagne contre Plautius, général des Romains. Caractacus le héros tombe dans le piége romain ; il est conduit devant l’empereur, et, à la vue des palais de Rome, il s’écrie : Les voilà donc, ces avides possesseurs de tant de palais, qui sont assez à plaindre pour désirer une chaumière dans nos bois ! En même temps il rend hommage à la reine Boadicée ; ce digne soldat de la Bretagne dont parle Tacite dans ses Annales. L’instant d’après, M. de Chateaubriand va chercher dans Strabon sa description de l’Angleterre, qui se peut si bien appliquer à la Bretagne « Plus d’ombre que de soleil, moins de neige que de pluie. En même temps il vous explique ce que les anciens entendaient par ces mols contrées armoricaines, c’est-à-dire la Normandie, la Bretagne, la Saintonge, le Poitou ; et il ajoute : « Le centre de ces contrées était la Bretagne, dite par excellence l’Armorique. Lorsque les dieux des Romains et les ordonnances des empereurs eurent chassé des Gaules la religion des druides, elle se retira au fond des bois de la Bretagne, où elle exerça encore longtemps son empire : on croit que le grand collége des druides y fut établi. Ce qu’il y a de certain, c’est que là Bretagne est remplie de pierres druidiques. Pomponius Mela et Strabon placent sur les côtes de la Bretagne l’île de Syane, consacrée au culte des dieux gaulois. »

Il a aussi retrouvé, dans un chapitre de Diodore de Sicile, cet usage des Gaulois d’attacher au cou de leurs chevaux les têtes des ennemis qu’ils ont tués à la guerre. Ils font porter devant eux toutes sortes de dépouilles sanglantes, et ils décorent de ces terribles trophées la porte de leurs maisons. Quant aux forêts des Gaules, elles sont célèbres dans toutes les histoires. Pline, le grand naturaliste, cite avec éloge le chêne, le bouleau, le frêne et l’ormeau des forêts gauloises ; Strabon vante les glands de la Gaule. César et Tacite ont décrit avec complaisance les forêts des Gaules. Dans la langue celte, cel, un mot qui revient à la fin de tous les mots, cel veut dire forêt ; comme aussi, dans Ammien Marcellin, nous trouvons de la femme gauloise le portrait suivant : « La femme gauloise est encore plus forte que son mari ; ses yeux sont encore plus sauvages. Est-elle en colère, sa gorge s’enfle, elle grince des dents ; elle agite ses bras aussi blancs que la neige ; elle porte des coups aussi vigoureux qu’une arme de guerre. » Arrangez donc ce passage avec ce mot-là de Diodore de Sicile : Feminas icet elegantes habeant ! — l’élégance gauloise !

Le cri de Velléda : an gui, l’an neuf, a été retrouvé, par le poëte, dans le livre de Sainte-Foix. Pline l’Ancien, au livre XVI de l’Histoire naturelle, parle du gui druidique ; nous traduisons :

« N’oublions point l’admiration des Gaulois pour le gui. Les druides, tel est le nom de leurs mages, ne voient rien au monde de plus sacré que le gui, et que l’arbre sur lequel il se produit, quand c’est un chêne ; aussi choisissent-ils des bois de chêne, et ne font-ils aucun sacrifice sans avoir des feuilles de cet arbre ; si bien qu’on peut croire que leur nom de druides vient du mot gui, qui signifie chêne. Lors donc qu’ils trouvent la plante parasite sur cet arbre, ils s’imaginent que c’est un présent du ciel, et croient que l’arbre est favorisé des dieux. Le gui se trouve rarement ; aussi ne le cueille-t-on qu’avec un grand appareil religieux, et choisit-on surtout pour cette opération le sixième jour de la lune ; jour par lequel commencent leurs mois et leurs années, ainsi que leurs siècles, qui ne renferment que trente ans. Ils choisissent ce sixième jour, parce qu’alors l’astre, sans être au milieu de son cours, est dans toute sa force d’ascension. Le nom de gui, dans la langue des Gaules, veut dire remède universel. Lorsque les objets nécessaires pour les sacrifices et le banquet sont prêts sous le chêne, ils amènent des taureaux blancs qui n’ont jamais été soumis au joug, et dont les cornes sont liées pour la première fois. Le prêtre, vêtu d’une robée blanche, monte sur l’arbre, tranché avec une serpe d’or le gui, qui est reçu dans un sagum blanc. Ils immolent ensuite les victimes, et prient les dieux de rendre ce don propice à ceux qui le reçoivent. Ils pensent que le gui donne la fécondité à tous les animaux stériles qui le prennent en boisson, et que c’est un contre-poison universel, tant les nations sont promptes à révérer comme divins les objets les plus frivoles. » Dans le dictionnaire franco-celtique du père Rostranem, il est dit, à propos des dolmens : « Lieu des fêtes et des sacrifices ; pierres plates fort communes dans la Bretagne : » Ammien Marcellin parle des bardes en ces termes : « Leurs poëtes, qu’ils appellent bardes ; s’occupent à composer des poëmes propres à leurs cantiques ; ce sont eux-mêmes qui chantent ; sur des instruments presque semblables à nos lyres, des louanges pour les uns et des invectives contre les autres. Ils ont aussi chez eux des philosophes et des théologiens, appelés saronides ; pour lesquels ils sont remplis de vénération… C’est une couture établie parmi eux ; que personne ne sacrifice sans un philosophe ; car, persuadés qué ces sortes d’hommes connaissent parfaitement la nature divine, et qu’ils entrent pour ainsi dire en communication de ses secrets, ils pensent que c’est par leur ministère qu’ils doivent rendre leurs actions de grâces aux dieux, et leur demander les biens qu’ils désirent… Il arrive souvent que lorsque deux armées sont prêtes d’en venir aux mains, ces philosophes se jetant tout à coup au milieu des piques et des épées nues, les combattants apaisent aussitôt leur fureur comme par enchantement et mettent bas les armes. C’est ainsi que même parmi les peuples les plus barbares, la sagesse l’emporte sur la colère, et les Muses sur le dieu Mars. » (Diodore de Sicile, livre V, trad. de Terrasson.)

On ne saurait croire tout l’intérêt de cette histoire des Gaules, même avant qu’il n’y ait une France. La France n’est pas là encore, mais elle y doit régner, et le regard charmé s’arrête avec orgueil sur le théâtre où se passera le grand drame de la nation française. Tous les vieux peuples seront les bienvenus sur cette terre qui sera nôtre ; ils nous précèdent, donc ils sont quelque peu nos ancêtres. Voilà pourquoi ce noble débris des populations celtiques nous tient attentifs et nous trouve empressés, car ce débris sera bientôt la race bretonne. À l’heure où nous sommes, la Gaule est occupée par deux peuples, les Barbares et les Celtes. La nation celte obéit aux druides et aux nobles, et pourtant chaque année il fallait procéder à un nouveau partage des terres de la nation ; car c’était la loi, dit César, que pas un homme dans ce peuple ne fût plus riche que son voisin. De la langue des Celtes bien des mots sont restés dans notre langue[17]. La Bretagne, de toutes les nations gauloises, a parlé le plus longtemps la langue celtique. Elle était placée au bout du monde (finis terræ, Finistère) ; elle était éloignée du théâtre de ces guerres de Romains à Barbares ; elle obéit longtemps à un chef indépendant ; à plusieurs reprises, quand la Bretagne va être envahie par Rome, vous verrez les insulaires de la Grande-Bretagne apporter de leur île le vieux langage et le remettre en honneur. Nous avons dit où en était l’art des Celtes ; ils se sont contentés d’entasser des pierres presque au hasard, les mêmes pierres que vous retrouvez en Danemark, en Suède, en Norwége, en Irlande ; jouets d’enfants qui ne savent pas se bâtir un temple. Leur architecture, c’est comme leur poésie, dont rien ne reste, sinon des fragments, pierres détachées d’un édifice qui n’a jamais été construit. Où sont les chants des bardes ? Ils se sont évanouis avec les colères qu’ils soulevaient. Et les hymnes sacrés, et les chants de guerre, et les satires contre les lâches ?… tout cet esprit s’est perdu, emporté par l’oubli.

Lucain, le grand poëte, s’est souvenu des bardes dans la Pharsale, et il parle de leurs chants nombreux (carmina plurima) ; de ces chants nombreux pas un seul ne s’est conservé dans là mémoire des hommes. La poésie s’est perdue en même temps que s’effaçait le respect qui entourait les poëtes. Après avoir été longtemps chef parmi les chefs, et l’égal des druides, le barde devint plus tard un mercenaire que l’on faisait venir au milieu du festin pour amuser les convives : le vates avait fait place au comédien. C’est là sans nul doute le motif de l’oubli qui pèse sur les chants des bardes ; l’orgie a dévoré cette poésie de parasites. Au dixième siècle, sous le roi Houël le Bon, nous vous dirons la résurrection des bardes ; mais si le barde est ressuscité, la poésie est morte, morte à ces joies si vraies, à ces douleurs si vives. — L’Irlande, plus heureuse en ceci que l’Armorique, a conservé le nom de ses bardes : Ossian et Fingal, et même un assez bon nombre de ses poésies nationales, ont-elles surnagé, pour qu’un habile esprit (Mac’pherson) refît quelques-uns de ces étranges poëmes, élégies guerrières mêlées d’amour, : où se retrouve toute la pâle mélancolie du Nord. — Des bardes gaulois, nul ne dit le nom, pas même Ausone, le poëte chrétien, qui se souvient avec tant de joie des dieux du paganisme quand il écrit ses vers. Comme il ne pouvait pas, et comme d’ailleurs il n’eût pas voulu peut-être se prêter à une supercherie à la Mac’pherson, le savant M. Delarue a tenté du moins de retrouver, dans les jongleurs et les trouvères, les enfants des bardes de l’Armorique ; il a voulu élever le lai breton à la dignité de poëme des Celtes[18]. À cette découverte, on ne voit pas ce que la Bretagne peut gagner. Vous avez vu une noce de Bretagne : quand la noce, toute parée, sort de l’église, deux hommes précèdent, celui-ci le jeune époux, celui-là la mariée, et chacun de ces hommes s’en va célébrant, le premier la beauté de la femme, le second les vertus du mari ; autant vaudrait dire que ce sont là des bardes. Il est plus facile de convenir tout de suite que cette poésie s’est perdue, et que l’écho des vieux âges s’est lassé de la répéter.

Les lois des druides, plus que les chants bardes, ont échappé à ces ravages. Dans un livre écrit en toute naïveté de style et d’opinions philosophiques[19], nous retrouvons les ordonnances des druides : S. P. Q. G. — En peu de mots, nous pouvons résumer ces divers commandements : — « Sur toutes choses, honorons celui qui nous a mis sur terre. — Défendons aux Gaulois de faire aucun sacrifice sans les prêtres. — Que le druide vive pur et chaste. — Sera chassé des sacrifices, qui aura manqué à la loi, et nul ne sera si hardi que de s’y montrer sans pardon. — Assistez à la parole du druide ; qui troublera la parole du prêtre, perdra partie de son manteau. — Ne parlez ni de religion ni des affaires publiques. — Qui sait une nouvelle intéressante pour la république, la rapportera à l’instant même au magistrat. — Soyez muet devant l’étranger. — Le jour du sacrifice, le dernier eubage arrivé à l’autel sera immolé pour qu’on lise l’avenir dans ses entrailles. — Le barde, l’eubage, le druide, sont exempts de tout tribut. — Que le juge soit un vieillard à barbe grise et longue, et couvert d’honorables vêtements. — Nous absent, chaque village a le droit de se nommer des chefs qui nous représentent. — « Les femmes peuvent être juges et arbitres. — Vous n’irez pas commercer au loin. — Défense aux marchands étrangers d’apporter le luxe chez nous. — Prenez soin des malades. — Le voleur sera sacrifié sur autel de Mercure. — L’usure est un vol, à l’usurier tu ne dois rien. — Épouse ta femme sans dot. — Toute puissance tu as sur ta femme. — La femme accusée d’avoir empoisonné son mari sera brûlée vive. — Point d’enfants dans les villes. — L’enfant, pour devenir un homme, sera élevé au village, sinon la république n’en veut pas. — À l’âge de vingt-cinq ans, le june homme qui aura le ventre trop gros, sera tué en châtiment de sa gourmandise. — Ton ami mort, tu es le maître de le suivre dans sa fosse ou sur le bûcher. »

Ce fut Annibal qui indiqua aux Romains le chemin des Gaules, mais les Phéniciens avaient tracé à l’avance l’admirable sentier qui côtoie les rivages de la Méditerranée jusqu’à Marseille ; plus tard, César se chargea de dompter les Gaules. Si vous voulez avoir, non pas une idée complète de la cruauté et de la perfidie des légions romaines, mais une juste idée du courage et de la résistance des Bretons, vous lirez le troisième livre des Commentaires. César, après ses premières victoires dans les Gaules, croyait les Gaules pour longtemps pacifiées ; le sénat avait décrété quinze jours d’actions de grâces à rendre aux dieux, ce qui ne s’était jamais fait ; quod ante id tempus, accidit nulli. Les Belges étaient battus, les Germains repoussés, les Séduniens vaincus dans les Alpes ; César lui-même, tranquille de ce côté, était parti au commencement de l’hiver pour l’Illyrie, dont il voulait visiter les nations et reconnaître le territoire. Mais tout à coup les Bretons raniment la guerre dans les Gaules. Le jeune P. Crassus hivernait avec la septième légion chez les Andes (les habitants de l’Anjou), près de l’Océan. Comme il manquait de vivres, il avait envoyé ses tribuns militaires en réquisition chez les peuples voisins : chez les Curiosolites (peuples de l’Armorique), chez les Venètes (dans le territoire de Vannes). Ce dernier peuple était, au temps de César, le plus puissant de toute cette côte maritime. Les Venètes possédaient un grand nombre de vaisseaux, sur lesquels ils trafiquaient en Bretagne, et la Bretagne les regardait comme ses plus habiles navigateurs. Ils occupaient d’ailleurs, sur une vaste mer, féconde en naufrages, tous les ports, et tout navire étranger leur devait son tribut. Comme ils virent venir à eux les tribuns militaires Silius et Velanius, les Venètes les retiennent, disant, qu’ils ne les rendront que contre les otages confiés à la garde de Crassus. Cet exemple est suivi dans toutes les villes où s’adressent les Romains. Dans les Gaules, toute résolution est prompte et vive ; si bien qu’à l’instant-même, le peuple se remet à la guerre, et que César revient en toute hâte. À la nouvelle de son retour, les Bretons s’encouragent les uns les autres ; ils se fortifient, ils équipent des vaisseaux, ils coupent les chemins, ils affament l’armée romaine. Abandonnés à eux-mêmes dans ce pays peu connu, sans vaisseaux pour tenter cette mer perfide, les Romains s’interrogent avec inquiétude. Dans quel port, sur quelle rade, dans quelle île se fortifier ? Comment se reconnaître dans cette mer sans bornes, qui ne ressemble en rien à cette mer italienne que la terre entoure de toutes parts ? Car les Romains ne connaissaient que la Méditerranée ; sur cette mer domptée par tant de victoires et par tant de grands hommes, ils étaient les maîtres tout-puissants. Mais aux Romains l’Océan faisait peur : les peuples même les plus braves ont toujours peur de l’inconnu. En même temps les Bretons fortifiaient leurs villes ; ils appelaient à l’aide de la chose commune tous les peuples d’alentour : les Osismiens (Finistère et Côtes-du-Nord), les Namnètes, (Nantes), les Ambiens (Amiens), les Morins (le Boulonnois), les Diablintes (le Perche), les Runœpères (partie du Brabant vers la Gueldre), la Bretagne (Angleterre), les Trévires (Trèves), l’Aquitaine (Garonne et Gascogne), les Coralliens, les Coriosilites, les Lexicoviens (Coutances, Quimper et Lisieux). À la nouvelle de cette révolte, César prend soudain toutes les dispositions d’un général habile ; il accourt, il arrive, et pendant qu’il opère une diversion puissante à l’aide de ses capitaines, lui-même il se porte contre les Venètes. — Rude voyage ! « La plupart des villes de cette côte sont situées à l’extrémité de langues de terre et sur des promontoires ; elles n’offrent d’accès ni aux gens de pied quand la mer est haute, ni aux vaisseaux que le reflux laisse à sec sur le sable[20]. »

Il était donc impossible d’assiéger les villes de la Bretagne ; ou bien si, en fin de compte, la ville assiégée était serrée de trop près, soudain les Bretons, montés sur leurs légers navires, emportaient, en fuyant, tous les biens et toutes les personnes de la ville assiégée. Ajoutez que les vaisseaux des Bretons étaient construits tout exprès pour obéir aux caprices et aux fureurs de cette mer turbulente ; moins que les navires des Romains ils redoutaient le flux et le reflux et les bas-fonds de l’Océan. La proue, plus haute, résistait davantage aux vagues et aux tempêtes ; le bois de chêne pouvait supporter les chocs les plus rudes : « Les ancres sont retenues par des chaînes de fer au lieu de cordages ; les voiles sont de peaux molles, amincies, bien apprêtées, soit qu’ils manquent de lin ou ne sachent pas l’employer, ou plutôt qu’ils croient impossible de diriger avec nos voiles des vaisseaux aussi pesants à travers les tempêtes et les vents impétueux de l’Océan. Dans l’action, notre seul avantage est de le surpasser en agilité et en vitesse ; du reste, ils sont bien plus en état de lutter contre les mers orageuses et contre la violence des tempêtes : Nos vaisseaux, avec leurs éperons, ne pouvaient entamer des masses aussi solides, et la hauteur de leur construction les mettait à l’abri des traits. Comme aussi craignent-ils moins les écueils. Si le vent vient à vibrer, ils s’y abandonnent avec moins de périls, et ne redoutent ni la tempête, ni les bas-fonds, ni, dans le reflux, les pointes et les rochers : tous ces dangers étaient à craindre pour nous. » Vous le voyez, dans ces premiers chapitres de leur histoire, ces peuples de la Bretagne montrent tout d’abord une grande énergie ; cette idée de se battre contre les Romains de César enflamme leur courage. Quand arrive la flotte romaine, les Bretons se précipitent sur deux cent vingt navires tout prêts au combat, et les Romains les attaquent non par la force, mais par la ruse. Ils coupaient avec de grandes faux les voiles et les agrès des barques bretonnes ; ce n’était plus une bataille navale, c’était un combat corps à corps, sous les yeux mêmes de César, qui, du rivage, encourageait les siens de la voix et du geste. Cette fois encore les Romains furent vainqueurs, mais César souilla lui-même sa victoire sur les Venètes, il fit mourir tout le sénat, et les soldats, qui n’étaient pas sénateurs, il les vendit à l’encan.

Les plus belles pages des Commentaires sont consacrées à raconter ces guerres si vives avec la vaillante Bretagne. César, à force de s’en occuper dans son livre, comme il s’en était occupé les armes à la main, a fondé l’illustration des anciens Bretons. La constance de ces braves gens est égale à leur courage ; vous les croyez vaincus, ils reparaissent plus puissants et plus forts. Les trêves qu’on leur accorde, ils les emploient à rétablir leurs armées. À la fin, César est forcé d’abattre les forêts pour voir venir l’ennemi, et de ces forêts renversées il se fait des remparts. C’est un admirable récit, cette histoire de la guerre des Gaules, écrite par le grand homme qui les a domptées ; les Français ne sauraient la lire avec trop d’enthousiasme et d’orgueil ; car, à chaque pas que fait César dans cette terre, qui est la nôtre, César rencontre ce qu’il appelle de grandes nations, maximas nationes. En même temps il raconte les mœurs de ces peuples : les uns se battent pour la cause générale, les autres cultivent les terres ; la terre est commune à tous, ils consomment peu de blé, ils vivent en grande partie de laitage ou de la chair des troupeaux, ou des bêtes tuées à la chasse. Ces têtes, si fières et si hautes, sont impatientes de tout joug, l’enfant lui-même est déjà un homme indomptable, ils sont grands et forts ; habitués au froid, à peine couverts de quelques peaux, ils se baignent chaque jour dans les fleuves glacés. Si les marchands étrangers viennent chez eux, c’est plutôt pour acheter à ces hardis soldats le butin qu’ils font à la guerre, que pour leur vendre des objets futiles. Leurs chevaux sont laids, lourds et difformes, au témoignage même de Tacite[21]. Mais ils s’en contentent, car ces chevaux sont infatigables et ils auraient honte d’acheter bien cher les beaux coursiers si recherchés par les jeunes et riches sénateurs. Dans la bataille, et quand l’affaire est bien engagée, le cavalier descend souvent de son cheval, qu’il monte sans selle, et il se bat à pied ; ils ne boivent pas de vin. Pour savoir les nouvelles, ils arrêtent quiconque passe dans leur ville, et si vous voulez pénétrer plus avant, répondez à deux questions. L’île de la Grande-Bretagne fournit à ces peuples des auxiliaires toujours prêts à combattre. César, pour visiter la Grande-Bretagne, se porte sur le pays des Morins (le Boulonnois et une partie de la France maritime), il arrive et il trouve toutes les collines couvertes de troupes ennemies. La descente fut difficile et il ne fallut rien moins que le courage et l’habileté de César pour planter ses aigles sur ce rivage. À peine débarqué, et comme il attendait le reste de son armée ; la tempête disperse ses vaisseaux. Tout à coup l’armée romaine voit arriver les sauvages insulaires traînés dans leurs chariots de guerre ; la résistance fut périlleuse, et César lui-même s’estima heureux de rejeter ces hordes terribles dans des forêts qui les avaient vomies. On croirait lire un poëme épique où tout au moins quelque chose qui ressemble à l’invasion de Guillaume le Conquérant. En effet, tout comme le Conquérant, Jules César rend toute justice à l’énergie et au courage des hommes du comté de Kent ; c’est à peu près la même guerre, avec les mêmes incidents. Des deux côtés, c’est la même ardeur à attaquer, la même ardeur à se défendre. Que de noms de peuples aujourd’hui inconnus, que de villes renversées, dont on n’a plus retrouvé même les vestiges ! Mais aussi que de soldats employés à cette guerre dont le nom est resté dans l’histoire ! Tremutius, un des meurtriers de César ; Minutius Plancus, qui devait fonder la ville de Lyon plus tard ; Quintus Cicéron, le frère de l’orateur ; Cneius, le fils du grand Pompée, toute l’histoire romaine se passe à cette heure sur ces rives sauvages. Gloire à nous ! la Gaule est le théâtre sur lequel se portent toutes ces forces réunies. C’est un immense conflit dans lequel l’esprit peut suivre à peine le progrès des vainqueurs, les luttes des vaincus ; mais de cette lutte importante la grande nation française devait surgir.

Nous arrivons ainsi à la résistance de Vercingetorix, ce jeune homme qui s’est généreusement chargé de la vengeance de tant de peuples. À peine César a-t-il quitté les Gaules, que Vercingetorix appelle à lui tous ces peuples divers. Ceux de l’Auvergne, du Poitou, du Querci, de la Touraine, de la Sarthe, de l’Eure, du Limousin, du Berri, de l’Agenois, du Dauphiné, du Vivarais, et surtout les soldats de l’Anjou et de toutes les villes qui bordent l’Océan. Les Gaules entières répondent à l’appel du héros ; à ce bruit d’armes, César arrive ; il comprend que cette fois encore la puissance romaine, dans les Gaules, est remise en question. À l’approche des Romains, les Gaulois redoublent d’ardeur, ils se pressent près de leur chef, qu’ils appellent le grand général : sumanum ducem. Ils défendent les villes assiégées, ils attaquent les Romains dans leurs remparts. Vercingetorix est partout, combattant par l’épée et par la parole, car Jules César, qui se connaissait en éloquence, n’a pas dédaigné de rapporter dans son livre les discours du jeune Gaulois. Les guerres romaines n’ont rien de plus grand que cette guerre. César s’y montre dans toute sa force et dans toute son intelligence, et Vercingetorix est pour le moins à la taille de César. Parmi tous ces peuples qui se distinguent, nous retrouvons nos amis du Vexin, de la Normandie, de Rennes, d’Avranches, et les Osismiens, et les Curiosolites, et les Venètes. Jamais les Gaulois n’avaient été plus près de la liberté, jamais ils n’avaient fait de plus grands sacrifices pour redevenir les maîtres. Mais, hélas ! c’était le dernier effort de l’indépendance nationale ; la fortune était pour César, les Gaulois sont battus sans retour. Leur chef illustre, ce vaillant homme d’un si ardent génie, pris vivant, est conduit à Rome, où il est égorgé dans le cachot encore tout rempli du sang de Jugurtha. Grande douleur dans les Gaules, profonde misère, dernier coup porté à cette confédération puissante qui avait enfanté tant de héros.

Voilà, à coup sûr, cette nation gallo-bretonne dont les commencements sont dignes d’un grand peuple. À lire cette histoire, non pas dans les chroniques écrites au hasard par des plumes ignorantes, mais écrite par le plus grand historien de Rome, celui-là qui était un aussi habile écrivain qu’un habile capitaine, combien nos ancêtres nous paraissent grands, forts, et dignes de nos louanges, dignes de nos respects ! Ils commencent, tout simplement, par être des héros, pendant que les Romains et les Normands ont commencé par être des voleurs et des pirates. À peine arrivés, ils se précipitent sur les vieilles phalanges de la Rome guerrière et souveraine, leur courage ne recule devant rien et devant personne ; ils ont besoin de bruit, de mouvement, d’invasion, et l’on dirait qu’ils entendent sans cesse retentir à leurs oreilles ce grand mot de Bossuet : Marche ! marche ! marche encore ! Enfants naïfs d’un peuple nouveau, ils ont tout le courage et toute la grâce de l’enfance : rien ne les trouble, rien ne les étonne ; pour eux le grand malheur, ce serait de reculer devant un obstacle, même pour le mieux franchir. Ils veulent être les maîtres, par vanité, non par ambition ; ils veulent tout conquérir, par orgueil, non par nécessité ; car ils n’ont besoin de rien, et pourvu que le ciel ne tombe pas sur leurs têtes, ils sont contents. Qui a voulu se poser sur leur terre a été chassé tout au loin, témoin les Ibères, refoulés par les Celtes jusqu’aux Pyrénées. Vous avez vu passer dans les Gaules, pâli par les excès de la débauche et du travail, ce fabuleux Jules César ; dites-nous si vous n’êtes pas restés épouvantés devant tant de vices, tant de courage, d’éloquence et de génie ? Dans les derniers temps de son séjour dans les Gaules, Jules César s’attachait uniquement à cultiver la bienveillance des cités, à leur ôter tout désir et tout prétexte de reprendre les armes, car il ne voulait pas, à la veille de quitter le pays conquis, courir les chances d’une guerre nouvelle. Voilà par quels motifs, pris dans la peur même du conquérant, les Gaulois furent traités tout autrement que ne l’avaient été Les habitants de la Narbonnaise. César, en effet, n’établit pas de colonies militaires dans la Gaule, et ces mêmes peuples, dont le courage, même abattu, tenait Rome en respect, ne furent dépouillés ni de leurs terres ni des formes essentielles de leur gouvernement.

Bien plus, les faveurs les plus éclatantes furent prodiguées aux vaincus. Le sénat romain vit un jour, non pas sans stupeur, les fils de Brennus quitter les braies nationales pour venir prendre place, vêtus du laticlave, à côté des fiers descendants de Camille, de Quintus Maximus, et de vous tous, les anciens vainqueurs des Gaulois.

Par cette politique habile (la seule qui puisse convenir aux véritables grands hommes), César enchaîna la bouillante indépendance des peuples domptés. Ils accoururent en foule sous les drapeaux du dictateur. Lui-même il nous apprend qu’en marchant sur Rome avec la petite armée qu’il avait sous ses ordres, il fut rejoint, non loin du Rubicon, par deux cohortes levées dans les Gaules.

En Afrique, à Alexandrie, en Espagne, le Gaulois se battait loyalement pour la cause de Jules César. Toutes les douleurs, toutes les calamités de la patrie, ils les oubliaient sur les champs de bataille ; César les voyait combattre, il applaudissait à leur courage, et ils se trouvaient assez payés. On vit un jour, en Afrique, trente de ces cavaliers des Gaules chasser devant eux deux mille hommes de la cavalerie numide, et les mener battant jusque sous les murs d’Adrumète.

Héroïsme mal employé, courage inutilement dépensé ! C’était ajouter encore à l’épuisement dans lequel deux années d’une lutte acharnée avaient jeté la Gaule.

« Qu’on se représente, dit Orose, un malade pâle, décharné, défiguré, après une fièvre brûlante qui a épuisé son sang et ses forces, pour ne lui laisser qu’une soif brûlante qu’il ne lui est pas donné de satisfaire. Voilà l’image de la Gaule, subjuguée par César, de la Gaule d’autant plus altérée de l’amour de la liberté perdue, que ce bien précieux semblait lui échapper pour toujours. »

Cette déclamation, d’une vérité si frappante, nous explique pourquoi, pendant toutes les guerres civiles qui éclatèrent après la mort de César, et bien que l’occasion fût belle, la Gaule ne fit aucun effort pour reconquérir ses antiques libertés.

Plus tard, sous Octave, le malaise de la servitude, l’inaction, l’ardeur naturelle à ces courages oisifs, produisirent quelques explosions sans résultat. Agrippa battit les Aquitains révoltés ; puis, courant aux bords du Thin, menacés par des bandes germaniques, il mit cette frontière de l’empire à l’abri de nouvelles invasions ; le moyen était simple : donner aux Ubes, peuplade admise au nombre des alliés de Rome, une partie du territoire des Trévires, livrer aux Tongres les terres désertes des Éburons.

Cependant, après cette illustre et décisive victoire d’Actium, Auguste, devenu maître absolu de l’empire, vint lui-même dans les Gaules pour y régler selon ses vues les formes de l’administration ; alors fut introduit dans le gouvernement de l’univers romain ce système de fiscalité impitoyable qui, bien plus que les invasions barbares, devait contribuer à la ruine de tout l’empire.

Le premier soin de l’empereur fut de briser le lien de confédération qui unissait entre elles les différentes nations gauloises ; il voulait établir, à la place de cette confédération nationale, l’unité romaine, Cette fois, toutes les anciennes divisions territoriales furent bouleversées. La Gaule était, avant la conquête, partagée en grandes sections longitudinales qui s’étendaient du nord au midi ; l’empereur Auguste, par une nouvelle division, établit des sections transversales de l’est à l’ouest[22].

Ces sections, ou provinces, furent au nombre de trois : l’Aquitaine, la Belgique, la Lugdunaise. Lugdunum (Lyon), ville de fondation récente, devint le siége des Gaules, à la place de la cité des Carnutes (Chartres), l’antique métropole nationale. Ce fut de la nouvelle capitale que partirent, ouvertes à toutes les forces et à toutes les concussions de l’empire, les grandes voies qui devaient couper la Gaule des Alpes au Rhin, à l’Océan, aux Pyrénées, et à la frontière narbonnienne.

Cependant les Gaulois, malgré tant de bouleversements, ou, pour mieux dire, à cause même de ces changements qui dérangeaient leurs espérances, acceptaient le joug des vainqueurs.

L’esprit national s’agitait encore sous l’empire des enseignements druidiques. Auguste, en politique consommé, comprit qu’il fallait ruiner les mœurs publiques pour arriver à modifier profondément le génie de cette indomptable nation qui, jusque-là, avait placé au premier rang les vertus guerrières. Rien ne fut épargné pour parvenir à ce but d’un maître absolu qui veut assurer le repos de son règne. Le prince résolu de détruire sourdement l’antique croyance dans laquelle, suivant Jules César, les Gaulois puisaient à la fois l’amour de la patrie et le bouillant courage qui les précipitait même dans les résistances impossibles. Sous le prétexte spécieux de mettre un terme à des coutumes barbares, l’empereur frappa d’interdiction certaines pratiques du culte druidique. Ô la rare humanité de ces maîtres du monde ! Ils protestaient contre les sacrifices humains ! Ils ne voulaient pas que le prêtre des druides immolât sur l’autel de son Dieu les coupables que la loi eût frappés à défaut du prêtre ! L’effusion du sang de quelques vils scélérats faisait horreur à l’homme du triumvirat, au bourreau qui avait ordonné de sang-froïd le meurtre des plus illustres citoyens de Rome !

À la fin, l’univers indifférent apprend que son maître vient de mourir, après avoir demandé aux amis rassemblés autour de son lit de mort s’il n’avait pas bien joué le mime de la vie ! Un comédien non moins habile le remplace sur le théâtre du monde, et, pendant neuf années, il s’y fait applaudir avec le même succès.

Les premières années du règne de Tibère ne semblèrent pas présager les temps affreux que le pinceau de Tacite a décrits dans ses annales immortelles. Mais le moyen de contenir le tigre affamé ? Bientôt les instincts dépravés du maître éclatèrent et ne connurent plus de frein. Nulle garantie, à partir de ce moment, pour les malheureuses provinces. Les présides, sûrs de l’impunité, s’abandonnèrent à tous les excès, et ces excès de la force avide furent poussés si loin, que la Gaule, dont Germanicus proposait l’obéissance pour modèle à son armée révoltée, se souleva, indignée de tant de cruautés et d’insolences. Julius Florus, chez les Trévires ; Julius Sacrovir, chez les Éduens, se mirent à la tête de ce mouvement, qui n’était pas encore une révolution.

Au même instant, et par l’effet de l’indignation unanime, toutes les cités des Gaules entrèrent dans le complot. L’impatience des Andegaves (Angevins) et des Turones (Tourangeaux), qui se levèrent avant le signal, déjoua tous les projets des conjurés. Ces deux peuples furent écrasés, l’un par Aviola, accouru de Lyon avec une légion ; l’autre par des lésionnaires envoyés de la Germanie inférieure, et dont les rangs s’étaient grossis d’une troupe de principes gaulois qui, pour masquer leur défection, affectèrent toutes les apparences d’un zèle ardent.

Pendant ce temps, Florus poursuivait ses projets. Al voulait appeler à son aide un corps de cavalerie gauloise que les Romains avaient levé à Trèves ; mais, trompé dans son attente, le chef gaulois se vit forcé de se diriger vers la forêt des Ardennes. Là, il rencontra les légions commandées par Silius et par Varron ; alors il fallut combattre. La discipline romaine fit promptement justice de cette bagaudie gauloise.

La révolte des Éduens ne fut pas moins rapidement comprimée. Sacrovir, qui la dirigeait, ne voulut pas survivre à sa défaite.

Ceux-là vaincus et morts, tout rentra dans le calme. La Gaule, fatiguée, se laissa dépouiller patiemment par Caligula, qui avait franchi les monts pour arriver à cette victoire devenue facile. À ce moment de l’histoire, on se demande où sont les Gaulois. — Ils obéissent à qui commande ; ils sont soumis même à l’empereur Claude. À l’exemple d’Auguste, le nouvel empereur s’attaque à la religion des druides. En vain l’histoire a répété à travers les siècles les louanges que valut au successeur de Caligula l’abolition du druidisme ; il est permis de douter que des motifs d’humanité aient seuls inspiré l’empereur. Tout comme Auguste, Claude ne songeait sans doute qu’à éteindre chez les Gaulois cette énergie vigoureuse que l’homme puise dans l’austérité de ses croyances, dans le respect qu’il se porte à lui-même et qu’il porte à la religion.

Néron régnait depuis quatorze ans, et l’univers le souffrait, patiente mundo, selon la belle expression de Pline, quand tout à coup le bruit se répandit que la Gaule était en armes. La province lugdunaise avait alors pour gouverneur un Gaulois issu de race royale. Ambitieux d’une espèce bien rare, Vindex n’aspirait qu’à une seule gloire, la délivrance de la patrie. Il fit un appel énergique au vieil esprit gaulois, et soudain la plus grande partie de la Gaule vint se ranger sous les drapeaux de cet homme généreux.

Éclairés cette fois sur les dangers de l’isolement, les révoltés tendirent la main aux légions d’Espagne :

« Viens, écrivait Vindex à Galba ; la Gaule est un corps vigoureux auquel il ne manque qu’un bras pour le diriger. »

L’avénement du vieux Galba fut le premier signal de la délivrance du monde.

Après avoir tenté, mais en vain, d’arracher le Capitole de sa base éternelle, les Gaulois comprirent enfin qu’il était plus facile de transporter, en quelque sorte, le centre de l’empire romain dans les Gaules que d’ébranler cette organisation formidable.

Ce fut là, durant quatre cents ans, le noble rêve de nos ancêtres. La Gaule a toujours eu l’ambition de dominer le monde.

Après Galba vint Vitellius, proclamé sur le Rhin par les légions gauloises et, germaniques. Vers le même temps, un fanatique, qui se prétendait envoyé de Dieu pour venger le pauvre peuple des ravages que les divers partis exerçaient dans les campagnes, réunit sous son drapeau de hasard plusieurs milliers d’hommes ; ces hommes obéissaient à deux mots d’ordre tout-puissants et qui reparaissent toujours dans les époques malheureuses : « Vengeance et Liberté ! » Telle fut la première étincelle de ces terribles révoltes populaires que la misère et le désespoir vont désormais multiplier sous le nom de bagaudie[23]. Maricus, fait prisonnier, fut massacré par les soldats de Vitellius ; mais une nouvelle révolte, la plus terrible de toutes, éclata chez les Bataves, et l’on put espérer un instant que ce serait la dernière. La trahison des Rhèmes et le génie de Cérialis sauvèrent l’empire. — Repos d’un jour ! la semence était jetée dans l’âme des Gaules, et tôt où tard elle devait porter ses fruits. Civilis et Vindex avaient laissé après eux leur exemple et leur souvenir. La Gaule, toujours frémissante sous le joug, ne cessa de protester, par des révoltes continuelles ; en faveur de son indépendance. Réduits à l’inertie pendant plus d’un siècle et demi, les Gaulois se mirent à s’agiter de nouveau en 193, lorsque Claudius Albinus traversa le détroit avec les légions bretonnes pour venir combattre son rival.

Sous le règne ou plutôt sous le joug de Caracalla, de Macrin et d’Héliogabale, les Gaulois attendent en silence l’heure de l’action ; ils abandonnent l’empire à tous les troubles qui l’agitent ; plus tard seulement nous voyons cet empereur malheureux, vertu qui ne sait pas se défendre, Alexandre Sévère, tomber sous les coups des légions du Rhin ; dans ces légions violentes les soldats gaulois se faisaient remarquer par leur humeur intraitable et leur indiscipline. Verum gallicanæ mentes, ut sese habent, duræ et sæpe imperatoribus graves severitatem hominis nimiam… non tulerunt, dit Lampride dans sa Vie d’Alexandre Sévère.

Le règne de Gallien fut pour l’empire romain une suite non interrompue de calamités de tous genres ; en revanche, il fournit à la Gaule une occasion de réaliser ses rêves d’indépendance. Les tyrans, ainsi Rome les appelait, se montrèrent de toutes parts, et plusieurs de ces chefs nationaux, que les historiens à gages couvraient de tant d’insultes, furent de brillants modèles de vertus et de courage. Posthume, entre tous ces princes, sut mériter l’amour et l’admiration de ses sujets. Maître de toutes les Gaules durant sept années, il en chassa les Germains, il fit même construire des forteresses au delà du Rhin, et mérita le glorieux surnom de restaurateur de son pays.

Victorinus, Lollius, Marius et Tetricus, qui remplacèrent tour à tour ce grand homme, s’efforcèrent de soutenir le poids du nouvel empire… la lâcheté et la trahison du dernier de ces princes firent écrouler cette monarchie des Gaules rêvée par le Batave Civilis, fondée par le génie de Posthume, et dont la durée ne put dépasser quatorze ans.

Sous l’empereur Probus, on vit Proculus et Bonose entraîner une partie des Gaulois dans leur révolte. La Gaule, gouvernée comme une province détachée par les princes qu’on plaçait à sa tête sous le titre de César et d’Auguste, formait une sorte d’empire indépendant. Obligée qu’elle était de défendre son Auguste ou son César contre l’ambition de leurs compétiteurs, son énergie s’exalta jusqu’à l’enthousiasme, et sur ces champs de bataille où les Romains ne savaient plus mourir, la magnanimité gauloise, pour parler le langage d’Ammien, se retrouva ce qu’elle avait été à ses plus beaux jours.

C’est à l’épée des Gaulois et des Bretons que Constantin dut sa victoire contre Maxence, et Crispus sa victoire sur les Francs.

Julien appelait nos pères ses grands compagnons d’armes (magnus commilitones). Sous Valentinien Ier, l’intrépidité et l’indépendance d’esprit des troupes gauloises étaient encore proverbiales. Ces troupes, dit Ammien Marcellin, étaient d’ordinaire assez peu soumises à leurs princes légitimes et toujours prèles à accueillir les nouveautés.

Gratien, jeune prince à peine âgé de dix-sept ans, succéda à Valentinien. Ce jeune homme, dont la douceur et la bonté attiraient tous les cœurs, dont les vertus faisaient l’admiration de saint Ambroise, devint tout à coup odieux à ses sujets ou plutôt à ses armées.

Mais avant de raconter la catastrophe qui précipita du trône le jeune Gratien pour livrer l’empire des Gaules au Breton Maxime, il est indispensable que nous jetions un coup d’œil rapide sur l’histoire des Gaulois armoricains et des Bretons insulaires.

Cette fois, si notre tâche s’agrandit notre travail se simplifie. À cette heure, grâce à l’intérêt que cette histoire de la Bretagne soulève de toutes parts, nous avons rencontré un guide sûr, énergique, austère, dévoué ; ce noble guide, un des savants les plus distingués de la jeune Bretagne, nous conduira, comme par la main, à travers ces ténèbres qu’il a éclaircies, à travers ces landes stériles qu’il a cultivées, par ces sentiers peu fréquentés que le premier il a découverts dans les annales de sa patrie bien-aimée. Fiez-vous donc à lui tout comme nous nous y fions nous-mème, et suivez-le avec le zèle et l’ardeur qu’il met à nous conduire et à nous pousser en avant.

  1. Un digne historien breton, avoue naïvement qu’il ne sait rien de ces origines : « À l’égard de l’origine des Bretons, j’avoue que je ne la connais pas. »
    Abrégé de l’Histoire de Bretagne, de M. d’Argentré, par M. Lesconvel, p. 2.
  2. Amédée Thierry, Histoire des Gaules, tome II.
  3. Strabon, liv. IV, chap. iv.
  4. Du mot breton armorik, composé de la préposition ar, sur, et du substantif morik, diminutif de more, mère.
  5. Le breyzad s’écrit avec vingt-deux lettres : on y remarque l’n nasale, le j, le ch, l’l mouillée des Français et le ch des Allemands. Cette langue n’a pas de voyelles muettes à la fin des mots, comme en français, en allemand, etc. Elle a plusieurs lettres aspirées. On n’y prononce pas toujours toutes les consonnes écrites, et quelques-unes même se changent en d’autres consonnes plus douces. — Voyez l'Atlas ethnographique de M. Ad. Balbi.
  6. Dolmen, ou dolmin, signifie en breton table de pierre ; cromlech, lieu courbe, lieu voûté ; peulven, pilier de pierre, et menhir, pierre longue. Le dolmen est composé d’une pierre plate ou de forme tabulaire, élevée sur plusieurs autres enfoncées en terre. On croit qu’il servait d’autel sur lequel on sacrifiait les victimes. Le même nom s’applique encore à une réunion de pierres larges, plates et hautes, disposées à côté les unes des autres, de manière à former une enceinte carrée, fermée de trois côtés et couverte de pierres plates ; c’était une sorte de sanctuaire, dans lequel le pontife se plaçait pendant les cérémonies religieuses.

    Le peulven ou menhir est un obélisque, ou plutôt une pierre placée verticalement sur le soi.

    Le cromlech est composé d’un nombre plus ou moins considérable de peulven ou d’obélisques disposés en cercle, quelquefois sur deux ou trois rangs, et dominés par un peulven plus élevé, placé au centre. D’autres fois cette dernière pierre manque ; alors le monument druidique n’est plus qu’une enceinte sacrée, dont l’entrée était interdite aux profanes, et qui recevait le nom de mallus.

  7. Antiquités de la Bretagne, par M. le baron de Fréminville.
  8. Kerhan, en breton, le champ de bataille.
  9. M. de la Sauvagère.
  10. Forêt qui fait es par contraction, ou du mot euz terreur.
  11. Le nom de druide est derwidda en langue kimrique, il dérive du mot par lequel les Gaulois désignaient le chêne, c’est-à-dire derv en kimrique, deru en armorique, et duer en gaélique. Il est à remarquer que Diodore de Sicile traduit druides par un mot grec qui signifie hommes des chênes.
  12. Belh, en langue gallique, signifie lin. — En Bretagne on désigne encore sous le nom de belhec un prêtre.
  13. Gloan, et par contraction léans, signifie laine en langue gallique.
  14. La Normandie, le Roi Jean, p. 129 ; Ivanhoé, p. 284.
  15. Les Martyrs, liv. IX et suivants.
  16. « Au pied du dolmen étaient appuyées deux autres pierres qui en soutenaient une troisième couchée horizontalement. »
  17. Exemples : bancs, fin, parc, cri, fi ! drud, héros (dru), bren, corruption ; truand, misérable.
  18. Lai, led, en latin de la grande décadence, leudus.
  19. Histoire de l’Estat et Républiques des anciens François, depuis le déluge universel jusques à la venue de Jésus-Christ en ce monde.  (Noël Taillepied, cordelier.) — 1585.
  20. De Bello Gallico, liv. III.
  21. Equi non fomâ, non velocitate conspicui.  Tacite, Germ. IV.
  22. Passim.
  23. Voir l’Histoire des Origines et des Institutions de la Gaule armor, par M. de Courson.