La Bourgeoisie et la révolution française de 1789 jusqu’à nos jours/03

La Bourgeoisie et la révolution française de 1789 jusqu’à nos jours
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 6 (p. 1055-1082).
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LA BOURGEOISIE


ET LA


REVOLUTION FRANCAISE.




LA PARTI GIRONDIN.
SON ORIGINE, SA POLITIQUE ET SA CHUTE.




I

La bourgeoisie avait à peine vaincu, que déjà sa victoire était sur le point de lui échapper. Elle s’était montrée si implacable envers ses adversaires, que ses violences avaient doublé leurs forces ; elle s’était montrée si confiante envers ses alliés, que ceux-ci étaient bientôt devenus ses maîtres. La constitution de 1791 allait périr moins par les résistances qu’elle avait rencontrées que par les mesures iniques prises pour prévenir ces résistances mêmes. On avait passé contre les ennemis de la révolution d’une défensive légitime à une persécution implacable. À force de prendre des garanties contre le monarque, on lui avait lié les mains pour le bien comme pour le mal ; à force de s’inquiéter des attaques éventuelles à la constitution, ses auteurs n’avaient laissé au pouvoir chargé de l’exécuter aucune arme pour la défendre.

Par un système de méfiance injurieuse et continue, ils étaient parvenus à transformer en ennemi des institutions nouvelles le prince qui désirait le plus sincèrement s’en accommoder. Lors même que le roi se résignait à son rôle, l’époux outragé dans ses affections, le père menacé dans ses enfans, le chrétien violenté dans sa foi caressait de vagues pensées de délivrance, et devenait le complice involontaire des hommes qu’il avait le plus énergiquement blâmés. Aucun prince n’avait été plus naturellement prédestiné que Louis XVI à ce rôle de roi bourgeois que semblait lui assigner l’admirable simplicité de sa vie, et ce fut pourtant ce rôle, qui aurait assuré le salut de la révolution, qu’il se trouva contraint de répudier, tant ceux qui avaient intérêt à le lui voir jouer le lui rendirent difficile !

L’esprit philosophique avait poussé les classes moyennes vers la persécution religieuse ; leur inexpérience politique les conduisit vers la guerre étrangère : double faute dont les conséquences allaient amener la ruine de l’œuvre à laquelle elles avaient rattaché toutes les espérances de leur suprématie.

La révolution française avait été pacifique à ses débuts comme toute idée qui, en se produisant dans le monde, se croit assez forte pour le dominer ; mais, aigrie par les obstacles, elle avait bientôt imputé à autrui des difficultés dont la plupart avaient été suscitées par elle-même. Elle avait accusé et menacé l’Europe, quelle que fût la sympathie avec laquelle certains gouvernemens eussent accueilli cette première application des doctrines encyclopédiques, quelle que fût la réserve avec laquelle les autres avaient manifesté leur improbation ou leurs doutes. À la première période de la révolution, l’idée d’une intervention armée répugnait profondément aux principaux gouvernemens européens. L’intérêt d’état avait promptement arrêté les velléités guerrières de Catherine II, et la main d’Ankastroem avait tari dans le sang de Gustave III sa pensée chevaleresque. Léopold, le réformateur philosophe de la Toscane, devenu sur le trône impérial le successeur du philosophe Joseph II, souffrait sans doute des humiliations de la reine sa sœur, mais il n’inclinait aucunement à les venger par les armes. En Prusse, le roi se préoccupait seul des progrès de la révolution française, et s’indignait de ses excès. Ses conseillers, sortis de l’école de Frédéric II, suivaient avec bien plus de complaisance que de colère la grande expérience que la France faisait alors sur elle-même. Ces hommes d’état étaient d’ailleurs trop imbus des traditions prussiennes pour ne pas répugner à une action concertée avec l’Autriche ; ils désiraient rompre les liens qui depuis trente ans attachaient la France à la cour de Vienne, bien plus que de s’unir à celle-ci pour écraser la nation dont l’alliance importait tellement à la prépondérance de leur patrie dans l’empire germanique. Enfin, l’empire lui-même se sentait si peu préparé pour une guerre offensive, si peu propre à une croisade politique qui exposerait sa vieille organisation au contact de toutes les idées modernes, que la plupart des électeurs, quels que fussent leurs sentimens personnels, fermaient obstinément l’oreille aux supplications de la noblesse émigrée. Les princes français avaient à peine obtenu dans les grandes cours allemandes les égards dus à leur malheur et à leur rang.

Si un commencement de concert s’établit entre les cabinets de Vienne et de Berlin lors de la tentative de Varennes, ce fut sur les instances personnelles de Louis XVI et point du tout sur celles de l’émigration ; ce concert d’ailleurs tendait à faire modifier la constitution par l’accord du roi et de l’assemblée beaucoup plus qu’à faire triompher l’ancien régime et les prétentions de la noblesse. L’alliance, qui ne prit une forme officielle qu’au mois d’août 1791, n’avait pas pour but d’attaquer la révolution, mais seulement d’organiser contre les jacobins une surveillance armée. Jusqu’aux jours qui précédèrent immédiatement l’ouverture de la campagne de 1792, le droit des Français à se constituer comme ils l’entendraient, par l’accord du roi avec l’assemblée nationale, était expressément indiqué dans toutes les déclarations émanées des cabinets. En même temps qu’on poursuivait la réparation de préjudices causés, contrairement aux traités, aux princes de l’empire possessionnés en Alsace par divers actes de l’assemblée constituante, on espérait exercer, par l’appareil d’une coalition éventuelle, un effet moral utile à la sûreté personnelle des membres de la famille royale. Obtenir pour Louis XVI sa liberté d’action, provoquer par l’accord du roi avec le parti modéré des modifications à la constitution dans le sens des partisans des deux chambres, telle était, à cette première période, la seule pensée et la seule espérance de l’Europe. La célèbre déclaration de Pilnitz n’avait ni un autre sens, ni une autre portée : si l’empereur Léopold, long-temps perplexe, se détermina à la signer, ce fut avec la confiance de couvrir, par cette manifestation, sa responsabilité comme chef de l’empire, et son honneur comme chef de la maison d’Autriche. Aussi le seul fait de l’acceptation définitive de la constitution par le roi et la réintégration de ce prince dans l’exercice du pouvoir exécutif en septembre 1791 devinrent-ils bientôt après une occasion ou un prétexte pour rétablir tous les rapports diplomatiques avec la France, et pour protester d’intentions pacifiques dont la plus insigne mauvaise foi pouvait seule alors contester la sincérité.

Malheureusement la déclaration de Pilnitz eut sur l’opinion un effet tout contraire à celui qu’en avaient attendu des gouvernemens fort ignorans des grandes émotions publiques, et qui n’avaient tenu compte ni de l’action de la tribune ni de celle de la presse. La majorité de la législative, dominée par les girondins et les montagnards alors étroitement unis, appela la guerre avec une ardeur qui descendit vite, au cœur de la nation, et adressa aux cabinets signataires de cette déclaration des sommations réitérées, bien plus désireuse au fond de les voir repoussées que jalouse de les faire accueillir.

L’Allemagne et particulièrement l’Autriche répugnaient si manifestement à la guerre, même aux premiers jours de 1792, que la plupart de ces sommations furent admises, quelle que fût la violence avec laquelle elles se produisaient à la tribune de l’assemblée, surtout à celle des jacobins, qui était la tribune officielle de la révolution et de son gouvernement. C’est ainsi que les rassemblemens d’émigrés formés sur les frontières, dans les électorats du Rhin, furent dissous par les princes allemands à la demande de la France sur les injonctions de la cour impériale. Mais les chefs de la gironde dans la pensée d’achever la ruine de la monarchie, et certains membres du parti constitutionnel dans l’espérance de lui rendre quelques chances de salut, poussaient à la guerre avec une persévérance si obstinée, que la coalition se resserrait chaque jour par la force même des choses, malgré les dispositions pacifiques des cabinets. Bientôt la mort de l’empereur Léopold, coïncidant avec la mise en accusation des courageux ministres dont on demandait la tête, en attendant celle de leur maître, vint ôter à la paix ses dernières chances, et aux gens de bien leurs dernières illusions. Les cabinets qui avaient résisté le plus énergiquement à la guerre comprirent qu’on la voulait trop résolûment à Paris pour qu’il fût long-temps possible de l’éviter, et se préparèrent à entrer en campagne. Un traité d’alliance fut enfin signé, et ce traité, bientôt connu, donna en France au parti de la guerre une prépondérance irrésistible. Louis XVI voulut alors prendre l’initiative d’une résolution à laquelle il était sans nul moyen de s’opposer. Soit espoir de retrouver pour lui-même une chance de salut au milieu de ces chances nouvelles, soit désir de faire descendre un dernier rayon de popularité sur ce front qu’attendait bientôt une autre couronne, il vint d’une voix ferme et avec une contenance presque joyeuse proposer à l’assemblée législative de déclarer la guerre au roi de Hongrie et de Bohême[1].

Ces faits défient toute contradiction, et permettent de décider si ce fut l’Europe qui attaqua la révolution française ou bien la révolution qui attaqua l’Europe. Lorsqu’on place la guerre étrangère au nombre des périls invoqués pour légitimer d’effroyables extrémités, il faut donc reconnaître que ce danger avait été cherché tout aussi gratuitement que celui de la lutte religieuse, et qu’il n’aurait pas été plus impossible de conserver la paix au dehors que d’éviter la guerre civile au dedans. Des faits avérés tiennent donc encore en échec, sur ce point, la doctrine de la fatalité historique : il reste démontré que si les crimes de la révolution sont sortis de terribles nécessités, ce sont les fautes et les passions de quelques hommes qui ont provoqué ces nécessités elles-mêmes.

Ce fut l’erreur capitale des chefs parlementaires de la bourgeoisie, feuillans et girondins, de pousser à une lutte dont l’issue ne pouvait manquer d’être funeste aux intérêts qu’ils avaient mission de représenter. La guerre ne leur offrait, en effet, qu’une alternative également déplorable : ou bien l’émigration, appuyée sur l’étranger, triompherait d’une armée sans discipline, et dans ce cas l’œuvre de 89 disparaissait tout entière comme le rêve d’une nuit de délire, ou bien la France était prédestinée à des succès, et, dans la disproportion manifeste des forces, avec des corps désorganisés par l’émigration et par la révolte, ces succès ne pouvaient être obtenus qu’en surexcitant les plus redoutables passions et qu’en provoquant dans les masses un mouvement gigantesque au sein duquel les classes moyennes seraient infailliblement abîmées. Il ne fallait pas beaucoup de sagacité pour pressentir un pareil résultat. En l’affrontant avec une systématique obstination, en se montrant plus unanimes et plus résolus sur la question de la guerre que les montagnards eux-mêmes, les girondins mirent de leurs propres mains la révolution française aux mains de la démagogie et se firent à eux-mêmes leur destinée. En ceci, comme dans tout le cours de sa carrière, la gironde subit l’influence d’un petit nombre d’hommes devenus les directeurs du parti, parce que, sans être doués d’un grand esprit politique, ces hommes possédaient à un degré remarquable ce qui manquait à ce parti lui-même, l’esprit de résolution et d’initiative.

Depuis l’avènement de l’assemblée législative, presque toutes les illustrations de l’ancien tiers-état avaient disparu de la scène. Rentrés dans la retraite ou demeurés à Paris conseillers secrets du prince que leurs exigences avaient perdu, ces hommes n’avaient plus à payer à leur patrie que le tribut de leurs regrets et celui de leur sang. Toutefois la classe dont ils étaient issus peut produire avec une juste fierté ces noms demeurés dans l’histoire. Si, sous l’empire de leurs passions, les constituans enfantèrent une constitution chimérique, sous celui de leurs lumières ils ont doté leur pays des lois civiles et des institutions administratives qui depuis un demi-siècle protègent la France dans la chute de tous ses gouvernemens. L’œuvre des girondins fut moins durable : ils n’ont laissé dans l’histoire que des souvenirs personnels, et la postérité connaîtra moins leurs idées que leurs infortunes. Légers par nature, hésitans par scepticisme, peu propres et peu préparés aux grandes affaires, ils prirent la révolution pour un drame, et crurent qu’il suffisait pour y jouer un rôle du talent de bien parler et du courage de bien mourir. Chefs d’une majorité d’abord considérable, arrivés au pouvoir en possession de toutes les ressources d’un gouvernement et de tout l’enthousiasme d’une révolution, ils furent en six mois vaincus et immolés, ne laissant pour traces de leur passage aux affaires que des menaces sans résultat et des discours sans conclusions.

Par entraînement et par faiblesse, les girondins se laissèrent imposer une politique qui n’était au fond ni celle de leurs commettans, ni la leur propre. Partis de leurs provinces ardemment dévoués à la constitution de 91, comme l’étaient alors le commerce, le barreau, la banque et toutes les professions libérales, ils avaient reçu et accepté la mission formelle de maintenir la monarchie, de sauvegarder la constitution et de s’opposer à une révolution nouvelle. Cependant, à peine arrivés à Paris, ils se proclamèrent républicains avant même que l’on osât, aux Jacobins, prononcer nettement le mot de république. L’influence d’un petit groupe, jointe à l’attrait de la nouveauté sur des natures mobiles et oratoires, amena cette désertion de leurs idées et de leurs devoirs, qui fut à la fois le stygmate de leur caractère et la cause permanente de leur impuissance.


II

La coterie qui imposa ses haines et ses ambitions à de jeunes hommes plus avides de renommée que de pouvoir, plus enclins au bruit qu’à la colère, avait concentré toutes ses amertumes et ses plus égoïstes calculs sur une double formule : la guerre, pour achever de perdre le roi, en déchaînant contre lui toutes les suspicions populaires ; la république, pour écarter d’un seul coup toutes les renommées grandies à l’ombre du gouvernement constitutionnel, et qui faisaient obstacle aux prétentions nouvelles. Formée, aux derniers temps de la constituante, dans les salons de M. de Condorcet, cette coterie avait pour inspiratrice la célèbre et malheureuse femme qui a racheté les torts de sa vie par l’antique et sereine dignité de sa mort. Mariée à un écrivain diffus et médiocre, auquel son parti attribua la vertu pour spécialité, faute de pouvoir lui en assigner une autre, Mme Roland avait faussé son esprit et systématiquement desséché son cœur. Passée des onctueuses croyances de l’église aux raides enseignemens du portique, en poursuivant les vertus de l’autre sexe, elle avait perdu les plus précieuses qualités du sien. Piquée au seuil de sa jeunesse par le serpent de l’envie, un jour qu’elle aperçut de loin les pompes d’un monde dont la repoussait son obscurité, la fille du quai des Orfèvres porta jusqu’au tombeau la trace de cette venimeuse morsure, qui voua sa vie aux passions implacables, au point d’étouffer toute pitié dans son cœur pour les tortures d’une mère, parce que cette mère avait été reine !

Mme Roland fut la gloire et la fatalité de la gironde. Autour d’elle se groupaient l’ardent Buzot, esprit de fer et cœur de feu, qui puisait l’amour et l’enthousiasme dans ses regards ; le grave Pétion, qui s’inclinait devant la borne avec la respectueuse émotion d’un courtisan de l’OEil-de-Boeuf devant son maître ; le savant Condorcet, le plus avancé des philosophes du XVIIIe siècle, aux yeux duquel l’humanité était un organisme où la sève monte de génération en génération, comme elle monte dans les plantes de printemps en printemps. Condorcet voulait la république, non pas à la manière de Mme Roland, comme une vengeance, mais parce que la république différait de la monarchie, et qu’à ses yeux l’avenir, quel qu’il fût, était toujours et nécessairement un progrès sur le passé. L’homme d’action de ce groupe entreprenant était Brissot-Warville, aventurier littéraire, qui depuis vingt ans courait après les idées pour les mettre en brochure et les exploiter ; il avait successivement attaqué tous les principes, même celui de la propriété, et défendu toutes les causes, même celle du pouvoir, lorsque le pouvoir avait consenti à s’apercevoir de ses besoins. Brissot accueillit la révolution moins comme une bonne cause que comme une bonne occasion, et, ne pouvant conquérir une place à la tête du parti constitutionnel, dirigé par les illustrations parlementaires consacrées depuis trois ans, il entreprit de se la faire ailleurs par l’audace de sa pensée et l’activité de sa conduite. Le premier dans Paris il prononça le mot de république, lorsque Robespierre lui-même professait encore le culte de la constitution. On sait qu’après la fuite du roi il avait rédigé, pour demander sa déchéance, la pétition lacérée au Champ-de-Mars par les baïonnettes du général Lafayette. Devenu membre de la législative, il s’offrit pour initier les novices députés de la gironde aux formes et aux mystères de ce monde diplomatique dont lui du moins avait, dans quelques capitales, hanté les antichambres. Brissot fut la main du parti comme Mme Roland en fut la tête ; il n’y eut pas une de ses affirmations qui ne fût acceptée par ses amis, pas une de ses combinaisons à laquelle ils ne s’associassent aveuglément. Cet écrivain suggéra donc à la gironde toute sa politique, qui, selon la formule déjà indiquée, se résumait en deux mots : pousser le peuple à la guerre pour le pousser à la république ; faire proclamer la république pour n’avoir plus de concurrens dangereux dans le partage et l’exploitation du pouvoir.

Toutefois les convictions de ce cénacle d’ambitieux n’étaient pas tellement vives qu’on ne consentît à en suspendre l’application, lorsque le pouvoir survenait à ses membres par des voies plus faciles. Lorsque les ministres désignés par Brissot furent entrés dans le cabinet de Louis XVI, la propagande républicaine fat interrompue dans tous les journaux du parti et jusqu’à la tribune des jacobins. Durant trois mois, on parut envisager la constitution sous un jour tout nouveau, et l’on se montra même résolûment monarchique, en se mettant toutefois en règle avec l’avenir pour le cas assez probable où quelques scrupules religieux détermineraient le roi à changer de conseillers. Ce fut avec cette arrière-pensée que le vertueux Roland prépara, sous forme d’une lettre au roi, cet acte d’accusation anticipé destiné à demeurer secret tant qu’il garderait le pouvoir, et à éclater au lendemain de sa chute comme un pistolet dirigé au cœur du malheureux prince. Tant d’habile prévoyance ne fut pas trompée. Sommé d’autoriser l’appel sous les murs de Paris de vingt mille auxiliaires des clubs et de sanctionner la loi qui dévouait à l’exil et à la mort tous les confesseurs de sa propre foi, Louis XVI renvoya ses ministres, sachant fort bien qu’il allait donner aux conspirateurs des chefs implacables et des armes terribles.

À ce moment, le dernier jour de la monarchie fut marqué dans les conseils de la gironde. La vulgaire, mais âpre ambition du portefeuille fixa, en les irritant, des convictions jusqu’alors molles et flottantes. Barbaroux fut appelé à Paris avec ces bataillons méridionaux enivrés de soleil, d’enthousiasme et de fatigue, pour se préparer à faire le sac des Tuileries au signal d’anciens ministres tombés au rang de conjurés. Le maire Pétion, grand-maître des cérémonies de l’insurrection, reçut charge d’aller à la barre de l’assemblée législative réclamer la déchéance, escorté des hommes qui, l’année suivante, disputaient son corps aux vautours. À partir de ce jour, les ambitieux de la gironde se concertèrent étroitement avec les fanatiques de la montagne, et suspendirent jusqu’au succès la lutte antérieurement engagée. Condorcet, Brissot, Louvet, Gorsas et presque tous les publicistes de la bourgeoisie se mirent à la suite de Desmoulins et de Marat, ameutant à l’envi toutes les passions et toutes les ignorances pour creuser de sang-froid, à force de calomnies et de mensonges, ce gouffre de la stupidité publique au fond duquel les nations s’abîment. Les tribuns de la classe moyenne, prenant le thème de ceux de la démagogie, affirmèrent soir et matin sans sourcilier que Louis XVI et Marie-Antoinette, entourés aux Tuileries de leur comité autrichien et d’un parc caché de trois cents pièces de canon, avaient pris jour pour égorger le peuple de Paris, et ce peuple le crut aussi fermement qu’il crut, plus tard, que Charles X disait la messe et que Louis-Philippe exportait des tonnes d’argent.

On allait donc atteindre enfin la suprême conclusion de tous les sophismes et de toutes les fautes accumulés depuis trois années. L’on touchait à l’une de ces mystérieuses défaillances qui sont le châtiment et l’humiliation des grands peuples, et durant lesquelles de hardis factieux imposent leur joug à des majorités qui ont perdu l’énergie du cœur en perdant la droiture de l’intelligence.

Si la bourgeoisie parisienne ne concourut pas au 10 août, elle le laissa faire sans résistance par quinze cents Marseillais et quelques bandes de faubouriens. On lui avait tant dit que Louis XVI était un tyran, qu’elle en croyait bien quelque chose : aussi laissa-t-elle, sans trop de regret, tomber la monarchie et la constitution de 91, quoique cette chute la plaçât elle-même et sans intermédiaire en face de l’ancien régime implacable et de la démocratie enivrée. Les journalistes et les orateurs girondins assuraient d’ailleurs que tout était pour le mieux et que la France allait entrer dans une ère de merveilles. Cette croyance était d’autant plus sincère chez les organisateurs de l’insurrection, qu’ils en avaient eu les profits immédiats. Au lendemain du 10 août, les ministres girondins furent reportés au pouvoir par un boulet de canon : en retrouvant son portefeuille, Roland put croire qu’une grande iniquité était enfin réparée et que la France avait fait justice ; mais, pendant que sa femme rentrait dans son boudoir de l’hôtel de l’intérieur, Danton s’établissait à la chancellerie, et les hommes du 10 août se trouvaient déjà face à face avec ceux du 31 mai.

Lorsqu’au bruit du canon grondant encore, Vergniaud, d’une voix tremblante, prononça le décret de suspension contre le roi présent à la barre de l’assemblée, l’orateur de la gironde avait pleine conscience de la témérité de l’entreprise où l’engageaient les meneurs de son parti. Les termes mêmes du décret, la réserve introduite dans l’un de ses articles relativement au gouverneur à donner au prince royal, constatent l’état de l’opinion publique et la crainte qu’on éprouvait de soulever les départemens en achevant par la république une révolution dont la France avait entendu faire sortir la réforme de la monarchie. C’était la première fois qu’un tel changement s’essayait, en effet, chez un peuple que la royauté avait pétri par un travail assidu de dix siècles, et dans un pays où tout avait été mis en question, excepté cette royauté, demeurée la seule croyance commune aux divers ordres de l’état, le seul lien entre les factions contraires. Opposer à l’accord de tant de générations une idée germée la veille dans le salon de M. de Condorcet et dans l’égout de Marat était une entreprise formidable. S’il ne s’était agi que de répudier les traditions du passé, l’ardeur avec laquelle la France s’était jetée dans la révolution aurait rendu une telle scission possible ; mais, sous peine de voir la république enfanter immédiatement l’anarchie, il fallait transformer tout d’un coup les mœurs publiques et privées, pour donner au pays qui avait contracté l’habitude séculaire de compter sur l’action et sur l’initiative du pouvoir la volonté de les remplacer tout à coup par sa propre action et par sa propre initiative ; il fallait qu’un peuple mobile et passionné contractât soudain un respect du droit d’autrui égal à celui qu’il portait à son propre droit, et qu’une révolution commencée sous l’impulsion presque exclusive du sentiment de l’égalité s’achevât par un culte religieux pour la liberté et pour la loi.

L’application régulière du gouvernement républicain, dans le sens ou l’entendait la gironde, n’était possible que si chaque citoyen était résolu à faire de la chose publique sa chose propre, qu’autant qu’il apportât, par exemple, dans ses devoirs de garde national, d’électeur ou de juré, la même application et la même suite que dans l’exercice quotidien de sa profession particulière. Or, le monde moderne n’avait vu réalisée qu’aux États-Unis cette assimilation de la vie publique à la vie privée, qui semble répugner invinciblement au génie des populations européennes. Lorsque les girondins lançaient leur pays dans tous les hasards d’une transformation sociale entreprise en pleine guerre étrangère et en pleine guerre civile, ils n’avaient donc ni une autorité ni un exemple pour appuyer un si radical bouleversement. L’Angleterre où la royauté avait eu cependant une importance historique beaucoup moindre qu’en France, avait aboli avec des transports de joie la forme républicaine, imposée à ses répugnances par quelques soldats qui en tirent bientôt sortir le despotisme de leur général. La Hollande, issue d’une lutte de soixante ans contre le despotisme, avait abrité ses institutions républicaines sous la forme quasi-monarchique du stathoudérat. Ce n’étaient ni les démocratiques usages des pasteurs de Schwitz, ni les féodales traditions du patriciat bernois, ni les lois de l’aristocratique Venise, qui pouvaient offrir des applications à la grande et riche société française, avec l’infinie variété de ses mœurs et la puissante unité de son génie politique. Les souvenirs de l’antiquité si fréquemment invoqués restaient plus inapplicables encore à un état chrétien, qui, même en répudiant ses croyances, ne pouvait répudier les mœurs que celles-ci lui avaient données. Dans les petites sociétés du Péloponèse et de l’Attique, les citoyens, allégés par l’esclavage du fardeau de la plupart des fonctions domestiques, exerçaient directement la souveraineté. À Rome, la liberté n’était que le despotisme d’une seule ville s’exerçant sans pitié dans le silence et l’oppression de l’univers vaincu. Malgré la nauséabonde abondance des citations empruntées aux traductions de Plutarque, il n’y avait donc rien à prendre dans cette défroque de théâtre dont se drapaient à l’envi les orateurs de la gironde et de la montagne.

Remarquons toutefois que, dans cette lutte entre d’assez faibles humanistes, l’avantage demeurait tout entier aux discoureurs furieux de l’école de Robespierre sur les beaux parleurs de l’école de Brissot. Jamais, en effet, l’antiquité n’avait ni connu ni soupçonné cette république représentative, conduite par une assemblée de délégués venus de tous les points d’un vaste empire, avec son gouvernement d’hommes de loi, d’hommes de lettres et d’hommes d’affaires. La dictature révolutionnaire à laquelle aspirait la commune de Paris n’était pas, au contraire, sans analogie avec le régime que Rome faisait subir aux municipes des Gaules et aux cités tributaires de l’Afrique et de l’Asie, Remplacer par les faubouriens de Paris les Quirites de la cité reine, faire de la place de Grève le Forum de la France, telle était la sauvage pensée qui fermentait dans l’antre des jacobins, et qui avait Robespierre pour professeur et Marat pour prophète. Or, la Rome sénatoriale avait disputé le gouvernement du monde à un parti qui, tantôt, par les armes des soldats, tantôt par la parole des démagogues, tantôt par la torche des incendiaires, aspirait à le conquérir pour en faire un semblable usage, et les montagnards avaient du moins des ancêtres dans Marius, Clodius, Céthégus et Catilina. Pour les girondins, ils étaient sans filiation, comme ils ont disparu sans postérité.


III

Quel était cependant l’état de la France lorsqu’une insurrection de faubourg changeait toutes les conditions de sa vie sociale et la faisait, passer du gouvernement par le pouvoir au gouvernement par le pays ? Quelle preuve la nation avait-elle donnée depuis trois ans et venait-elle de donner ce jour-là même de son aptitude à contenir les minorités factieuses, de son respect pour les lois et de sa résolution de mourir pour les défendre ? N’était-elle pas, au mois d’août.1792, plus incapable qu’aucun peuple ne l’avait été dans aucun siècle de supporter des institutions dont l’usage présuppose la plus entière possession de soi-même ? On en va juger.

L’assemblée nationale avait flétri le 20 juin ; à la veille du 10 août, elle avait repoussé aux deux tiers des suffrages l’accusation capital portée par le parti républicain contre le général Lafayette, dernière et persévérante expression du parti constitutionnel ; mais cette majorité bourgeoise se rompit au bruit du canon, et les Marseillais ne triomphèrent pas moins complètement de la législature que de la monarchie. L’assemblée ne se défendit pas plus que le roi. Tous les plébiscites présentés par les vainqueurs au bout de leurs piques furent immédiatement convertis en décrets, et, dans cette enceinte où la constitution avait reçu tant et de si récens hommages, fut prononcée sans protestation la déchéance du prince, qui, réfugié avec ses enfans au sein de l’assemblée, embrassait comme un suppliant antique l’autel déserté de la patrie et de la loi. Prolongeant pendant six mortelles semaines sa carrière d’impuissance et d’ignominie, subissant à chaque séance les injonctions de pétitionnaires qui la menaçaient d’une mort qu’elle ne sut point affronter, la législative n’avait pour occupation que de décréter d’accusation les citoyens dont elle avait proclamé l’innocence, et de tresser des couronnes civiques pour tous les criminels qu’elle avait flétris. Survivant à la catastrophe du 10 août, comme un cadavre survit au corps dont la vie s’est retirée, elle continua de discourir et de légiférer, incapable d’être galvanisée même par le tonnerre du 2 septembre.

Tandis que, par une telle conduite, l’assemblée initiait le pays à la pratique des vertus républicaines et à l’imitation des mœurs antiques, Paris, éperdu de délire et d’effroi, l’oreille tendue au bruit du tocsin et du canon d’alarme, livrait sa liberté, ses richesses et sa vie à deux cents inconnus que la résolution de quelques hommes de cœur aurait suffi pour anéantir. Des misérables, pour la plupart perdus d’honneur, sans aucun mandat de la population ni même des clubs qui les avaient vomis sur la cité, se déclaraient pouvoir municipal, et, prenant la dictature en présence de la représentation nationale muette et confondue, ils expédiaient des commissaires aux autres communes et des instructions aux armées. Sans un soldat à leurs ordres, en présence de soixante mille gardes nationaux, ces hommes osèrent concevoir la pensée d’enlever en plein soleil dix mille citoyens de leur domicile et de transporter dans leur repaire correspondances, mobiliers, assignats et bijoux, tout ce que convoitaient enfin des cupidités auxquelles la colère de Dieu envoyait une heure. Mesurant leurs droits à la terreur qu’ils inspirent, ils interdisent de franchir les barrières sous peine de mort, de circuler en voiture ou à cheval, de passer le seuil de sa porte à certaines heures. Pendant huit jours ils arrêtent dans la cité toute communication, tout mouvement, toute vie, comme l’aurait fait le glaive de l’ange exterminateur. Ils vont plus loin, et ordonnent à huit cent mille hommes de tenir ouverts à l’avance les portes de leurs maisons et les tiroirs de leurs secrétaires, afin que le petit nombre de bandits chargés de ces expéditions ne fût pas même arrêté par un retard[2]. Tout cela s’exécute à point nommé, comme un simple arrêté de police. Un homme ceint d’une écharpe et dont nul ne sait le nom conduit des troupeaux de bourgeois en prison comme un bouvier mènerait des troupeaux de bœufs à l’abattoir. Chacun livre ses lettres, ses diamans, ses assignats et son or avec une docilité telle que les greniers de l’Hôtel-de-Ville et bientôt après une foule de dépôts particuliers sont encombrés des secrets de toutes les familles et des richesses de plusieurs générations. Chaque matin, au signal du canon, recommence cette inquisition, qu’aucun despote n’avait embrassée même dans ses rêves. Chaque soir, des feux allumés par les citoyens éclairent cette longue fête de la tyrannie, qu’allait terminer d’une façon digne d’elle un holocauste colossal.

La bourgeoisie parisienne, sur laquelle portèrent principalement ces attentats, avait trop peu marchandé sa liberté pour qu’on pût espérer qu’elle marchandât sa vie. Il était notoire dans Paris qu’un grand coup allait être frappé aux prisons : on savait que des ouvriers étaient commandés pour un travail nocturne, et que de nombreux tombereaux étaient retenus par l’autorité ; l’on répétait même tout bas qu’aux extrémités de la ville de larges fosses étaient creusées pour une destination inconnue. Pendant que les membres du comité de surveillance choisissaient leurs bourreaux et leurs fossoyeurs, la gironde et la montagne s’entendaient pour jeter un voile sur des crimes que l’une ne se sentait pas assez forte pour prévenir, et dont l’autre avait intérêt à ménager les auteurs. La conspiration du silence vint en aide à celle de l’assassinat, et, en frappant leurs victimes, les meurtriers n’eurent pas même un risque à courir.

Ici, je me trouve en face d’un attentat sans exemple et sans explication, et ma pensée flotte suspendue entre l’horreur qu’il m’inspire et l’étonnement que me suggèrent les divers jugemens qui en ont été portés. En flétrissant les massacres de septembre, des historiens sérieux les ont élevés à la hauteur d’une grande combinaison politique. D’après eux, leurs auteurs se seraient proposé de frapper de terreur le parti royaliste et de désarmer les conspirateurs au moment où la nation se levait pour marcher à l’ennemi. On ne s’est pas borné à prétendre que telle avait été la pensée des hommes qui tramèrent ces égorgemens ; plusieurs ont ajouté que cette pensée avait été accomplie, et que, toute cruelle qu’elle pût être, elle avait eu pour résultat effectif de faire tomber les résistances du dedans et d’arrêter l’invasion étrangère, de telle sorte que les travailleurs de Maillard auraient servi la même cause que les soldats de Dumouriez. Je repousse de toute la force de ma conviction cette solidarité prétendue ; je maintiens que les événemens de septembre n’ont exercé aucune influence favorable sur les opérations de nos armées et sur la sécurité intérieure du pouvoir révolutionnaire ; je prétends surtout que la pensée de détourner un grand péril par un grand crime n’a point été le mobile véritable des membres du comité de surveillance.

Le généreux entraînement qui poussa la France à la défense de son territoire et d’une révolution demeurée profondément nationale malgré ses fautes avait eu tout son effet avant la perpétration du crime. Dans le courant d’août, Paris avait envoyé aux frontières une armée de cinquante mille hommes, et les enrôlemens qui eurent lieu en septembre furent à peu près nuls, comparativement à ceux du mois précédent. Dans les départemens, l’horreur d’un tel crime arrêta, bien loin de l’exciter, l’ardeur avec laquelle on embrassait une cause dont les défenseurs étaient contraints de se voiler la face. Dans plusieurs localités, les agens de la commune de Paris furent emprisonnés ; les directoires suspendirent leurs relations avec la capitale, dominée par un pouvoir anarchique, qui lançait des mandats d’arrêt jusque sur la personne du ministre de l’intérieur. Si l’indignation de toutes les administrations départementales n’amena pas des déchiremens qui auraient alors été d’une portée incalculable, il ne faut l’imputer qu’à une seule cause, la réunion prochaine de la convention nationale, de laquelle les départemens croyaient pouvoir attendre et la vengeance du crime et le rétablissement du pouvoir. Si les députés à la convention n’avaient pas dû se rassembler à Paris à l’époque même où parvenaient dans les provinces les nouvelles et les détails de ces journées, il est hors de doute que le mouvement fédéraliste qui éclata l’année suivante contre le despotisme de la capitale aurait fait explosion dès cette époque. Or, une telle crise, s’ouvrant pendant que les coalisés, maîtres de Longwy et de Verdun, assiégeaient Lille et menaçaient Reims, aurait été la plus redoutable épreuve que pût traverser la république, qui n’était pas même encore légalement proclamée.

Susciter gratuitement un tel péril, c’était rendre des chances manifestes au parti royaliste, bien loin de lui en ôter ; c’était commettre une faute plus grande encore que le crime. On sait quelle réprobation ces assassinats suscitèrent dans nos armées, qui, à cette époque, adhéraient encore aux opinions feuillantines professées par tous leurs généraux, et les documens étrangers nous ont révélé quel parti le généralissime ennemi s’était proposé de tirer d’une crise considérée au quartier-général prussien comme devant amener la dissolution de l’unité nationale. Si la marche en avant du duc de Brunswick fut arrêtée aux derniers jours de septembre, si un mois plus tard son armée était en pleine retraite, ces succès ne peuvent être attribués qu’au génie de Dumouriez et à ses combinaisons immortelles. Si l’indépendance du territoire fut sauvée, la France doit en rendre grace, après Dieu, à cette religion du drapeau qui, au cœur de ses nobles enfans, survit à toutes les catastrophes, et par laquelle les peuples conservent, jusque dans les plus humiliantes épreuves, l’estime d’eux-mêmes et le germe de l’avenir.

Où donc et en quoi se révèle l’utilité politique d’un tel forfait, si souvent alléguée comme son excuse et sa rançon ? De quel péril a-t-il préservé la révolution ? de quels ennemis l’a-t-il délivrée en compensation de tous ceux qu’il lui a faits ? Quelle formidable insurrection tramaient du fond de leurs cachots ces prêtres et ces bourgeois terrifiés ? Quels moyens possédaient-ils pour la préparer, ces malheureux qui n’avaient pas plus disputé leur liberté qu’ils n’allaient disputer leur vie ? Dire que les victimes des arrestations opérées à Paris après le 10 août pouvaient être redoutables à un parti dans les cachots de la Force et les cabanons de Bicêtre est un des plus insignes mensonges qui aient jamais eu cours parmi les hommes, et pourtant cette impur dente assertion a passé des feuilles de Marat, où elle était à sa place, dans des livres d’histoire qui prétendent n’être pas des pamphlets !

Qui donc était appelé à recueillir le bénéfice de cette infernale combinaison, et quel en fut le véritable mobile ?

L’intérêt de la commune de Paris, au point de vue de sa dictature révolutionnaire, n’expliquerait aucunement la systématique organisation des massacres. Concevoir un tel projet, c’eût été mettre contre la révolution, et par conséquent contre elle, des chances trop redoutables, et compliquer sa situation par un crime tout gratuit. Les faits constatent d’ailleurs que, si les membres du conseil général de la commune purent soupçonner, comme la ville entière, l’existence d’une trame ténébreuse, ils n’en eurent ni l’initiative ni la direction, et que leur part dans le crime se réduit à l’avoir laissé commettre sans mourir pour l’empêcher.

Mais on sait qu’en dehors du conseil général s’était élevé ce terrible comité de surveillance, composé de douze membres, dont les noms sont demeurés dans l’histoire avec une flétrissure plus indélébile encore que celle du sang, avec la tache de l’improbité et de l’infamie personnelles. Ce comité, tous les documens le constatent, conçut seul la pensée du massacre et en fut l’organisateur exclusif. Pendant trois semaines, il avait dominé la capitale et tout ce qui restait des pouvoirs publics ; il avait emprisonné, au nombre de plusieurs mille, les plus riches citoyens, enlevé sans contrôle et sans témoins des richesses de toute nature, dont il était fort résolu à ne jamais rendre aucun compte. Cependant la réunion de la convention nationale était proche, et un tribunal spécial, connu sous le nom de tribunal du 17 août, avait été institué pour rechercher et pour punir les personnes coupables d’avoir secondé le pouvoir exécutif dans sa défense, transformée en une parricide agression. De quelque passion politique que pût être animé un pareil tribunal, son intervention n’était pas moins redoutée de misérables gorgés de dépouilles, par cela seulement qu’il opérerait en plein jour et sous la garantie de quelques formes tutélaires. Comment justifier d’ailleurs devant la convention ces arrestations sans nombre et pour la plupart sans motif ? Comment éviter surtout des restitutions qui seraient la conséquence de mises en liberté inévitables et prochaines ? Faire disparaître les victimes dans une tempête et sous l’appareil d’une vengeance populaire, c’était là le moyen le plus sûr pour éviter de périlleuses investigations et détourner des soupçons qui commençaient à se produire jusqu’au sein du conseil général de la commune. Chaque jour, en effet, le comité de surveillance y était sommé de rendre des comptes, et la probité de ses membres était publiquement contestée. Profiter du plus haut paroxysme de terreur et de rage dans lequel les progrès de l’ennemi avaient jeté la population pour y trouver quelques centaines de fanatiques dont on ferait des juges-bourreaux, cette combinaison était d’un succès certain, si l’on possédait à un assez haut degré la triple qualité des temps révolutionnaires, que Danton résumait en un seul mot : l’audace. Or, l’audace ne manquait pas plus que la perversité aux douze membres du comité qui venaient de s’adjoindre Marat pour protéger, par la terreur de son nom, leur réputation véreuse et compromise. On avait toute raison de croire que l’indulgence ne manquerait pas davantage au ministre de la justice, en présence du fait accompli : on savait qu’aucun genre de scrupule n’arrêtait Danton, qui, pour renverser Roland et ses collègues girondins, avait besoin de ménager Marat et la tourbe entraînée dans son sanglant orbite. Ainsi, rassuré par l’impuissance des victimes, par la lâcheté des spectateurs et la tolérance intéressée des pouvoirs révolutionnaires, le comité consomma le crime de sang-froid, et parvint à mettre la colère du peuple entre lui et la justice.

Dans le cours de ces funestes journées, l’attitude de Danton lui-même fut, à bien dire, passive. Écrasé plus tard sous la solidarité d’un forfait qu’il avait connu sans rien faire pour l’empêcher, la nature de don caractère le porta à grandir son rôle pour se relever devant la postérité et pour imprimer à ses ennemis une terreur calculée de son audace. Enchaîné à ce crime par une chaîne d’airain, il s’efforça de l’ennoblir en le liant à une combinaison profonde. Ainsi s’est élevé aux proportions d’une conspiration gigantesque un acte hideux dans lequel l’histoire impartiale et sérieuse ne trouvera très probablement un jour qu’un calcul d’escrocs et un coup de main de voleurs[3].

Si je me suis arrêté sur ce triste épisode, c’est que la manière dont il s’est transformé aux yeux des générations nouvelles est un indice curieux du travail entrepris pour dévoyer et pervertir l’opinion publique. Après les assassins élevés de la sellette des assises au piédestal de l’histoire est survenue la transfiguration d’une assemblée chaque jour violentée dans ses opinions et dans ses membres en un sénat héroïque et impassible ; enfin, de ce que nos armées ont maintenu sous la convention l’indépendance du territoire, on a doctement induit que la politique de cette assemblée avait été la condition nécessaire de nos succès et du salut de la patrie. Ainsi la conscience publique s’est trouvée plus atteinte peut-être par le sophisme qu’elle ne l’avait été par le crime.

Quoi qu’il en soit, l’assemblée nouvelle, élue au bruit de la chute de la monarchie, se réunissait au 22 septembre dans les salles dévastées des Tuileries, sous des auspices à faire hésiter des hommes moins enthousiastes et moins légers que les girondins. Pour la république, dont une immense acclamation saluait l’avènement, le péril était bien moins dans les partis ennemis que dans les mœurs nationales ; il était moins dans les étrangers qui menaçaient la frontière que dans le récent exemple d’abdication donné par le pays lui-même. La république pouvait-elle être un gouvernement sérieux, ou bien ne serait-elle qu’un gouvernement nominal ? Au sein d’une ville dominée par l’insurrection et tiède encore d’un sang demeuré sans vengeance, la convention oserait-elle revendiquer tous les jours, au risque de sa vie, l’exercice effectif de la souveraineté déléguée par le pays ? Là gisait le secret de l’avenir.

S’il avait été donné à la convention d’appliquer les pensées qui animaient, au début de ses travaux, la très, grande majorité de ses membres, la France aurait vu s’élever un gouvernement républicain qui n’eût pas sensiblement différé de celui dont la précédente assemblée avait essayé la réalisation. Combler, par la création d’un conseil exécutif responsable, le vide que laissait la chute d’une royauté déjà très limitée dans son action ; conserver en même temps l’ensemble des institutions civiles issues de la révolution française, telle était l’espérance de la majorité ; celle-ci avait en effet la mission comme le désir de maintenir le pouvoir aux mains qui l’exerçaient sans concurrence depuis l’anéantissement politique de l’aristocratie nobiliaire.

Bien que formée par un appel adressé à l’universalité des citoyens votant en assemblées primaires[4], la convention ne compta guère dans ses rangs que des gens de loi, des propriétaires et des membres des professions libérales. Quoiqu’elles dominassent dans toutes les grandes villes les comices électoraux, les classes ouvrières déléguèrent à fort peu d’hommes pris dans leur propre sein le mandat de détendre la révolution et de fonder les institutions républicaines. Les membres de la montagne, ceux du comité de salut public en particulier, avaient pour la plupart une position sociale qui contrastait étrangement avec les doctrines et les habitudes qu’ils se trouvèrent conduits à adopter. Il est très digne de remarque en effet que, lorsque la question se trouva posée entre les citoyens bien vêtus et les sans-culottes, les chefs parlementaires du sans-culottisme se trouvèrent à peu près tous étrangers aux classes populaires. Robespierre, Danton, Merlin, Thuriot, Couthon et tant d’autres étaient avocats ; Santerre était un des plus riches industriels de Paris ; les familles de magistrature avaient fourni à la montagne Hérault de Séchelles, Lepelletier de Saint-Fargeau, Barrère de Vieusac ; l’armée lui avait donné Dubois de Crancé, d’Antonelle, Saint-Just et Carnot. La convention fut donc aussi, à son origine, une assemblée bourgeoise qui, en dehors des circonstances terribles où elle se trouva placée, n’aurait guère reflété que les idées et les passions de l’ancien tiers-état. À l’exemple des girondins de la législative, ses membres étaient arrivés à la république beaucoup moins par l’impulsion propre de leurs instincts que par les conséquences imprévues de leurs fautes ou les égoïstes calculs de leurs ambitions.

Les chefs d’une telle majorité ne pouvaient être que les éloquens orateurs de l’assemblée précédente. Ils devinrent les représentans et les organes naturels de la nouvelle droite et de cette nombreuse plaine où s’étaient réfugiés, à la suite de Siéyès silencieux et découragé, les débris des législatures antérieures. Un accord étroit s’établit dès le début entre la majorité de la convention et les hommes dont elle suivit l’impulsion jusqu’à la veille du jour où elle livra leurs têtes. Durant les premiers mois, l’assemblée fut souverainement gouvernée par la gironde. Portés seuls au bureau et au fauteuil, ses membres formaient toutes les grandes commissions politiques ; ils dominaient en particulier dans la commission de constitution.

L’ascendant de ce parti n’était pas moindre sur la presse que sur l’assemblée. Brissot, Condorcet, Fauchet, Louvet, Gorsas, Carra, Rœderer, tous les publicistes de la république bourgeoise et tous les écrivains de l’ancien parti constitutionnel, dont les événemens accomplis avaient fait leurs auxiliaires, écrasaient, par la supériorité du talent comme par l’étendue de la publicité, les sales ou plates productions que Marat, Hébert, Fréron et Prudhomme n’adressaient guère qu’à la populace parisienne. Maîtres de l’opinion publique, les girondins l’étaient aussi de toutes les forces du gouvernement. Ils disposaient des principaux départemens ministériels ; ils pouvaient compter sur tous les tribunaux, sur les directoires et sur la plupart des administrations municipales avant que leur déplorable faiblesse en eût permis le renouvellement. Appuyés dans la nation sur le nombre et sur la puissance des intérêts, ils avaient aux frontières les héroïques armées de Dumouriez, de Custine, de Biron et de Montesquieu, dont les chefs alors victorieux auraient poursuivi une victoire sur les jacobins avec non moins d’ardeur qu’une victoire sur l’ennemi. Ce parti avait donc avec lui la France entière, la France des camps et la France des foyers domestiques ; il avait tout cela, et pourtant il fut vaincu ! Et les hommes qui avaient proclamé la république avec une si superbe confiance voyaient, après quelques mois, le gouvernement du pays par le pays aboutir à la victoire parlementairement consacrée de vingt-cinq mille brigands sur vingt-cinq millions de citoyens. Essayons de faire comprendre comment ce parti disparut dans sa victoire.


IV

Dès les premières séances de la convention, la majorité ouvrit contre la montagne une lutte dont le sombre pinceau de Milton suffirait à peine à peindre la physionomie. À la fureur avec laquelle s’engagea cette guerre, il fut manifeste qu’il y allait pour les combattans moins du pouvoir que de la vie. Le courage viril ne manquait point aux girondins : Barbaroux payait de sa personne au 10 août pendant que Robespierre se cachait pour attendre l’issue du combat, et, dans les rangs de la montagne, l’athlétique Danton l’emportait à peine en énergie sur le chétif Louvet ; mais ce qui manquait complètement à ces hommes, comme à la classe nombreuse dont ils étaient l’expression et le dernier rempart, c’était la résolution et le sang-froid politiques. Ils ne marchaient pas droit et ferme sur l’ennemi et se détournaient à chaque moment du véritable point d’attaque, soit pour ménager leur personnalité, soit pour pactiser avec les coupables passions auxquelles ils avaient déjà donné tant de gages.

Le vrai point d’attaque contre la montagne, c’était le despotisme insolent de la municipalité de Paris ; le vrai but à atteindre, c’était la dissolution immédiate de ce monstrueux pouvoir ; le résultat politique à obtenir, c’était la liberté de la convention nationale. Deux voies s’offraient pour garantir cette liberté, tenue en échec par les faubourgs d’une seule ville : la translation de la convention hors de Paris, ou l’organisation d’une force départementale destinée à ’protéger la représentation nationale au sein de la capitale dominée par les factions.

Lorsqu’en octobre 1792 Buzot réclama, aux applaudissemens de la majorité, la création immédiate de cette garde de sûreté, formée et entretenue par tous les départemens de la république, on put croire que la gironde attacherait son sort à la poursuite de cette mesure décisive, et qu’elle ne s’en laisserait détourner ni par de dangereux ajournemens ni par des manifestations populaires. Les administrations départementales réclamaient d’une voix unanime la conquête de cette garantie, qui pouvait seule faire cesser leur humiliante subordination ; enfin une masse considérable de fédérés déjà réunis dans Paris n’attendait que l’émission du décret pour former le noyau de cette force départementale dont la création aurait changé le cours de tant d’événemens ; mais la majorité, qui avait accueilli avec transport la proposition de Buzot, n’osa pas ou ne sut point la faire aboutir. Inquiète du mécontentement que ce projet suscitait dans Paris jusqu’au sein de cette bourgeoisie imprévoyante qu’il était pourtant destiné à protéger, irrésolue en présence des difficultés de détail qu’on faisait miroiter devant ses yeux, elle ajourna cette question vitale pour poursuivre de moins décisifs et moins utiles succès ; et lorsqu’à la veille de la crise qui décida de son sort, elle voulut enfin la reprendre, la gironde s’aperçut avec effroi qu’elle n’était plus la majorité, et que ses irrésolutions l’avaient mise à la merci de ses ennemis.

Au lieu de ménager sa puissance et sa force pour conquérir des avantages effectifs, le côté droit de la convention les dépensait dans de vagues imprécations et de vaines attaques contre les hommes. Fourvoyant son parti dans une tentative sans résultat possible, Louvet demandait, par exemple, la proscription de Robespierre, et dressait contre le grand-prêtre de la démagogie un acte d’accusation fondé sur des projets supposés de dictature. Or, quoiqu’en 1792 Robespierre fût déjà un chef de parti plein d’orgueil et de fiel, quoiqu’il fût parvenu à imposer à des gens qui ne respectaient rien le culte de sa personne, et qu’une singulière confiance en lui-même élevât parfois jusqu’à l’enthousiasme sa froide et médiocre nature, son action sur son parti était alors toute morale, et lui-même ne soupçonnait probablement pas encore la sanglante puissance que les événemens allaient lui donner. Une pareille attaque était mieux fondée relativement à Marat ; la seule pensée politique qui se dessinait en effet nettement dans les rugissemens du tigre était une pensée de dictature, et Marat cédait en ceci au sentiment qui inspirait à un autre monstre le vœu qu’un grand peuple n’eût qu’une seule tête pour l’abattre d’un seul coup ; mais il fut malhabile au parti modéré de livrer un combat pour renvoyer cet homme devant les tribunaux sans prévoir un acquittement, premier degré de l’apothéose de l’être impur qui jusqu’alors réunissait du moins la convention dans un sentiment unanime de dégoût et d’effroi.

Les foudres de la gironde allèrent aussi s’égarer et s’éteindre sur la tête méprisée d’Egalité. Ce parti demandait sa proscription, contre laquelle le député de Paris était défendu auprès des uns par ses vices, auprès des autres par sa nullité. Dans cette affaire éclata au grand jour ce qu’il y avait de peu sérieux dans l’esprit girondin. En réclamant, même avant l’immolation du 21 janvier, l’exil de toutes les branches de la famille royale, en fatiguant la tribune des noms de Brutus et de Collatin, la gironde espérait jeter sur les montagnards résolus à repousser la proposition relative à d’Orléans de ridicules soupçons de royalisme. Ce fut là son principal travail au sein de la convention ; il n’est pas un de ses discours, pas un des écrits émanés de ses membres, où n’éclatent des insinuations analogues, quelque peu sérieuses qu’elles fussent en elles-mêmes, quelque peu de portée qu’elles dussent avoir sur le pays. C’était vouloir écraser ses adversaires sous des calomnies au lieu de les écraser sous leurs crimes. Dans des rangs où bien des fronts étaient marqués du sang de septembre, la gironde se complaisait à chercher des agens soudoyés de Pitt et de Cobourg, à signaler des partisans secrets de la monarchie. C’était là la plus grande injure qu’elle pût trouver, et, d’après elle, la montagne ne rendait la république si atroce que pour la rendre bientôt odieuse. Lorsqu’au sein d’une crise suprême un parti emploie de telles armes, ou, ce qui est pis encore, lorsqu’il subit l’empire de telles hallucinations, on peut hardiment prédire qu’il doit bientôt succomber.

Dans les jours de crise, la force se retire de toute grande faction qui n’en use pas. La gironde faisait de cet axiome une déplorable expérience. Quoiqu’en majorité dans la convention et en plus grande majorité dans le pays, elle perdait chaque jour du terrain par l’inconsistance de ses plans et la légèreté de ses résolutions. Les jacobins réclamaient le renversement de tous les tribunaux et de toutes les administrations départementales, se fondant sur le principe qu’aucune partie de l’édifice constitutionnel ne pouvait survivre à la royauté qui en était la base, et, pour ne pas se laisser vaincre en logique révolutionnaire, les girondins accordaient à leurs ennemis cette universelle refonte de la société, qui était au fond leur propre désarmement. Lorsque leurs orateurs avaient fait entendre de stériles imprécations contre les corrupteurs du peuple, quand, à l’aspect de Marat, ils avaient fait, par d’éloquentes paroles, courir dans l’assemblée un frisson d’horreur, il semblait que tout fût dit, et les aveugles ne voyaient pas qu’on s’apprêtait à les saisir dans l’impuissance de leurs attaques et la vanité de leurs succès. La ligne de circonvallation allait en effet se resserrant d’heure en heure, et déjà se dressait la formidable machine de guerre destinée à rompre pour jamais les rangs déjà relâchés de la majorité girondine.

Une mystérieuse, mais étroite solidarité liait les destinées de ce parti au sort du prince qu’il avait précipité du trône. Pendant que dans la solitude du Temple Louis XVI se préparait avec calme au dernier et au moins pénible de ses sacrifices, les factions engageaient autour de sa prison une bataille qui allait décider de leur propre sort. Si la révolution se possédait assez pour ne faire à son prisonnier que la simple application des lois de la guerre et qu’elle respectât sa vie en ne disposant que de sa liberté, la république inaugurait son avènement dans le monde par un acte de modération et de force qui la classait du moins au nombre des gouvernemens réguliers ; si ses fondateurs accordaient, au contraire, aux sans-culottes et aux tricoteuses la tête d’une victime protégée dans sa chute par tous les principes du droit constitutionnel et du droit des gens, ils se plaçaient à toujours en dehors de toutes les lois de la morale et de la justice. La morale interdisait, en effet, d’accuser Louis XVI pour des actes manifestement provoqués par les violences exercées contre lui, et la justice de tous les siècles lui assurait le bénéfice des stipulations politiques sous l’empire desquelles il avait agi. Une révolution peut bien prétendre à régler l’avenir ; mais elle ne saurait, sans soulever la conscience humaine jusque dans ses dernières profondeurs, pénétrer dans le passé pour y créer, par une rétroactivité monstrueuse, des délits et des châtimens. Accuser Louis XVI d’avoir violé la constitution, en la violant soi-même dans sa disposition fondamentale, était un acte dont l’effet instantané était de faire triompher la souveraineté de la rue de celle de la convention, et qu’un gouvernement ne pouvait consommer sans être bientôt conduit à organiser un régime de terreur et de tyrannie par l’effet même des résistances qu’il allait susciter contre lui. Le procès fait à Louis XVI, au mépris de la loi qui le déclarait irresponsable, tranchait donc irrévocablement la question entre la république bourgeoise des légistes et la république démocratique des sans-culottes.

Le brillant historien de la gironde s’est efforcé d’établir, pour relever sans doute les prosaïques défaillances de la faiblesse par le stimulant de l’ambition, que ce parti avait été conduit à déserter la défense de Louis XVI par le désir de garder le gouvernement et par le besoin d’assurer son avenir. Il a été jusqu’à écrire que le roi devait monter à l’échafaud pour que les amis de Brissot ne descendissent pas du pouvoir, et qu’il fallait que l’un mourût parce que les autres voulaient vivre. Or, c’est bien là la plus éclatante contre-vérité qui ait jamais trouvé place dans un récit politique. Les girondins ont succombé par la mort même de Louis XVI, et son salut n’importait à personne autant qu’à eux. S’il ne suffisait, pour en demeurer pleinement convaincu, d’étudier la situation des partis au moment du procès, on ne saurait au moins le contester en se reportant aux conséquences diplomatiques et militaires de l’immolation royale. La portée de ce meurtre juridique fut, en effet, immense en Europe, et suspendit le cours de toutes les secrètes transactions entamées depuis nos victoires. Après avoir vu changer en une déroute l’expédition qu’elle avait d’abord considérée comme une promenade militaire, l’Europe n’aspirait plus qu’à sortir, sans y laisser son honneur, d’une entreprise manifestement impossible. Sauver la vie de Louis XVI par le concours du parti modéré au sein de la convention, reconnaître la république française sous la seule condition qu’elle ne jetterait pas cette tête royale en défi à tous les rois, telle était à cette époque la dernière espérance d’une coalition qui n’avait pas mieux concerté ses plans politiques que ses combinaisons militaires ; telle fut aussi, comme le constatent des révélations aujourd’hui complètes, la seule base des négociations qu’entamèrent à l’insu l’un de l’autre, avec les généraux républicains, les chefs des armées alliées à leur sortie du territoire, entre la victoire de Valmy et celle de Jemmapes.

Lorsqu’à la fin de novembre s’ouvrit le procès du roi, les armes républicaines étaient victorieuses sur tous les points, et la France avait renvoyé à l’Europe la terreur que celle-ci avait un moment fait peser sur elle. Dumouriez arrachait la Belgique à l’Autriche, Custine était en pleine Allemagne, Montesquiou donnait la Savoie à la nouvelle république ; le désaccord était partout entre les cabinets de Vienne et de Berlin ; l’alliance de Pilnitz était donc virtuellement dissoute, et, après d’aussi déplorables résultats, le sang d’un roi judiciairement assassiné devenait le seul ciment possible d’une coalition nouvelle. L’Espagne conservait encore une stricte neutralité, et, par une déclaration officielle, elle subordonnait sa conduite ultérieure au sort réservé au chef de sa maison ; enfin le cabinet anglais, qui depuis deux ans détournait les cours allemandes d’une intervention dont il avait mieux qu’elles mesuré les difficultés, était fermement résolu à conserver la paix, à moins qu’un attentat, qui réveillait en ce pays les plus douloureux souvenirs, ne vînt imprimer à l’opinion publique une impulsion irrésistible vers la guerre. C’est donc mentir avec la plus étrange effronterie que de présenter l’immolation de Louis XVI comme issue de périls imminens et de la pression armée de l’Europe sur la France. En janvier 1793, ces périls-là étaient pleinement dissipés par les victoires de nos armées non moins que par les dispositions bien connues des cabinets étrangers, et la république n’avait assurément qu’à vouloir la paix pour l’obtenir. Si la France se vit plus tard réduite à de terribles extrémités dans le duel à mort engagé entre elle et l’Europe, ces extrémités furent amenées par la mort de Louis XVI, bien loin que cette mort ait été provoquée par elles. Le coup de hache du 21 janvier eut dans la patrie de Charles Ier un retentissement sinistre ; le parti de la guerre l’emporta immédiatement dans le cabinet, et la haine combinée de la révolution et de la France s’incarna dans un homme dont un grand peuple accepta tous les plans, parce qu’il ressentait toutes ses passions. Tandis que l’hostilité de l’Angleterre donnait aux partis ennemis de la forme républicaine ce qui leur avait manqué jusqu’alors, un point d’appui, des armes et des subsides, l’Europe s’organisait pour une guerre de vingt-cinq ans. L’Espagne rompit au lendemain de l’immolation l’alliance séculaire fidèlement respectée jusqu’alors ; les petits états de l’Italie suivirent le même exemple, et cet acte alla réveiller au cœur de Catherine II une ardeur un moment assoupie par l’ambition. D’une guerre à peu près terminée avec l’Allemagne, la France passait donc, par le seul effet de cet événement, à une guerre nouvelle et générale avec l’Europe ; elle quittait la défensive pour l’agression, et substituait à une lutte glorieuse et légitime pour l’indépendance du territoire national un tamerlanisme révolutionnaire sans règles et sans limites. Refuser la vie de Louis XVI aux supplications des cabinets, repousser systématiquement une condition à laquelle tous proposaient d’attacher ou le rétablissement de la paix, ou le maintien de leur neutralité, c’était, en effet, commencer contre toutes les monarchies la guerre d’extermination prêchée chaque jour par la montagne, et qui était évidemment le contre-pied de la politique girondine.

Cette politique-là était celle des jacobins : inspirée par leurs instincts, elle servait tous les intérêts d’un parti dont la seule mission est de préparer la ruine des sociétés modernes. Il n’y a donc pas à s’étonner qu’ils en aient poursuivi le triomphe ; mais que les chefs de la bourgeoisie républicaine aient concouru à un acte dont la perpétration suffisait pour retrancher à jamais le gouvernement fondé par eux de la communion de tous les gouvernemens réguliers, c’est ce qui ne saurait s’expliquer que par une imprévoyance sans exemple. Ces hommes éminens n’étaient pas assurément sans comprendre tout le danger du piège dans lequel ils se laissèrent enlacer. Outre le sentiment d’humanité qui faisait souhaiter à la plupart d’entre eux de sauver la déplorable victime qu’ils avaient précipitée du trône dans un abîme de douleur, aucun n’ignorait qu’un crime imposé par des passions qu’ils ne partageaient point serait pour eux et une humiliation personnelle et un grand affaiblissement politique. Si donc il ne s’était agi, pour sauver cette tête, que d’affronter les poignards, le plus grand nombre de ces hommes l’auraient fait sans hésiter, car il était manifeste qu’ils seraient bientôt conduits pour leur propre compte à une lutte désespérée et à l’extrémité d’une défense personnelle ; mais il fallait s’entendre accuser de vouloir sauver Louis XVI, moins parce qu’il était innocent que parce qu’il avait été roi, et que, vivant, il pourrait le redevenir encore.

Or, lorsque les girondins, calomniant leurs ennemis air lieu de les attaquer résolûment, imputaient chaque jour aux montagnards des projets monarchiques et des rapports secrets avec l’émigration, il leur devenait impossible de repousser l’épreuve du sang imposée à leur foi républicaine sans provoquer des attaques, sinon plus fondées, du moins plus vraisemblables. Ce parti tenta donc de tourner par la ruse l’obstacle qui se dressait droit devant lui ; au lieu d’accepter le combat, il s’efforça de l’éviter, et consomma son suicide par le vain atermoiement de l’appel au peuple, auquel il fit succéder bientôt après la tentative plus vaine encore du sursis.

Ces déplorables inventions de la timidité et de l’imprévoyance ne manquaient pas moins de sérieux que de dignité. Dénier à la convention le droit de faire tomber le glaive en lui reconnaissant solennellement celui de prononcer la sentence, dresser l’échafaud en suspendant la hache, c’était se mettre à la fois en dehors du droit constitutionnel et de la logique révolutionnaire ; promettre du sang à la populace sans en verser, c’était la provoquer à l’assassinat ; faire déchirer par la nation un arrêt rendu par soi-même, c’était confesser avec éclat et l’iniquité de cet arrêt et sa propre faiblesse, c’était enfin déchaîner la guerre civile pour dégager sa responsabilité dans la tempête.

Du jour où Vergniaud eut prononcé la funèbre parole qui décida du sort de Louis XVI, la gironde disparut comme parti, car elle cessa de représenter une idée et d’offrir à la bourgeoisie une garantie pour ses intérêts, un point d’appui dans la lutte où celle-ci se trouvait si profondément engagée. En laissant s’accomplir cette cruauté inutile et cet assassinat réfléchi, la gironde avait, en effet, implicitement voté une guerre d’extermination contre les partis, une guerre désespérée contre l’Europe ; elle avait donc rendu nécessaires les levées en masse, les confiscations, les emprunts forcés, le maximum, et sanctionné d’avance toutes les mesures qui signalèrent bientôt le triomphe des classes populaires sur les classes moyennes. Les fondateurs de la république bourgeoise inaugurèrent par un acte spontané le règne des hommes dont la mission était d’entamer contre la bourgeoisie la croisade que celle-ci venait d’achever contre la noblesse. Les hommes du 10 août portèrent eux-mêmes le pouvoir à ceux du 2 septembre, et les grandirent de toute la profondeur de leur propre chute. Brissot et Vergniaud assurèrent l’avenir de Robespierre, leur mortel ennemi, car ils préparèrent une situation d’où sortait nécessairement la dictature, et, en rendant la dictature indispensable au salut de la révolution, ils signèrent leur propre sentence de mort, ces hommes étant en effet aussi incapables de l’accepter avec résignation que de lui résister avec succès. Les girondins succombèrent sous le vote du 21 janvier aussi visiblement que les feuillans avaient succombé sous celui de la constitution civile du clergé. Les uns moururent d’une atteinte à la justice, comme les autres d’une atteinte à la conscience, et je ne sais pas dans l’histoire de moralité pis éclatante et de châtiment plus instantané. En pleine possession de la majorité jusqu’au jour où ils reculèrent devant l’épreuve décisive, ils furent constamment en minorité depuis cette époque. En accompagnant le vote fatal d’une réserve dérisoire, les chefs de la gironde avaient porté une atteinte irréparable à leur parti comme à leur considération personnelle, car le pays prit pour un honteux calcul de la peur ce qui n’était pourtant qu’un faux calcul de la politique. Régicides aux yeux des uns, les appelans étaient désormais aux yeux des autres des contre-révolutionnaires atteints et convaincus. Dans la position toute nouvelle que le meurtre de Louis XVI venait de créer à la révolution française, l’attitude des girondins était en effet un péril véritable. Au plus haut paroxysme de la lutte que cette révolution avait cherchée contre l’Europe tout entière, une politique d’ordre légal et de garanties régulières était une niaiserie trop manifeste pour que la haine des partis ne pût pas facilement la transformer en trahison. Si la république des avocats avait si peu de chances de succès avant le 21 janvier, il ne lui en restait aucune en face de l’invasion, alors triomphante, donnant la main à la Vendée victorieuse et le gouvernement n’appartenait plus qu’aux hommes des résolutions désespérées. Il était nécessaire de créer et le comité de salut public et le tribunal révolutionnaire, car un pouvoir rapide comme la foudre et terrible comme elle pouvait seul prévenir les résistances dont on n’était pas assez fort pour triompher, si on les avait laissé naître. En élevant contre ces exigences des objections constitutionnelles, les girondins prouvèrent qu’ils n’avaient pas même soupçonné la portée politique du grand acte dont la conséquence immédiate était la dictature : aussi la majorité à laquelle ils avaient jusqu’alors dicté des lois les délaissa-t-elle sur leurs bancs solitaires, en proie à toutes les angoisses de leurs ames et à toutes les fureurs de leurs ennemis. Lorsqu’ils vinrent demander à l’assemblée, dont ils avaient été si longtemps les chefs et les organes, de conserver du moins dans Paris les bataillons départementaux, qui seuls disputaient encore la vie des appelans aux bandes de l’ivrogne Henriot, et que la convention, passant à l’ordre du jour, prescrivit le départ immédiat de ces bataillons pour la frontière, les girondins durent comprendre que c’en était fait de leur vie comme de leur rôle, et, sans prolonger une lutte désormais inutile, Vergniaud aurait pu, dès cet instant, livrer sa tête à Robespierre, comme Cicéron, à Formies, tendait la gorge sans résistance au glaive des soldats d’Antoine.

Quatre mois après le jour qui avait décidé de leur fortune, lorsque les girondins étaient livrés par leurs collègues aux hordes d’assassins qui assiégeaient l’enceinte législative, quel droit avaient-ils d’attendre que la majorité affrontât la mort pour sauver avec sa propre inviolabilité la vie de ses principaux chefs ? La politique de la convention ne fut-elle pas, au 31 mai et au 2 juin, ce qu’avait été la politique de la gironde au 21 janvier, et, en abandonnant vingt-deux têtes au bourreau pour se dégager de toute solidarité avec les personnages compromis, les lâches ne firent-ils pas ce jour-là le calcul que d’autres avaient fait en lui en livrant une ?

Les girondins trouvèrent moins de ressources encore dans le pays qu’au sein de l’assemblée pour continuer une lutte dont ils avaient déserté le terrain vrai. Ceux d’entre eux qui purent se dérober aux poursuites de leurs ennemis et se jeter dans les départemens pour les appeler à venger la souveraineté nationale outragée dans leur personne ne rencontrèrent en cette entreprise que trahisons multipliées, déceptions amères et douloureuses catastrophes. Ce n’est pas cependant que les élémens manquassent alors à une résistance bourgeoise organisée, dans le sens des conquêtes de 89, à l’ombre du drapeau qui en était demeuré le glorieux symbole. Pendant que la Vendée livrait ses combats de géans sous l’oriflamme religieuse qui, en se teignant dans le sang de Louis XVI, avait pris une couleur toute monarchique, la bourgeoisie essayait, par un tardif effort, de briser le joug de fer que la démagogie parisienne avait imposé à la France. Les propriétaires ruinés par les réquisitions, les capitalistes écrasés par la masse du papier-monnaie, les marchands anéantis sous le maximum, invoquaient enfin l’heure d’une lutte dans laquelle le désespoir aurait donné du cœur aux plus lâches. Soixante départemens protestaient, ou les armes à la main, ou par l’attitude de leurs administrations, contre le despotisme d’une commune qui, après avoir vaincu la convention, en avait fait le passif instrument de sa tyrannie, la hache dont elle tenait le manche. Comment et pourquoi ces efforts, qui s’élevèrent à Lyon jusqu’aux proportions de l’héroïsme antique, qui un moment se trouvèrent soutenus en Normandie par une armée, furent-ils soudainement arrêtés ? Devant quels obstacles vint se briser cette résistance de la bourgeoisie, dont le concours de l’Europe tout entière semblait garantir le succès ? Sérieuse question, dont la solution, si les bornes de ce travail nous permettaient de la traiter complètement, viendrait accabler la mémoire des malheureux proscrits que les événemens firent les chefs de cette déplorable guerre !

Si l’on vit échouer, en effet, aussi promptement dans l’impuissance et la désorganisation le vaste mouvement calomnieusement désigné sous le nom de fédéralisme, et qui ne fut, en réalité, que la défensive des intérêts bourgeois contre les passions démagogiques, c’est qu’au lieu de s’engager sur le terrain de la constitution de 91, qui était celui de la bourgeoisie, cette guerre se livra sur le terrain de la république, qu’elle avait acceptée sans confiance, sur la seule parole des girondins. Si les proscrits du 31 mai et du 2 juin, au lieu d’être une force et un point d’appui, devinrent partout où ils se présentèrent pour diriger le mouvement prétendu fédéraliste une pierre d’achoppement et un élément de dissolution, c’est que leurs antécédens politiques les avaient placés en dehors de tous les grands partis, et que, depuis le 21 janvier, ils ne représentaient plus que leur propre individualité, que presque tous avaient abaissée en s’associant à une iniquité manifeste. Un accord sérieux était impossible entre les orateurs qui se vantaient chaque jour d’avoir fait le 10 août et la bourgeoisie que cette journée avait précipitée du pouvoir ; d’un autre côté, ceux qui avaient conduit Louis XVI à l’échafaud ou qui l’y avaient laissé monter inspiraient une invincible répugnance à tout ce qui conservait au cœur quelque chose du vieux culte de la monarchie, et la présence des conventionnels fugitifs à la tête des forces fédéralistes suffisait pour rendre le concours du parti monarchique manifestement impossible. N’ayant pour soldats que les constitutionnels, qu’ils avaient livrés au 10 août, pour auxiliaires que les royalistes, aux yeux desquels le vote régicide s’élevait comme une infranchissable barrière ; obligés, pour commander leurs troupes, étrange exemple d’impuissance ! de choisir Wimpfen, un général constitutionnel de la veille, et Puisaye, un chef de chouans du lendemain, les girondins n’apportaient avec eux aucune force qui leur fût propre, et arrêtaient partout l’essor des inpirations énergiques. En faisant appel à des sentimens républicains qui ne vibraient pas naturellement dans les classes moyennes auxquelles ils s’adressaient, en se parant de souvenirs repoussés par la conscience publique, ces hommes dépensèrent donc, sans profit pour leur cause, la puissance de leurs talens et le prestige de leurs malheurs. Si les départemens furent vaincus dans leur croisade contre Paris, si des millions de bourgeois furent asservis par quelques milliers de sans-culottes, la faute en fut surtout aux hommes politiques qui reçurent des circonstances mission de diriger cette lutte. La première condition du succès dans les guerres civiles est de combattre pour des idées nettement définies, sous des chefs qui éprouvent les passions, qui expriment les opinions et les espérances de tous. Les partis peuvent bien se rallier en passant, et pour un intérêt transitoire, sous un drapeau d’emprunt ; mais, lorsque l’instant est venu de consommer les grands sacrifices et de prodiguer sa vie, il faut que la confiance soutienne le courage, et qu’il n’y ait rien d’équivoque entre nos actes et notre but, entre notre conscience et la mort. Les girondins et la bourgeoisie française en firent dans le passé la triste expérience : puissent les partis contemporains n’être pas appelés à la renouveler dans l’avenir !


LOUIS DE CARNE.

  1. Séance du 20 avril 1792.
  2. Il est à peine nécessaire de dire que ces injonctions sont extraites des arrêtés de la commune de Paris et du comité de surveillance durant la dernière quinzaine du mois d’août 1791. Voyez l’Histoire parlementaire de la Révolution française, par MM. Bachez et Roux, tomes XVII et XVIII.
  3. Je n’ai, dans ces études politiques, ni la prétention de rectifier l’histoire, ni celle de récrire, et je donne mon opinion sur les faits sans établir ces faits eux-mêmes par les documens qui les constatent. Qu’on me permette cette fois seulement de justifier mon impression en citant les témoignages qui l’ont suscitée dans mon esprit. Après avoir écarté comme inadmissibles et le système qui s’efforce de rattacher les massacres à la défense du territoire et de la révolution menacée par un complot, et les hypothèses encore moins sérieuses qui les expliquent par la secrète intervention des Anglais, des coalisés, de Coblentz, de la faction d’Orléans, j’ai dû appliquer l’axiome is fecit cui prodest, et je n’ai rencontré cet intérêt personnel et puissant que chez les hommes qui avaient ordonné les arrestations et les fouilles. J’ai lieu de croire que cette opinion paraîtra du moins plus vraisemblable que toute autre à quiconque lira sans parti pris les débats de la convention sur les événemens de septembre, et les procès-verbaux du conseil général de la commune de Paris, particulièrement ceux des séances qui précédèrent l’émission de l’arrêté du 10 mai 1793, par lequel il fut ordonné de poursuivre criminellement le comité de surveillance pour « vols, dilapidations de dépôts, bris de scellés, fausses déclarations et autres infidélités. » Je crois que mon opinion est conforme à l’esprit, sinon à la lettre des principales relations contemporaines, particulièrement à celles que nous ont laissées l’abbé Sicard, Maton de Lavarenne, Journiac de Saint-Méard, etc. J’appelle surtout l’attention sur la très curieuse brochure de Roch Marcandier, intitulée : Les Hommes de proie ; ou les Crimes de septembre, imprimée en 1795.
  4. pour les élections à la convention nationale, les conditions de cens attachées par la constitution de 91 à l’exercice du droit électoral avaient été supprimées ; mais le vote indirect à deux degrés se trouva maintenu.