La Bourgeoise ou Les Cinq auberges/Acte I
DISTRIBUTION DE LA PIÈCE.
ACTE I.
L’Auberge du Cheval-Blanc
Une auberge enfumée en Lorraine, style campagnard et sombre. Trois portes, fenêtre praticable. Un lit avec bahut au devant.
SCÈNE PREMIÈRE.
BONAVENTURE, MINON.
BONAVENTURE, dans la coulisse. C’est bon, j’y vais à mon ouvrage, la bourgeoise. (Il entre.) Elle m’a dit d’être gai… Chacun est gai à sa manière, quoi donc ! Moi, quand je suis de bonne humeur, j’ai envie de pleurer. (Il s’essuie les yeux.)
MINON, bouclant ses cheveux devant un miroir. On va danser… quel bonheur !
BONAVENTURE, tristement. Ah ! oui… c’est ce que je me dis… quel bonheur !
MINON. Ma sœur Rosalie sera bien heureuse avec François Picot.
BONAVENTURE, avec chaleur. Si celle-là n’était pas heureuse…
MINON, prenant son ouvrage. François Picot est un bon garçon.
BONAVENTURE. N’y a pas dans le monde d’assez bon garçon pour mademoiselle Rosalie !
MINON. Puisqu’elle l’a choisi pour mari, c’est qu’elle l’aime.
BONAVENTURE, tristement. Ah ! oui… Faut qu’elle l’aime pour l’avoir choisi…
MINON. Avec ça que l’auberge du Cheval-Blanc ne peut pas aller sans un homme, n’est-ce pas ?… Le père Valentin ne quitte plus son lit… ma sœur Rosalie a besoin de quelqu’un pour imposer aux pratiques… maintenant surtout qu’il vient tant de gens de mauvaise mine, à cause du prisonnier d’État qui est au château.
BONAVENTURE, soupirant. Ah ! oui !… lui faut un homme, à c’te femme !
MINON. Et comme ça va être gentil, les fiançailles !… En as-tu vu déjà, des fiançailles, toi, Bonaventure ?… À minuit… un beau réveillon… la danse qui dure jusqu’au jour… Ah ! c’est bien agréable de se marier !
BONAVENTURE, soupirant. Ah ! oui… (À part.) Avec mademoiselle Rosalie surtout… (Haut.) Tenez, mademoiselle Minon, si ce François Picot n’était pas un bon mari !… car c’est un ange, voyez-vous, qu’il aura pour femme.
MINON. Pauvre Bonaventure !… Rosalie te bourre bien un peu quelquefois, pourtant…
BONAVENTURE. Ça ne fait rien… j’aime mieux être bourré par mademoiselle Rosalie que d’être caressé par un autre. (À part, avec effroi.) Bavard ! tu en dis trop long !…
MINON, à la fenêtre. Voici la brune qui vient… dans quelques heures, ils seront fiancés.
BONAVENTURE, à part. Dans quelques heures !… (Il essuie les tables avec rage.)
MINON, rêveuse, à part. Deux jours qu’il n’est venu !… Dès qu’il paraît, je me sauve… Quand il ne vient pas, je suis triste et je pleure… Que veut dire cela, sainte Vierge ?… (Elle tressaille et se met à écouter.) C’est son pas !… (Elle serre précipitamment son ouvrage.) C’est lui !… c’est bien lui !
SCÈNE II.
LES MÊMES. ANDRÉ DE RIEUX, en costume de braconnier très-simple. — Au moment où il paraît sur le seuil, Minon, rougissant et souriant, s’esquive. Il cherche à la retenir d’un geste suppliant ; elle secoue la tête ; il lui envoie un baiser ; elle disparaît.
BONAVENTURE. C’est le braconnier… Il me plaît assez, celui-là… Il ne vient pas pour mademoiselle Rosalie.
ANDRÉ. Personne n’est venu me demander ?
BONAVENTURE. Personne.
ANDRÉ. J’attendrai. (Il s’assied à une table.) Que dit-on de nouveau dans le pays ?…
BONAVENTURE. Rien.
ANDRÉ. C’est donc toi, l’ami, et cette charmante enfant qui êtes les maîtres de cette auberge ?
BONAVENTURE. Non ; c’est le père Valentin et sa fille.
ANDRÉ. On ne les voit jamais.
BONAVENTURE. Le père ne sort plus de son lit… et vous venez toujours à l’heure où mademoiselle Rosalie veille auprès de son père infirme… En voilà une qu’a du mérite !… Mais vous, quel métier que vous faites par ici ?…
ANDRÉ. Un dur métier… où je risque ma peau.
BONAVENTURE. Je n’aimerais point ce métier-là.
ANDRÉ Et cette belle jeune fille ?
BONAVENTURE, sèchement. Elle n’est point de moitié si belle que mademoiselle Rosalie.
SCÈNE III.
LES MÊMES, ROBIN, MOREL.
ROBIN. À boire !
MOREL. Et vite !
BONAVENTURE. On y va. (Sortant.) Mauvaises figures !
ROBIN. Vous êtes arrivé le premier, monsieur André… C’est que nous avons fait une longue course…
ANDRÉ. Avez-vous vu le prince ?
ROBIN. Oui, dans le bois de Saint-Étienne… On le laisse chasser, mais il est gardé à vue.
ANDRÉ. Avez-vous pu lui parler ?
ROBIN. Il a fallu du temps et de l’adresse… Enfin, je me suis approche de lui sous le couvert, et je lui ai glissé à l’oreille le nom d’André de Rieux… il a tressailli. — Celui-là est mon meilleur ami, a-t-il dit ; que veut-il de moi ? — Une entrevue… — Où ? — À l’auberge du Cheval-Blanc. — Quand ? — À huit heures, ce soir. — J’y vais.
ANDRÉ. C’est bien… vous serez récompensé.
MOREL. C’est que nous sommes à sec, monsieur André…
ANDRÉ. J’attends des fonds… À huit heures vous vous tiendrez aux environs de cette auberge, pour faire le guet… Moi, je vais prévenir mes amis. (Il sort.)
SCÈNE IV.
ROBIN, MOREL, BONAVENTURE.
ROBIN. Morel !
MOREL. Robin !
ROBIN. Toujours des promesses…
MOREL. Toujours…
ROBIN. Jamais d’argent.
MOREL. Jamais.
ROBIN. Morel, mon ami, ça commence à ne plus m’aller, ce commerce-là !
MOREL. Mon ami Robin, il y a longtemps que ce commerce-là ne me va plus…
BONAVENTURE, apportant le vin. Voilà !… Tiens ! le braconnier est parti… Il n’a jamais soif, celui-là !
ROBIN. C’est bien… va-t’en !
BONAVENTURE. Est-ce que je ne peux pas continuer mon ouvrage ?…
ROBIN. Va-t’en !… nous avons à causer.
BONAVENTURE. Ceux-là me déplaisent, mais là, comme il faut !… (Il sort.)
ROBIN. Monsieur André de Rieux ! Ce nom-là sonne bien.
MOREL. Son gousset sonne creux.
ROBIN, frappant sa capsule. Comme le nôtre… Il paraît que son prince Stanislas de Pologne n’est pas plus riche que lui…
MOREL. Le czar Pierre de Russie qui est venu l’année dernière à l’avis… voilà un prince cousu d’or !
ROBIN. Oui, mais le czar Pierre de Russie est à cinq cents lieues d’ici, maintenant… et il n’a pas besoin de nous…
SCÈNE V.
ROBIN, MOREL, CHAMPAGNE.
CHAMPAGNE, qui est entré sans bruit. Il n’en faudrait pas jurer, mes camarades ! (Morel et Robin se lèvent vivement.) Asseyez-vous… ne vous dérangez pas !… (Il ôte son feutre.)
MOREL et ROBIN. Champagne à Bar-le-Duc !
MOREL. Au fin fond de la Lorraine !
CHAMPAGNE Les temps sont durs, l’âge vient ; je veux me faire un sort… je voyage pour une forte maison…
ROBIN. Qui s’appelle ?
CHAMPAGNE. Tu viens de prononcer son nom tout à l’heure.
ROBIN. Moi ?
CHAMPAGNE. Ne parlais-tu pas du czar Pierre-le-Grand, souverain de toutes les Russies ?
ROBIN. Si fait…
CHAMPAGNE. Eh bien, je travaille pour lui… comme vous travaillez, vous, pour ses ennemis… Paient-ils bien, les ennemis du czar ?
ROBIN. Hélas ! nous étions en train de nous en plaindre… Et le czar ?…
CHAMPAGNE. Je dois toucher dix mille roubles comptant, si je rapporte de bonnes nouvelles à son représentant le Hollandais Cornil Van Zuyp, mon illustre maître.
ROBIN. Et tu es en fonds ?
CHAMPAGNE. Voilà le diable !… j’ai les bonnes nouvelles, mais je n’ai pas le premier sou pour retourner à Paris.
ROBIN. Tope là ! nous t’en apportons autant… associons-nous !
CHAMPAGNE. Puisque vous êtes du parti du prince Stanislas ?…
ROBIN, haussant les épaules. Laisse donc… nous nous occuperons de lui en sens contraire…
MOREL. Ce sera toujours nous en occuper…
ROBIN. Que veut le czar ?…
CHAMPAGNE. Le czar a passé un contrat avec mon illustre patron, Cornil Van Zuyp, Hollandais, homme de poids, bête comme un pot, riche comme un puits. Par ce traité, moyennant un million de roubles, Cornil s’est engagé à lui livrer le prince polonais…
ROBIN. Joli denier !
MOREL. Deux millions tournois !
CHAMPAGNE. Vous avez déjà servi le czar sans vous en douter, mes camarades… En effet, tant que le prince reste au château de Bar, sous la protection du gouvernement français, nous ne pouvons rien contre lui ; mais s’il s’évade…
ROBIN. André de Rieux est ici pour l’aider à s’évader.
CHAMPAGNE. Que Dieu protège M. André de Rieux ! C’est un bien bon gentilhomme !… Mes camarades, je vois un flot de roubles inonder nos poches si nous pouvons seulement retourner auprès de Cornil Van Zuyp.
ROBIN. Il faut trouver un bon coup à faire…
MOREL. Il faudrait…
CHAMPAGNE. Chut !… voici quelqu’un !
SCÈNE VI.
LES MÊMES, BONAVENTURE, puis FRANÇOIS PICOT.
ROBIN, à Bonaventure. Encore… toi !…
BONAVENTURE, qui apporte une bouteille et deux verres, à part. Tiens ! Les voilà trois, maintenant !
MOREL. On t’a dit qu’on voulait causer…
BONAVENTURE, posant sa bouteille et ses verres sur une table éloignée. Tout beau ! Y a de la place pour tout le monde. Je viens boire un coup avec le futur maître de l’établissement… celui qui va épouser la fille du bourgeois…
FRANÇOIS, entrant. C’est moi qu’est l’aubergiste présomptif du Cheval-Blanc !
CHAMPAGNE. C’est différent… (bas) nous en serons quitte pour parler tout bas… (Ils causent à voix basse.)
BONAVENTURE, s’attablant, à part. J’veux savoir s’il aime mademoiselle Rosalie, moi !…
FRANÇOIS, de même. J’veux savoir combien qu’il y a d’écus dans la paillasse du bonhomme Valentin !
BONAVENTURE. À vot’ santé, voisin.
FRANÇOIS. Merci !… à la vôtre !
BONAVENTURE. Vous faites tout de même là une fière affaire, oui !
FRANÇOIS. Hé ! hé !
BONAVENTURE. Un cœur d’or… et une bonne fille… Ah ! dame, on irait loin pour trouver sa pareille !
FRANÇOIS. Ça, c’est vrai… elle n’est point vilaine de son corps… Vous qu’êtes de la maison, c’est-il vrai que le papa Valentin a sept cents écus cachés dans sa paillasse ?… (À part). V’là qu’est questionné adroitement !…
CHAMPAGNE, bas. Avez-vous entendu ?…
ROBIN. Sept cents écus !
MOREL. Dans la paillasse…
BONAVENTURE, à part. Il ne pense qu’aux écus ! (Haut.) Et bien pieuse, et bien charitable… soignant son vieux père comme un ange, quoi !
FRANÇOIS. Ah ! dame… Elle n’est point méchante… À vot’ santé !…
BONAVENTURE. À la vôtre… C’est un trésor !
FRANÇOIS, vivement. Dans la paillasse ?
BONAVENTURE. Eh ! non, je vous parle de mademoiselle Rosalie…
FRANÇOIS. J’entends bien… mais…
BONAVENTURE. C’est un trésor que je vous dis.
FRANÇOIS. Moi, je dis qu’il faut des écus pour rendre une femme heureuse !… Je n’suis point intéressé, dà !… s’y a seulement sept cents dans dans la paillasse ?…
CHAMPAGNE, bas. Écoutez !
BONAVENTURE, haussant les épaules. Il y a plus de sept cents écus. (Mouvement des trois aventuriers.)
FRANÇOIS. Y en a-t-il huit cents ?
BONAVENTURE. Jarni Dieu ! l’homme, vous n’aimez pas mademoiselle Rosalie !
FRANÇOIS. Qui ça, moi ?… (À part.) Y en a peut-être encore plus de huit cents ! (Haut.) Je ne l’aime pas, que je soupire après elle depuis du temps, et que je deviens tout maigre !… que je n’peux plus manger ni boire… À vot’ santé !… (Il boit.)
BONAVENTURE. À la vôtre !
FRANÇOIS. Que j’en rêve la nuit et le jour, que je grave son nom avec mon eustache sur l’écorce des peupliers… que…
BONAVENTURE. Il a ben l’air d’un amoureux tout de même. Allons, touchez là !
FRANÇOIS. Y en a-t-il ben huit cents ?…
BONAVENTURE. Approchant… Allez mettre votre habit de fête, mon homme… (Les trois aventuriers se font des signes.) Vous n’avez que le temps… nous serons ben à l’aise pour le réveillon, ici, car on ira recevoir tout le monde et fermer les portes…
CHAMPAGNE, faisant la grimace. Aïe !
ROBIN, bas. Le diable s’en mêle !
BONAVENTURE. À moins qu’il ne vienne quelques pauvres malheureux demander l’hospitalité pour l’amour de Dieu !
CHAMPAGNE. Il en viendra !
ROBIN, bas. Voilà notre affaire !
BONAVENTURE. Mlle Rosalie est si bonne !…
FRANÇOIS. Renvoyer ceux qui payent pour recevoir ceux qui ne payent pas ?…
BONAVENTURE. Hein ?… est-ce généreux ?
FRANÇOIS. Pour ça oui… (à part.) C’est bête !
BONAVENTURE. À tantôt, voisin.
FRANÇOIS. À tantôt ! (En sortant.) Yen a peut-être ben neuf cents dans la paillasse !…
BONAVENTURE. Allons ! ça me console… je l’aurais cru plus intéressé que ça… quoiqu’il pense un peu trop aux écus… Ah ! si c’était moi !…
CHAMPAGNE. Garçon !
BONAVENTURE, en sursaut. De quoi ?…
CHAMPAGNE. Combien te doit-on ?
BONAVENTURE. Une pinte… douze sous… (Les trois aventuriers fouillent à leur poche et font les douze sous à eux trois.)
CHAMPAGNE, les lui donnant. Tiens ! c’est le fond du sac… (À part.) À ce soir les écus de la paillasse. (Ils sortent.)
LA VOIX DE ROSALIE, dans la coulisse. Bonaventure ! Bonaventure !
BONAVENTURE. Ah ! c’est la bourgeoise… On y va ! on y va !
SCÈNE VII.
BONAVENTURE, ROSALIE, puis MINON.
ROSALIE, entrant. Te voilà enfin ! C’est heureux ! Il y a une heure que je t’appelle. (Regardant sortir Champagne.) Je n’aime pas ces vagabonds.
BONAVENTURE, à part en soupirant. Oh ! oui, c’est celle-là qu’est la plus belle !
ROSALIE. C’est le voisinage de ce prisonnier qui nous attire tous ces gens-là !… Prisonnier pour rire qu’on laisse se promener et courir le cerf dans la forêt… L’as-tu vu quelquefois, toi, ce prince, ce Stanislas Leckzinski ?
BONAVENTURE. Je ne sors pas souvent de l’auberge…
ROSALIE. C’est juste… On dit que c’est un tout jeune homme… presque un enfant… qui parle souvent de sa mère absente… Essuie donc les verres.
BONAVENTURE. Oui, la bourgeoise.
ROSALIE. Mais il y a des gens qui veulent se servir de lui pour faire la guerre… Le czar Pierre-le-Grand prit son royaume pour le donner à un autre… on m’a conté cette histoire ! mais moi, je ne me souviens que de ce qui me regarde… et en attendant, ces figures nouvelles qui rôdent dans le pays me font peur… Tu vas veiller à ce que tout soit bien fermé.
BONAVENTURE. Oui, la bourgeoise.
ROSALIE. Ne m’appelle pas comme ça… je te l’ai déjà dit… C’est mon père qui est ici le bourgeois… Moi, je ne suis que sa première servante… (Elle tricote avec activité en parlant.) Il dort, le pauvre vieux père…
BONAVENTURE. Sans ça, vous n’auriez pas quitté le chevet de son lit…
ROSALIE. Sans doute, c’est tout simple…
BONAVENTURE. Mais reposez-vous donc un petit brin, la bourgeoise !… c’est-à-dire mademoiselle Rosalie… vous travaillez par trop aussi, ça n’a pas de bon sens…
ROSALIE. Il faut bien que je travaille… j’ai des gens à nourrir…
BONAVENTURE. Oui, oui, vous en avez… vous ne prendriez pas un sou à votre papa pour l’entretien de la vieille Catherine votre tante et des petits à défunt votre frère… et de Minon votre petite sœur d’adoption.
ROSALIE. Tu ne peux pas dire mademoiselle Minon ?
BONAVENTURE. Si fait, la bourgeoise… c’est-à-dire mademoiselle Valentin… je dirai mademoiselle Minon, puisque ça vous plaît mieux… Je voudrais ben savoir ce qui vous plaît pour le faire… mais je n’ai point beaucoup d’esprit, à ce qu’on dit.
ROSALIE. Tu n’en as pas du tout…
BONAVENTURE. Ah ! mademoiselle Rosalie, ça ne me fait point tant de chagrin quand les autres me le disent… Si vous saviez…
ROSALIE. Chut ! est-ce mon père qui m’appelle ?…
BONAVENTURE. Non… il n’a pas appelé… Tout de même, quand je vous vois travailler comme ça, je le trouve un petit peu trop regardant, moi, le bourgeois…
ROSALIE. Il sait le prix de l’argent.
BONAVENTURE. On peut être économe.
ROSALIE. Ce n’est pas assez, quand on est pauvre ; il est avare ; il a raison.
BONAVENTURE. Mais vous…
ROSALIE. Je suis plus avare que mon père.
BONAVENTURE. Bah ! laissez donc ; vous dites ça et vous faites du bien à tout le monde.
ROSALIE. Ce n’est pas vrai ; c’est pour moi, pour moi seule que je travaille, et jamais pour les autres.
BONAVENTURE. Jamais ? elle est bonne celle-là ! quand vous avez pris mademoiselle Minon pour votre sœur…
ROSALIE. Eh bien, c’était à moi, à moi seule que je voulais faire plaisir.
BONAVENTURE. Ah ! bah ! à vous seule ?…
ROSALIE. J’étais presque enfant… je crois que j’avais dix ans ; mon père se plaignait d’avoir à peine de quoi vivre ; il est comme moi, mon père, parce que les hommes l’ont souvent trompé. Un soir que je revenais des champs, je trouvai un berceau au seuil de notre porte ; mon père, qui vint m’ouvrir, me dit : Porte cela sur les marches de l’église. Il y avait dans le berceau un enfant qui dormait, un enfant d’un an et demi…
BONAVENTURE. C’était mademoiselle Minon.
ROSALIE. L’enfant se réveilla… il appela sa mère ; quand il m’aperçut… à travers ses larmes il se mit à sourire. C’était une belle petite fille entourée de langes fins ; je dis à mon père : « Je ne la porterai pas sur les marches de l’église, nous l’élèverons à la maison. » Et comme mon père se récriait en parlant de la dureté du temps et de la misère, je lui dis : « L’enfant ne vous coûtera rien, je le nourrirai. »
MINON, qui est sortie de sa chambre et vient se jeter dans les bras de Rosalie. Et tu as tenu parole, ma sœur.
ROSALIE. Ah ! Minon !
MINON. Toute enfant tu étais déjà mère.
ROSALIE. J’ai bien travaillé dans ma vie… mais tu grandissais, tu m’appelais par mon nom ; le soir, mes pauvres yeux me brûlaient, mais j’entendais ton souffle heureux dans ton berceau. Quand la fatigue m’accablait trop, je m’asseyais à ton chevet ; rien qu’à te voir, je sentais comme un baume qui me coulait dans le cœur et je reprenais courage, et je travaillais encore… C’est bon, vois-tu, fillette, ces souvenirs-là !
BONAVENTURE. Et vous dites que vous n’êtes pas bonne, la bourgeoise !
ROSALIE. Tais-toi.
BONAVENTURE. Mais, bourgeoise…
ROSALIE. Tais-toi… cette fois, c’est bien lui, c’est mon père qui m’appelle… Viens avec moi, Minon.
MINON. Oui, ma sœur. (Elles sortent.)
SCÈNE VIII.
BONAVENTURE, puis ANDRÉ et STANISLAS.
BONAVENTURE. V’là ce qui m’étonne, moi… c’est que ce vieux père Valentin ait fait une fille comme ça !… J’vas fermer.
ANDRÉ, entrant. Entrez, l’ami…
BONAVENTURE, à part. Tiens, tiens, v’là encore du nouveau !… (Un homme entre drapé dans son manteau et le chapeau sur les yeux.)
ANDRÉ. Du vin !… L’ami, prenez place…
BONAVENTURE, mettant le vin sur la table. Voilà !
ANDRÉ, amicalement. Laisse-nous, mon garçon.
BONAVENTURE, sortant, à part. Au moins, celui-là, il est gentil, même quand il vous flanque à la porte…
ANDRÉ. Sire, nous sommes seuls… (Il se lève et reste découvert.) Je n’ai pas encore pu rendre mes devoirs à Votre Majesté.
STANISLAS, rejetant son manteau. Ma majesté vous en dispense, chevalier de Rieux… votre main, et trêve d’étiquette.
ANDRÉ, Sire ?…
STANISLAS. M’apportez-vous des nouvelles de ma mère ?
ANDRÉ. La reine votre mère vous envoie par moi mille baisers, Sire.
STANISLAS. Ma sainte mère !… Parlez-moi d’elle !…
ANDRÉ. Sire, je suis venu pour vous parler de vous… Votre royaume, opprimé par Auguste, qui n’est que le lieutenant de Pierre-le-Grand, votre royaume vous attend et vous appelle…
STANISLAS, avec abattement. De si loin, chevalier de Rieux, j’ai beau prêter l’oreille… je n’entends pas la voix de la patrie !
ANDRÉ. Sire, la voix du devoir s’entend de partout…
STANISLAS, offensé. Monsieur !…
ANDRÉ. Pardon, Sire, pardon… Vous savez si je vous respecte et si je vous aime… Écoutez-moi au nom de votre pays qui servit d’asile à mes aïeux proscrits… Le roi Charles XII, le lion du Nord, le héros suédois, le frère d’armes et l’ami de votre père, le roi Charles XII a brisé ses fers…
STANISLAS. Se peut-il ?
ANDRÉ. À ce nom seul de Charles XII, Pierre-le-Grand a tremblé au fond de ses déserts glacés… À ce nom seul vingt mille gentilshommes ont tiré le sabre sous les murs de Cracovie, en criant : Mort aux Moscovites ! vive Stanislas Leckzinski !
STANISLAS. Mes braves gentilshommes ! mon peuple bien aimé !
ANDRÉ. Et Charles XII, qui vient d’entrer en Norvège, a juré que le fils de Leckzinski remonterait sur le trône de son père… il ne vous manque plus qu’un seul auxiliaire, Sire.
STANISLAS. Et cet auxiliaire ?
ANDRÉ. C’est vous-même… Vous êtes captif, je le suis ; mais je viens, moi, vous proposer la délivrance… Il y a loin d’ici à la mer, c’est vrai, mais nos mesures sont prises… D’ici à l’Océan, il y a trente bureaux de poste… Trente gentilshommes dévoués, déguisés en postillons vous attendent… Un seul bureau de poste n’est pas à nous, parce que le maître en est mort… c’est Nonancourt… Mais je m’en charge… à Nonancourt, ce sera moi, André de Rieux, qui prendrai les bottes éperonnées et le fouet de postillon…
STANISLAS. Vous, chevalier ?…
ANDRÉ. Je paye la dette de mon père qui a été l’hôte du père de Votre Majesté.
STANISLAS. Ami… car tu es mon ami, toi, André, je te remercie…
ANDRÉ. Je n’ai pas tout dit, Sire… À Quillebœuf, à l’embouchure de la Seine, un navire vous attend, armé par le marquis de Lauzun, de ses propres deniers… Le navire est monté par vingt-cinq matelots fidèles… En quelques jours, vous aurez franchi la Manche, doublé les côtes de Danemark ; en quelques jours, si vous voulez, Sire, vous trouverez votre patrie réveillée de son sommeil et toute fière à la vue de son roi.
STANISLAS, ébranlé. Ma patrie ! Mes belles campagnes de Varsovie où je voyais, tout enfant, courir et resplendir au soleil les escadrons de nos fiers cavaliers !… Oh ! ne me tente pas, André ! Ne parle plus à l’exilé du sol qui l’a vu naître. Ne vois-tu pas que j’ai besoin de toute ma force pour le résister ?… et ma raison ne suffirait pas, s’il n’y avait là le souvenir de mon père !…
ANDRÉ. Votre père ?…
STANISLAS. À l’heure de la mort, mon père m’a dit : « Enfant, je prie Dieu que tu ne portes jamais le sceptre ni la couronne. »
ANDRÉ. C’était parler en père, car le sceptre est lourd et la couronne a des épines… mais ce n’était pas parler en roi !
STANISLAS. André, je suis résigné. Laisse-moi dans mon repos… Depuis que le czar est retourné en Russie, la France a entrouvert la porte de ma prison… La France généreuse me traite comme un hôte et non plus comme un captif… je suis tranquille… Je serais heureux, André, plus heureux que Pierre sur son trône, s’il m’était donné d’embrasser ma mère chérie…
ANDRÉ. La reine votre mère est au château de Saint-Germain… et le château de Saint-Germain est sur la route qui conduit à l’Océan…
STANISLAS. La reine ne me conseillerait pas…
ANDRÉ, tirant un pli de son sein. J’avais gardé ce message pour dernier argument, Sire… (Il met un genou en terre et présente le pli à Stanislas.)
STANISLAS. L’écriture de la reine !… l’écriture de ma mère !… Le message ne contient que quatre mots… (Lisant.) « En passant, tu m’embrasseras !… » (Il baise le papier avec émotion.) Chevalier, je n’hésite plus : jamais je n’ai désobéi à ma mère…
ANDRÉ, se levant. Vous êtes libre en ce moment, Sire, partons sur-le-champ.
STANISLAS. Soyez tranquille, chevalier, la réflexion ne changera pas mes desseins… mes papiers sont au château : j’ai besoin de quelques heures… Trouvez-vous sous les remparts à minuit.
ANDRÉ. Mes amis et moi nous y serons, Sire…
STANISLAS. Vous me trouverez prêt à vous suivre ; on vient… (Il drape son manteau et rabat son feutre.)
SCÈNE IX.
LES MÊMES, MINON, en toilette pour la fête, puis ROSALIE.
MINON, descendant l’escalier. Je vais obéir à ma sœur, je vais ajouter à ma toilette… Ah ! (À la vue des deux hommes, elle recule effrayée et confuse.) Pardon, messieurs…
STANISLAS. Ne vous éloignez pas, ma charmante enfant… je veux vous payer mon écot…
ANDRÉ, à part. Comme la voilà rouge et confuse !… (Ému et souriant.) Je parie que mon cœur bat plus vite que le sien…
STANISLAS. Eh bien ! vous restez à l’écart, chevalier ?
MINON, à part. Il est chevalier !… ah ! je savais bien que j’étais folle. (Elle soupire.)
STANISLAS, lui passant une bague au doigt. Prenez ceci, jeune fille… soyez bonne autant que vous êtes jolie… (Il lui baise la main.) À votre tour, chevalier.
ANDRÉ, lui baisant la main. Souvenez-vous de moi !… (Il lui passe une chaîne au cou.) C’est une médaille bénie qui vous portera bonheur. (Bas.) Je pars, je vous aime, je reviendrai… (Rosalie se montre sur le seuil.)
ROSALIE. Pauvre père !… il rêve qu’on veut lui prendre le sac où sont ses écus…
ANDRÉ. Allons, l’ami, à nos affaires ! (Ils sortent.)
SCÈNE X.
ROSALIE, MINON.
MINON, confuse, à part. Ma sœur !…
ROSALIE. Que te disaient ces deux hommes, ma fille ?
MINON. Ils me payaient leur écot, ma sœur.
ROSALIE. Donne l’argent…
MINON, tremblante. Ce n’était pas de l’argent…
ROSALIE, étonnée. Ah !… une chaîne !… un anneau !… (Elle prend la chaîne et la bague à Minon qui se laisse faire.) Je ne les connais pas, ces hommes… mais ils payent richement leurs dépenses… s’ils reviennent, tu me feras prévenir.
MINON. Oui, ma sœur… mais… (montrant timidement la chaîne que Rosalie vient de lui prendre) tu oublies…
ROSALIE. De te rendre cette chaîne… Je ne sais pas trop si je dois te la laisser porter… Non, je t’en achèterai une autre, mais celle-là tu ne la porteras pas.
MINON, à part. Une autre ! Ce ne sera pas la même chose.
ROSALIE. En attendant, la journée est finie… appelle Bonaventure pour fermer tout, et qu’on ne reçoive plus personne… François Picot et nos amis entreront par la petite porte du jardin… Personne, tu m’entends, personne !…
SCÈNE XI.
LES MÊMES, ROBIN.
ROBIN, piteusement. Pas même un malheureux qui ne sait où reposer sa tête ?…
ROSALIE. Je vous reconnais… vous étiez tout à l’heure avec ces hommes.
ROBIN. Mes camarades ont été plus heureux que moi, ma bonne dame… Ils ont trouvé un gîte par charité aux portes de la ville… moi, j’étais de trop, on m’a renvoyé…
MINON, qui s’était dirigée vers la porte, revenant. Sœur, il a l’air bien malheureux !
ROSALIE. Mon père me disait encore tout à l’heure : « Ne fais jamais de bien aux hommes, car, pour le bien, ils te rendront le mal… »
ROBIN. Oh ! bonne dame, ma reconnaissance…
MINON. Sœur… tu es si charitable !…
ROSALIE. Il ne faut pas être charitable… c’est de la duperie !…
MINON. Et il fait si grand froid dehors ! (Robin grelote.)
ROSALIE. C’est vrai… il fait froid… la pluie tombe… une fois n’est pas coutume… Ce pauvre homme couchera ici dans la salle basse.
MINON, à part. Et je lui descendrai du vin de la noce.
ROSALIE, à Robin. Et ne gâtez rien… couchez-vous sans chandelle…
ROBIN. Merci, ma bonne dame…
ROSALIE. Allons, fillette… il est temps enfin que je songe à ma toilette… Le père ne s’éveillera plus de la nuit… viens m’aider à me faire belle.
MINON. Je vais être ta femme de chambre.
ROSALIE. Bonsoir, l’homme…
MINON. Bonsoir, mon ami…
ROBIN. Que Dieu vous bénisse… Réjouissez-vous en paix, moi, je vais reposer. (Il se dirige vers le lit.)
ROSALIE. Prends la lampe.
MINON. La voilà. (La nuit s’est faite au départ des deux sœurs, qui ont emporté la lumière.)
SCÈNE XII.
ROBIN, seul ; il se redresse et prête l’oreille. Nuit complète.
La place est à nous… j’ai cru qu’elle allait me laisser dehors !… (Il se glisse vers la porte du père Valentin.) Pourvu qu’on n’ait pas mis le verrou… Ouverte !… et la bonne petite dame a dit elle-même : « Il dort… » Hâtons-nous… Ces diables de fiançailles me gênent… j’aimerais mieux une maison endormie… Sot pays où l’on fait les accordailles à minuit ! (Il va vers la fenêtre en tâtonnant, l’ouvre avec précaution et se penche au dehors.) Pstt !… Pstt !…
CHAMPAGNE, dehors. Pstt !
ROBIN. Montez !
SCÈNE XIII.
CHAMPAGNE, ROBIN, MOREL.
CHAMPAGNE, entrant par la fenêtre. Il fait noir comme dans un four… Morel a la lanterne sourde.
MOREL, entrant. J’ai vu de la lumière.
ROBIN. Il y en aura toute la nuit.
CHAMPAGNE. Voyons !… à la besogne ! Est-ce toi qui entre, Robin ?…
ROBIN. Un vieillard…
CHAMPAGNE. Bah ! il dort… Vous éventrez la paillasse… vous prenez le magot… et le bonhomme rêve que ses écus font des petits…
ROBIN. Oui, mais s’il s’éveille.
CHAMPAGNE, haussant les épaules. Ça le regarde… Et toi, Morel ?…
MOREL. Moi… tirons au sort…
CHAMPAGNE. Par le diable !… ça prend du temps de tirer au sort !… vous êtes des poules mouillées !… Faites le guet… donne-moi la lanterne… quand on a le cœur si tendre… on se fait garde-malade ou chien d’aveugle… Attendez-moi là. (Il entre chez le père Valentin.)
ROBIN. C’est un fier coquin que ce Champagne…
MOREL. Ni cœur, ni âme !
ROBIN. Il ira loin… As-tu vu M. André ?
MOREL. Tout va bien… le prince va se mettre on route à minuit… M. André nous donne un fier coup d’épaule sans le savoir…
ROBIN. Écoute ! (Il prête l’oreille.) Ah ! je me souviendrai de cette nuit… les gens de l’auberge n’ont vu que moi…
MOREL. Bah ! il y a loin de Bar-le-Duc à Paris !
CHAMPAGNE, rentrant pâle et en désordre. Voici l’argent… sauvons-nous !…
ROBIN. Et le bonhomme ?
CHAMPAGNE. Éteins la lanterne et en route !…
ROBIN. Le vieillard s’est-il éveillé ?
CHAMPAGNE. Voici l’argent, te dis-je !… Éteins la lanterne, et partons !
MOREL, à Robin, bas. Il s’est éveillé !…
ROBIN, de même. Que Dieu ait son âme ! (Ils sortent par la fenêtre.)
SCÈNE XIV.
BONAVENTURE, ROSALIE, MINON, FRANÇOIS PICOT, INVITÉS DES ACCORDAILLES. On entend un grand tumulte pendant la sortie des trois bandits. Au moment où le dernier d’entre eux disparaît par la fenêtre, la porte du père Valentin s’ouvre ; Bonaventure se précipite échevelé et regarde autour de lui d’un air égaré.
ROSALIE, entrant par la porte de droite. Qu’y a-t-il ? que veut dire ce bruit ?…
BONAVENTURE. La fenêtre est ouverte ! (Il va regarder à la porte de la chambre.)
ROSALIE. Et cet homme n’est plus là !
BONAVENTURE, sur le seuil de la porte latérale. Ah ! bourgeoise ! bourgeoise !
ROSALIE. Je t’avais défendu de m’appeler ainsi !
BONAVENTURE. Tant que votre père vivrait, mademoiselle Rosalie.
ROSALIE. Mon père !… (Elle se précipite dans la chambre avec Bonaventure. On entend Rosalie pousser un grand cri, puis elle rentre en scène très-pâle en disant :) Mon père mort ! assassiné !… (Elle tombe épuisée sur une chaise à deux pas de la porte. François Picot vient d’entrer par le fond avec la noce.)
FRANÇOIS et LES AUTRES. Assassiné !
BONAVENTURE, qui est sorti de la chambre à la suite de Rosalie. Oui, ces mendiants… ils l’ont volé d’abord… et puis…
FRANÇOIS, à part. Volé ! volé !
MINON, à Rosalie, qui rouvre les yeux et regarde autour d’elle avec stupeur. Sœur, il te reste l’homme que tu aimes.
BONAVENTURE, de même. Vot’ fiancé, la bourgeoise…
FRANÇOIS, à part. Volé ! ils ont volé mes huit cents écus !… (Il se fait un grand silence. Rosalie se lève lentement.)
ROSALIE, d’une voix altérée. François je vous rends votre parole…
FRANÇOIS. Je vas réfléchir… Bonsoir… bonsoir la compagnie ! (On s’éloigne de lui avec dégoût. Il sort.)
ROSALIE, retombant. Mon père est mort assassiné par l’homme que j’ai reçu par charité… Celui que j’aimais m’abandonne parce que je suis pauvre… Mon père avait raison, les hommes ne valent rien… Il ne faut songer ici-bas qu’à soi-même.
MINON, s’agenouillant à sa gauche. Ma sœur !… ma sœur chérie…
BONAVENTURE, s’agenouillant à sa droite. Ah ! la bourgeoise !… si vous saviez !…
ROSALIE, les repoussant. Je n’ai plus de cœur.