La Bible enfin expliquée/Édition Garnier/Juges

Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 30 (p. 131-154).
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Juges.

Après la mort de Josué les enfans d’Israël consulterent le seigneur, disant : qui montera avec nous contre les cananéens, et sera chef de guerre ? Le seigneur dit : ce sera Juda qui montera ; car je lui ai donné cette terre. Juda monta donc, et Dieu lui livra le cananéen au nombre de dix mille hommes[1]. Puis Juda et Siméon son frere rencontrerent le roi Adonibézec dans Bézec ; ils le prirent et lui couperent les mains et les pieds. Alors Adonibézec dit : j’ai fait couper les mains et les pieds à soixante et dix rois qui mangeaient sous ma table les restes de mon dîné, Dieu m’a traité comme j’ai traité tous ces rois[2]. Dieu était avec Juda, et il se rendit maitre des montagnes ; mais il ne put vaincre les habitans des vallées, parce qu’ils avaient des chariots de guerre armés de faulx[3]. Les enfans d’Israël habiterent donc au milieu des cananéens, des héthéens, des amorrhéens, des phéréséens, des hévéens et des jébuséens. Ils épouserent leurs filles, et firent le mal aux yeux du seigneur, et ils adorerent Baal et Astaroth[4]. Le seigneur, étant donc en colere contre Israël, les livra entre les mains de Cuzan Razathaïm roi de Mésopotamie, dont ils furent esclaves pendant huit ans[5]. ... les enfans d’Israël furent esclaves d’églon roi des moabites pendant dix-huit ans... les enfans d’Israël envoyerent un jour des tributs à églon roi des moabites, par Aod fils de Géra. Aod se fit un poignard à deux tranchants, ayant au milieu une poignée de la longueur d’une palme, et le mit sous sa tunique sur sa cuisse droite... et il dit au roi dans sa chambre d’été, j’ai un mot à vous dire de la part de Dieu. Et le roi se leva de son trône, et Aod ayant porté sa main gauche sur son poignard à son côté droit, le lui enfonça dans le ventre si vigoureusement, que le manche suivit le fer et fut recouvert de la graisse d’églon, qui était fort gras. Et aussi-tôt les excréments du roi, qui étaient dans son ventre, sortirent par en bas...[6]. Aod se sauva pendant que tout le monde était troublé, et il sonna de la trompette sur la montagne d’éphraïm. Les israëlites suivirent Aod, ils se saisirent des gués du Jourdain par où l’on passe au pays des moabites ; et ils en tuerent environ dix mille, et aucun n’échappa[7]. Et le pays fut en repos pendant quatre-vingts ans... après Aod fut Sangar, qui tua six cents philistins avec un soc de charrue, et qui défendit Israël. Et après la mort d’Aod les fils d’Israël recommencerent à faire le mal aux yeux du seigneur ; et le seigneur les livra à Jabin roi des cananéens, dont la capitale était Azor[8]. Les fils d’Israël crierent donc au seigneur ; car Jabin avait neuf cents chariots de guerre armés de faulx ; et il les opprima avec véhémence pendant vingt ans[9]. Or il y avait une prophétesse nommée Débora femme de Lapidoth, laquelle jugeait le peuple... elle envoya donc chercher Barac, et lui dit : le seigneur Dieu d’Israël t’ordonne d’aller et de mener dix mille combattans sur le mont Thabor...[10]. Or Sizara (capitaine des armées du roi Jabin) fut saisi de terreur. Le seigneur renversa tous ses chariots et tous ses soldats dans la bouche du glaive, de sorte que Sizara descendit de son chariot pour mieux fuir à pied... Sizara ainsi fuyant parvint à la tente de Jahel femme d’Haber Cinéen, car il y avait paix alors entre Jabin roi d’Azor et la famille de Haber le Cinéen... Jahel étant donc venue au-devant du capitaine Sizara, lui dit : entrez dans ma tente, ne craignez rien. Il entra dans la tente, et elle le couvrit d’un manteau. Et il lui dit : donne-moi, je t’en prie, à boire, car j’ai grande soif. Elle lui donna du lait plein une peau de bouc. Et Sizara s’étant endormi, Jahel, femme d’Haber prenant un grand clou de sa tente avec un marteau, rentra tout doucement, et enfonça le clou à coups de marteau dans la tempe et dans la cervelle de Sizara jusqu’en terre. Et le sommeil de Sizara se joignit au sommeil de la mort[11]. Or les enfans d’Israël firent encore le mal devant le seigneur ; et il les livra pendant sept ans entre les mains des madianites, et ils furent très-opprimés. Ils se creuserent des antres dans les cavernes et dans les montagnes pour se cacher... et ils crierent au seigneur, lui demandant du secours contre les madianites... or l’ange du seigneur vint s’asseoir sous un chêne à éphra, appartenant à Joas le chef de la famille d’éfri. Et Gédéon son fils battait et vannait son bled dans le pressoir. L’ange du seigneur lui apparut donc et lui dit : Dieu est avec toi... tu délivreras Israël de la puissance des madianites. Et Gédéon lui dit : si j’ai trouvé grace devant toi, donne-moi un signe que c’est toi qui parle à moi ; reste ici jusqu’à ce que je revienne t’apporter un sacrifice. Gédéon, étant donc rentré chez lui, fit cuire un chevreau et des galettes de pain. Il mit le jus dans un pot, et l’apporta sous le chêne. L’ange du seigneur étendit la verge qu’il tenait à sa main ; et un feu sortit de la pierre sur laquelle était le chevreau et les galettes, il consuma tout, et l’ange disparut[12]. ... donc tout le madian, et Amalec, et tous les peuples orientaux s’assemblerent et passerent le Jourdain... mais l’esprit du seigneur remplit Gédéon, qui sonna du cornet et assembla toute la maison d’Abiézer... et Gédéon dit à Dieu : si tu veux sauver Israël par ma main, comme tu l’as dit, je vais mettre une toison dans mon aire ; et si la rosée ne tombe que sur la toison, le reste étant sec, je connaîtrai que tu veux sauver Israël par ma main. Et il fut fait ainsi, car se levant la nuit il pressa sa toison, et il en remplit une tasse de rosée. Il dit encore à Dieu : ne te fâche pas si je demande encore un signe pour gage ; je te prie que la toison seule soit seche, et que la terre d’alentour soit humide. Et Dieu fit cette nuit comme Gédéon avait demandé ; la toison fut seche, et la terre d’alentour fut humide[13]. ... Gédéon entra donc dans le camp des ennemis avec trois cents hommes à la premiere veille ; et ayant éveillé les gardes ils se mirent à sonner du cornet, à casser leurs cruches (dans lesquelles ils avaient mis leurs lampes), et tout le camp des madianites en fut troublé, et ils s’enfuirent en hurlant... or il ne resta à ce peuple oriental que quinze mille hommes, car on en tua cent vingt mille dans la bataille[14]. Gédéon eut soixante et dix fils sortis de sa cuisse, parce qu’il avait eu plusieurs femmes. Et une concubine qu’il avait à Sichem lui enfanta encore un fils nommé Abimélec. Et les sichémites lui donnerent soixante et dix sicles d’argent, qu’ils tirerent du temple de baal-bérith. Et Abimélec, avec cet argent, leva une troupe de gueux et de vagabonds. Et il vint à la maison de son pere (qui était mort), et il égorgea sur une même pierre ses soixante et dix freres fils de Gédéon. Et il ne resta que Joatham le dernier des enfans, qui fut caché[15]. Et tous les hommes de Sichem et de Mello, ou du Creux, allerent établir roi Abimélec près du chêne qui était dans Sichem. Et Joatham, l’ayant appris, se mit sur le haut de la montagne Garisim, et dit aux gens de Sichem. Les arbres allerent un jour pour oindre un roi ; et ils dirent à l’olivier : commande sur nous. L’olivier répondit : puis-je laisser mon huile, dont les dieux et les hommes se servent ? Puis au figuier... puis à la vigne, qui répondit : puis-je abandonner mon vin, qui est la joie de Dieu et des hommes... puis au buisson, qui dit : si vous me voulez pour roi, mettez-vous sous mon ombre, sinon que le feu sorte du buisson, et qu’il dévore les cedres du Liban... puis Joatham s’enfuit... Abimélec gouverna donc trois ans Israël[16]. ... le seigneur, étant en colere contre les israélites, les livra aux philistins et aux enfans d’Ammon, et ils furent violemment opprimés et affligés pendant dix-huit ans[17]. Il y avait en ce temps-là un homme très fort et bon guerrier nommé Jephté le galaadite, fils d’une prostituée et de Galaad. Or Galaad ayant eu d’autres fils de la femme, ceux-ci, étant devenus grands, chasserent Jephté de la maison comme fils d’une mere indigne. Et Jephté s’enfuit dans la terre de Tob, et se mit à la tête d’une troupe de gueux et de voleurs qui le suivirent[18]. En ce même temps les enfans d’Ammon combattant contre les enfans d’Israël, et les poursuivant vivement, les israélites se réfugierent vers Jephté, et lui dirent : soyez notre prince, et combattez pour nous. Ils s’en allerent donc avec lui en Galaad, et tout le peuple l’élut pour prince... Jepthé envoya des députés aux enfans d’Ammon, et leur fit dire : le seigneur Dieu d’Israël a détruit les amorrhéens combattants contre son peuple ; et maintenant vous voulez posséder les terres des amorrhéens ! ...[19]. Quoi donc ! Ce que votre dieu Chamos possede n’est-il pas à vous de droit ? Laissez-nous donc en possession de ce que notre dieu a obtenu par ses victoires. Nous avons habité pendant trois cents ans dans le pays conquis

pourquoi, dans tout ce temps-là, n’avez-vous pas reclamé vos droits ?[20]... après cela l’esprit du seigneur fut sur Jephté. Il courut tout le pays, et il voua un vœu au seigneur, disant : si tu me livres les enfans d’Ammon, je te sacrifierai en holocauste (au seigneur) le premier qui sortira des portes de ma maison, et qui viendra au-devant de moi... Jephté passa ensuite dans les terres des enfans d’Ammon, que Dieu livra entre ses mains, et il ravagea vingt villes... mais lorsque Jephté revint dans sa maison à Maspha, sa fille unique courut au-devant de lui en dansant au son du tambour. Et Jephté l’ayant vue déchira ses vêtements, et lui dit : hélas ! Ma fille, tu m’as trompé, et tu t’es trompée toi-même ; car j’ai fait un vœu au seigneur, et il faut que j’accomplisse mon vœu[21]. à quoi elle répondit : mon pere, si tu as fait un vœu fais moi selon ton vœu, puisque cela t’a fait remporter la victoire sur tes ennemis ; je ne te demande qu’une grace, laisse-moi descendre sur les montagnes, afin que je pleure ma virginité pendant deux mois avec mes compagnes... Jephté lui répondit, va ; et elle alla pleurer sa virginité sur les montagnes. Et après deux mois elle revint chez son pere, et son pere lui fit comme il avait voué, étant encore vierge. Et de là vient que la coutume est encore parmi les filles d’Israël, de s’assembler tous les ans, et de pleurer pendant quatre jours la fille de Jephté[22]. ... cependant les hommes d’éphraïm se mirent à crier, et passerent au septentrion, disant : pourquoi, allant contre les ammonites, ne nous a-t-on pas appellés ? Nous allons donc mettre le feu à ta maison... Jephté combattit donc contre éphraïm ; et ceux de Galaad défirent ceux d’éphraïm... ils se saisirent des gués du Jourdain par où les éphraïmites devaient s’enfuir. Et lorsqu’un éphraïmite, fuyant de la bataille, venait sur le bord de l’eau, et disait, laissez-moi passer, je vous prie, on lui répondait, prononce schiboleth , et comme ils prononçaient siboleth , on les tuait aussi-tôt au passage du Jourdain. Et il y en eut quarante-deux mille de tués [23]. ... Abdon fils d’Hilel de Paraton fut juge d’Israël. Il eut quarante fils, et de ces fils trente petits-fils, qui montaient sur soixante et dix ânons... et les enfans d’Israël firent encore le mal devant le seigneur, et ils furent esclaves des philistins pendant quarante ans... or il y avait un homme de la tribu de Dan nommé Manué, dont la femme était stérile. Et l’ange du seigneur apparut à sa femme et lui dit : tu es stérile, tu concevras, et tu enfanteras un fils : prends garde de ne boire du vin et de la biere ; tu ne mangeras rien d’immonde... le rasoir ne passera point sur la tête de ton fils, car il sera nazaréen de Dieu dès son enfance, et dès le ventre de sa mere... elle enfanta donc un fils, et elle l’appella Samson...[24] ... Samson descendit à Thamnatha ; et voyant des filles de philistins, il dit à son pere et à sa mere, j’ai vu des filles de philistins, j’en veux épouser une, donnez-moi celle-là parce qu’elle a plu à mes yeux...[25]. Il vit en chemin un jeune lion furieux et mugissant ; il le déchira comme un chevreau, n’ayant rien dans ses mains. Et quelques jours après il trouva un essaim d’abeilles dans la gueule du lion, et un rayon de miel...[26]. Après cela il continua son chemin. Et il prit trois cents renards, il les lia l’un à l’autre par la queue, et y attacha des flambeaux au milieu. Et ayant allumé les flambeaux il lâcha les renards, qui brûlerent tous les bleds des philistins, tant ceux qui étaient dans l’aire que ceux qui étaient sur pied, et les vignes, et les oliviers...[27]. ... et ayant trouvé une machoire d’âne qui était à terre, il tua mille hommes avec cette machoire.[28]... et le seigneur ouvrit une des dents molaires de la machoire d’âne, et il en sortit une fontaine. Et Samson ayant bu reprit ses forces... et Samson jugea vingt ans le peuple d’Israël[29]... il alla à Gaza, y vit une prostituée, et entra dans elle... il prit les deux portes de la ville de Gaza, et les porta en la montagne d’Hébron[30]... ... en ce temps-là il y eut un homme du mont éphraïm nommé Michas, qui dit à sa mere : les onze cents pieces d’argent que vous aviez serrées, et qu’on vous avait prises, je les ai, elles sont entre mes mains. Sa mere lui répondit : que mon fils soit beni au seigneur. Michas rendit donc ces pieces d’argent à sa mere, qui lui dit : j’ai voué cet argent au seigneur, afin que mon fils le reçoive de ma main, et qu’il en fasse une image sculptée jetée en fonte ; et voilà que je te le donne. Le fils rendit cet argent à sa mere, qui en prit deux cents pieces d’argent, qu’elle donna à un ouvrier en argent pour en faire un ouvrage de sculpture jeté en fonte, qu’on mit dans la maison de Michas. Il fit aussi un éphod et des téraphim, c’est-à-dire, des vêtements sacerdotaux et des idoles... il remplit la main d’un de ses enfants, et en fit son prêtre[31]. Il n’y avait point de roi alors en Israël, mais chacun fesait ce qui lui semblait bon. Il y eut aussi un autre jeune homme de Bethléem qui est en Juda, qui était son parent ; et il était lévite, et il habitait dans Bethléem. Et étant sorti de Bethléem pour voyager et chercher fortune, quand il vint au mont éphraïm il se détourna un peu pour aller dans la maison de Michas... interrogé par Michas d’où il venait, il répondit : je suis lévite de Bethléem de Juda ; je cherche à habiter où je pourrai. Michas lui dit : demeure chez moi, tu me seras pere et prêtre ; je te donnerai par an dix pieces d’argent et deux tuniques avec la nourriture... et en ce temps-là il n’y avait point de roi en Israël...[32]. Et la tribu de Dan cherchait des terres pour y habiter... ayant donc choisi cinq hommes des plus forts pour servir d’espions et reconnaître le pays, les cinq hommes vinrent à la montagne d’éphraïm... ils entrerent chez Michas, et ayant reconnu le lévite à son accent, ils le prierent de consulter le seigneur pour savoir si leur entreprise serait heureuse. Il leur répondit : allez en paix, le seigneur a regardé votre voie et le voyage que vous faites... donc les cinq espions s’en allerent à Laïs. Ils y virent les habitans qui étaient sans nulle crainte, en repos et en sécurité comme les sidoniens, personne ne leur résistant, extrêmement riches, éloignés de Sidon, et séparés du reste des hommes[33]. Ils revinrent donc vers leurs freres, auxquels ils dirent : montons vers ces gens-là, car la terre est très-riche et très-grasse... il partit donc alors de la tribu de Dan un corps de six cents hommes retroussés en armes belliqueuses... ils passerent en la montagne d’éphraïm, et étant venus en la maison de Michas... emporterent l’image taillée, l’ephod, les idoles, et l’image jetée en fonte. Le prêtre lévite leur dit : que faites-vous là ? Et ils répondirent : tais-toi ; ne vaut-il pas mieux pour toi d’être prêtre de toute une tribu d’Israël, que d’être prêtre chez un seul homme ? ... le lévite se rendit à leur discours. Il prit l’éphod, les idoles, et les images de sculpture, et il s’en alla avec eux.[34]... et Michas courut après eux en criant... ils dirent à Michas : que veux-tu ? Pourquoi cries-tu ? Michas répondit : vous m’enlevez mes dieux que je me suis faits, et mon prêtre ; et vous me demandez pourquoi je crie... les enfants de la tribu de Dan lui dirent : prends-garde, ne parle pas si haut, de peur qu’il ne vienne à toi des gens peu endurants, qui pourraient te faire périr toi et ta maison... ils continuerent donc leur chemin les six cents hommes et le prêtre, et ils vinrent dans la ville de Laïs chez ce peuple tranquille qui ne se défiait de rien. Ils firent périr par la bouche du glaive tous les habitants, et brûlerent la ville.[35]... ils s’aproprierent donc les idoles de sculpture, et ils établirent pour prêtre Jonathan fils de Gerson fils de Moyse, pour être leur prêtre lui et ses enfans dans la tribu de Dan jusqu’au jour où elle fut captive. Et l’idole de Michas demeura parmi eux tout le temps que la maison de Dieu fut à Silo[36]. Un lévite avec sa femme ne voulurent point passer par Jébus (qui fut depuis Jérusalem). Ils allerent à Gabaa pour y demeurer. Et y étant entrés, ils s’assirent dans la place publique, et personne ne voulut leur donner l’hospitalité. Un vieillard les fit entrer dans sa maison, et donna à manger à leur âne. Et quand ils eurent lavé leurs pieds, il leur fit un festin... pendant le souper il vint des méchants de la ville, gens sans frein, qui environnerent la maison du vieillard, frappant à la porte et criant : fais-nous sortir ce lévite afin que nous en abusions. Le vieillard allant à eux, leur dit : mes freres, ne faites point ce mal ; cet homme est mon hôte ; ne consommez pas cette folie ; j’ai une fille vierge, et cet homme a sa concubine avec lui ; je vous les amenerai pour que vous les mettiez sous vous et que vous assouvissiez votre débauche ;[37] seulement, je vous prie, ne commettez pas ce péché contre nature avec cet homme. Or le lévite, voyant qu’ils n’acquiesçaient pas à cette proposition, leur amena lui-même sa concubine ; il la mit entre leurs mains, et ils en abuserent toute la nuit. Quand les ténebres furent dissipées, la femme retourna à la porte de la maison et tomba par terre... le lévite s’étant levé pour continuer sa route, trouva sa femme sur le seuil étendue et morte. Ayant reconnu qu’elle était morte, il la mit sur son âne et s’en retourna en sa maison. Et étant venu chez lui, il prit un couteau et coupa le cadavre de sa femme en douze parts avec les os, et en envoia douze parts aux douze tribus d’Israël.[38]... alors tous les enfans d’Israël s’assemblerent comme un seul homme, depuis Dan jusqu’à Bersabée, devant le seigneur à Maspha. Et ils envoyerent des députés à toute la tribu de Benjamin pour leur dire : pourquoi avez-vous souffert un si grand crime parmi vous ? Livrez-nous les hommes de Gabaa coupables, afin qu’ils meurent. Les benjamites ne voulurent point écouter cette députation, mais ils vinrent de toutes leurs villes en Gabaa pour la secourir, et combattre contre tout le peuple d’Israël. Il y avait vingt-cinq mille combattants de la tribu de Benjamin outre ceux de Gabaa, qui étaient sept cents hommes très vaillants... et les enfans d’Israël étaient quatre cents mille hommes portant les armes[39]. Les enfans d’Israël marchant dès la pointe du jour, vinrent se camper près de Gabaa. Mais les enfans de Benjamin étant sortis de Gabaa tuerent en ce jour vingt-deux mille hommes des enfans d’Israël[40]. Et les enfans d’Israël monterent devant le seigneur et pleurerent devant lui, et le consulterent, disant : devons-nous combattre encore ? Et le seigneur leur répondit : allez combattre. Ils allerent donc combattre, et les benjamites leur tuerent encore dix-huit mille hommes.[41]... et l’arche du seigneur était en ce lieu... enfin le seigneur tailla en pieces aux yeux des enfans d’Israël vingt-cinq mille et cent benjamites ou grands guerriers... puis les benjamites, étant entourés de leurs ennemis, perdirent dix-huit mille hommes en cet endroit, tous gens de guerre et très-robustes... ceux qui étaient restés prirent la fuite ; mais on en tua encore cinq mille. Et ayant passé plus loin on en tua encore deux mille,[42]... les enfans d’Israël étant retournés du combat tuerent tout ce qui restait dans Gabaa, depuis les hommes jusqu’aux bêtes. Et une flamme dévorante détruisit toutes les villes et les villages de Benjamin... or les enfans d’Israël avaient juré à Maspha, disant : nul de nous ne donnera ses filles en mariage aux fils de Benjamin. Ils vinrent donc tous en la maison de Dieu à Silo, et ils commencerent à braire et à pleurer, disant : pourquoi un si grand mal est-il arrivé ? Faudra-t-il qu’une de nos tribus périsse ? ... où nos freres de Benjamin prendront-ils des femmes ?[43] car nous avons juré tous ensemble que nous ne leur donnerions point nos filles ! ... ils dirent alors : il n’y a qu’à voir qui sont ceux de toutes les tribus qui ne se sont point trouvés au rendez-vous de l’armée à Maspha. Et il se trouva que ceux de Jabés ne s’y étaient point trouvés. Ils envoyerent donc dix mille hommes très-robustes avec cet ordre : allez, et frappez dans la bouche du glaive tous les habitans de Jabès, tant les femmes que les petits enfans, tuez tous les mâles et les femmes qui ont connu des hommes, et réservez les filles... or il se trouva dans Jabès quatre cents filles qui étaient encore vierges. On les amena au camp de Silo dans la terre de Canaan[44]. Alors les enfans de Benjamin revinrent, et on leur donna pour femmes ces quatre cents filles de Jabès. Mais il en fallait encore deux cents ; et on ne pouvait les trouver. Voici donc la résolution que les israélites prirent : voici une fête qui va se célébrez au seigneur dans Silo ; benjamites, cachez-vous dans les vignes ; et lorsque vous verrez les filles de Silo venir danser en rond selon la coutume, sortez tout d’un coup des vignes, que chacun prenne une fille pour sa femme, et allez au pays de Benjamin. Les fils de Benjamin firent selon qu’il leur avait été prescrit ; chacun prit une des filles qui dansaient en rond, et ils allerent rebâtir leurs villes et leurs maisons[45].

  1. Le lecteur peut s’étonner, après avoir vu Josué, à la tête de six cent mille combattants, mettre à feu et à sang le pays de Chanaan, de voir encore ces mêmes vainqueurs obligés de combattre contre ces mêmes vaincus. La réponse est que quelques-uns avaient échappé, puisqu’n voilà dix mille que Dieu donne tuer à Juda. On dispute si c’est à un capitaine nommé Juda, ou à la tribu de ce nom; mais capitaine ou tribu, c’est une victoire de surérogation; 5note de Voltaire.)
  2. le lecteur croirait encore peut-être qu’il suffisait de trente et un rois pendus ; mais en voilà encore soixante et dix non moins maltraités dans un pays de sept à huit lieues ; car il paraît, par les autres endroits du texte, que le peuple juif n’en possédait pas alors davantage. On demande comment le roi Adonibézec, dont on ignore le royaume, pouvait avoir sous sa table soixante et dix rois qui mangeaient sans mains. De plus il fallait que cette table eût au moins six vingts pieds de long. Enfin les critiques trouvent ici cent et un rois dans un pays un peu serré. Chaque roi ne pouvait avoir un royaume d’un demi quart de lieue. Ce sont des critiques frivoles, et des détails qui ne touchent point au fond des choses toujours très-respectables.
  3. les savants critiques ont élevé une grande dispute sur ce fameux passage. La plupart ont assuré qu’il est impossible de faire manœuvrer des chariots de guerre dans ce pays, tout couvert de montagnes et de cailloux. Secondement ils disent que le pays ne nourrissait point de chevaux ; et ils en aportent pour preuve tous les endroits de l’écriture où il est raconté que la plus grande magnificence était de monter sur de beaux ânes. Et jusqu’au temps des rois on voit que Saül courait après les ânesses de son pere quand il fut couronné. Troisiemement, il n’est point dit que ces peuples, cachés dans leurs montagnes et dans leurs cavernes, eussent jamais fait la guerre à personne avant que les israélites vinssent mettre tout leur pays à feu et à sang ; par conséquent ils ne pouvaient avoir des chariots de fer armés en guerre. Ces chariots ne furent inventés que dans les grandes plaines qui sont vers l’Euphrate. Ce sont les babyloniens et les persans qui mirent cette invention en pratique deux ou trois siecles après Josué. Quatriemement, on reproche à l’auteur sacré d’avoir laissé entendre que le seigneur pouvait beaucoup sur les montagnes, mais qu’il ne pouvait rien dans les vallées, et que les juifs ne regardaient leur dieu que comme un dieu local, comme le dieu d’un certain district, n’ayant aucun crédit sur celui des autres ; semblable en cela à la plupart des dieux des autres nations. Mais le dieu du ciel et de la terre s’était choisi, selon tous les interpretes, un peuple particulier, et un lieu particulier pour y exercer justice et miséricorde.
  4. les critiques ne comprennent pas comment, tous les cananéens ayant été exterminés par une armée de six cents mille israélites, et tout ayant été passé au fil de l’épée sans miséricorde, les hébreux cependant épouserent leurs filles, et donnerent les leurs aux enfans de ces peuples. Mr Freret soutient que le texte est corrompu. Cette contradiction, dit-il, est trop forte. On fait dire dans le livre des juges tout le contraire de ce qu’on a dit dans le livre de Josué. Le livre des juges se contredit lui-même ; il y est énoncé, que les jébuséens demeurerent dans Jérusalem avec les enfans de Benjamin, comme ils y sont encore aujourd’hui . Et il est dit dans Josué, que les enfans de Juda ne purent exterminer les habitans de Jérusalem, et que le jébuséen y habita avec les enfans de Juda jusqu’à aujourd’hui . C’est sur quoi m l’abbé de Tilladet, et surtout Mr l’abbé de Longuerue, avaient proposé de remettre dans leur ordre tous les passages de l’écriture qui semblent se contredire, et principalement les premiers chapitres des juges et les derniers chapitres de Josué. Mais il n’y avait que l’église seule, assemblée en concile, qui pût entreprendre un ouvrage si hardi et si pénible. Il eût fallu confronter tous les exemplaires des bibles, toutes les différentes fautes des copistes, toutes les différentes leçons. Il a paru plus prudent de laisser l’ivraie avec le bon grain, que de s’exposer à perdre l’un et l’autre à la fois. Il ne reste aux fideles qu’à se défier de ce qui est intelligible, et à ne point chercher l’explication de ce qui est trop obscur. Le médecin Astruc lui-même y a échoué.
  5. Wolston ose déclarer nettement que l’histoire des juges est fausse, ou que celle de Josué l’est d’un bout à l’autre. Il n’est pas possible, dit-il, que les juifs aient été esclaves immédiatement après avoir détruit tous les habitans du Canaan avec une armée de six cents mille hommes. Quel est ce Cuzan Razathaïm roi de Mésopotamie, qui vient tout d’un coup mettre à la chaîne tous les enfans d’Israël ? Comment est-il venu de si loin, sans qu’on dise rien de sa marche ? Le texte dit bien, à la vérité, que c’est un châtiment du seigneur pour avoir donné leurs filles en mariage aux cananéens, et pour en avoir reçu des filles. Mais il est trop aisé de dire, que lorsqu’on a été vaincu c’est parce qu’on a péché, et que quand on a été vainqueur c’est parce qu’on a été fidele. Il n’y a aucune nation ni aucune bourgade de sauvages qui n’en puisse dire autant. Il sera toujours impossible de comprendre comment six cents mille hommes peuvent avoir été réduits en servitude dans le même pays qu’ils venaient de conquérir ; de-même qu’il est impossible qu’ils aient exterminé tous les anciens habitans, et qu’ensuite ils se soient alliés avec eux. Cette foule de contradictions n’est pas soutenable. Il est dit qu’au bout de huit ans d’esclavage ils chasserent et tuerent ce Cuzan Razathaïm roi de Syrie et de Mésopotamie ; mais on ne nous instruit point d’une guerre qui dut être si considérable, et le lecteur reste dans l’incertitude. Nous avons avoué dans toutes nos remarques, que le texte de l’écriture est très difficile à entendre. Il peut y avoir des transpositions de copiste ; et une seule suffit quelquefois pour répandre de l’obscurité dans toute l’histoire. Nous rédisons que le mieux est de s’en rapporter aux interpretes approuvés par l’église.
  6. c’est cette aventure si célebre qui a été tant de fois citée chez plus d’un peuple chrétien, et dont on a tant abusé pour exciter les fanatiques au parricide et à l’assassinat des rois. On sait assez que du temps de la ligue en France les prédicateurs criaient en chaire, il nous faut un aod. Grand dieu, donnez-nous un aod ! La sainte église n’aura-t-elle jamais un aod ? On sait comme le moine Jacques Clément fut béatifié, comme on mit son portrait sur l’autel, comme on l’invoqua ; et on en aurait fait autant de Ravaillac, si Henri Iv s’était trouvé dans les mêmes circonstances que Henri Iii. Les romains ont toujours révéré Scévola, qui voulut assassiner leur roi Tarquin. Les athéniens dresserent des statues à Harmodius et à Aristogiton, assassins des enfans de Pisistrate. Henri de Transtamare a été loué des historiens espagnols, pour avoir assassiné son propre frere et son roi légitime désarmé dans sa tente. Philippe Ii, roi d’Espagne donna la noblesse, non seulement de mâle en mâle, mais de fille en fille, à la famille de Baltazar Gérar assassin de Guillaume prince d’Orange. Milton a fait un livre entier pour justifier l’assassinat juridique du roi Charles Premier, et dans ce livre il parcourt tous les meurtres des rois rapportés dans l’histoire sainte et dans l’histoire profane. On peut regarder ce livre comme le dictionnaire des assassinats. Gordon, dans ses notes, est pénétré d’une respectueuse admiration pour l’assassinat de Jules-César, tué en plein sénat par vingt peres-conscrits qu’il avait comblés de biens et d’honneurs. Ces assassins avaient le même prétexte qu’Aod, la liberté. Il n’est point spécifié dans la sainte écriture que Dieu ait ordonné à cet Aod d’aller enfoncer son poignard dans le ventre de son roi. Mais Aod, pour récompense, fut juge du peuple de Dieu. Cet exemple ne peut tirer à conséquence ; un jugement particulier du seigneur ne peut prévaloir contre les loix du genre humain émanées de Dieu même. Aod était inspiré par le seigneur ; et le moine Jacques Clément ne fut inspiré que par la rage du fanatisme.
  7. les moabites ont été détruits par Josué ; et ils reparaissent et reparaîtront encore. Aod en tue dix mille. Il faut remarquer que ce petit pays de Moab ; n’est point situé dans le Canaan propre, mais fort loin dans le désert de Syrie ; qu’il n’y a jamais eu dans ce désert qu’une très-petite horde d’arabes vagabonds ; que jamais il n’y eut ni ville, ni habitation fixe ; que le pays n’est qu’un sable stérile, que ce n’est qu’un passage pour aller vers Damas.
  8. qu’entend l’auteur par un repos de quatre-vingts ans ? Ces mots ne peuvent signifier que les juifs furent les maîtres de la contrée pendant ce grand nombre d’années, mais seulement qu’on ne les inquiéta pas. Il faut bien pourtant qu’on les inquiétât, puisque Sangar, successeur d’Aod, tue six cents palestins, ou philistins, ou phéniciens, avec le fer d’une charrue. Il fallait que ce Sangar fût aussi fort que Samson. Immédiatement après, les juifs sont réduits en esclavage pour la troisieme fois par ces mêmes cananéens qui avaient été exterminés jusqu’au dernier. Ce cahos historique est bien difficile à débrouiller. L’auteur sacré écrivait pour des juifs, qui probablement étaient instruits des particularités de leur histoire, et qui entendaient aisément ce que nous ne pouvons comprendre.
  9. on n’a point encore entendu parler de ce roi Jabin, qui régnait dans le Canaan envahi par Josué, et qui avait neuf cents chariots de guerre. Nous ne pouvons dire de ces chariots que ce que nous en avons déja dit. Diodore de Sicile nous conte que le prétendu Sésostris alla conquérir le monde avec dix-huit cents chariots. Le roi Jabin n’en pouvait conquérir que la moitié. Mais où avait-il pris ses neuf cents chariots ? Et toujours la même question : comment les six cents mille soldats de Josué, qui en avaient dû engendrer douze cents mille autres, furent-ils esclaves, et leurs enfans aussi ? Esclaves dans ce petit terrein que Dieu leur avait promis par serment ! ô altitudo !
  10. Débora est la seconde prophétesse, car Marie, sœur de Mosé, le fut avant elle. Mais Débora fut la premiere et la seule qui fût juge. On est surpris de ne trouver ni dans le lévitique, ni dans le deutéronome, ni dans l’exode, ni dans les nombres, aucune loi qui permette aux femmes de juger les hommes. Il y a eu de tout temps, et dans toutes les histoires anciennes, des femmes qui ont prédit l’avenir, mais on ne leur attribua jamais de jurisdiction. Le mont Thabor est très-loin au septentrion de cette ville d’Azor où demeurait le roi Jabin, dans la basse Galilée. Il fallait donc que le roi Jabin eût conquis tout le Canaan. Aussi quelques auteurs juifs lui donnent une armée de trois cents mille fantassins, de dix mille cavaliers, et de trois mille chariots. Le mont Thabor est une montagne très-célebre dans l’écriture sainte, par la splendeur qui brilla sur la robe de Jesus-Christ, et par l’entretien qu’il eut avec Mosé et élie.
  11. l’action de Jahel a été regardée par les critiques comme plus horrible encore que l’assassinat du roi Eglon par Aod ; car Aod pouvait avoir du moins quelque excuse de tuer un prince qui avait rendu sa nation esclave ; mais Jahel n’était point juive, elle était femme d’un cinéen qui était en paix avec le roi Jabin. Nous n’examinons pas ici, comment le texte peut dire qu’un particulier était en paix avec un roi qui avait trois cents mille hommes sous les armes. Nous n’examinons que la conduite de Jahel qui assassine le capitaine Sizara à coups de marteau, et qui cloue sa cervelle à terre. On ne dit point quelle récompense les juifs lui donnerent. Seulement on lui donne des éloges dans le cantique de Débora. Elle n’aurait aujourd’hui chez nous ni récompense ni éloge. Les temps sont changés. Il est vrai que dans la guerre des fanatiques des Cévenes, ces malheureux avaient une prophétesse nommée la grande Marie, qui dès que l’esprit lui avait parlé, condamnait à la mort les captifs faits à la guerre ; mais c’était un abus horrible des livres sacrés. C’est le propre des fanatiques qui lisent l’écriture sainte, de se dire à eux-mêmes : Dieu a tué, donc il faut que je tue ; Abraham a menti, Jacob a trompé, Rachel a volé, donc je dois voler, tromper, mentir. Mais, malheureux ! Tu n’es ni Rachel, ni Jacob, ni Abraham, ni Dieu : tu n’es qu’un fou furieux ; et les papes qui défendirent la lecture de la bible furent très-sages.
  12. Vorstius rejette l’histoire de Gédéon, et la croit insérée dans le canon par une main étrangere. Il la déclare indigne de la majesté du peuple de Dieu. Ce n’est pourtant pas à nous à décider de ce qui en est digne. Gédéon ne fait ici que ce que fit Abraham. Dieu donna aussi un signe à Mosé. Dieu donne des signes à presque tous les prophetes juifs. Que ce soit dans un palais ou dans une grange, il n’importe. Dieu gouverna les juifs immédiatement par lui-même ; il leur parla toujours lui-même, soit pour les favoriser soit pour les châtier. Il leur donna toujours des signes lui-même ; il agit toujours lui-même. Il apparaissait toujours en homme. Mais à quoi pouvait-on le reconnaître ?
  13. le curé Jean Mêlier, dans son testament, tourne toute cette histoire en ridicule, et le pot rempli de jus, et l’aire et le pressoir de Gédéon, et ce pauvre homme qui est esclave dans un pays que son grand-pere avait conquis, étant un des six cents mille vainqueurs de la Palestine, et sa défiance quand il est sûr que c’est Dieu-même qui lui parle, et ses discours avec Dieu, et les réponses de Dieu, et la toison tantôt seche, tantôt humide. Tout cela, cependant, n’est pas plus extraordinaire que le reste. Calmet a raison de dire, que si on se révolte contre le merveilleux il faudra se révolter contre toute la bible. C’est pousser les incrédules au pied du mur. Ils ne veulent jamais comprendre que ces temps-là n’ont aucun rapport avec les nôtres.
  14. à la vérité les gens de guerre de nos jours ne hazarderaient pas un pareil stratagême. Ce n’est point avec trois cents cruches qu’on gagne à présent des batailles. Le texte dit que chacun des trois cents combattans tenait une lampe de la main gauche, et un cornet de la main droite. Ces armes sont faibles ; leurs lampes ne pouvaient servir qu’à faire discerner leur petit nombre. Celui qui tient une lampe est vu plutôt qu’il ne voit, à moins qu’il n’ait une lanterne sourde. C’est-là ce que disent les critiques. Aussi cette victoire de Gédéon doit être regardée comme un miracle, et non comme un bon stratagême de guerre. Ce qui rend le miracle évident, c’est que ces trois cents hommes, armés d’une lampe et d’un cornet, tuent cent vingt mille madianites. Nous passons ici sous silence les peuples de Socoth, dont Gédéon brisa les os avec les épines du désert, pour avoir refusé des rafraichissements à ses troupes fatiguées d’un si grand carnage. Nous verrons David en faire autant. Les juifs, et peuple et chefs et rois et prêtres, ne sont pas trop miséricordieux.
  15. les critiques se soulevent contre cette multitude abominable de fratricides. Ils disent que ce crime est aussi improbable qu’odieux. La raison d’état, cette infame excuse des tyrans, ne pouvait être connue selon eux de la petite horde juive à peine sortie d’esclavage, et qui ne possédait pas alors une ville. Ces cruautés n’ont été exercées, dit-on, que dans de vastes empires, pour prévenir les révoltes des freres. Si Clotaire et Childebert fils de Clotilde assassinerent deux petits enfans de Clotilde presque au berceau, si Richard Iii en Angleterre assassina ses deux neveux, si Jean Sans Terre assassina le sien ; nous étions tous des barbares en ces temps-là : mais ces horreurs n’approchent pas de celle d’Abimélec, qui fut commise sans être excitée par un grand intérêt. Il semble que les juifs ne tuent que pour avoir le plaisir de tuer. On les représente continuellement comme le peuple le plus féroce, et le plus imbécille à la fois, qui ait souillé et ensanglanté la terre. Mais remarquons que les livres sacrés ne louent point cette action comme ils louent celles d’Aod et de Jahel. Les critiques reprochent encore au peuple de Dieu, de n’avoir point eu de temple lorsque les phéniciens en avoient à Baal-Bérith, à Sidon, à Tyr, à Gaza. Ils ne peuvent concevoir comment le dieu jaloux ne voulut pas avoir un temple aussi, et donner à son peuple de quoi en bâtir un, après lui avoir tant juré qu’il lui donnerait tous les royaumes, de la mer Méditerranée à l’Euphrate. Ils demandent toujours compte à Dieu de ses actions ; et nous nous bornons à les révérer.
  16. voici le premier apologue qui soit parvenu jusqu’à nous ; car il y en a de plus anciens chez les arabes, les persans et les indiens. Les censeurs, qui ont objecté que les arbres ne marchent pas, devaient considérer que si la fable les fait parler, elle peut les faire marcher. Cet apologue est tout-à-fait dans le goût oriental. Le seul défaut de cette fable, est qu’elle ne produit rien ; au contraire, Abimélec n’en regne pas moins sur les hébreux : c’est-là le grand reproche de tous les critiques. Ils ne peuvent souffrir que le guide, l’ami, le dieu de Mosé, de Josué, le conducteur de son peuple, fasse régner un aussi grand scélérat qu’Abimélec. Jean Mêlier s’emporte jusqu’à dire, que cette fable du regne d’Abimélec est bien plus fable que celle des arbres, et d’une morale bien plus condamnable, et qu’on ne sait quel est le plus cruel, de Mosé, de Josué et d’Abimélec. Woolston prétend que les juifs étaient alors idolâtres ; et sa raison est que l’olivier dit que son jus plait aux dieux et aux hommes. Il veut prouver d’après les prophetes, et d’après st étienne, qu’ils furent toujours idolâtres dans le désert, où ils n’adorerent que les dieux Rempham et Kium ; et il conclut dela que la religion juive ne fut véritablement formée qu’après la dispersion des dix tribus, et après la captivité de Babylone. Il est vrai que les juifs, de leur propre aveu, furent très souvent idolâtres ; mais aussi c’est pour cela sans doute qu’ils furent si malheureux.
  17. voilà encore, disent les critiques, les juifs errants ou en esclavage pendant dix-huit ans. C’est la sixieme servitude dans laquelle ils croupirent, après s’être rendus maîtres de tout le pays avec une armée de six cents mille hommes. Il n’y a point d’exemple d’une contradiction pareille dans l’histoire profane.
  18. Tolland, Tindal, Woolston, le Lord Bolingbroke, Mallet son éditeur, pretendent prouver que les hébreux n’étaient que des arabes voleurs, sans foi, sans loi, sans principe d’humanité, dont la seule demeure était dans des cavernes dont ce pays est rempli, et qu’ils en sortaient quelquefois pour aller piller ; et que les peuples voisins les poursuivirent comme des bêtes sauvages, tantôt les punissant par le dernier supplice, tantôt les mettant en esclavage. Les juifs-mêmes avouent, dans les livres composés par eux si longtemps après, que Jephté n’était qu’un chef de voleurs, Abimélec un autre chef de voleurs, souillé du sang de toute sa famille. Ces critiques n’ont pas honte de mettre Josué, Caleb, éléazar, et Mosé lui-même, au nombre de ces voleurs. Le Lord Bolingbroke dit après Marsham, que toutes les hordes arabes de ce pays-là avaient coutume de voler au nom de leurs dieux, et que c’était un ancien proverbe arabe, Dieu me l’a donné, pour signifier je l’ai volé . Ils soutiennent qu’il n’y avait point d’autre jurisprudence parmi ces barbares, et que le fond même de toutes les loix du pentateuque se rapporte au brigandage, puisque la prétendue famille d’Abraham étant venue des bords de l’Euphrate, ne pouvait avoir rien acquis vers le Jourdain que par usurpation. Nous répondons qu’il fallait bien que les hébreux eussent déjà des loix, quand même ils auraient été aussi barbares et aussi voleurs que ces critiques les représentent ; car Jephté est chassé de la maison de son pere comme fils d’une prostituée. Ils repliquent qu’il n’y a aucune loi dans le pentateuque-même contre les enfans des prostituées, et que, selon le texte, les enfans des servantes de Rachel et de Lia hériterent comme les enfans de leurs maîtresses ; que par conséquent aucune jurisprudence n’était encore établie chez le peuple juif ; qu’il n’y eut jamais de véritable loi dans ce temps-là parmi ces peuples vagabonds que la loi du partage des dépouilles ; et qu’enfin, toute cette histoire n’est qu’un récit confus de vols et de brigandages. Calmet, sur ce passage de Jephté, avoue expressément, que le nom de voleur n’était pas aussi odieux autrefois qu’aujourd’hui . Aucune de ces raisons pour et contre ne détruit le grand principe, que Dieu donne les biens à qui il lui plait. C’est-là, selon notre avis, le grand dénouement qui résout toutes les difficultés des incrédules.
  19. cette députation et ce discours montrent évidemment, qu’il y avait déjà chez ces peuples un droit des gens reconnu. Jephté, tout chef de voleurs qu’il est, agit en prince légitime dès qu’il est reconnu chef des hébreux. Il envoie des ambassadeurs pour représenter ses raisons avant de les soutenir par les armes. Nos adversaires ne répondent à cet argument qu’en niant tous les anciens livres hébreux, et qu’en soutenant toujours qu’ils n’ont pu être compilés que par des lévites ignorants dans des siecles très éloignés de ces temps sauvages. Comme les juifs, s’étant enfin établis à Jérusalem, eurent toujours la guerre avec les peuples voisins, ils voulurent enfin établir quelques anciens droits sur les terres qu’on leur disputait ; et ce fut alors, disent les critiques, que les lévites compilerent ces livres sur d’anciennes traditions ; plus ils les remplirent de faits extraordinaires, de l’intervention continuelle de la divinité, et de prodiges entassés sur d’autres prodiges, plus ils éblouirent leur peuple superstitieux et barbare. L’intérêt personnel de ces lévites, auteurs de ces livres, était qu’on crût fermement tous les faits qu’ils annonçaient au nom de Dieu ; puisque c’était sur la croyance de ces faits-mêmes que leur subsistance était fondée. Remarquons que ce systême des incrédules n’est établi que sur une conjecture ; et qu’une supposition, quand même elle serait très vraisemblable, ne suffit pas pour constater les faits.
  20. nous sommes obligés de réfuter les critiques presque à chaque ligne. C’est ici leur plus grand triomphe. Ils croient voir une égalité parfaite entre Chamos dieu des ammonites, et Adonaï dieu des juifs. Ils sont convaincus que chaque petit peuple avait son dieu, comme chaque armée a son général. Salomon même bâtit un temple à Chamos. Ils croient que Kium, Phégor, Belréem, Belzébuth, Adonis, Thammus, Moloc, Melchom, Baalméom, Adad, Amalec, Malachel, Adramalec, Astaroth, Dagon, Dercéto, Atergati, Marnas, Turo, etc. étaient des noms différents qui signifiaient tous la même chose, le seigneur du lieu. Chacun avait son seigneur du lieu ; et c’était à qui l’emporterait sur les autres seigneurs. Chaque peuple combattait sous l’étendart de son dieu, comme des peuples barbares de l’Europe combattirent sous les étendarts de leurs saints après la destruction de l’empire romain. Nos incrédules soutiennent que cette vérité est pleinement reconnue par Jephté. Ce que Chamos vous a donné est à vous, ce qu’Adonaï nous a donné est à nous. Il n’y a point de sophisme qui puisse détruire un aveu si clair, et si clairement énoncé. Calmet dit, que c’est une figure de discours qu’on appelle concession . Mais il n’y a point là de figure de discours, c’est un principe que Jephté établit nettement, et sur lequel il raisonne. Il faut, ou rejetter entiérement le livre des juges, ou convenir que Jephté admet deux dieux également puissants. La meilleure réponse, à notre avis, serait que le texte est corrompu dans cet endroit par les copistes, et qu’il n’était pas possible que Jephté, qui avait entendu parler de tous les miracles du dieu des juifs en faveur de son peuple, pût croire qu’il y eut un autre dieu aussi puissant que lui : ... etc. On pourrait encore dire que Jephté était fils d’un adorateur de Baal, et que peut-être il n’était pas encore assez instruit de la religion du peuple juif qui l’avait choisi pour son chef.
  21. ce mot seul, je te sacrifierai en holocauste, décide la question, si longtemps agitée entre les commentateurs, si Jephté promit un vrai sacrifice, ou simplement une oblation qu’on pouvait évaluer à prix d’argent. S’il ne s’était agi que de quelques sicles, de quelques dragmes, ce capitaine n’aurait pas déchiré ses vêtements en voyant sa fille ; il n’aurait pas dit en gémissant : j’ai fait un vœu, il faut que je l’accomplisse. Il est statué expressément au chapitre 27 du lévitique, que tout ce qui sera voué au seigneur, soit homme, soit animal, ne sera point racheté, mais mourra de mort . Nous sommes donc obligés malgré nous de convenir, que selon le texte indisputable des livres sacrés, Dieu, maître absolu de la vie et de la mort, permit les sacrifices de sang humain. Il les ordonna même. Il commanda à Abraham de sacrifier son fils unique ; et il reçut le sang de la fille unique de Jephté. S’il arrêta le bras d’Abraham, c’est que son fils devait produire la race des juifs ; et s’il n’arrêta pas le bras de Jephté, c’est probablement parce que le peuple juif était déjà nombreux. Nous ne proposons cette solution qu’avec défiance, sachant bien que ce n’est pas à nous de deviner les desseins et les raisons de Dieu.
  22. la fille de Jephté demande de pleurer sa virginité avant de mourir. C’était le plus grand malheur pour les filles de cette nation, de mourir vierges ; delà vient qu’il n’y eut jamais de religieuses chez les juifs. Le mot descendre sur les montagnes n’est qu’une faute de copiste, une inadvertence. Les mots, il lui fit comme il avait voué, marquent trop clairement que le pere immola sa fille. Il avait voué un holocauste. Calmet traduit très infidelement le texte par ces mots, elle demeura vierge ; il y a, étant encore vierge, ignorant l’homme . Cette faute est d’autant plus impardonnable à Calmet, que dans sa note il dit tout le contraire. La voici, il l’immola au seigneur, elle était encore vierge . Et dans sa dissertation sur le vœu de Jephté, il avoue que cette fille fut immolée. Une raison non moins forte que Calmet devait alléguer, c’est que les filles juives pleurerent tous les ans la fille de Jephté pendant quatre jours ; et cette coutume dure encore, dit le texte. Or certainement on n’aurait point pleuré tous les ans une fille qui n’aurait été qu’offerte au seigneur, consacrée, religieuse. Il résulte de cette histoire que les juifs immolaient des hommes, et même leurs enfans ; c’est une chose incontestable. Le même commentateur dit que le sacrifice d’Iphigénie est pris de celui de la fille de Jephté. Rien n’est plus mal imaginé ; jamais les grecs ne connurent les livres des juifs ; et les fables grecques eurent toujours cours dans l’Asie. Si le livre des juges fut écrit du temps d’Esdras, il y avait alors cinq cents ans que l’avanture d’Iphigénie, vraie ou fausse, était publique. Si ce livre fut écrit du temps de Saül, comme quelques-uns le prétendent, il y a plus de deux cents ans entre la guerre de Troye, et l’élection du roi Saül. Langlet, dans toutes ses tables chronologiques, dit que Jephté fit un vœu indiscret de consacrer sa fille à une virginité perpetuelle. Rien n’est plus mal imaginé encore. Où serait l’indiscrétion si la virginité n’avait pas été une espece d’opprobre chez les juifs ? Le pere Pétau, plus sincere, dit, unicam filiam mactavit . Flavien Joseph, le seul juif qui ait écrit avec quelque ombre de méthode, dit positivement que Jephté immola sa fille. Cela ne prouve pas que l’histoire de Jephté soit vraie, mais que c’était l’opinion commune des juifs. Un historien profane, qui n’est pas contemporain, n’est que le secrétaire des bruits publics ; et Flavian Joseph est un auteur profane.
  23. Mr Boulanger prétend que Jephté n’était point un hébreu : " qu’il n’est dit nulle part qu’il fut hébreu ; que c’était un paysan des montagnes de Galaad, qui ne furent point alors possédées par les juifs ; que s’il avait été prince des hébreux, la querelle de la tribu d’éphraïm n’aurait pas eu la moindre vraisemblance ; que d’ailleurs les gués du Jourdain prouvent que le reflux du Jourdain vers sa source, du temps de Josué, est un miracle inutile et absolument faux ; que la fable de quarante-deux mille hommes tués l’un après l’autre aux gués du Jourdain, pour n’avoir pu prononcer schiboleth, est une des plus grandes extravagances qu’on ait jamais écrites ; que si quatre ou cinq fuyards seulement avaient été tués à ces passages pour n’avoir pu bien prononcer, les quarante-deux mille suivants ne s’y seraient pas hazardés. Et de plus, dit-il, jamais ni la tribu d’éphraïm, ni toutes les tribus ensemble de ce misérable peuple, ne purent avoir une armée de quarante mille hommes ; tout est exageré et absurde dans l’histoire juive ; et il est aussi honteux de la croire, que de l’avoir écrite. " il faut avouer que nul homme n’a parlé avec plus d’horreur et de mépris pour la nation juive que Mr Boulanger, excepté peut-être Mylord Bolingbrocke. Nous nous sommes fait une loi de rapporter toutes les objections, sans en rien diminuer, parce que nous sommes sûrs qu’elles ne peuvent faire aucun tort au texte. Nous ne déciderons point dans quel temps l’histoire sacrée de Jephté fut écrite ; il suffit qu’elle soit reconnue pour canonique.
  24. nous voici à cette fameuse histoire de Samson, l’éternel sujet des plaisanteries des incrédules. D’abord ils parlent de cette servitude de quarante années comme des autres. C’est leur continuel argument contre la protection de Dieu accordée à ce peuple, et contre les miracles faits en sa faveur. Jamais, disent-ils, on ne vit rien de plus injurieux à la divinité que de faire son peuple toujours esclave. Et il n’y a pas de plus mauvaise excuse que d’imputer son esclavage à ses péchés ; car ces vainqueurs étaient des idolâtres beaucoup plus pécheurs encore, s’il est possible. On répond que Dieu châtiait ses enfants plus sévérement qu’un autre peuple ; parce qu’ayant plus fait pour eux ils étaient plus criminels. Le rasoir qui ne devait point passer sur la tête de Samson forme une petite difficulté. On ne rasait point les juifs ; ils portaient tous leurs cheveux. On consacrait quelquefois une petite partie de ses cheveux à tous les dieux de l’antiquité. On mettait un peu de ces cheveux sur les tombeaux. Et pour se couper les cheveux il semble qu’il fallait plutôt des ciseaux qu’un rasoir. Cependant, on se rasait entiérement chez presque toutes les nations, quand on venait remercier les dieux d’être échappé d’un grand péril. La plupart de ces coutumes viennent d’égypte, où les prêtres étaient rasés. Les nazaréens chez les juifs ne se rasaient point la tête pendant le temps de leur nazaréat ; mais ils se rasaient le premier jour de cette consécration. Or ici il est dit que Samson ne se rasa jamais. C’était donc une sorte de nazaréat différente de celui qui était en usage. Sa force singuliere pour laquelle il était si renommé, consistait en ses cheveux. L’ancienne fable du cheveu de Nisus roi de Mégare, et de Corneto fille de Ptérélas, est, selon nos critiques, la source dans laquelle une partie de l’histoire de Samson est puisée. Ils croient que le reste est pris de la fable d’Hercule, qui eût autant de force que Samson, et qui succomba comme lui à l’amour des femmes. Le pere Pétau fait naître Hercule douze cents quatre-vingt-neuf ans avant notre ère ; et il ne paraît pas vraisemblable à nos critiques que l’histoire de Samson ait été écrite auparavant. C’est sur quoi ils fondent leur sentiment, que toutes les histoires juives, comme nous l’avons déjà dit, sont évidemment prises, et grossiérement imitées des anciennes fables qui avaient cours dans le monde. Le même Pétau, qui fait naître Hercule 1289 ans avant notre ère, ne fait commencer les exploits de Samson que 1135 ans avant la même ère. Supposé qu’il eût commencé à vingt-cinq ans, il serait donc né en onze cent-dix. Hercule était donc né cent soixante et dix-neuf ans avant Samson. Il est donc démontré, selon ces critiques, que la fable de Samson, trahi par les femmes, est une imitation de la fable d’Hercule. Les sages commentateurs répondent, qu’il est possible que les deux avantures soient vraies, et que l’une ne soit point prise de l’autre ; que dans tous les pays on a vu des hommes d’une force extraordinaire, et que plus on est vigoureux plus on se livre aux femmes, et qu’alors on abrege ses jours.
  25. le curé Mêlier s’emporte à son ordinaire contre cette histoire sacrée, et plus violemment encore que contre les autres. " quelle pitoyable sottise, dit-il, de commencer la vie de Samson, nazaréen, particuliérement consacré au dieu des juifs, par la contravention la plus formelle à la loi juive ! Il était rigoureusement défendu aux juifs d’épouser des étrangeres, et encore plus d’épouser une philistine. Cependant Manué et sa femme, qui ont consacré Samson dès sa naissance, lui donnent une philistine en mariage, et cela dans une prétendue ville de Thamnatha qui n’a jamais existé. Je voudrais bien savoir comment des philistins pouvaient s’abaisser jusqu’à donner leurs filles à un de leurs esclaves ! "
  26. Mêlier trouve l’avanture du lion aussi ridicule que le mariage à Thamnatha. Il dit que les abeilles qui font ensuite du miel dans la gueule de ce lion sont la chose du monde la plus impertinente ; que les abeilles ne font jamais leur cire et leur miel que dans des ruches ; qu’elles ne bâtissent leurs ruches que dans les creux des arbres, et qu’il faut une année entiere pour qu’on trouve du miel dans ces ruches ; qu’elles ont une aversion insurmontable pour les cadavres, et que l’auteur de ce misérable conte était aussi ignorant que Don Calmet, qui rapporte sérieusement la fable des abeilles nées du cuir d’un taureau. Quand on a de telles impertinences à commenter, dit Mêlier, il ne faut point les commenter, il faut se taire.
  27. il parle avec la même indécence de l’avanture des trois cents renards. Elle lui paraît un conte absurde, qui ne saurait même amuser les enfants les plus imbécilles. Calmet a beau dire que la populace de Rome fesait courir un renard avec un flambeau allumé sur le dos. Bochart a beau dire que cet amusement de la canaille était une imitation de l’avanture des renards de Samson. Mêlier n’en démord point ; il soutient qu’il est impossible de trouver à point nommé trois cents renards et de les attacher ensemble par la queue ; qu’il faudrait un temps trop considérable pour trouver ces trois cents renards, et qu’il n’y a point de renardier qui pût attacher ainsi trois cents renards. Si on trouvait, dit-il, un pareil conte dans un auteur profane, quel mépris n’aurait-on pas pour lui ?
  28. la machoire d’âne avec laquelle Samson tue mille philistins ses maitres, est ce qui enhardit le plus Mêlier dans ses sarcasmes aussi insolents qu’impies. Il va jusqu’à dire (nous le répétons avec horreur) qu’il n’y a de machoire d’âne dans cette fable que celle de l’auteur qui l’inventa. Nous répondrons à la fois à toutes les criminelles injures de ce mauvais prêtre à la fin de cet article de Samson.
  29. cet indigne curé se moque de la fontaine que Dieu fait sortir d’une dent molaire, comme de tout le reste. Il dit qu’un mauvais roman, dépourvu de raison, n’en est pas plus respectable pour avoir été écrit par un juif inconnu ; que la légende dorée et le pédagogue chrétien n’ont aucun miracle qui approche de cette foule d’absurdités.
  30. les portes de Gaza emportées par Samson sur ses épaules achevent d’aigrir la bile de cet homme. Et sur ce que le lieu d’Hébron est à douze lieues de la ville de Gaza, il nie qu’un homme puisse pendant la nuit y porter les portes d’une ville depuis minuit, temps auquel Samson s’éveilla, jusqu’au matin, fut-ce pendant l’hiver. Nous répondons qu’il n’est point dit qu’il les porta en une seule nuit ; que s’il aima une courtisane, c’est de cela même que Dieu le punit. Nous n’avons pas parlé de la critique que fait Mêlier, de Samson reconnu pour juge des hébreux tandis qu’ils étaient esclaves. Cette critique porte trop à faux. Les philistins pouvaient très bien permettre aux juifs de se gouverner selon leurs loix, quoique dans l’esclavage. C’est une chose dont on a des exemples. Pour les prodiges étonnants opérés par Samson, ce sont des miracles qui montrent que Dieu ne veut pas abandonner son peuple. Nous avons dit vingt fois, que ce qui n’arrive pas aujourd’hui arrivait fréquemment dans ces temps-là. Nous croyons cette réponse suffisante.
  31. l’histoire de Michas semble entiérement isolée. Elle ne tient à aucun des événements précédents. On voit seulement qu’elle fut écrite du temps des rois juifs, ou après ces rois par quelque lévite, ou par quelque scribe. C’est une des plus singulieres du canon juif, et des plus propres à faire connaître l’esprit de cette nation avant qu’elle eut une forme réguliere de gouvernement. Nous ne nous arrêterons point à concilier les petites contradictions du texte. Mais nous remarquerons avec l’abbé Tilladet, que Michas et sa mere font des dieux, des idoles sculptées, et tombent précisément dans le même péché qu’Aaron et les israëlites, sans que le dieu d’Israël y fasse la moindre attention. Il croit que ce n’est point un lévite qui a écrit cette histoire, parce que, dit-il, s’il avait été lévite, il aurait marqué au moins quelque indignation contre un tel sacrilege. Le savant Fréret pense que chaque livre fut écrit en différents temps par différents lévites ou scribes, qui ne se communiquaient point leurs ouvrages ; et même que l’avanture de Michas peut fort bien avoir été écrite avant que la genese et l’exode fussent publics. Sa raison est qu’on trouve ici des avantures à-peu-près semblables à celles de l’exode et de la genese, mais beaucoup moins merveilleuses. Ce qui fait penser que l’auteur de la genese et de l’exode a voulu enchérir sur l’auteur de Michas. Ce sentiment du docte Fréret nous semble trop téméraire ; mais il est très vraisemblable que la horde juive, qui erra si longtemps dans les déserts et dans les rochers, se fit de petits dieux et de petites idoles mal sculptées avec des instruments grossiers, et que chaque famille avait ses idoles dans sa maison, comme Rachel avait les siennes. Ce fut l’usage de presque tous les peuples, comme nous l’avons déjà observé.
  32. selon Fréret cette histoire, très-curieuse, prouve que de tout temps il y eut des peres de famille qui voulurent avoir chez eux des especes de chapelains et d’aumoniers. Il prétend avec plusieurs autres, que l’esclavage où les juifs étaient réduits dans la terre de Canaan, n’était pas un esclavage tel que celui qu’on essuie à Maroc et dans les pays d’Alger et de Tunis ; que c’était une espece de main morte ; telle qu’elle a été établie dans toutes les provinces chrétiennes. Il était permis à ces hordes hébraïques de cultiver les terres ; et ils en partageaient les fruits avec leurs maîtres. Ainsi il pouvait y avoir quelques familles riches parmi ces esclaves, qui dans la suite des temps s’emparerent d’une partie du pays, et se firent des chefs que nous nommons rois. La veuve Michas et ses enfans étaient des paysans à leur aise. Il est naturel qu’un lévite pauvre, et n’ayant point de profession, ait couru le pays pour chercher à gagner du pain. Ce jeune lévite était un des esclaves demeurants à Bethléem petit village auprès du village de Jérusalem, dans le pays des jébuséens ; et il est à croire que les hébreux n’avaient jamais eu en ce temps-là aucune terre en propre. Bethléem et Jérusalem sont, comme on sait, le plus mauvais pays de la Judée. Ainsi il n’est pas étonnant que ce lévite allât chercher fortune ailleurs.
  33. il est assez difficile de comprendre comment la horde hébraïque, dispersée et esclave dans ces pays, osoit envoyer des espions à Laïs, qui était une ville appartenante aux sidoniens. Mais enfin la chose est possible. Les esclaves des romains firent de bien plus grandes entreprises sous leur chef et compagnon Spartacus. Les mains-mortables d’Allemagne, de France et d’Angleterre ; prirent plus d’une fois les armes contre ceux qui les avaient asservis. La guerre des paysans d’Allemagne, et sur-tout de Munster, est mémorable dans l’histoire. C’est-là, dit Fréret, le dénouement de toutes les difficultés de l’histoire juive. Les hébreux errerent très long-temps dans la Palestine. Ils furent manœuvres, régisseurs, fermiers, courtiers, possesseurs de terres mains mortables, brigands, tantôt cachés dans des cavernes, tantôt occupant des défilés de montagnes ; et enfin cette vie dure leur ayant donné un tempérament plus robuste qu’à leurs voisins, ils acquirent en propre, par la révolte et par le carnage, le pays où ils n’avaient été d’abord reçus que comme les savoyards qui vont en France, et comme les limousins et les auvergnacs qui vont faire les moissons en Espagne. Cette explication du docte Fréret serait très plausible, si elle n’était pas contraire aux livres saints. L’écriture n’est pas un ouvrage qui puisse être soumis à la raison humaine.
  34. il n’est donc point absolument contre la vraisemblance que six cents hommes des hordes hébraïques aient passé en pleine paix par les défilés continuels des montagnes de la Palestine, pour aller faire un coup de main sur les frontieres des sidoniens, et piller la petite ville de Laïs. Chemin fesant ils trouvent le prêtre de la famille de Michas : ce prêtre se disait devin ; et telles sont les contradictions de l’esprit humain, que presque tous les voleurs sont superstitieux. Les bandits qui ravageaient l’Italie dans les derniers siecles, ne manquerent jamais de faire dire des messes pour le succès de leurs entreprises. Les corses en dernier lieu se confessaient avant d’aller assassiner leur prochain ; et ils avaient toujours un prêtre à leur tête dans leurs brigandages. Les six cents voleurs juifs prirent donc le lévite de Michas, et ses ornements sacrés. Michas court après ses dieux, comme Laban après les siens lorsque sa fille Rachel les lui vola. Nous avons observé qu’énée, en fuyant de Troye vers le temps où le livre de Michas fut écrit, ne manqua pas d’emporter ses petits dieux avec lui. Il y a de très grandes ressemblances dans toute l’histoire ancienne. L’auteur sacré n’approuve ni Michas, ni son lévite, ni la tribu de Dan.
  35. il est étrange, dit l’abbé de Tilladet, que la horde juive, dès qu’elle prend une ville ou un village, mette tout à feu et à sang, massacre tous les hommes, toutes les femmes mariées, tous les bestiaux, et brûle tout ce qui pouvait leur servir dans un pays dont ils étaient sûrs d’être un jour les maîtres, puisque Dieu le leur avait promis par serment. Il y a non-seulement une barbarie abominable à tout égorger, mais une folie incompréhensible à se priver d’un butin dont ils avaient un besoin extrême. Nous répondrons à l’objection pressante de Mr l’abbé de Tilladet, que sans doute les juifs ne brûlaient que ce qu’ils ne pouvaient pas emporter, comme maisons et meubles qui n’étaient pas à leur usage, mais qu’ils emmenaient avec eux les filles, les vaches, les moutons et les chevres, avec quoi ils se retiraient dans les cavernes profondes qui sont si communes dans ces montagnes, et qui peuvent tenir jusqu’à quatre à cinq mille hommes. S’ils égorgeoient jusqu’aux filles dans Jérico, c’était par un ordre exprès du seigneur, qui voulait punir Jérico.
  36. il faut toujours un prêtre à ces voleurs. Mais ce que Mr l’abbé de Tilladet ne peut croire, c’est qu’un petit-fils de Mosé fût lui-même grand-prêtre des idoles dans une caverne de scélérats. Cela seul, dit-il, serait capable de lui faire rejeter du canon ce livre de Michas. Cela montre, dit Fréret, la décadence trop ordinaire dans les grandes familles. Le fils du roi Persée fut greffier dans la ville d’Albe ; et nous avons vu les descendants des plus grandes maisons demander l’aumone. Le texte dit que l’idole de Michas demeura dans la tribu de Dan jusqu’à la captivité, pendant que la maison de Dieu était à Silo. Silo était un petit village, qui appartint depuis à la tribu d’éphraïm. La maison de Dieu dont il est parlé ici, est le cofre, ou l’arche, le tabernacle du seigneur. Il faut donc que les hébreux, esclaves alors, eussent obtenu des maîtres du pays la permission de mettre leur arche dans un de leurs villages. Cette permission même, dit Mr Fréret, serait le comble de leur avilissement. Des gens pour qui Dieu avait ouvert la mer Rouge et le Jourdain, et arrêté le soleil et la lune en plein midi, pouvaient-ils ne pas posséder une superbe ville en propre, dans laquelle ils auraient bâti un temple pour leur arche ? On répond que ce temple fut en effet bâti plusieurs années après dans Jérusalem, et qu’un siecle de plus ou de moins n’est rien dans les conseils éternels de la providence. Il est difficile d’entendre le sens de l’auteur sacré, quand il dit que l’idole de Michas resta dans la tribu de Dan jusqu’au temps de la captivité. Plusieurs commentateurs croient que l’avanture de Michas arriva immédiatement après Josué. Or Josué mourut selon le comput hébraïque l’an du monde 2561 ; et la grande captivité fut achevée par le roi Salmanazar en l’an 3283. Les idoles de Michas et leur service seraient donc dans la tribu de Dan sept cents vingt-deux ans. Cette histoire, comme on voit, n’est pas sans de grandes difficultés ; et la seule soumission aux décisions de l’église peut les résoudre. Ce qu’on peut recueillir de ces histoires détachées, qui semblent toutes se contredire, c’est que le culte hébraïque ne fut jamais uniforme ni fixé jusqu’au temps d’Esdras.
  37. l’histoire du lévite et de sa femme ne présente pas moins de difficultés. Elle est isolée comme la précédente, et rien ne peut indiquer en quel temps elle est arrivée. Ce qui est très extraordinaire, c’est qu’on y trouve une avanture à-peu-près semblable à une de celles qui sont consignées dans la genese ; et c’est ce que nous allons bientôt examiner. Le lévite qui arrive dans Gabaa, et avec qui les gabaïtes ont la brutalité de vouloir consommer le péché contre nature, semble d’abord une copie de l’abomination des sodomites qui voulurent violer deux anges. Nous verrons ces deux crimes infâmes punis, mais d’une maniere différente. Le Lord Bolingbroke en prend occasion d’invectiver contre le peuple juif, et de le regarder comme le plus exécrable des peuples. Il dit qu’il était presque pardonnable à des grecs voluptueux, à de jeunes gens parfumés, de s’abandonner dans un moment de débauche à des excès très-condamnables, dont on a horreur dans la maturité de l’âge. Mais il prétend qu’il n’est gueres possible qu’un prêtre marié, et par conséquent ayant une grande barbe à la maniere des orientaux et des juifs, arrivant de loin sur son âne accompagné de sa femme, et couvert de poussiere, pût inspirer des desirs impudiques à toute une ville. Il n’y a rien, selon lui, dans les histoires les plus révoltantes de toute l’antiquité, qui approche d’une infamie si peu vraisemblable. Encore les deux anges de Sodome étaient dans la fleur de l’âge, et pouvaient tenter ces malheureux sodomites. Ici les gabaïtes prennent un parti que les sodomites refuserent. Loth proposa ses deux filles aux sodomites qui n’en voulurent point. Mais les gabaïtes assouvissent leur brutalité sur la femme du prêtre, au point qu’elle en meurt. Il est à croire qu’ils la battirent après l’avoir déshonorée, à moins que cette femme ne mourût de l’excès de la honte et de l’indignation qu’elle dut ressentir, car il n’y a point d’exemple de femme qui soit morte sur le champ de l’excès du coït. La maison du lévite, dans laquelle le lévite ramena le cadavre sur son âne, était devers la montagne d’éphraïm, et sa femme était du village de Bethléem ; on ne sait s’il rapporta sa femme à Bethléem ou à éphraïm.
  38. l’idée d’envoyer un morceau du corps de sa femme à chaque tribu, est encore sans exemple, et fait frémir. Il fallut donc envoyer douze messagers chargés de ces horribles restes. Mais où étaient alors ces douze tribus ? On croit que cette scene sanglante se passa pendant une des servitudes des juifs. Et puisque cette histoire du lévite est placée dans le canon après celle de Michas, il faut qu’elle soit du temps de la derniere servitude, qui dura quarante ans. Mais nous verrons dans ce systême une difficulté presque insurmontable.
  39. si cette aventure arriva durant la grande servitude de quarante ans, on est embarrassé de savoir comment les douze tribus s’assemblerent, et comment leurs maîtres le souffrirent. C’était naturellement aux possesseurs du pays qu’on devait s’adresser pour punir un crime commis chez eux. C’est le droit de tous les souverains, dont ils ont été extrêmement jaloux dans tous les temps. Le texte donne vingt-cinq mille combattants à la tribu de Benjamin qui prit le parti des coupables, et quatre cents mille combattants aux onze autres tribus. En supposant la population égale, chaque tribu aurait eu trente-cinq mille quatre cents seize soldats. Et en ajoutant les vieillards, les femmes et les enfants, chaque tribu devait être composée de cent quarante un mille six cents soixante et quatre personnes, qui font pour les douze tribus un million, six cents quatre-vingt-dix-neuf mille, neuf cents soixante et huit personnes. Or, pour qu’on tînt en servitude un nombre si prodigieux d’hommes, parmi lesquels il y en avait quatre cents vingt-cinq mille en armes, il aurait fallu au moins huit cents mille hommes en armes pour les contenir. Et comment les maîtres laissent-ils des armes à leurs esclaves ? Quand il est dit au livre des rois chap xiii, que les philistins ne permettaient pas aux juifs d’avoir un seul forgeron, de peur qu’ils ne fissent des épées et des lances, et que tous les israélites étaient obligés d’aller chez les philistins pour faire éguiser le soc de leurs charrues, leurs hoyaux, leurs cognées et leurs serpettes . Cette difficulté est grande. Nous ne dissimulons rien.
  40. on est encore étonné ici que le seigneur protegeât les benjamites qui étaient du parti le plus coupable, contre tous les israélites qui étaient du parti le plus juste.
  41. on est étonné bien davantage, qu’après avoir marché une seconde fois par l’ordre exprès de Dieu, les israélites soient battus une seconde fois, et qu’ils perdent dix-huit mille hommes. Mais aussi, ils sont ensuite entiérement vainqueurs. Tout ce qui peut faire un peu de peine, c’est le nombre effroyable d’israélites égorgés par leurs freres, depuis l’adoration du veau d’or jusqu’à ces guerres intestines.
  42. il semble que les benjamites, qui n’étaient que vingt-cinq mille en armes, en aient pourtant perdu cinquante mille. Mais on peut aisément entendre que le texte parle d’abord en général de vingt-cinq mille hommes tués, et dit ensuite en détail comment ils ont été tués.
  43. ceux qui nient la possibilité de tous ces événements, doivent pourtant convenir que le caractere des juifs est bien marqué dans cette douleur qu’ils ressentent au milieu de leurs victoires, de voir qu’une de leurs tribus court risque d’être anéantie. Ce qui auroit détruit les prophéties et les prédictions de l’empire des douze tribus sur la terre entiere. La destruction de la ville de Gabaa, de tous les hommes et de toutes les bêtes, selon leur coutume, ne les effarouche pas ; mais la perte d’une de leurs tribus les attendrit. Rien n’est plus naturel dans une nation qui espérait que ses douze tribus asserviraient un jour toute la terre.
  44. cette maniere de repeupler une tribu a paru bien singuliere à tous les critiques. Tout le peuple juif est ici supposé égorger tous les habitans d’une de ses propres villes, pour donner des filles à ses ennemis. On massacre les meres pour marier leurs filles. Le curé Mêlier dit, que ces fables de sauvages feroient dresser les cheveux à la tête si elles ne fesaient pas rire. Nous avouons que cet expédient pour rétablir la tribu de Benjamin est d’une barbarie singuliere ; mais Dieu ne l’ordonna pas. Ce n’est point à lui qu’on doit s’en prendre de tous les crimes que commet son peuple. Ce sont des temps d’anarchie. Les critiques insistent ; ils disent que Dieu fut consulté pendant cette guerre, que son arche y étoit présente : mais on ne trouve point dans le texte que Dieu ait été consulté quand ils tuerent tous les habitans de Jabès avec toutes les femmes et les petits enfants.
  45. nous ne savons comment excuser cette nouvelle maniere de completter le nombre des six cents filles qui manquaient aux benjamites. C’est précisément devant l’arche qui était à Silo, selon le texte ; c’est dans une fête célebre en l’honneur du seigneur, c’est sous ses yeux que l’on ravit deux cents filles. Les israélites joignent ici le rapt à l’impiété la plus grande. On doit convenir que tout cet amas d’atrocités du peuple de Dieu est difficile à justifier.