L. Hachette et Cie (p. 248-250).

XCII

LE LÉVITE OUTRAGÉ

(1116 ans avant J.-C.)



L’année d’après la mort de Samson, et environ deux cent trente ans après le passage du Jourdain par Josué, il arriva un événement qui causa la mort de toute la tribu de Benjamin, sauf quelques centaines d’hommes qui furent sauvés.

Un Lévite, qui demeurait au mont Éphraïm, épousa une fille de la tribu de Benjamin. Quelques mois après son mariage, il se disputa avec sa femme, et la querelle devint si forte, que le mari et la femme ne voulurent plus vivre ensemble ; la femme s’en alla et retourna chez son père ; le mari la laissa aller, et resta ainsi quatre mois séparé de sa femme.

Au bout de ce temps, il commença à la regretter. Il pensa qu’elle était jeune, aimable, joyeuse, agréable, qu’il avait été beaucoup plus heureux avec elle que depuis qu’il ne l’avait plus. Enfin, il partit avec un serviteur pour aller la chercher. Elle le reçut avec beaucoup d’amitié, et le fit entrer dans la maison de son père ; le Lévite y resta plusieurs jours, et enfin il repartit avec sa femme, malgré le père qui désirait les garder encore.

Vers le soir, ils arrivèrent près de Gabaa, petite ville de la tribu de Benjamin. Ils étaient fatigués, ainsi que leurs ânes, mais personne ne voulut les loger. Ils étaient assis à terre dans le chemin, ne sachant où aller. Heureusement qu’ils rencontrèrent un vieillard qui leur proposa de les loger pour la nuit. Ils acceptèrent avec joie ; il leur lava les pieds, leur donna à boire, à manger, ainsi qu’à leurs serviteurs et à leurs ânes, et il leur donna une place pour y coucher.

Quand la nuit fut venue, on entendit un grand bruit à la porte ; le vieillard se leva et alla voir ce que c’était. Il trouva une foule d’hommes de mauvaise vie, des voleurs qui voulaient entrer. « Nous voulons, criaient-ils, que tu nous livres cet homme qui est entré chez toi ce soir. » — Le bon vieillard les pria, les supplia de laisser cet homme passer tranquillement la nuit chez lui. « Je ne peux pas vous le livrer, disait-il, ce serait une trahison ; je n’ai pas donné asile à cet étranger pour le faire égorger ni voler ; je vous supplie de ne pas lui faire de mal. »

Ces méchants hommes ne voulant rien écouter, le Lévite, qui craignait qu’ils ne tuassent le bon vieillard, prit un parti qui était pour le moins fort inhumain et imprudent. Il prit sa femme et la fit livrer à ces méchants hommes par le vieillard.

Jacques. Le vilain homme ! Lui, tout homme qu’il est, a peur, et il abandonne à ces voleurs une pauvre femme qui avait bien voulu le suivre.

Grand’mère. Je trouve comme toi qu’il a fait une action lâche et cruelle. Mais il faut dire, pour son excuse, que dans ce temps-là, les femmes étaient traitées avec bien moins de considération qu’elles ne le sont maintenant : on achetait, on donnait une femme presque comme nous achetons et donnons un cheval, une vache, etc. Il a livré sa femme comme nous livrerions un cheval ou une vache pour nous sauver d’un grand danger. Il n’est donc pas aussi coupable qu’il l’eût été de notre temps. Les voleurs emmenèrent la malheureuse femme, et ils la traitèrent si cruellement toute la nuit, s’amusant à la torturer, que le lendemain, quand le Lévite ouvrit la porte, il trouva sa femme étendue morte en travers de la porte.

Le Lévite, devenu furieux de cet outrage, prit le corps de sa femme, le rapporta chez lui sur un âne, coupa ce cadavre en douze morceaux qu’il envoya aux chefs des douze tribus, en faisant raconter par ses serviteurs le crime dont elle avait été la victime. La tribu de Benjamin, chez laquelle le meurtre avait eu lieu, refusa de livrer les meurtriers aux autres tribus qui les demandaient pour les punir. Alors, les onze autres tribus déclarèrent la guerre à celle de Benjamin : ils rassemblèrent quatre cent mille guerriers. Celle de Benjamin ne put en réunir que vingt-cinq mille. Et pourtant, dans les deux premiers combats, ce furent les Benjamites qui furent vainqueurs, et qui tuèrent une fois vingt-deux mille ennemis, l’autre fois dix-huit mille.

Enfin, les Israélites, étonnés de ne pas vaincre dans une cause si juste, invoquèrent le Seigneur, jeûnèrent et prièrent jusqu’à ce que le Seigneur leur promit la victoire. En effet, quand ils attaquèrent une troisième fois les Benjamites, ils remportèrent une victoire complète, tuèrent leurs vingt-cinq mille guerriers, tous les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards, et ne laissèrent vivre que six cents jeunes filles, qu’ils donnèrent plus tard à six cents jeunes Benjamites, qui avaient réussi à se sauver pendant le massacre des villes. Ces six cents jeunes gens refirent plus tard la tribu de Benjamin, de laquelle devait sortir un jour l’apôtre saint Paul.